La Charte du Manden ou Manden Kalikan ou encore Kurukan Fuga, était la constitution de l’Empire du Mali de 1235 à 1645, c’est aussi le première déclaration de droits à valeur juridique dans l’histoire de l’humanité. Voici son contenu:
- Les chasseurs déclarent :
Toute vie (humaine) est une vie.
Il est vrai qu’une vie apparaît à l’existence avant une autre vie,
Mais une vie n’est pas plus « ancienne », plus respectable qu’une autre vie,
De même qu’une vie n’est pas supérieure à une autre vie. - Les chasseurs déclarent :
Toute vie étant une vie,
Tout tort causé à une vie exige réparation.
Par conséquent,
Que nul ne s’en prenne gratuitement à son voisin,
Que nul ne cause du tort à son prochain,
Que nul ne martyrise son semblable. - Les chasseurs déclarent :
Que chacun veille sur son prochain,
Que chacun vénère ses géniteurs,
Que chacun éduque comme il se doit ses enfants,
Que chacun « entretienne », pourvoie aux besoins des membres de sa famille. - Les chasseurs déclarent :
Que chacun veille sur le pays de ses pères.
Par pays ou patrie, faso,
Il faut entendre aussi et surtout les hommes ;
Car « tout pays, toute terre qui verrait les hommes disparaître de sa surface
Deviendrait aussitôt nostalgique. » - Les chasseurs déclarent :
La faim n’est pas une bonne chose,
L’esclavage n’est pas non plus une bonne chose ;
Il n’y a pas pire calamité que ces choses-là,
Dans ce bas monde.
Tant que nous détiendrons le carquois et l’arc,
La faim ne tuera plus personne au Manden,
Si d’aventure la famine venait à sévir ;
La guerre ne détruira plus jamais de village
Pour y prélever des esclaves ;
C’est dire que nul ne placera désormais le mors dans la bouche de son semblable
Pour allez le vendre ;
Personne ne sera non plus battu,
A fortiori mis à mort,
Parce qu’il est fils d’esclave. - Les chasseurs déclarent :
L’essence de l’esclavage est éteinte ce jour,
« D’un mur à l’autre », d’une frontière à l’autre du Manden ;
La razzia est bannie à compter de ce jour au Manden ;
Les tourments nés de ces horreurs sont finis à partir de ce jour au Manden.
Quelle épreuve que le tourment !
Surtout lorsque l’opprimé ne dispose d’aucun recours.
L’esclave ne jouit d’aucune considération,
Nulle part dans le monde. - Les gens d’autrefois nous disent :
« L’homme en tant qu’individu
Fait d’os et de chair,
De moelle et de nerfs,
De peau recouverte de poils et de cheveux,
Se nourrit d’aliments et de boissons ;
Mais son « âme », son esprit vit de trois choses :
Voir qui il a envie de voir,
Dire ce qu’il a envie de dire
Et faire ce qu’il a envie de faire ;
Si une seule de ces choses venait à manquer à l’âme humaine,
Elle en souffrirait
Et s’étiolerait sûrement. »
En conséquence, les chasseurs déclarent :
Chacun dispose désormais de sa personne,
Chacun est libre de ses actes,
Chacun dispose désormais des fruits de son travail.
Tel est le serment du Manden
A l’adresse des oreilles du monde tout entier.
La Charte dans son contexte
Modeste royaume du haut niger, le Manden, détenteur d’une importante source d’or, le Bouré, passa au premier plan après la chute de l’Empire du Ghana en 1076. Après la brève hégémonie des sosso-Kanté, héritier du Ghana (1180-1230), le royaume Manden s’imposa à tous les pays de la savane avec Sundjata Keita.
Avant l’unité politique des peuples du térritoire manden, la region se constituait de deux royaumes : au nord-est le Do (Dodugu) près de Sosso et au sud-ouest, près des mines du Bouré, le Kiri ou Manden qui finira par désigner tout le pays maninka. Le Dodugu était peuplé par le clan des Kondé et aurait compté douze villes. Les Konaté et Keïta eux, occupaient le pays de Kiri conjointement avec les Traoré. Quant aux Kamara de Sibi et de Tabön, ils occupèrent progressivement la rive droite (Bako) du Niger.
C’est le Kiri qui réalisa l’unité de la region. L’un de ses rois, Mamadi Kani, se serait, en tant que simbon (maître chasseur), appuyé sur cette confrérie fermée, armée, initiée aux secrets de la brousse, pour réunir dans un même ensemble politique le Do, le Kiri, le Bako et le Bouré sous les clans Kamara, Keïta, Konaté et Traoré. C’était au début du XIIieme siècle. Un siècle après, un de ses descendants, Maghan Kön Fatta, assista à l’essor puissant du Sosso avant de laisser le trône à Dankaran Tuman, fondateur de Kissidougou et frère ainé de Sundjata Keïta, l’homme sous l’impulsion duquel l’empire du Manden se construisit et qui en fut le premier empereur.
Un homme, SUNDJATA KEITA
Sundjata Keita
La tradition orale nous apprend que Sundjata eut une enfance pénible de handicapé perclus des jambes. Après avoir commencé à marcher dans des circonstances étranges, il dévint le chef de son groupe d’age et suscita la persécution de son frère Dankaran Tuman. Il décida de s’exiler et cette fuite (bori) dura de longues années qui le menèrent au Ghana puis à Néma ; le roi appréciant sa bravoure, lui confia un haut poste. C’est là que les messagers du Manden le retrouvèrent enfin ; Ils lui demandèrent simplement de venir libérer le Manden de sa quasi-soumission au roi sosso. Il accepta de les suivre avec un contigent donné par le roi de Néma.
Aidé de ses amis et alliés, Tabön Wana (Ghana), Kamajan Kamara de Sibi, Faoni Kondé, Siara Kuman Konaté, Tiramagan Traoré et Fakoli avec lesquels il scella l’union sacrée dans la plaine de Sibi, Sundjata entreprit sa guerre contre le roi sosso Soumaoro Kanté.
C’est entre 1220 et 1235 que devait avoir lieu le choc historique entre le sossoe et le Manden dirigé par Sundjata. Après deux rencontres incertaines, la bataille décisive eut lieu à Kirina. Soumaoro y perdit la guerre. La victoire de Kirina n’était pas un simple combat heureux : elle scellait l’alliance des clans rassemblés à Sibi ; elle assurait au royaume Manden l’héritage de l’empire du Ghana dans le soudan occidental.
L’hégémonie manden enlevant la primauté aux sossos et aux Sarakollés entraina une restructuration de la société autour du groupe guérrier malinké. Les classes se distribuèrent :
les nobles : ils furent repartis en seize familles ou clans qui formèrent les Manden-Djon-Tan-Ni-Woro. C’était l’ensemble des clans nobles du Manden et de l’empire.
les marabouts : cinq clans maraboutiques constituèrent les Manden-Mori-Kanda-Lolou ou les cinq familles gardiennes de la foi.
les hommes castés et griots : ils furent repartis en quatres grandes tribus ou g’nara nani (chaque métier formant un ou plusieurs clans).
Sundjata fut proclamé roi suprême (mansa ou maghan) ; les autres leaders devenant farin (gouverneur) dans leurs provinces, à l’exception des chefs de Néma et du wagadu, à qui fut reconnu le titre de roi. L’assemblé proclama que l’empereur serait désormais choisi dans la lignée de Sundjata selon la voie collatérale de frère à frère ; il était reconnu juge suprême et père de tous, d’où le titre Nfa mansa : « mon père le roi ». Bref, Sunjata « partagea le monde », chacun connaissant ses droits et ses devoirs. Les métiers étaient rendus héréditaires, ce qui ne semble pas avoir existé au temps de l’empire du Ghana.
C’est dans une grande plaine proche de Kangaba, à Kurukanfuga que la tradition situe le Gbara, c’est à dire l’assemblée constituante des clans mandenka.
La tradition attribue cette codification des normes sociales et politiques à l’empereur Sundjata. Elles regissent encore en partie la vie des peuples de langue Mandenkan.
Pourquoi « les chasseurs déclarent » ?
Chasseurs du Manden
L’origine des confréries de chasseurs en Afrique noire remonte à la vallée du Nil. Durant l’Égypte Antique, les castes socio-professionnelles étaient nombreuses, mais en particulier on pouvaient distinguer trois grandes classes : les nobles, les artisans, les serviles
Dans le Manden, les confréries de chasseurs étaient très vivaces. Souvent recrutés parmi les nobles, les dignitaires, surtout les classes guerrières, les membres de ces confréries jouaient un rôle très important dans la société. Cependant ils n’avaient que très peu d’influence en ce qui concernait les décisions politiques, qui étaient l’affaire des dirigeants, de la royauté.
L’initiation était la première étape pour intégrer une confrérie de chasseurs. De jeunes adolescents étaient souvent envoyés pour intégrer une telle confrérie, car elles étaient également considérées comme une école de vie. Leur structure, contrairement à d’autres, ne dépend pas de successions héréditaires.
L’apprentissage de la faune et de la flore, en particulier des plantes médicinales, de la cosmogonie, de la hiérarchie de la confrérie, de l’art lié au monde des chasseurs, des interdits qui les frappent, tout cela représentait une partie de la vie dans ces confréries purement ésotériques. Les confréries de chasseurs, très solidaires entres elles, sont très liées aux forgerons, souvent castés dans les sociétés africaines.
Paysage du Manden
Formation rocheuse, Manden
Arche de Kamadjan, percée d’un coup d’épée par le Roi de Siby. Manden