Avec la découverte et l’utilisation du fer il y a 2500 ans, l’organisation sociale des sociétés africaines change. De nombreux habitants, nomades depuis la nuit des temps, deviennent sédentaires. Des castes se forment, et parmi celles des artisans, le forgeron devient le centre de toutes les activités et gagne un pouvoir important. Sans lui, il n’y a pas d’armes de chasse, ni d’outils agricoles et ustensiles de cuisine. Il est le maître du feu et du bois. Traditionnellement, il sculpte les fûts de djembé ou les lames de balafon. Le geste du balafola est le même que celui du forgeron. La mailloche adopte le mouvement du marteau et la lame remplace l’enclume. Tout laisse donc à croire que les premiers joueurs de balafon étaient les forgerons.
Dans l’un des mythes cosmogoniques mandingue, le premier habitant sur terre descendu du ciel était un forgeron. Et ce n’est sûrement pas par hasard que le balafon joue un rôle important dans l’histoire de l’avènement du royaume du Mali au 13ième siècle.
L’histoire du balafon, chantée et racontée depuis huit siècles par les jelis, est décrite dans une véritable épopée comparable au Mahabarata de l’Inde ou à la chanson des Nibelungen en Germanie.
En voici un résumé. À la fin du 12ième siècle, Nare Maghann Konate règne sur le pays mandingue, région qui englobe à l’époque le sud-est du Mali et le nord de la Guinée d’aujourd’hui.
Ce roi a deux fils, Soundiata Keita né en 1190 à Niani d’une première épouse et Dankaran Touman avec sa deuxième femme. Au décès du roi, c’est son second fils Dankaran Touman qui, poussé par sa mère, prend le pouvoir à la place de son aîné Soundiata, l’héritier légitime.
Soundiata part en exil avec quelques fidèles et voyage à travers tout le pays, pour forger des alliances avec des chefs de clans.
Nare Maghann Konate, juste avant sa mort, avait pressenti cette situation. Il avait nommé Bala Faseke, fils de son propre jeli comme conseiller de Soundiata. Il pensait que grâce à son sens politique, il pourrait un jour aider ce dernier à reprendre le pouvoir usurpé par son demi-frère.
Au sud du pays se trouve un autre royaume, celui des Sosso.
Ce territoire est gouverné d’une main de fer par le roi-forgeron Soumaoro Kanté. Ce roi, poussé par ses velléités de grandeur, annexe les uns après les autres les petits royaumes alentour et convoite le pays mandingue pour ses gigantesques ressources en or.
Dankaran Touman, le jeune roi mandingue, inquiet des ambitions de son voisin, envoie à la cour du roi sosso le jeli Bala Faseke avec pour mission de tenter une médiation entre les deux royaumes.
Mais Soumaoro Kanté le fait prisonnier, violant ainsi la coutume ancestrale de respect du jeli.
La légende raconte que c’est Soumaoro Kanté qui un jour avait rencontré des génies (Dondoris) qui lui ont montré un instrument qu’il n’avait encore jamais vu : le balafon ! Soumaoro Kanté a voulu rester maître de ce fantastique instrument. Nul autre que lui n’avait le droit de le toucher. Si d’aventure quelqu’un en jouait, il était aussitôt exécuté. « Même si une mouche se posait dessus, il la retrouvait et la tuait », affirme-t-on encore, comme pour donner plus de force à cette interdiction.
Un jour, bravant cette interdiction, Bala Faseke pénètre dans la chambre secrète où se trouve le balafon et se met à jouer. Bien que parti chasser en brousse, Soumaoro entend le son du balafon. Immédiatement, il rentre chez lui et, fou de rage, il s’apprête à le tuer, mais Bala Faseke envoûte Soumaoro de louanges en son honneur. Il joue avec une telle virtuosité que celui-ci se laisse charmer par la musique et le nomme son jeli personnel.
Une guerre entre Soundiata Keita et Soumaoro Kanté devient inévitable.
Après plusieurs batailles sans vainqueur ni vaincu vient, en 1235, la bataille de Kirina. Le matin, avant le début des hostilités, Bala Faseke réussit à s’enfuir pour retourner auprès de son maître originel, Soundiata Keita. Grâce au soutien retrouvé de son jeli, Soundiata gagne la guerre et devient le premier « Mansa », roi du Mali.
Son règne est le début d’une longue période de prospérité du Mali qui dure du 13ième au 16ième siècle. C’est l’apogée du balafon !
Chaque roi ou chef de village aura son jeli qui pourra exercer sa fonction et développer son art sans souci matériel.
Après la défaite de Soumaoro Kante, Bala Faseke joua encore longtemps de ce balafon lors des grandes cérémonies. Soundiata le baptisa Bala Faseke Kouyaté. Il fonda ainsi une grande lignée de griots : les Kouyatés, qui sont toujours les gardiens de ce balafon appelé le Sosso-Balafon que l’on trouve de nos jours à Niagassolo, au nord de la Guinée.
En 2004, L’UNESCO a ajouté le balafon à la liste de l’héritage culturel universel.
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extrait du livret du DVD « Le Balafon avec Aly Keita & Gert Kilian »
(www.le-salon-de-musique.com)