Les Coniagui et les Bassari (Guinée française)

Avant-propos

Depuis 1945, l’Institut International Africain s’occupe de la préparation et de la publication d’une série d’études ethnographiques de l’Afrique, ayant pour but de présenter, sous une forme commode, un résumé des connaissances actuelles sur les divers peuples de l’Afrique, concernant l’environnement naturel, I’économie et les métiers, la structure sociale, I’organisation politique, les croyances et rites religieux. Les documents déjà publiés fournissent la base de ces études, mais nombre de documents inédits provenant de rapports administratifs et des archives de sociétés missionnaires sont utilisés ainsi que des observations faites sur place et des communications spéciales par des ethnologues et autres personnes compétentes. Chacun des volumes de cette collection est consacré à un peuple ou à un groupe de peuples apparentés ; il contient une bibliographie détaillée et une carte géographique.
Le Comité de Direction de cette collection a été placé sous la présidence du Pr. Radcliffe-Brown ; le directeur de l’Institut est chargé d’organiser la rédaction en collaboration avec de nombreux instituts de recherche, des fonctionnaires des administrations en Europe et dans les territoires africains et des ethnologues expérimentés.
Sur la recommandation du Social Science Research Council, une subvention des British Colonial Development and Welfare Funds a été accordée ; cette subvention a été employée principalement, mais non exclusivement, pour le financement d’études se rattachant aux territoires britanniques. Une subvention supplémentaire du Gouvernement du Soudan anglo-égyptien a apporté une aide à la préparation et à la publication des sections intéressant ce territoire.
Le ministère de la France d’Outre-Mer et l’Institut Français d’Afrique Noire se sont intéressés à cette étude et grâce à leurs bons offices des subventions ont été octroyées par les Gouvernements de l’Afrique occidentale française et du Cameroun français pour la préparation et la publication des sections se rapportant à ces régions. Ces sections ont été rédigées par des ethnologues français, avec l’appui et les conseils de M. Griaule, professeur à la Sorbonne et du Pr. Th. Monod, directeur de l’Institut Français d’Afrique Noire.
La collaboration des autorités belges pour cette étude a été obtenue grâce aux bons offices de feu le Pr. De Jonghe, qui s’assura l’intérêt de la Commission d’Ethnologie de l’Institut Royal colonial belge. La collaboration de l’Institut pour la Recherche scientifique en Afrique centrale a été aussi accordée. Le travail concernant les territoires belges est effectué sous la direction du Pr. Olbrechis, au Centre de Documentation du Musée du Congo belge, à Tervueren, où Mlle Boone, et les membres de son service, s’emploient au rassemblement et au classement d’une documentation considérable concernant les peuples du Congo belge et du Ruanda-Urundi. Ils travaillent en collaboration étroite avec les ethnologues qui sont sur place, auxquels les projets de communications sont soumis pour vérification.
L’lnstitut International Africain désire exprimer toute sa reconnaissance aux organisations officielles, dont l’aide financière a permis l’exécution de cette étude, et aux nombreux savants, directeurs d’organisations de recherche, fonctionnaires des administrations, missionnaires et autres, qui ont collaboré à ces travaux, et qui, en accordant des facilites à nos chercheurs, en lisant leurs manuscrits, partagent le mérite qui pourrait être attribué aux auteurs des diverses sections.
Étant donné la valeur inégale des documents existants et la diversité des méthodes employées, il est évident que les monographies de cette collection ne peuvent être considérées comme complètes et définitives. On a l’espoir, cependant, qu’elles donneront une idée de l’état actuel de nos connaissances et qu’elles indiqueront Ieurs lacunes et Ies points sur lesquels des recherches complémentaires doivent être entreprises.
M. de Lestrange a séjourné chez la Coniagui et Bassari en 1946 et 1948-1949; elle a poursuivi ses enquêtes en France auprès d’un Coniagui en 1953 et 1954.

Chapitre Premier
Groupements tribaux et sous-tribaux démographiques

I. — Nomenclature

Ceux que les blancs (et, semble-t-il, les Malinké) appellent Coniagui et Bassari, s’appellent eux-mêmes respectivement awoen (pluriel :wawoen) et alian (plur. : belian), les premiers désignant les seconds sous le nom de ayaon (plur. : veyaon) et les seconds désignant les premiers sous le nom de azen (plur. : vezen1.
Le nom de tenda — sous lequel on a parfois désigné l’ensemble formé par les 5 populations: ConiaguiBassariBadyarankéTenda Boeni2 et Tenda Mayo — semble avoir été donné par les Peuls. Conservant au milieu de populations très différentes, mandingues ou peules, un ensemble de coutumes qui les ont fait ranger par les ethnologues parmi les Paléonigritiques ou Vieux Soudanais, ces 5 petits groupes humains ont en effet en commun un certain nombre de caractères anthropologiques et ethnologiques. Il semble que les Tenda Boeni soient des Bassari devenus musulmans, très peu différents des Tenda Mayo (Mayo signifie en peul fleuve : ils habitent les rives du Koli-Ba). Les Badyaranké, quoique proches des Coniagui (en particulier du point de vue religieux) et des Bassari (greniers de terre crue très semblables par exemple), nous ont semblé trop différents (ils connaissent en particulier le tissage, inconnu des deux autres populations) pour être groupés dans une même description. Dans le travail ci-dessous, nous ne traiterons que des Coniagui et des Bassari.

II. — Situation

Coniagui et Bassari vivent à la frontière de la Guinée française et du Sénégal, près de la Guinée portugaise (cf. carte 2in fine).
Sur le territoire des Coniagui (canton Coniagui de la subdivision de Youkounkoun, Guinée française), vivent à côté des Coniagui quelquesPeuls et quelques Malinké, mais ils sont très peu nombreux (quelques dizaines). Au milieu de ce territoire se trouve le village, indépendant du canton Coniagui en 1949, de Youkounkoun, qui groupe autour du poste de la subdivision quelques centaines d’habitants — fonctionnaires ou commerçants — étrangers à la région. Mais on peut dire que dans l’ensemble, le territoire des Coniagui est peuplé seulement de Coniagui : 10.500 environ sur un territoire d’environ 300 km2, entre les 13° 2′ et 13° 11′ de longitude O. et les 12° 27′ et 12° 40′ de latitude N.
Au contraire, les Bassari (canton Ndama-Bassari de la subdivision de Youkounkoun, Guinée française et canton Bassari de la subdivision de Kédougou, Sénégal) partagent leur territoire avec des Peuls : ceux-ci habitent souvent les bas fonds tandis que les villages Bassari sont souvent perchés sur les crêtes. Ainsi, environ 7.600 Bassari s’échelonnent-ils du 12° 44′ au 13° 2′ de longitude O. et du 12° 15′ au 12° 42′ de latitude N., mêlés à au moins autant de Peuls, dans un territoire d’environ 1.400 km2.
Les cartes les plus détaillées concernant ces régions sont les feuilles Youkounkoun (Guinée) et Kédougou (Sénégal-Guinée) de la carte d’Afrique occidentale française au 1/200.000 (Service géographique de l’A. O. F. à Dakar et Service géographique de l’Armée à Paris).

III.—Données démographiques

Les renseignements 3 dont nous disposons à ce sujet, proviennent en partie de recensements administratifs consultés aux postes de Youkounkoun, en 1946 et 1948-49 et de Kédougou, en 1949, en partie d’une enquête personnelle.

  1. A) Recensements administratifs
    En Guinée, les Coniagui habitent le canton dit Coniagui, les Bassari le canton dit Ndama. Les chiffres relatifs à la population de ces deux cantons, de 1943 à 1947, sont réunis au tableau ci-dessous :

La population des cantons Coniagui et Ndama de 1943 à 1947

1943 1944 1945 1947 Variation de 1943 à 1947
Canton Coniagui 11.054 11.211 11.111 10.783 — 2,4 %
Canton du Ndama, Fula 6.789 6.133 6.481 6.423 — 5,4 %
Canton du Ndama, Bassari 4.465 4.477 4.763 4.753 + 6,4

La presque totalité des habitants du canton Coniagui sont des Coniagui (en 1945, 10.584 sur 11.111 habitants). La légère diminution de leur effectif tient à 9 « villages 4 » sur 12 qui, en cinq ans, ont vu I’ensemble de leur population diminuer de 12 %. La diminution est surtout notable dans le « village » de Itiu qui était encore en 1943, et de beaucoup, la plus grasse agglomération Coniagui : ce « village » a perdu en cinq ans 34 % de ses habitants. Trois « villages » seulement voient leur population croître légèrement : Uyan, Ikota et Bantank, peut-être à cause de leur proximité de Youkounkoun. Ces mouvements de la population sont probablement imputables à un excédent de décès, mais de petites migrations de village à village ont pu également intervenir.
Dans le canton du Ndama, des Bassari vivent à côté de Fula : en cinq ans, les premiers ont augmenté de 6,4 %.
La densité est très variable selon les régions : la région habitée par les Coniagui (environ 300 km2) a une densité d’environ 35 habitants au kilomètre carré, mais elle est séparée des villages Bassari par un plateau désertique.

Les Coniagui
Aux 10.559 Coniagui recensés en 1945 dans le canton Coniagui, s’ajoutent 8 individus (7 hommes et une femme) recensés au Sénégal parce qu’habitant au delà de la rivière Mitji (cf. carte 1). Quelques autres, sans doute moins d’une dizaine, habitent le canton Bassari ou le canton du Badyar, vraisemblablement pour avoir épousé des Bassari ou des Badyaranké. On pourrait en somme, évaluer à 10.600 environ le nombre des Coniagui habitant leur pays en 1945 5. Ils y sont répartis en 65 agglomérations, dont la plus grande compte 904 habitants et la plus petite 11 seulement (soit plus de 80 fois moins) ; 31 ont moins de 100 habitants, 16 de 100 à 200, 8 de 200 à 300, 1 de 400 à 500, 1 de 500 à 600, 1 de 700 habitants et 1 de plus de 900. La moyenne est de 162 habitants.

Les Bassari
En 1945, dans le canton du Ndama, en Guinée, 4.775 hommes et femmes sont groupés en 35 agglomérations dont la plus grande a 515 habitants et la plus petite 22 : 15 ont moins de 100 habitants, 15 de 100 à 200, 4 de 200 à 300. La population des agglomérations Bassari est donc moins variable que celle des agglomérations Coniagui et la moyenne de 134 habitants correspond à une dimension assez fréquente chez les Bassari de Guinée. Environ 220 Bassari habitent des villages Fula du même canton (32 familles, soit environ 104 hommes et 116 femmes) et 42 le pays Coniagui (19 hommes et 23 femmes). Au Sénégal, dans le cercle de Kédougou, d’après le recensement de 1948, 2.380 Bassari habitent le canton Bassari et 150 la région de Niokolo. Le nombre total des Bassari vivant, tant au Sénégal qu’en Guinée, est donc approximativement de 7.600.

Carte 1. — Le pays Coniagui.

Répartition par âges des Coniagui et Bassari

La répartition selon le sexe et l’âge des Coniagui et des Bassari, à partir des recensements officiels, est donnée par les figures 1 et 2.
L’avenir du groupe Coniagui (cf. fig. 1) paraît compromis. Les individus de moins de 15 ans représentent 27 % de la population, chiffre légèrement supérieur seulement aux 24 % correspondant à la population à peine stationnaire de l’Europe du Nord, du Centre et de l’Ouest, en 1947, alors que le chiffre correspondant pour l’ensemble de l’Afrique atteint probablement 40 %.

Fig. 1 — Répartition des Coniagui selon l’âge et le sexe (Pyramide des âges)

L’avenir du groupe Bassari (cf. fig. 2) paraît lui aussi compromis. Les individus de moins de 15 ans représentent 28 % de l’ensemble des Bassari dont l’âge est approximativement connu, chiffre remarquablement proche de celui observé chez les Coniagui. Mais il existe des différences importantes entre les divers groupes Bassari. Ainsi à Négaré, 38 % des habitants ont moins de 15 ans, alors qu’au Sénégal, le chiffre correspondant ne dépasse pas 25 %.
L’estimation des âges par l’agent recenseur est si approximative qu’il ne faut pas attacher trop d’importance aux irrégularités de ces pyramides. Cependant, chez les Coniagui, le petit nombre des enfants de moins de 15 ans et, en particulier, de 10 à 15 ans, est d’autant plus frappant que le groupe d’âge immédiatement supérieur: 15-20 ans, est très fort, en réalité, le plus fort de tous. Chez les Bassari, la diminution de la fécondité est moins frappante, mais cependant visible sur la pyramide. Dans plusieurs régions du globe pour lesquelles les renseignements démographiques laissent à désirer, on trouve des irrégularités analogues dans les pyramides des âges. On peut donc penser qu’elles relèvent au moins en partie, d’une erreur systématique dans l’évaluation de l’âge, en particulier peut-être l’âge des enfants vers la puberté. La croissance est irrégulière et les enfants grandissent plus vite de 10 à 15 ans que pendant les cinq ans précédents ou suivants. Peut-être à cet âge les vieillit-on, leur attribuant par erreur 15 à 20 ans.

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Fig. 2 — Répartition des Bassari selon l’âge et le sexe (Pyramide des âges)

B) Enquête directe auprès des femmes

1,000 femmes Coniagui et 440 femmes Bassari de Guinée, âgées de plue de 25 ans, ont été interrogées, ce qui représente un échantillonnage satisfaisant de la population totale puisqu’il y avait, en 1945, chez les Coniagui, 2,217 femmes de plus de 25 ans et chez les Bassari un millier environ. Ces chiffres ont probablement plutôt diminué qu’augmenté de 1945 à 1949. Ainsi, près de la moitié des femmes de plus de 25 ans — jeunes (ayant approximativement moins de 30 ans), d’âge moyen ou vieilles (vraisemblablement toutes ménopausées) — ont été interrogées. Les groupes interrogés (cf. tableau ci-dessous) ont donc de fortes chances d’être représentatifs.

Nombre et âge des femmes étudiées

Coniagui Bassari
Nombre de femmes 1.000 440
Age femmes jeunes 8 % 11 %
femmes d’âge moyen 82 % 82,9 %
femmes vieilles 9,8 % 5,6 %

Stérilité

La stérilité des femmes n’est pas volontaire : chez les Coniagui et les Bassari le sort de la femme stérile est généralement pénible et toutes les femmes souhaitent devenir mères. Cependant, chez les Coniagui, 6 % des femmes interrogées étaient stériles : 2,3 % des femmes jeunes, 6,3 % des femmes d’âge moyen et 12,2 % des femmes vieilles. Ce dernier pourcentage surtout est élevé. Chez les Bassari, 8,4 % des femmes interrogées étaient stériles, 10 % des jeunes, 6,5 % des femmes d’âge moyen, 32 % des vieilles.
Le pourcentage des femmes stériles est donc plus grand chez les Bassari que chez les Coniagui et plus grand dans ces deux populations chez les « vieilles » femmes que chez les « jeunes » et les femmes « d’âge moyen» 6. L’énorme pourcentage de femmes stériles chez les Bassari « vieilles » n’a sans doute pas une grande valeur à cause de leur petit nombre, mais il augmente le pourcentage de l’ensemble des femmes, alors que celui des femmes d’âge moyen est approximativement le même dans les deux populations.

Nuptialité

La nuptialité est très forte dans les deux populations. Chez les Coniagui, les hommes souhaitent des enfants et ne veulent pas prendre le risque d’épouser une femme stérile. Aussi une femme ne se marie-t-elle pas avant d’avoir eu au moins un enfant ; c’est dire que la stérilité est ressentie par la femme comme une lourde tare. Les femmes Coniagui stériles ont un statut pénible, elles restent souvent célibataires ou épousent tardivement un mari polygame ayant une ou deux femmes avec des enfants. Les célibataires sont très rares chez les hommes.

Polygamie

Sur 642 femmes Coniagui, 95,2 % ont eu leurs enfants d’un seul homme, 3,6 % de deux, 0,6 % de trois et de quatre ; sur 408 femmes Bassari, 88,7 % ont eu des enfants d’un seul homme, 8,3 % de deux, 0,73 de trois et 0,24 de quatre. Il faudrait ajouter à ces maris-pères un certain nombre de maris stériles pour obtenir le nombre exact de maris de chaque femme. Mais ces chiffres montrent que les femmes Bassari sont presque trois fois plus souvent polyandres 7 que les femmes Coniagui (46 sur 408, soit 11,3 % au lieu de 31 sur 642, soit 4,8 %. A ce fait correspondent d’ailleurs de fortes différences socio-nuptiales chez les Coniagui et les Bassari : les femmes Bassari se marient vierges (ou enceintes de leur fiancé) et divorcent souvent, alors que les femmes Coniagui ont plusieurs amants avant le mariage, mais divorcent moins souvent (cf. p. 66).

Fécondité

La fécondité est faible. Pour la femme Coniagui, le nombre moyen de grossesses est de 2,54. Les « jeunes » n’ont en moyenne eu que 1,1 grossesse, les femmes d’âge « moyen » 2,75, les « vieilles » 1,9. Le faible nombre de grossesses des femmes jeunes n’est pas étonnant: une femme Coniagui ou Bassari n’a guère plus d’un enfant tous les quatre ans. La coutume lui interdit, en effet, comme à la plupart des femmes noires, les rapports sexuels pendant l’allaitement, qui dure deux et même trois ans.
Chez les femmes Bassari, le nombre moyen des grossesses est de 3,48, nettement plus élevé que chez les Coniagui. Mais les différences selon l’âge ont la même allure que chez les femmes Coniagui.

Nombre de grossesses selon l’âge des femmes

Coniagui Bassari
Ensemble des femmes 2,54 3,48
Femmes « jeunes » 1,1 1,44
Femmes « d’âge moyen » 2,75 3,83
Femmes « vieilles » 1,9 1,64

Le nombre des grossesses des « vieilles » Bassari est même encore plus bas (1,64) que celui des « vieilles » Coniagui (à cause du fort pourcentage de femmes stériles), alors que le nombre moyen de grossesses des femmes Bassari « d’âge moyen » est de 3,83, chiffre qui dépasse de plus d’une unité le chiffre Coniagui.
La fécondité des femmes Bassari est donc nettement supérieure à celle des femmes Coniagui. L’examen des femmes interrogées confirme ce fait: 27 % seulement des Coniagui interrogées étaient visiblement enceintes contre 59 % des Bassari.
37 % des femmes Coniagui et 159 °/OO des femmes Bassari ont fait une ou plusieurs fausses couches: en moyenne 1,16 chez les Coniagui, 1,58 chez les Bassari. L’ensemble des femmes Coniagui a fait en moyenne 0,043 fausse couche, l’ensemble des femmes Bassari 0,25, soit près de 6 fois plus.

Nombre d’enfants selon l’âge des mères

Coniagui Bassari
Nombre moyen d’enfants pour l’ensemble des femmes 2,57 3,13
Femmes « jeunes » 1,1 1,1
Femmes « d’âge moyen » 2,66 3,48
Femmes « vieilles » 1,9 1,52

Natalité

En moyenne, les Bassari conçoivent environ un enfant de plus que les Coniagui, mais avortant plus souvent, elles n’en mettent au monde que 0,6 de plus : en moyenne 3,13 contre 2,57. Les différences entre le nombre d’enfants selon l’âge de ces femmes, sont du même ordre que celles observées pour le nombre de grossesses: les femmes âgées ont plus d’enfante que les jeunes, mais bien moins que les femmes « d’âge moyen ».

Mortalité

Malgré un nombre moyen de fausses couches 6 fois supérieur, les femmes Bassari sont plus fécondes que les femmes Coniagui (0,6 enfant de plus). Mais les femmes interrogées en 1948 avaient perdu un certain nombre de leurs enfants: 22,4 % pour les Coniagui, 44,1 % — soit le double — pour les Bassari. A cause de cette forte mortalité, les femmes Bassari avaient finalement moins d’enfants vivants : 1,73, que les femmes Coniagui: 1,81. Le nombre d’enfants par femme d’âge « moyen » est toujours plus grand que le nombre d’enfants par femme « jeune » et « vieille ».
La mortinatalité est 10 fois plus forte chez les Bassari que chez les Coniagui. La mortalité infantile est très forte pendant les quatre premières années : 43 % des enfants morts Coniagui et 69 % des enfants morts Bassari sont morts avant de savoir marcher, 33 % à 2-3 ans chez les Coniagui, 13 % chez les Bassari. Après les deux premières années, la mortalité décroît vite: 13 % à 2-3 ans, 3 % à 4-5 ans, 2 % à 6-7 ans, 1 % à 8-9 ans, etc., chez les Bassari. Chez les Coniagui, moins d’enfants (42 %) meurent dans les deux premières années, mais plus dans les années suivantes: 33 % à 2-3 ans, 10 % à 4-5 ans. Plus tard, les pourcentages sont très semblables : 2 % à 6-7 ans, etc.
Mais pourquoi les enfants Bassari meurent-ils deux fois plus souvent que les Coniagui et beaucoup plus tôt ? On a beaucoup dit qu’une partie des enfants noirs mouraient au moment du sevrage, qui est tardif. Nos chiffres ne semblent pas le démontrer pour les Coniagui-Bassari. Aucune différence apparente dans l’alimentation ni dans l’ensemble de la vie des enfants n’explique la mortalité différente des enfants Coniagui et Bassari.

Nombre, sexe et âge au décès des enfants décédés

Coniagui Bassari
Pour 100 enfants nés
Nombre d’enfants décédé 22,4 44,1
Pour 100 enfants décédés
Sexe Garçons 47,32 54,71
Filles 52,67 45,28
Age Morts-nés 1,66 17,9
« Au dos » 42,08 51,92
2-3 ans 33,33 13,37
4-5 10,2 3,33
6-7 2,29 2,45
8-9 0,2 1,75
10-11 1,04 0,87
12-13 2,29 1,57
14 ans et plus 6,87 7,54

Proportion des sexes

D’après les recensements, pour l’ensemble de la population, la proportion des sexes : 89 hommes pour 100 femmes, est identique chez les Coniagui et les Bassari. Mais, chez ces derniers, il existe des différences entre groupes de villages: au Sénégal, il y a 95 hommes pour 100 femmes, en Guinée ce pourcentage s’abaisse à 86 et à Négaré à 81. Mais ce pourcentage est influencé par la mortalité selon le sexe et la composition par âge de la population.
Mais l’enquête nous permet d’observer la masculinité à la naissance. Au chiffre concernant les Coniagui de la présente enquête, on peut comparer celui concernant 225 enfants nés à la maternité de Youkounkoun, en 1946, 1947 et 1948. Ces chiffres sont rassemblés au tableau ci-dessous.

Proportion des sexes (taux de masculinité)

Coniagui Bassari
A la naissance chez les enfants des femmes étudiées 91,9 103,1
A la naissance chez 225 enfants nés à la maternité en 1946-1948 85,95
Chez les enfants des femmes étudiées vivant en 1949 92,2 91,9

Le taux de 103,1 garçons pour 100 filles chez les Bassari est très proche de celui observé en de nombreux pays : 105 garçons pour 100 filles. Mais chez les Coniagui, le taux de masculinité n’est que de 92 pour les enfants de 1.000 femmes et même seulement de 86 pour 225 enfants nés à la maternité de Youkounkoun. Ces chiffres anormaux demandent certainement une explication qu’on pourrait peut-être trouver dans le sexe des fausses couches.
La mortalité masculine étant un peu plus faible chez les Coniagui, beaucoup plus forte chez les Bassari, le taux de masculinité des enfants vivants est semblable dans ces populations : 92,2 chez les Coniagui, 91,9 chez les Bassari.

Taux de reproduction

Le taux de reproduction, c’est-à-dire le nombre de filles vivantes par femme, est plus bas chez les Bassari: 0,90, que chez les Coniagui: 0,98. Ceci concorde avec les différences constatées pour la fécondité, la natalité, la mortinatalité et la mortalité infantile.
Mais ce taux calculé pour l’ensemble des femmes Coniagui ou Bassari sans tenir compte de leur âge, n’a pas grande valeur. Si l’on répartit les femmes interrogées en femmes jeunes, d’âge moyen et vieilles, on obtient comme taux de reproduction des chiffres plus significatifs, rassemblés au tableau ci-dessous.

Taux brut de reproduction chez les Coniagui et les Bassari

Coniagui Bassari
Ensemble des femmes 0,98 0,90
Femmes « jeunes » 0,52 0,18
Femmes « d’âge moyen » 1,05 1,02
Femmes « vieilles » 0,75 0,48

Les chiffres concernant les jeunes n’ont guère d’intérêt, puisque ces femmes n’ont pas terminé leur vie génitale. Les chiffres concernant les vieilles sont théoriquement les plus significatifs. Mais le petit nombre de femmes auxquelles ils se rapportent leur ôte de leur valeur. La forte proportion de femmes stériles parmi les femmes âgées entraîne évidemment un abaissement du taux de reproduction. Le fait que la stérilité soit moins forte chez les femmes d’âge moyen que chez les vieilles est d’ailleurs la seule caractéristique des femmes Coniagui et Bassari qui permette d’espérer une amélioration démographique.
Les chiffres mesurant le taux de reproduction des femmes d’âge moyen sont donc les plus importants. Quoiqu’ils dépassent 1, il ne faut pas y voir une preuve que les populations Coniagui et Bassari sont stationnaires. En effet, ce nombre de filles vivantes comprend un grand nombre de filles encore petites, et le nombre de filles des femmes interrogées qui atteindront l’âge d’avoir à leur tour des enfants est certainement inférieur à 1.
Les populations Coniagui et Bassari sont donc régressives. Leurs taux de reproduction ne font d’ailleurs que confirmer ce que d’autres faits démographiques ont déjà montré.

IV. — Migrations intérieure et extérieure

Les déplacements de cases à l’intérieur du village Coniagui peuvent être considérés comme une petite migration (cf. p. 18). Mais il existe de plus chez les Coniagui une véritable migration saisonnière des jeunes hommes, quittant leurs villages à la saison sèche — de décembre à mars par exemple — pour aller gagner quelque argent au Sénégal, en Casamance ou en Gambie britannique, le plus souvent en fabriquant des nattes de bambou, quelquefois en se louant dans des plantations (cf. p. 31). Ce phénomène, essentiel chez les Coniagui où presque tous les jeunes hommes adultes (dyorar, cf. p. 48) gagnent ainsi pagnes, perles, couvertures, argent, etc., commence aujourd’hui à gagner les Bassari.

V. — Histoire et tradition d’origine

La a préhistoire » de la région aujourd’hui habitée par les Coniagui-Bassari est fort mal connue. Joire (1947) a signalé un gisement de microlithes néolithiques dans la vallée de la Mitji et décrit aussi, à côté de cet outillage néolithique taillé, une hache polie provenant de la même vallée. Mais cela ne nous renseigne guère sur les populations qui ont précédé les Coniagui et les Bassari dans la région.
La plupart des auteurs pensent que Coniagui et Bassari se sont installés dans le pays qu’ils occupent actuellement à l’époque de Koli Tenguela (XVe siècle): les ancêtres des Coniagui et des Bassari auraient été les guerriers ou les esclaves de ces conquérants. Les traditions indigènes font venir ces ancêtres de l’est. Coniagui et Bassari seraient alors comme l’écrit Delacour (p. 290) « des descendants de populations autochtones établies, autrefois, dans le Soudan actuel et plus ou moins asservies et refoulées hors de leur habitat primitif par l’invasion de races étrangères ». Mais seules les légendes indigènes et les hypothèses de quelques voyageurs nous renseignent sur l’origine de ces populations.
Au contraire, nous connaissons par les chroniques peules l’histoire récente des Coniagui et des Bassari. « Pendant fort longtemps, écrit Delacour (p. 294), le peuple Tenda est resté isolé, presque sans rapport avec ses plus proches voisins ; il faut remonter à cent cinquante ans environ 8, pour trouver trace du premier qui se produisit. Le Peul Modi Sellou vint du Labé attaquer les Koniagui, il fut battu et tué à Novaré. » Vers 1830, les Bassari du Singueti furent réduits et islamisés par le père de Tyerno Ibrahima. Ces Bassari ont conservé leur langue : ce sont les actuels Tenda Boeni.
En 1867, Tyerno Ibrahima fonde le Ndama et s’allie à Moussa Molo, roi du Fouladou, contre les Coniagui. C’est le début d’une longue suite d’escarmouches entre Fula et Coniagui, qui tournent toutes à la confusion des Fula, en particulier en 1887, en 1896 et en 1900 — Tyerno Ibrahima l’échappe alors de justesse — jusqu’en 1904, date de la soumission des Coniagui à la France.
Les dernières années du XIXe siècle furent aussi marquées par des luttes des Coniagui avec les Bassari, les Badyaranké (qui, au cours de leurs luttes avec les Peuls et les chefs du Ngabu se réfugient chez les Coniagui) et les gens de Damantan au Sénégal (Alfa Nyabali).
Dès la seconde moitié du siècle dernier, les Coniagui avaient pris l’habitude d’aller en saison sèche aux comptoirs de Gambie, de Casamance et de Guinée portugaise, échanger des chapons, de la cire, de I’ivoire et même des prisonniers, contre des armes, de la poudre, du fer et du sel. Quelques voyageurs, ayant ainsi entendu parler des Coniagui, se rendirent dans leur pays: Rançon, en 1890, venu par la Gambie et la Casamance, séjourna quelques jours à Ifan. L’année suivante, ce fut Bailly qui traversa le pays Coniagui et en 1898, Maclaud demeura 3 quatre jours à Igunk et Inaware. A la même date, une décision administrative attribua le pays Badyar et Coniagui à la Guinée Un traité de protectorat venait d’être signé (1897) par quelques chefs Coniagui avec l’administrateur Adam, en Casamance. En 1899, après l’agression à Bussura de Tyerno Ibrahima contre l’administrateur Noirot, Bœuf descendit à Bussura, depuis le Sénégal, à travers le pays Coniagui.
En 1900, c’est la création d’un cercle comprenant le Ndama (le chef s’installe à Bussura), le Coniagui, le Bassari, le Badyar. Le lieutenant Lucas rencontre à Igunk, les chefs Coniagui, sauf celui d’ltiu ; c’est devant ce village qu’en 1902, le lieutenant Moncorgé se fait massacrer avec un sergent, 25 tirailleurs et des partisans Fula. En 1903, les chefs font leur soumission au Sénégal et sont emmenés visiter Conakry et Dakar.
En 1904, la mission pacifique Hinault échoue. Un poste avait été établi à Igunk. Il faudra, pour amener la soumission définitive des Coniagui, des forces importantes : une colonne vint du sud, une autre de Casamance, augmenter la garnison du poste. La répression fut sévère, les Coniagui s’en souviennent encore.
En 1904, le cercle de Bussura fut supprimé, les Bassari furent rattachés au cercle des Coniagui, le Badyar à Kadé, le Ndama à Touba.
En 1906, le cercle Coniagui est à son tour supprimé et rattaché au cercle de Kadé, en y laissant subsister le poste de Youkounkoun, comprenant le Bassari, le Coniagui et le Ndama. En 1910, le Gouvernement général attribue à la Guinée le pays Bassari. Le Sénégal contestait alors et conteste encore cette attribution, et pour toute la subdivision (cf p. 29). Mais, aujourd’hui, Coniagui et Bassari de Guinée font partie de la subdivision de Youkounkoun, subdivision du cercle de Gaoual.
L’histoire des Coniagui et des Bassari depuis le milieu du siècle dernier, et, en particulier, la malencontreuse histoire de leurs rapports avec l’armée française en 1902-1904, ont été décrites par Delacour (p. 294-296 et 370-373) et surtout par Maupoil (1954) qui utilisa pour cela les archives de Conakry.

Notes
1. D’après Delacour, 1912-1913, et Maupoil, 1941.
2. Ou Boïni.
3. M. de Lestrange, 1950-c.
4. Le recensement appelle « village » un groupe d’agglomérations désigne par le nom de la plus peuplée d’entre elles.
5. En 1949 un ou deux Coniagui étaient installés à Dakar, quelques autres au Sénégal ou en Gambie ; quelques tirailIeurs absents depuis longtemps ont pu ne pas figurer au recensement. Il semble que le nombre de ces émigrés sont aujourd’hui en augmentation.
6. Ce fort pourcentage de femmes stériles parmi les plus âgées des femmes interrogées permet peut-être d’expliquer le petit nombre d’enfants et d’adolescents actuels (cf. no. 1 et 2). Ce fort pourcentage de femmes âgées stériles est-il dû au fait que les femmes stériles vivent plus âgées que les femmes fécondes.
7. Si l’on peut appeler polyandrie des mariages successifs : une femme Coniagui ou Bassari n’a jamais plusieurs maris à la fois.
8. Ecrit en 1912.

Chapitre II
Renseignements linguistiques

Les langues Coniagui et Bassari, proches l’une de l’autre, ont été rangées par Delafosse dans son groupe Sénégalo-Guinéen, par Greenberg, dans le sous-groupe Ouest-Atlantique de son groupe Niger-Congo et par Westermann, dans son groupe Ouest-Atlantique. Ces trois auteurs classent le Coniagui et le Bassari dans le même groupe linguistique africain que le Peul, le Ouolof, le Dyola et le Serer. Coniagui et Bassari sont deux langues très mal connues 1. En ce qui concerne le vocabulaire, quelques mots sont cités par Migeod (pour le Coniagui), Arcin (mots recueillis par Rançon), Aubert (pour le Bassari), Delacour, Técher, Maupoil — mais seuls Aubert et Maupoil ont réellement abordé la syntaxe (les notes de Maupoil à ce sujet sont malheureusement presque inutilisables).
Le nombre de Coniagui et de Bassari apprenant le Français, à l’école (cf. p. 74) ou au régiment, croît. Les Coniagui qui vont à l’école chez les Missionnaires à Urus, apprennent le plus souvent le Bassari de leurs camarades, et vice versa. A l’école administrative de Youkounkoun, les élèves ont l’occasion d’apprendre plusieurs langues, étant donnée l’étonnante variété de populations et de langues de la subdivision de Youkounkoun. Un enfant Coniagui ou Bassari arrive à l’école de Youkounkoun vers 7 ans. Deux ou trois ans plus tard, il n’est pas rare qu’il sache plus ou moins bien (en plus de sa langue maternelle), au moins le français et le fula — dialecte peul du Fouta-Djalon. Mais, ni le français, ni le fula ne peuvent être considérés comme langue véhiculaire chez les Coniagui. Le pays Bassari touchant à celui des Fula, les échanges entre ces deux populations se font en fula, car les Bassari savent plus souvent le fula que les Fula le bassari.
Tout ce qui précède concerne les hommes. Chez les Bassari, quelques filles savent le fula, et aussi chez les Coniagui, car les filles vont souvent au Badyar commercer avec les Fulakunda — mais, on peut dire que dans l’ensemble, les femmes Coniagui, ou Bassari, ne savent que leur propre langue. Il y a bien des filles Coniagui ou Bassari qui vont à l’école française : mais les hommes n’aiment pas qu’ensuite elles continuent à parler français et elles oublient vite ce qu’elles en ont su ; ceci est d’ailleurs en train de changer.

Note
1. Nous avons personnellement récolté un vocabulaire Coniagui de plut de 3.000 mots et l’équivalent Bassari de la plupart de ces mots. Nous avons aussi recueilli et enregistré des textes, surtout Coniagui. Nous publierons prochainement ces documents.

Chapitre III
Le milieu physique, climat, sol et végétation

Le pays habité par les Coniagui (au nord de la Guinée française) et les Bassari (à cheval sur la frontière sénégalo-guinéenne), est une région de savane qui s’étend du 12° 44′ au 13° 11′ de longitude ouest et du 12°15′ au 12° 42′ de latitude nord, vers la limite de la savane sud-soudanienne et nord-soudanienne. Le pays Bassari est plutôt sud-soudanien, le pays Coniagui plutôt nord-soudanien; ces deux régions différent aussi par le relief, la première étant accidentée, la seconde, basse et plate
Richard-Molard (p. 45-46) a décrit les principales caractéristiques de ces pays sud-soudaniens où d’énormes graminées… desséchées par l’harmattan, fournissent un aliment de choix à des incendies de brousse gigantesque, chaque printemps ». Nombreux y sont les fromagers(Ceiba pentandra Gaertn.), les cailcédrats (Khaya senegalensis A. Juss.), les néré (Parkia biglobosa Benth.), les karité (Butyrospermum ParkiiKotschy); on trouve encore aussi des palmiers à huile (Elaeis guineensis Jacq.).
Cette zone est particulièrement atteinte par le boowal 1. La terre y est d’une fragilité extrême partout où la moindre pente peut permettre au très violent ruissellement d’hivernage de décaper une dalle ferrugineuse ou une latérite sous-jacente. L’amoncellement de paille sèche au printemps, dans un pays où l’on pratique le brûlis, y aide puissamment. Ce sol ingrat rebute l’homme. D’immenses plaques de fer sont ainsi complètement vides d’habitants… domaines rêvés des amateurs de chasse : buffles, antilopes, élans de Derby, singes variés, éléphants, lions, panthères, phacochères, hippopotames y sont nombreux.

« C’est aussi une région où abondent les tsé-tsés, si bien que, souvent, des dépressions humides, des lits majeurs de cours d’eau, qui ouvriraient des placages alluvionnaires de valeur, sont déserts aussi…
Dans une certaine mesure, il y a une sorte de no-man’s land entre le monde noir guinéen et les régions humaines plus septentrionales du Soudan
Entre d’immenses boowe désolés : autant que de riz ou de mils, c’est de fonio (Digitaria exilis), la plus misérable peut-être des céréales qui soit au monde ou de cueillette et de chasse que vivent des peuples comme Badyaranké et Coniagui de Guinée, Bassari sénégalo-guinéens.
Mais le pays Coniagui, dans la plaine qui s’étend au nord des contreforts du Fouta-Djalon, habités par les Bassari, est plus sec et moins boisé. Dans cette savane plus arbustive qu’arborée, nord-soudanienne déjà, baobabs, acacias et tamariniers sont déjà plus fréquents.
C’est le domaine par excellence de la savane-parc, très rabougrie sur les plateaux où règne le boowal, bien fournie sur les coteaux et surtout les bas-fonds, aux abords du marigot.
L’hivernage, toujours ensoleillé, reste très chaud : les moyennes d’août dépassent celles de janvier. Du moins cinq mois… d’harmattan assainissent-ils le pays… C’est le pays des mils et de l’arachide. »

Chêtelat (1933 et 1938) a étudié le pays Coniagui et Bassari du point de vue géologique. Les Coniagui habitent une région de grès rouges feldspathiques horizontaux, ordoviciens, et les Bassari une région de schistes redressés et plissés (anticlinal nord-nord-est-sud-sud-ouest), archéens et précambriens. La latérite, sous des aspects extrêmement divers — plaques, blocs ou grenaille — couvre une grande partie du pays Bassari et du plateau désertique qui sépare les collines Bassari de la sablonneuse plaine Coniagui 2.
Les régions Coniagui et Bassari ont d’ailleurs une physionomie bien différente. Le pays Coniagui, bas, plat (l’altitude y varie entre 50 et 80 m.), monotone, desséché par l’harmattan, est plus chaud et plus sec. Il pleut en général de juin à novembre, le maximum des pluies tombant en août. A Youkounkoun, de 1940 à 1945, la quantité de pluies annuelles a été successivement de 1.369, 991, 1.194, 1.375, 889 et 1.203 mm., soit en moyenne, pour ces six années, 1.170 mm., avec comme maximum 1.375 mm. en 1943 et comme minimum 889 mm. I’année suivante. Les Coniagui disent que le pays est aujourd’hui plus sec qu’il ne l’était autrefois : l’hivernage commençait alors plus tôt sans pour cela se terminer plus tôt. Mais le sable qui recouvre les massifs anciens est fertile et la plaine Coniagui est un grenier à arachides.
Au sud et à l’est, le pays Bassari est plus boisé, plus accidenté — les villages sont, pour la plupart, bâtis sur des crêtes, entre 200 et 400 m. d’altitude — et plus humide : la quantité de pluies y est supérieure et l’hivernage y commence plus tôt. Les pentes sont boisées, rocailleuses, les champs sont difficiles à travailler et le rendement des cultures est maigre, mais flore et faune sont plus riches et plus variées qu’en pays Coniagui et les Bassari peuvent compter — plus que les Coniagui — sur la chasse et la cueillette pour subvenir à une partie de leurs besoins.
Un document conservé dans les archives de l’école, à Youkounkoun, décrit le climat mois par mois, pour l’année 1939. Il donne une bonne idée des caractéristiques climatiques de la région :

  • « Janvier. Premiers jours : matinées brumeuses jusque vers 9 heures. Nuits très froides (rhumes). Le vent d’est souffle : chutes des feuilles de fromager.
  • Février. Le vent d’est souffle avec violence. Le duvet des fromagers tombe et couvre le sol d’un tapis blanc. Fin de la première quinzaine : temps brumeux, mauvais temps pour la santé.
  • Mars, avril. Chaleur accablante. Le vent d’est continue à souffler. Tout est sec dans la nature.
  • Mai. Climat excessivement chaud, vent d’ouest, chaleur pesante, vers 9 heures vent frais. Faire attention au refroidissement la nuit. Le 17 tornade toute la nuit, le 22 tornade la nuit, le 23 tornade la nuit. Chaleur lourde. Les animaux souffrent de la faim et de la soif.
  • Juin. Tornades accompagnées de vents très violents.
  • Juillet. Climat chaud et humide, pluies continuelles et intermittentes (sic), vents violents.
  • Août. Climat humide, pluies continuelles, cours d’eau débordés.
  • Septembre. Il pleut continuellement, le sol est détrempé, les rizières sont inondées, c’est le terrible moment de la soudure, I’humidité provoque des maladies.
  • Octobre. Les pluies s’espacent en ondées. L’eau baisse dans les cours d’eau débordés. (En octobre 1946, à l’est et à l’ombre, la température était à 7 heures, de 230, à 13 heures, de 30° et à 19 heures de 28°).
  • Novembre. Le 13, le froid commence, il ne pleuvra plus. Cette année, fortes pluies de fin d’hivernage, mais arrêt brusque. Le vent d’est commence à souffler pendant la deuxième quinzaine. Le 28, une faible tornade.
  • Décembre. Le 5, le vent d’est commence à souffler violemment. Le froid commence à se faire sentir la nuit.»

On peut reconnaître dans la description ci-dessus toutes les caractéristiques du climat nord-soudanien: I’harmattan venu de l’est qui, plus que le soleil, dessèche le pays après l’hivernage, l’abondance des tornades et la température atteignant son maximum avant les premières pluies en avril (dépassant 40° à l’ombre) et son minimum en janvier à cause de la basse température nocturne (en août les journées ne sont pas très chaudes mais l’amplitude diurne est beaucoup plus faible qu’en janvier).
Youkounkoun, chef-lieu du pays Coniagui, est à environ 350 km. de la côte la plus proche, celle de Casamance et de la Guinée portugaise, et l’influence de la mer y joue peu.

Notes
1. Boowal (sing.) — boowe (plur.). Termes peul désignant les plateaux latéritiques dénudés.
2. Cf. carte de répartition des boowe entre Gaoual et Youkounkoun in Bellouard (A.) Note sur l’utilisation des photographies aériennes pour les questions forestières. Brise, Forêts des tropiques, n° 10, 1949, p. 120-132, 11 fig., 4 cartes.

Chapitre IV
Caractéristiques principales de l’économie

I. — Agriculture

Les champs

Fin avril-début mai, les hommes se mettent à préparer les champs. Chez les Coniagui, il y a deux sortes de champs: les uns se trouvent à I’intérieur du territoire du village, où sont cultivés des arachides et du mil — il y règne une stricte rotation des cultures ; les autres se trouvent loin du village, sur des terrains de brousse récemment défrichés, qui seront abandonnés après avoir été épuisés par quelques années de culture extensive : là sont cultivés le plus souvent du mil et du fonio.
La fumure du terrain et la rotation des cultures au village conditionnent les déplacements des cases, caractère original de la culture Coniagui.
Déplacement des cases
Chaque saison sèche, les cases du village se déplacent à l’intérieur du tiers de l’ensemble du territoire appartenant au village. Le terrain ainsi engraissé (par les habitants du village: hommes et animaux) sera semé d’arachides à la saison des pluies suivante Ce même terrain sera ensuite réservé au mil pendant deux ans. Chaque tiers du territoire du village sera ainsi soumis à une rotation triennale des cultures.
Observons par exemple le plan (cf. fig. 3) d’un village Coniagui 1 comprenant 9 familles (I à IX): chacune dispose d’un groupe de cases ou « carré » et cultive une parcelle de terrain sur laquelle sont plantées immédiatement derrière les cases les cultures des femmes: un petit jardin potager (noté sur la fig. 1 : cultures de cases) où l’on trouve des tomates, du gombo et quelques autres plantes à sauce, et un champ d’arachides attenant aux cultures de case. Deux autres champs de mil sont cultivés par les hommes, comme les petits champs de riz qui longent le marigot (1bis est le champ de riz du fils adulte mais encore célibataire du chef de famille I dont le champ de riz est 1).

Fig. 3. — Plan d’un village Coniagui : emplacement des cases et des champs
Echelle et orientation approximatives
I à IX : cases, cultures de cases et champs d’arachides des familles I à IX
1 à 9 : champs de riz et de mil des familles I à IX ;
mil a : mil planté sur l’emplacement des cases deux ans auparavant ;
mil b : mil planté sur l’emplacement des cases un an auparavant

Une suite de lambeaux de brousse a été soigneusement conservée : c’est le chemin qu’empruntent les troupeaux matin et soir pour aller de la brousse aux cases dans lesquelles ou auprès desquelles ils passent la nuit.
L’ensemble des déplacements des cases d’un village est schématisé à la figure 4 :

  • Première année. — A la saison sèche, les cases se trouvent en 1, et s’y déplacent peu à peu, de quelques dizaines de mètres chaque deux ou trois semaines. A la fin de la saison sèche, tout le terrain 1 a été fumé : on y plante au début de l’hivernage les arachides, et les cases ne bougent plus de tout l’hivernage. En 2 et 3 on plante du mil (ces deux champs de mil portent des noms différents : I’un a été fumé un an avant, I’autre deux ans avant, le premier donne une récolte bien plus abondante que le second).
  • Deuxième année. — La saison sèche revenue, les récoltes faites, les cases sont déplacées et installées en 2 : au cours de cette saison sèche les cases se déplacent à l’intérieur de 2 où à l’hivernage on plantera des arachides ; en 1 et 3 on sèmera du mil.
  • Troisième année.—Les cases et les arachides sont en 3, le mil en 1 et 2.
  • La quatrième année, le cycle recommence : les cases se retrouvent en 1.

Fig. 4. Déplacements saisonniers des cases d’un village Coniagui
Echelle et orientation approximatives
1. Emplacement des cases la 1ère année
2. Emplacement des cases la 2ème année
3. Emplacement des cases la 3ème année

En somme, le territoire de chaque village Coniagui est divisé en 3 parties, chacune est occupée pendant un an par les cases qui s’y déplacent peu à peu pendant la saison sèche, pour le fumer entièrement et également. L’hivernage venu, les cases ne bougent plus et les champs sont ensemencés — arachides sur le terrain récemment fumé et mil ailleurs. Au bout de trois ans, le cycle terminé recommence.
Contrairement aux légères cases de bambou Coniagui, les cases Bassari sont faites de lourds blocs de latérite ; elles sont fixes, les Bassari ne pratiquent pas les déplacements de cases.
Les Bassari du Sud habitent toute l’année leurs villages fixes: ils font de nombreux kilomètres à la saison des cultures pour aller travailler à leurs champs. Mais chez les Bassari du Nord et du Centre, le village est un groupement de cases utilisées seulement en saison sèche, pour les fêtes. En hivernage — temps des cultures — les familles vivent disséminées dans leurs champs, chacune disposant d’un groupe de quelques cases.

Rythme des cultures
Pour préparer le terrain, les hommes et les jeunes gens brûlent les herbes dès janvier, puis tranchent à l’aide de coupe-coupe les racines et les branches gênantes, enlèvent les cailloux puis enfin grattent la terre avec une houe — petite pioche à lame de fer et à manche court. Les Coniagui savent aussi façonner des buttes allongées avec une houe faite d’un patin de bois bordé de fer, fixé à un manche coudé, appeléebaramba 2. Le mil est semé le premier, en mai ou juin, puis en juillet, I’arachide. En août, on sème les doliques et on travaille à désherber les champs de mil, de fonio, de riz, d’arachides; à la fin de ce mois on commence à récolter les premiers épis de mil. En septembre le travail aux champs est moins astreignant: un, puis deux jours de repos sont institués. On récolte en novembre le fonio et les arachides, en décembre le mil et enfin les doliques.
Toutes les dates citées au paragraphe ci-dessus concernent les Coniagui. Les différences climatiques font que les Bassari ne rentrent pas l’arachide avant janvier et ne commencent donc que plus tard à préparer les champs pour la récolte suivante.

Espèces cultivées
Chez les Coniagui on cultive plus d’arachides, et un peu de riz, chez les Bassari plus de doliques et dans le sud du mais. Tous sont habiles à planter dans le même champ différentes espèces ne mûrissant pas en même temps : mil hâtif, mil tardif et doliques par exemple.

  • L’arachide (Arachis hypogae Linn.) de Youkounkoun est particulièrement appréciée parce qu’elle a fréquemment 3 grains: c’est l’arachide dite de bouche, vendue aux confiseurs. C’est une culture de femme. Chaque épouse a un champ et aussi chaque jeune fille si elle le veut ; les petites filles travaillent au champ de leur mère. Semée dans des sillons ou sur des mottes rondes, I’arachide doit être désherbée deux fois. La femme déterre à la houe les pieds murs qui sont mis à sécher sur des claies élevées avant d’être amenés au village. Les coques cueillies seront conservées en paniers dans les greniers.
  • Mil (Pennisetum sp.) et sorgho (Sorghum Gambicum Snowden) sont la nourriture par excellence. Il en existe de nombreuses espèces, chacune ayant une utilisation précise. Ce sont des cultures d’hommes. Grappes ou épis sont conservés dans des greniers et battus et vannés au fur et à mesure des besoins.
  • Le fonio (Digitaria exilis Stapf) est une graminée qui se contente de terrains pauvres, cultivée en grande quantité par les femmes Coniagui. Le battage du fonio par les jeunes filles est l’occasion de grandes réjouissances pour la jeunesse : appuyées à un bois horizontal posé sur des pieux fourchus, les filles battent le fonio avec leurs pieds, au rythme de flûtes traversières jouées par les jeunes hommes. Toute la jeunesse Coniagui prend ainsi part au battage du fonio du chef de canton. Les garçons construisent à cette occasion des cases de paille — véritable village temporaire — pour accueillir leurs amies. Tout ceci s’accomplit au son d’une musique joyeuse, dans une atmosphère de grande liesse pour les travailleurs revêtus de toutes leurs parures.
  • Le riz (Oriza sativa Linn.) est cultivé dans les terrains inondés, par les hommes ; mais Coniagui et Bassari ne sont pas encore très habitués à cette nourriture et l’échangent souvent contre du mil.
  • On cultive aussi le haricot-niébé ou dolique (Vigna Catjang Walp) et, surtout chez les Bassari, d’autres papilionacées 3 commeKerstingiella geocarpa Harms ou Voandzeia subterranea Thouars (?).
  • Le manioc commence à être cultivé par les jeunes gens. Dans les jardins de case des femmes on trouve des plantes à sauce — courges, piment, gombo, oseille de Guinée, etc. — et des plantes médicinales comme le gingembre ou le sésame.

Les réserves sont conservées dans des greniers de différents types : greniers collectifs à ciel ouvert des Bassari, greniers fermés sur pilotis en forme de case d’habitation chez les Coniagui et greniers de terre crue en forme de jarres à l’intérieur des cases de femmes Bassari.

Division du travail. — Chez les Coniagui comme chez les Bassari chacun travaille pour soi et hommes et femmes disposent librement de leurs réserves personnelles. Mais l’homme marié doit fournir chaque jour à celle de ses femmes chargée ce jour-là de la cuisine le mil nécessaire à la famille.
Aux hommes incombent la culture du mil (chandelle et sorgho) et du riz, aux femmes celle des jardins potagers (jardins de case), de l’arachide et du fonio : comme les femmes doivent toute l’année s’occuper de la cuisine et des enfants, leur vie est dure pendant l’hivernage, saison des cultures. Hommes et femmes travaillent en groupe, s’invitant mutuellement à travailler leurs champs et, dans le cas des hommes, à boire — de l’hydromel, par exemple. Les fillettes travaillent aux champs de leurs mères et les garçons pendant l’hivernage s’occupent du bétail, puis, en août, défendent les champs de mil contre les oiseaux et les singes ; installés sur de hauts miradors et armés do cailloux, de lance-pierres, de sifflets et d’arcs sonores, ils effraient les maraudeurs de leurs cris.
Pendant l’hivernage, tous sont aux champs : dans la journée, le village Coniagui n’est souvent gardé que par un ou deux petits garçons qui à la moindre alerte iront prévenir le chef qui comme ses administrés désherbe son mil ou repique son riz.

Etendue des terrains cultivés et importance des récoltes

Des renseignements officiels permettent d’avoir une idée approximative de l’étendue des terrains cultivés et de l’importance des récoltes chez les Coniagui et les Bassari de Guinée. Nous citons ci-dessous :

  1. Des chiffres qui nous ont été communiqués par M. Ba, moniteur d’agriculture à Youkounkoun, pour l’année 1945. Ces chiffres concernaient les Coniagui et les Bassari, village par village. Nous les avons groupés par population au tableau ci-dessous (chiffres arrondis) :
Riz Fonio Mil Arachides Divers 4 Superficie totale des champs
Coniagui
11.000 hommes
4.800 adultes en bonne santé.
485 ha. soit 2,9 % des champs
592.000 kg.
1.200 ha. soit 31,95% des champs
840.000 kg.
1.200 ha. soit 3,95 % des champs
1.200.000 kg.
645 ha. soit 17,17% des champs
645.000 kg.
225 ha. soit 5,99 % des champs 3.755 ha.
Maïs Dolique 5
Bassari
4.700 hommes
2.100 adultes en bonne santé.
210 ha. soit 6,29 %des champs
252.000 kg.
390 ha. soit 11.69 % des champs
273.000 kg.
1.500 ha. soit 44.97 % des champs
1.500.000 kg.
715 ha. soit 21,43 % des champs
715.000 kg.
285 ha. soit 8 54 % des champs 235 ha. soit 7,04 % des champs 3.095 ha

Soit pour :

  • 1.000 Coniagui : 432 cultivateurs et 333 ha. cultivés
  • 1.000 Bassari : 441 cultivateurs et 701 ha. cultivés

Et pour

  • 1.000 cultivateurs Coniagui : 782 ha. cultivés
  • 1.000 cultivateurs Bassari : 1.588 ha. cultivés

Le rendement à l’hectare étant approximativement :

  • Arachides 1.000 kg.
  • Mil 1.000 kg.
    • suna première récolte : 6 à 700 kg.
    • deuxième récolte : 300 kg.
  • Fonio 700 kg.
  • Riz 1.200 kg.
  • Haricot 50 kg.

Quelle valeur accorder à ces chiffres ? Le nombre d’« adultes en bonne santé » est vraisemblablement assez exact puisqu’on sait que 1/4 de la population a moins de 15 ans ; un autre 1/4 peut raisonnablement comprendre les adolescents, les vieillards et les malades. Mais ce nombre d’adultes valides ne doit pas être confondu avec le nombre de travailleurs agricoles. Tous les Coniagui et Bassari valides travaillent aux champs, quel que soit leur âge : les petits garçons par exemple, y accomplissent un travail très utile en défendant les récoltes contre les animaux prédateurs (p. 23).
Il est évidemment difficile de vérifier l’exactitude des superficies et des rendements. Cependant la comparaison des Coniagui et des Bassari en ce qui concerne les superficies ne fait que confirmer ce qui est d’observation courante: la superficie des champs cultivés est plus grande proportionnellement au nombre d’habitants chez les Bassari que chez les Coniagui, à cause de la différence de terrains. Mais nous ne pensons pas, pour cette même raison, que l’on puisse avoir le même rendement à l’hectare en terrain Coniagui ou Bassari.
Les seuls chiffres qui nous surprennent sont ceux des superficies d’arachides. Cette superficie est-elle réellement plus grande chez les Bassari que chez les Coniagui ? Mais il s’agit là seulement d’une impression, nous n’avons pas de donnée personnelle précise à ce sujet.
2° Un rapport de la subdivision pour 1948 évaluait comme suit les superficies cultivées (en hectares) et le rendement moyen à l’hectare par canton :

Coniagui Bassari-Ndama 6
Superficie ha. Rendement kg. Superficie ha. Rendement kg.
Riz 308,34 1000 306 1.500
Fonio 1.135,62 650 574 725
Mil 991,37 600 1.731 800
Arachides 727,76 1.600 313 1.300
Maïs 19,37 700 178 1.500
Wandza (7) 72,70 600 250 1.610 ( ?)
Haricot 273 200 156 300
Coton 130 100
Tabac 12 100

Peut-être le rendement d’arachides à l’hectare est-il un peu exagéré, au tableau ci-dessus, mais on voit que dans l’ensemble les chiffres de ce tableau ne sont pas très différents de ceux du tableau précédent.

3° Toujours d’après un rapport de la subdivision, la traite des arachides a produit, du 15-12-1947 au 31-3-1948 (8) 571.264 kg., chez les Coniagui et 70.721 kg. chez les Bassari. La traite étant soigneusement réglementée et surveillée (le prix de l’arachide est chaque année fixé par I’administration), ces derniers chiffres peuvent être considérés comme approximativement exacts Ils permettent de vérifier l’exactitude des chiffres précédents. Si une année les Coniagui ont vendu environ 600.000 kg. et les Bassari 75.000 kg. d’arachides, il est possible qu’ils en aient récolté l’année suivante, comme le dit le tableau précédent, respectivement 1.091.640 kg. (727 ha. 76 x 1.500 kg.) et 406.900 kg. (313 ha x 1.300) environ, la différence de poids correspondant à la consommation familiale. Celle-ci est plus importante chez les Bassari parce que l’absence de routes interdit encore aux camions des acheteurs de drainer le pays Bassari comme le pays Coniagui 9 et surtout parce que les chiffres du 2e tableau correspondent à la production des Bassari mais aussi à celle des Foula qui vivent sur le même territoire : ceci explique aussi les différences entre les deux tableaux en ce qui concerne les autres cultures : le mil est peu cultivé par les Fula, le fonio et le riz au contraire, beaucoup plus par les Fula que par les Coniagui.
On peut donc conclure que les chiffres cités dans les trois rapporta ci-dessus, bien que ne concordant pas absolument entre eux, permettent vraisemblablement de se faire une idée de la production des Coniagui et Bassari. Les faits les plus caractéristiques nous paraissent être les suivants :

  1. Le mil est la culture la plus importante aussi bien chez les Coniagui que chez les Bassari. Chez les premiers, le fonio est aussi important.
  2. L’étendue des champs d’arachides est grande dans les deux populations, les récoltes d’arachides sont en grande partie vendues chez les Coniagui.
  3. Chez les Bassari (guinéens au moins), la culture d’autres papilionacées (cf. p. 23) demeure importante dans les villages les plus septentrionaux: les rapports par village donnent 160 ha. pour la seule région de Négaré, c’est-a-dire presque autant que de fonio : 175 ha.

II.—Cueillette, chasse, pêche et élevage

A côté des produits des cultures, l’alimentation comprend ceux de la cueillette, de la chasse, de la pêche, de l’élevage et du commerce.

Cueillette
La cueillette est surtout le fait des femmes et des enfants, cependant à l’occasion — à la chasse ou en voyage par exemple — les hommes ne se font pas faute de cueillir des fruits sauvages.
Ces fruits — très variés — ne sont d’ailleurs pas également abondants à toutes les saisons de l’année, c’est à la fin de l’hivernage qu’ils le sont particulièrement. La plupart de ces produits de cueillette sont mangés crus et sans préparation, mais certains entrent cependant dans la composition de différents plats et même parfois dans celle de boissons fermentées. La cueillette des gousses de néré (Parkia biglobosa Benth.) et celle des fruits de Kola cordifolia R. Br. et de Parinari excelsa Sab. sont les seules à être organisées — pratiquées en groupe et sur une vaste échelle.
En plus des fruits, Coniagui et Bassari font une grande consommation de feuilles tendres de baobab et de fromager, par exemple, pour faire la sauce qui accompagne la bouillie de céréales. Enfin, le miel sauvage ou récolté dans des ruches est un autre fruit de ramassage qui joue un grand rôle dans l’alimentation.

La chasse

Coniagui et Bassari naissent chasseurs. Les petits garçons tuent à l’arc des oiseaux, des rats-palmistes et autre menu gibier qu’ils font immédiatement griller et se partagent ; ils chassent souvent avec des chiens. Les hommes vont à la chasse seuls ou en groupe et parfois pour plusieurs jours. Quelques-uns tirent encore à l’arc, mais plus souvent aujourd’hui au fusil. Les pièges sont aussi employés : les enfants prennent les oiseaux à la glu ou avec des lacets d’écorce. On piège le petit gibier qui ne vaut pas une charge de poudre, on attrape les singes avec des pièges à trébuchet et autrefois les Bassari creusaient de grandes fosses qu’ils couvraient de branchages et dans lesquelles ils faisaient tomber les antilopes. La fronde était autrefois une arme de guerre.
Le gibier se fait rare autour des villages, mais en brousse il est encore très varié : oiseaux (perdreaux, calaos, outardes, rapaces, etc.), rongeurs (lièvres, rats ou écureuils), singes, antilopes de nombreuses espèces, phacochères, crocodiles, panthères, hyènes et plus rarement hippopotames, buffles, éléphants, lions, etc. Il est interdit de manger la viande de la hyène ; la mise à mort de cet animal et de certains autres — lion, panthère, rapace à pattes rouges, etc. — entraîne d’ailleurs un cérémonial compliqué rappelant celui de l’enterrement humain et vaut au chasseur qui a réussi cet exploit le titre de kamara.

La pêche
Le poisson n’est pas une nourriture courante chez les Coniagui ; la pêche est surtout pratiquée par les jeunes gens qui barrent les ruisseaux avec de petits murs de paille et posent des nasses tressées. Les hommes savent aussi pêcher au harpon et empoisonner à la fin de la saison sèche les flaques d’eau qui jalonnent les rivières desséchées avec des cosses de néré ou des rameaux de Adenia lobata Engl.

L’élevage
Il n’y a pas de famille qui n’ait quelques poules. Dès le siècle dernier les Coniagui étaient réputés pour leurs gras chapons, qu’ils vendaient aux comptoirs commerciaux des colonies voisines. Les chèvres sont nombreuses et aussi les moutons, animaux du numba 10 mangé seulement par les hommes. Les Coniagui ont de petits troupeaux de bovins et les Bassari commencent à en avoir aussi 11. En saison sèche, ces animaux paissent librement, en hivernage ils sont surveillés par les jeunes garçons pour qu’ils ne saccagent pas les cultures. Le soir, ils regagnent le village où ils passent la nuit, les boeufs attachés à des pieux et les moutons et les chèvres dans des bergeries. On mange des poules chaque fois qu’on en a envie et qu’on le peut ; les chèvres, les moutons et les boeufs sont le plus souvent immolés à l’occasion de fêtes et surtout de cérémonies funéraires 12. Chèvres et vaches ne sont jamais traitées : les Coniagui ne consomment pas de lait et l’accusent de contenir des taenias.

III. — Le commerce

Le seul élément important de leur nourriture pour lequel Coniagui et Bassari comptent sur le commerce est le sel, acheté aux boutiques européennes en grande quantité 13.
Si le commerce est peu développé en pays Coniagui-Bassari, il ne faut cependant pas en mésestimer l’importance. Les premiers rapports qui aient existé entre Coniagui et Blancs ont eu lieu aux comptoirs de Casamance, au siècle dernier. En 1897, le traité signé par les chefs Coniagui avec l’administrateur Adam était un traité commercial. Actuellement les Coniagui font des centaines de kilomètres pour se procurer les étoffes ou les perles de leur choix.
Par ailleurs, le commerce est une des bases des relations entretenues par les Coniagui, les Bassari et les gens du Badyar, entre eux et avec leurs voisins. Les Coniagui, bons cultivateurs, ont souvent un excédent de récoltes : les Bassari aux terres moins fertiles viennent leur acheter du riz ou du mil lorsque leurs provisions sont épuisées, vers le début de l’hivernage. Il y a ainsi un important commerce de grains vers le mois de juin. Les Bassari vendent aussi de l’huile de palme et du beurre de karité à leurs voisins Fula (ou Coniagui). Tout ceci explique les déplacements continuels que l’on constate dans la région : caravanes de filles Coniagui partant au Badyar échanger des poteries contre des graines, Fula venus troquer chez les Bassari des bandes de coton ou de bétail contre du mil, etc. Ces déplacements, qui influent peut-être sur l’évolution des techniques, jouent un rôle important dans la vie des Coniagui et Bassari.
Ces échanges sont parfois complexes : par exemple, des filles Coniagui vont en bande au Badyar (ces voyages s’appellent « kapela » = pour prendre, pour gagner) vendre des calebasses ou des canaris contre du riz qu’elles iront ensuite porter à « kukas » : la route des caravanes, qui passe vers Kote en pays Bassari au Sénégal. Là, elles échangent ce riz contre de l’argent ou du tissu. Ces filles font d’ailleurs cela plus peut-être pour le plaisir de voyager que pour gagner de l’argent.
L’influence blanche est également liée à des problèmes commerciaux. Si Youkounkoun est resté jusqu’ici isolé, c’est qu’il n’y avait pas dans la région matière à intéresser l’acheteur européen.
Du fait de la guerre 1939-1945, les Coniagui ont eu tendance à porter de préférence leurs produits en Guinée portugaise où ils se vendaient plus cher et où l’on pouvait se procurer facilement des produits contingentés en Guinée française. Avec le retour à la liberté économique et à une plus juste échelle des prix, les transactions se font de nouveau naturellement à Youkounkoun plus proche ; cependant certains produits comme les peaux valent aujourd’hui encore plus cher en pays portugais. Coniagui et Bassari continuent à les y porter.
Aux boutiques, les indigènes utilisent bien entendu la monnaie française, même aux boutiques-frontières portugaises. Mais entre eux, le troc est encore courant, et l’était particulièrement redevenu pendant la guerre, avec la raréfaction des produits.
La traite des arachides, chaque saison sèche, est le grand événement commercial de la région, compliqué par l’individualisme des Coniagui et Bassari. Chaque femme — l’arachide est une culture de femme — a un champ personnel dont elle vend personnellement la récolte, les profits lui appartenant personnellement : il faut donc peser séparément les quelque 20 ou 30 kg. qui constituent la propriété de chaque femme ou de chaque fille Coniagui ou Bassari, opération qui rend la traite longue et laborieuse.
L’avenir du pays semble être en grande partie lié à des questions économiques. Le rattachement administratif de la région au Sénégal, périodiquement envisagé, aurait l’avantage de la rapprocher d’un pays plus semblable, quant à sa géographie et à ses ressources, que l’humide Guinée ; cela faciliterait les échanges commerciaux mais ferait certainement cesser l’isolement relatif qui a jusqu’ici préservé les moeurs et les traditions des Coniagui et Bassari.
Nous avons essayé de schématiser graphiquement à la figure 5, les principaux échanges commerciaux Coniagui et Bassari, en dehors de ceux — importants — qui se passent entre Coniagui ou entre Bassari : commerce avec les artisans, cadeaux à la fiancée et à sa famille, cadeaux des jeunes gens à leurs amies, etc.
Le budget de quelques Coniagui en 1948, renseigne sur ces mouvements commerciaux, à l’échelon individuel.

Les femmes
Les femmes gagnent de l’argent en vendant leur récolte d’arachides, à quoi les jeunes filles ajoutent parfois le gain de quelques journées de travail pour l’administration. Les arachides vendues par une femme peuvent, par exemple, lui procurer l’argent nécessaire pour acheter, par an: deux pagnes à 250 fr. 14 l’un, 6 paniers de mil pour faire de la bière (achetée à des Bassari contre 200 fr. par panier ou plutôt contre un sac de sel à 225 fr. pour deux paniers) et du sel: environ 1 kg. à 15 fr. toutes les trois semaines. Une femme utilise trois pagnes par an : le plus neuf pour les cérémonies, le moyen pour tous les jours, le plus vieux pour travailler. Elle n’utilise qu’un pagne brodé pour toute sa vie : elle ne le porte que jeune fille et le donne ensuite à ses soeurs cadettes.

Les hommes
Les hommes gagnent de l’argent en vendant une partie de leur récolte de riz ou de tabac — dont un bloc de plus d’un kilo (cf. Delacour, p. 143) vaut 500 fr. — ou de riz. Si, par exemple, un homme a récolté trois paniers de riz, un est dû à la Société de Prévoyance 15, un second est conservé pour la consommation familiale et le troisième vendu aux Fula qui viennent en pays Coniagui à la fin de la saison sèche, à raison de 6 fr. par petite calebasse et de 10 de ces mesures par Fula (parfois ce riz n’est pas vendu, mais échangé contre des bandes de coton). Le surplus de mil est rarement vendu aux Fula, il est plutôt gardé pour nourrir les enfants et « aider » les parents. Les jeunes gagnent de l’argent au « Service », c’est-a-dire en faisant divers travaux pour l’administration, tels que l’entretien des routes par exemple, et, surtout, en allant on saison sèche passer quelques semaines ou quelques mois en « Gambie » (c’est-à-dire, en réalité, au Sénégal ou en Casamance aussi bien qu’en Gambie anglaise), où ils travaillent l’arachide, récoltent le vin de palme, se louent dans diverses plantations ou, surtout, fabriquent et vendent de grossières nattes de bambou appelées dans la région karta 16, qui servent de palissades.
Chaque homme achète à Youkounkoun l’étoffe nécessaire à un pantalon, environ une fois par an s’il continue à porter chez lui le costume traditionnel : feuilles de rônier tressées et peau d’antilope. Il achète des gourdes de vin de palme (à 25 ou 30 fr. l’une), plusieurs fois par semaine (par exemple deux fois par semaine deux gourdes pendant toute la saison sèche et 4 gourdes les jours de fête).
Un jeune homme peut ramener de « Gambie » de 1.000 à 5.000 fr. en espèces, mais il en a gagné le double et rapporte de nombreux objets. Par exemple, R. d’Uryakan a rapporté de Kaolack, en 1949, 5.000 fr., quatre grands pagnes pour sa mère et trois petits pour ses soeurs, deux boubous pour son père, un pantalon, une couverture et une paire de gros souliers pour lui-même. Un autre a ramené deux pagnes pour sa fiancée, quelques mouchoirs qu’il donnera à ses amies, une culotte, une chemise et un casque pour lui, un boubou 17 ou une couverture et une culotte pour son père, un pagne pour sa mère et une couverture pour son frère. Pour pouvoir payer tout cela, pendant environ deux mois il a fait chaque jour 3 ou 4 karta, vendus 40 fr. pièce en « Gambie », alors qu’à Youkounkoun ils ne valent que 25 ou 30 fr. Un autre encore, revenu le 26 février 1949, est parti deux lunes et a gagné environ 5.000 fr. en faisant chaque jour jusqu’à 4 karta à 40 fr. et un lit à 30 fr. Il a donné à celui qui l’hébergeait deux karta chaque semaine pour sa nourriture et dépensé de plus 250 fr. Il a rapporté 3.000 fr. en espèces et 500 fr. de perles pour son frère, un casque (500 fr.), une chemise (250 fr.), des lunettes (100 fr.), des chaussures blanches (300 fr.) et des chaussettes (100 fr.) pour lui.
Les jeunes hommes peuvent aller une quinzaine de fois dans leur vie en Gambie, par exemple, deux fois lorsqu’ils sont aheker 18, deux fois lorsqu’ils sont falag et une dizaine de fois quand ils sont dyarar : ils cessent d’y aller lorsqu’ils s’estiment trop vieux pour faire ce voyage à pied, qui dure plusieurs jours. Ils partent après les récoltes, au début de la saison sèche, fin décembre par exemple, et reviennent six semaines ou deux ou trois mois plus tard, en février ou mars.
Il nous semble intéressant de noter ici que les Coniagui et les Bassari donnent au service militaire (qu’un petit nombre d’entre eux seulement accomplissent, qu’ils soient engagés ou appelés) un rôle commercial analogue à celui des voyages en « Gambie ». L’ancien militaire rapporte, par exemple, des vêtements pour son père et pour lui-même, parfois une bicyclette, etc.

Fig. 5. Représentation graphique des principaux échanges commerciaux des Coniagui et des Bassari

  1. perles, vêtements
  2. nattes
  3. peaux
  4. tissus, sel
  5. nourriture
  6. tissus
  7. poteries, calebasses
  8. maïs, riz, bandes de coton, pagnes
  9. arachides
  10. outils, tissus, sel
  11. mil, riz, sel
  12. mil, huile de palme, beurre de karité
  13. bétail, bandes de coton
  14. riz
  15. bandes de coton
  16. services publics, école, dispensaire, etc.

Tendance des changements économiques

Si l’on essaye de comparer les formes anciennes et actuelles de l’organisation économique, on peut tenter de définir les tendances des changements économiques. Les échanges commerciaux à l’intérieur du groupe Coniagui-Bassari-Badyar ont dû s’accroître légèrement et se régulariser du fait de la paix régnant aujourd’hui dans le pays et surtout de l’augmentation des besoins, en particulier en tissus : bandes de coton fabriquées par les FulaFulakunda et Badyaranké du Ndama et du Badyar, et pagnes teints à l’indigo faits par les Sarankolé du Badyar. Ces tissus dont les Coniagui se vêtent aujourd’hui et dont les Bassari eux-mêmes font un usage grandissant, n’étaient pour ainsi dire pas utilisés par ces populations il y a cinquante ans.
Mais c’est surtout le volume du commerce avec les blancs qui a fortement augmenté ces dernières années dans la région. Dès le siècle dernier, les Coniagui allaient en Casamance échanger des captifs, de l’ivoire, de la cire, des chapons, contre de la poudre, du fer, des fusils, du sel, etc. Le volume de ces échanges commerciaux s’est accru d’une part parce que les besoins des Coniagui et des Bassari se sont accrus, d’autre part parce que les commerçants blancs se sont rapprochés de leurs clients. Il fallait, au siècle dernier, faire à pied plusieurs centaines de kilomètres pour atteindre les factoreries. Aujourd’hui, il y a à Youkounkoun plusieurs boutiques tenues par des Européens ou des Syriens et, au moment de la traite, ces maisons vont acheter l’arachide partout où la route leur permet de faire passer leurs camions, jusque dans certains villages Coniagui ou Bassari fort éloignés des centres.
La denrée la plus importante est aujourd’hui l’arachide, dont la traite transforme pendant la saison sèche, la vie de la région. Il est curieux de remarquer à ce propos que cette arachide, trait d’union entre les financiers et les confiseurs de la métropole et les cultivateurs Coniagui et Bassari, est une culture de femmes. Les femmes sont ainsi la source de la seule grande richesse économique du pays.
Le marché permanent de Youkounkoun est extrêmement pauvre : on y trouve du sel, quelques pagnes, du fil, des aiguilles et des allumettes, à l’occasion des mangues et des oranges ; mais il est important du point de vue social car il attire à Youkounkoun la jeunesse Coniagui désoeuvrée, heureuse d’enfreindre ainsi les ordres des vieux qui trouvent que les garçons ont mieux à faire que rire avec les filles.

IV. — Division du travail. Technologie

Il n’existe ni chez les Coniagui, ni chez les Bassari de castes d’artisans. Cependant, à côté de nombreuses techniques connues de tous les hommes ou de toutes les femmes comme par exemple la construction des cases ou la cuisine, il existe quelques spécialistes: forgerons, vanniers ou potières 19.

Le feu
Ce sont les hommes qui savent faire le feu avec un briquet constitué par un morceau de fer en forme d’anneau ovale, plat et ouvert, un silex et de la bourre de rônier.

Les transports
Les chemins sont tracés par les pieds des passants: hommes, femmes et enfants. Hommes et femmes portent les charges sur la tête; les femmes portent sur le dos leurs jeunes enfants dans une bande de tissu nouée sur la poitrine chez les Coniagui, et dans un sac fixé par des courroies chez les Bassari, le sac étant fait de tissu pendant les premiers mois de la vie de l’enfant, puis de peau d’antilope et enfin de peau de chèvre décorée de perles.

Techniques d’acquisition
Nous avons déjà parlé de la plupart de celles-ci au chapitre des cultures et de l’alimentation. Rappelons seulement que la cueillette est pratiquée par tous, que pêche, chasse et élevage sont le fait des hommes et qu’hommes et femmes se partagent les diverses cultures. Ce sont les femmes qui vont chercher l’eau et aussi la terre dont elles feront de la poterie (notons ici que ce sont généralement parmi les femmes que l’on rencontre des cas de géophagie).

Techniques de fabrication
La poterie est une technique de femmes, le travail de l’écorce est le fait d’hommes et de femmes ; seuls les hommes travaillent le métal et le bois, font de la vannerie et des cordes et fabriquent des outils et des instruments — des armes en particulier.

La poterie. — Un petit nombre seulement de femmes font de la poterie; elles ne constituent pas une caste et peuvent épouser n’importe quel homme, cependant elles tiennent le plus souvent leurs techniques de leurs mères.
Extraite d’une carrière proche, l’argile est rapportée dans des paniers au village où elle est séchée, puis pilée, puis mouillée. Pour faire un canari, la potière en prend une petite quantité, la malaxe avec de l’eau, puis lui donne la forme d’un cône tronqué en la tapant sur un morceau de vannerie. Posé sur un morceau de calebasse, la petite section en bas, le cône est creusé dans sa face de section la plus large et prend peu à peu forme de canari. L’ébauche terminée est laissée à sécher (il est par exemple 11 heures du matin) jusqu’au soir. A ce moment, le pied est coupé et le canari de nouveau laissé à sécher plusieurs jours, ouverture en bas (au minimum une nuit et deux jours). Toutes ces opérations se font à l’ombre Les poteries ainsi préparées sont cuites le soir au milieu d’un tas de bois et d’écorce, protégé par un paravent. Au matin les poteries (sauf celles qui seront noircies) sont lavées avec de l’eau contenant de l’écorce rouge d’at’iya pilée La potière vérifie à ce moment chaque canari et consolide les fentes survenues à la cuisson avec un mélange de bouse de vache et d’une décoction de certaines écorces. Séchés au soleil, les canaris sont ensuite essuyés à la main.
Certaines poteries sont noircies après la cuisson, par exemple les pipes, mises pour cela au milieu d’un feu de feuilles de néré. Pour noircir les canaris on les recouvre de branches sèches de mpusela 20 qu’on enflamme avec des braises. Noir, le canari est poli avec des feuilles dempusela vertes puis enfin mis à refroidir.
Les potières Coniagui fabriquent différentes formes de canaris : pots ovoïdes qui servent de récipients à bière, poteries à trous pour faire cuire les céréales à la vapeur, marmites de cuisine, petites marmites à sauce, grands pots sphéroïdes à col éversé où l’on conserve l’eau dans les cases, vases pour chercher l’eau au puits ou à la rivière, grands bols semi-sphéroïdes imitant la forme d’une demi-calebasse (y compris sa queue qui sert de poignée), etc. Les potières Coniagui produisent des canaris fins, rouges ou noirs, dont l’élégance est réputée dans la région. Les potières Bassari sont moins habiles, leurs canaris sont plus épais (la nourriture y cuit moins vite) mais plus solides.
Le travail de l’écorce d’Antiaris africana Engl. fournissait aux Coniagui et aux Bassari, jusqu’à une époque récente, les seuls tissus dont ils disposaient. Aujourd’hui encore, les hommes s’en font des « masques » de société secrète (cagoules, ceintures et jupes en particulier,) et les femmes des coussins de portage sur la tête et des garnitures périodiques. On voit encore des hommes Bassari porter de courtes chemises faites de ce tissu d’écorce battue.

La forge et tout ce qui concerne le travail du métal, y compris la bijouterie de cuivre ou d’aluminium, est le fait d’hommes. Autrefois (cf. Rançon) Coniagui et Bassari savaient extraire le fer de minerais indigènes. Aujourd’hui, ils achètent le métal : fer, barrettes d’aluminium, etc., aux Européens, et se contentent de le transformer en objets divers. Les forgerons ne constituent pas une caste, ne se recrutent pas dans un groupe spécial, peuvent épouser qui ils veulent. Ils sont souvent forgerons de père en fils, mais pas nécessairement et un garçon dont le père n’est pas forgeron peut le devenir en entrant comme apprenti chez un forgeron. Les forgerons ne jouissent pas d’un statut spécial: ils ne sont ni honorés ni méprisés. Cependant, à côté de leurs travaux techniques, les forgerons sont souvent des magiciens qui rendent un culte aux génies de la forge auxquels sont en particulier confiés certains enfants qu’ils doivent protéger contre certaines maladies. Il y a moins d’un forgeron par village Coniagui ou Bassari.

Le travail du bois et tout ce qui peut s’en rapprocher: découpage de calebasses, gravure de calebasses ou de tabatières, de bambou, est fait par les hommes. Tous le font à l’occasion, mais certains sont particulièrement habiles. Tous savent faire un arc et préparer des flèches: l’arc Coniagui et Bassari est particulièrement intéressant parce qu’il est fait entièrement de bambou: « bois » et a corde » (le bois, à section triangulaire, a des encoches terminales dissymétriques et opposées: externe à l’extrémité supérieure, interne à l’extrémité inférieure ; ces encoches servent de support à la corde faite d’une lame de bambou enroulée deux ou trois fois autour du bois et fixée par auto-blocage).

De même, si tous les hommes savent préparer de la ficelle, tresser des colliers de paille, des étuis péniens et de grossières nattes, certains sont réputés pour l’élégance de leurs vanneries. Les vanniers Bassari sont probablement plus habiles que les Coniagui : ils savent tresser des fourreaux de sabre ou de petits paniers à conserver les semences que l’on ne voit pas chez les Coniagui. La matière première la plus employée est le bambou fendu, qui sert à fabriquer les nattes qui constituent le mur de la case Coniagui et les lits, I’armature des toits, etc. Avec les feuilles de rônier, Coniagui et Bassari tressent finement leurs étuis péniens et décorent les toits de case, les masques, etc., avec le chaume de diverses graminées ils font les épais paillassons intérieurs des cases Coniagui, des ruches, des colliers, etc. Les techniques de corderie, de tressage et de vannerie sont variées: tressage en spirale de section circulaire autour de moelle de mil pour les colliers en tige de mil (onyerli coniagui), ficelle à deux (ou trois) torons tordus en Z à épissure en boucle à une extrémité et poche en forme de fuseau faite de plusieurs rangs de ficelle passés entre les torons de la corde et maintenus par trois traverses de ficelles pour les frondes, tresse à deux faces tissée en diagonale à 13 brins pour les colliers d’herbes hyerena (Coniagui), ficelles de raphia à deux torons en Z pour les ceintures-couvre-fesses des jeunes garçons Coniagui, tressage en spirale sur lame de bambou pour certaines ceintures, tresse creuse à 4 brins pour les étuis péniens — en « croisé » chez les Bassari et « toile » chez les Coniagui, etc.

Outils, instruments, pièges, armes de chasse ou de guerre, sont faits par les hommes. Là aussi il peut y avoir des spécialistes.
Les produits des artisans, spécialistes ou professionnels, sont plus souvent échangés que vendus. Les forgerons, par exemple, sont le plus souvent payés en céréales : leurs travaux les empêchent de cultiver un champ.

Techniques de consommation
La préparation de la nourriture incombe aux femmes. Cependant les hommes cuisent eux-mêmes le poisson dont beaucoup de femmes ne veulent pas manger, ainsi que les viandes interdites aux femmes. Les hommes savent d’ailleurs faire la cuisine et la font lorsqu’ils sont sans femmes, en brousse — en voyage ou à la chasse par exemple.
Ce sont les femmes qui préparent le tabac qui sera chiqué (par les hommes) ou fumé (dans une pipe, le plus souvent par les femmes).
Ce sont les hommes qui construisent les habitations et font le mobilier (il s’agit de travail du bois), sauf les lits, bancs et paravents de terre crue construits par les femmes Bassari dans leurs cases (il s’agit là de poterie).

Fig. 6. — Représentation graphique de la division du travail selon les sexes.

Vêtements et parures sont préparés par les hommes et les femmes.
Nous avons résumé et groupé, figure 6 ci-dessus, les renseignements concernant la division sexuelle du travail selon les techniques.

Art

Le sens artistique des Coniagui et des Bassari se manifeste dans un grand nombre de techniques — danse, musique, costume, décoration d’objets usuels, etc. On peut citer, en particulier, certaines vanneries qui montrent de l’habileté technique mais aussi du goût: décoration de toits de cases de jeunes gens chez les Coniagui, fourreaux de sabre tressés chez les Bassari, étuis péniens, bracelets de paille, etc. Les tabatières de bambou gravées des Coniagui sont réputées : certains hommes les décorent de motifs géométriques parfois mêlés à d’intéressantes représentations d’hommes et d’animaux. Danse et musique sont peut-être plus variées chez les Bassari que chez les Coniagui : à côté des tambours à deux peaux de longueurs et de sons différents, les principaux instruments de musique sont des trompes traversières, des flûtes traversières et des sifflets dans les deux populations, des racleurs et des hochets sonnailles faits de calebasse et de sabots d’antilopes chez les Bassari, des vielles, des harpes arquées, des cithares sur bâton et des clarinettes traversières chez les Coniagui.

Notes
1. Il s’agit d’un plan très schématique du village d’Uryakan, pendant la saison des pluies, en 1946. Nous nous réservons de publier plus tard des renseignements plue précis sur l’orientation et la dimension des parcelles des villages Coniagui.
2. Cet instrument, venu du Badyar, est d’importation récente chez les Coniagui. Mais ceux-ci utilisent aussi pour le même usage, et depuis longtemps, une lame de bois fixée dans le prolongement d’un long manche de bambou.
3. Les indigènes de la région parlant français appellent « haricot » la dolique Vigna Catjang et « arachide noire » ou « dolique » diverses variétés de Voandzeia subterranea Thouars (?) ou de Kerstingiella geocarpa Harms (?). Cette confusion se retrouve dans les rapports de la subdivision de Youkountoun (cf. pp. 24 et 26).
4. Maïs, haricot, etc.
5. Cf. note p. 23.
6. Fula et Bassari habitant un même canton sont ici réunis.
7. Voandzeia ? Cf. note p. 23.
8. La traite a été à son maximum cette année-la, du 1er au 15 janvier. Terminée fin avril, elle n’a donné pendant le mois d’avril, qu’une dizaine de tonnes pour l’ensemble de la subdivision, atteignant finalement le chiffre total de 2.097 t. : mais ce chiffre comprend la production du riche canton du Badyar, bien plus importante que celle des cantons Coniagui et Bassari.
9. Ceci change rapidement : depuis 1949, des boutiques se sont ouvertes, par exemple en pays Bassari à Doïdoï.
10. Esprit qui préside aux cérémonies d’initiation, cf. p. 61.
11. Par échange avec les Fula, cf. p. 28.
12. Des animaux ainsi offerts aux puissances surnaturelles, une très petite partie, le plus souvent, est en réalité abandonnée sur l’autel, le reste est mangé par les assistants (cf. p. 73).
13. M. de Lestrange, 1952, c.
14. Ces chiffres, comme tous ceux cités ici, s’entendent en francs C. F. A. (1 franc C.F.A. valant 2 francs métropolitains) de 1949.
15. Instituée par l’administration française, elle avance aux cultivateurs des semences qu’ils doivent ensuite rembourser à la récolte.
16. Terme qui n’est ni Coniagui ni bassari.
17. Terme désignant à travers toute l’A.O.F. un large vêtement flottant.
18. Aheker: non initié, falug : Jeune homme récemment initié , dyarar : jeune adulte, cf. pp. 61 et 63
19. Nous nous sommes inspirée pour la classification des techniques ci-dessous des ouvrages de Mauss (Manuel d’ethnographie, Paris, Payot, 1947) et de Leroi-Gourhan (Evolution et technique, Paris, Albin Michel, L’homme et la matière, 1943 ; Milieu et techniques, 1945).
20. Un gardénia (probablement G. Jovis-tonantis Hiem.).

Chapitre V.
Organisation sociale et structure politique

I. — Groupements locaux : le village, l’habitation

Coniagui et Bassari vivent groupés en villages dont les plus petits comptent moins de 100 habitants, le plus important (un village Coniagui) en ayant 800. Les villages Coniagui et Bassari sont constitués de cases rondes plus ou moins alignées.
Les cases Coniagui sont petites (1 m. 80 de diamètre environ), individuelles et légères. Elles sont composées d’un mur circulaire fait d’une natte de bambou doublée d’un paillasson d’herbes tressées et d’un toit pointu de chaume sur une armature de bambou. Ces cases sont faciles à démonter et à transporter (cf. p. 18 à 20). Chaque homme dispose d’une case, chaque femme de deux ou trois: dans l’une, elle dort avec ses jeunes enfants, dans les autres, elle fait sa cuisine, garde ses réserves d’ustensiles de ménage, etc. Le mobilier de la case à coucher comprend un ou deux lits faits d’une natte de bambou sur 4 pieds de bois fourchu, et souvent, dans les cases d’hommes, un coffre de bois. Cases d’habitation, bergeries et greniers sont construits sur le même modèle, les premières avec plus de soin et les derniers souvent sur pilotis.
Prenons pour exemple un village Coniagui précis : Uryakan, tel qu’il nous est apparu pendant l’hivernage 1946. Les cases étaient disposées comme on le voit figure 7, p. 39. Les « carrés » 1 sont alignés, les cases de femmes séparant le village de ses champs. Dans chacune des 9 familles d’Uryakan, la disposition des carrés est la même : les cases de femmes et les cases d’hommes forment deux rangées grossièrement parallèles, les cases de femmes étant beaucoup plus nombreuses que les cases d’hommes : en effet, chaque homme n’a qu’une case, où il couche, et plusieurs femmes, alors que chaque femme a plusieurs cases : case à coucher, cuisine et cases-réserves.
Il y a cependant quelques cas particuliers. Le chef de famille I a souvent des étrangers chez lui, par exemple des artisans Bassari venus faire des nattes: aussi le nombre de cases, côté hommes, est-il particulièrement nombreux dans ce carré; celles qui sont marquées 1 et 2 (cf. fig. 7), sont réservées à ces étrangers de passage.

Fig. 7. Plan d’un village Coniagui
cases d’hommes, cases de femmes, grenier, etc.
Echelle et orientation approximatives
1 et 2 : cases d’étrangers ; 3 : kump ; 4: grenier à poudre du tyareg ; 5 : case pour malades

Le chef de famille VII est un guérisseur : une case à côté de la sienne est utilisée par ses clients (cf. 5, fig. 7).
VI est le carré du chef, limité du côté opposé à celui des cases de femmes par la rangée de cases des jeunes hommes adultes et célibataires. L’ensemble constitue le tyareg où se trouvent (cf. 3, fig. 7) le kump — case des initiés où sont conservés les masques des sociétés secrètes — et le petit grenier (cf. 4, fig. 7) qui abrite certains objets rituels et contenait autrefois la poudre que le chef distribuait en cas de guerre aux guerriers défenseurs du village: les jeunes gens du tyareg — les dyarar. A l’intérieur du tyareg se réunissaient, en cas d’attaque, les troupeaux, les femmes et les enfants. Les dyarar défendant tout le village, celui-ci tout entier les nourrit : chaque soir, chaque femme apporte au tyareg une calebasse de nourriture pour les dyarar 2.
Dans les villages Bassari, les « carrés » sont grossièrement alignés. Les cases rondes sont fixes et plus grandes que celles des Coniagui — chaque femme n’en a qu’une qu’elle partage avec son mari. Elles sont faites d’un mur de blocs de latérite légèrement maçonnés de terre à l’intérieur et d’un toit de chaume sur armature de bambou. Le « mobilier » de terre crue comprend des lits, des bancs, des paravents et des urnes-greniers. La case est faite par le fiancé juste avant le mariage. Quand le mur est construit, avant la pose du toit, la femme vient modeler les « meubles » auxquels ce terme ne convient pas puisqu’ils sont essentiellement immeubles !
Les villages Bassari, sauf ceux du sud, ne sont habités que temporairement pendant la saison sèche. A cette époque-là, les cultivateurs n’ont rien à faire dans les champs, ils se réunissent au village où ont lieu de nombreuses cérémonies et fêtes. A la fin de la saison sèche, ils se séparent : chaque famille rejoint ses cases construites au milieu des champs, elle y reste tout le temps de l’hivernage, saison des cultures. Quelques villages du sud sont habités de manière permanente : au temps des travaux des champs, hommes et femmes font, chaque matin et chaque soir, plusieurs kilomètres d’un difficile chemin de montagne, pour atteindre leurs champs. Au centre de chaque village se trouvent une ou deux grandes cases — ambofor : là vivent les jeunes gens célibataires, filles et garçons réunis ; là sont conservés nombre d’objets rituels, masques, instruments de musique, etc. Les habitants de l’ambofor rentrent chaque soir au village, même si les autres gens du village couchent dans leurs champs.

Groupes de villages
Les villages Coniagui et Bassari constituent des groupes géographiques, dont l’origine est historique. Les habitants du plus ancien village Coniagui, comme ceux du plus ancien village Bassari, ont essaimé, fondant de nouveaux villages, d’où sortirent à leur tour d’autres villages, etc. Les villages issus d’un même village conservent avec ce dernier certains liens.
L’unité constituée par un village-mère et les villages voisins qui en sont nés est marquée de diverses manières. Chez les Coniagui, chacun de ces groupes a généralement en commun un seul pedda, c’est-à-dire le lieu de brousse où se tient la principale cérémonie de l’initiation des garçons. Chez les Bassari, certaines cérémonies sont aussi communes à des groupes de villages : un seul sacrifice a lieu, valable pour l’ensemble du groupe, mais les danseurs, pendant la fête consécutive, vont chaque soir dans un village différent — le groupe comprenant par exemple 4 villages, la danse durera quatre nuits. Nous verrons plus loin que ces groupes de villages correspondent vraisemblablement à des unités endogamiques.
Chez les Bassari bien plus que chez les Coniagui, ces groupements géographiques (d’origine historique) de villages correspondent à des différences linguistiques et ethnographiques, en particulier de vocabulaire et de costume.
A côté de ces groupements, très nets à l’époque actuelle, il en existe de plus larges, signalés par Rançon et surtout par Delacour (p. 375). Les noms de ces confédérations sont aujourd’hui encore connus, mais sans qu’une signification importante nous ait semblé leur être attachée. Les termes vehay, vefagant et waget notés sur la carte n° 1 désignent des groupements de villages à signification géographique.

II. — La parenté

« Les Koniagui et les Bassari, écrit Delacour, p. 373, ont un état social basé sur la parenté utérine… les enfants prennent le nom de famille de la mère, les héritages sont dévolus d’après l’ordre de parenté utérine et l’ordre des successions politiques suit la même règle… [mais] le père est toujours le chef de la famille. » Tels sont, en effet, les grands traits de la société coniagui-bassari : la parenté y est matrilinéaire et le nom est transmis par les femmes, mais le mariage est patrilocal et l’autorité exercée par les hommes ; les biens et la chefferie sont transmis par l’intermédiaire des femmes, mais d’homme à homme, d’oncle utérin à neveu.
Un Coniagui ou un Bassari porte donc le nom de sa mère et se considère comme apparenté à tous ceux qui portent le même nom que lui, « c’est-à-dire, en dehors de sa mère, de ses frères et sœurs de même mère, de ses oncles et tantes utérins, les enfants de ces dernières, sa grand-mère maternelle, ses grands-oncles et grand-tantes maternels, les enfants de ces dernières, etc. Mais il n’est pas (apparenté à) son père, (aux) frères, sœurs, parents, oncles, grands-parents et cousins de son père.
Les noms de « familles » étant peu nombreux, chaque individu est théoriquement (apparenté à) un grand nombre d’autres : tous ceux qui portent le même nom que (lui), mais pratiquement il ne considère comme ses parents que ceux avec lesquels il entretient des relations de parenté. Ainsi, lorsqu’un Coniagui d’un village du sud fait la connaissance d’une fille d’un village du nord portant le même nom que lui, mais avec la famille de laquelle sa propre mère ne cousine pas 3, il ne la considère pas comme sa parente » 4.

Groupements de parenté
Il existe, selon Delacour (p. 373), « 6 grandes familles qui comprennent la presque totalité des individus ». Il faut leur ajouter quelques autres familles comprenant un petit nombre d’individus chez les Bassari au moins. L’origine de ces groupes est obscure (cf. n. 2, p. 46). Chacun de ces groupes, caractérisé par un nom, est exogame. Nous n’avons pas relevé d’interdit alimentaire propre à tel ou tel 5.

Le mariage
Les rapports entre les groupements locaux et les groupements de parenté nous ont paru pouvoir être appréhendés au mieux par l’étude du mariage. Qui épouse et qui n’épouse pas un ou une Coniagui ou Bassari appartenant à telle famille et à tel village ? Coniagui et Bassari peuvent être considérés comme deux groupes endogames, le pourcentage de mariages exogamiques y étant très faible. En effet, une enquête auprès des femmes Coniagui et Bassari (cf. p. 5) a montré les faits suivants :

  1. Il n’y a ni Coniagui ni Bassari vivant en pays Coniagui ou Bassari ayant de conjoint autre que Coniagui ou Bassari : l’ensemble Coniagui-Bassari peut être considéré comme un groupe endogame.
  2. Les Coniagui et les Bassari constituent deux groupes endogames, à l’exception de 2 à 3 % des couples Bassari où le mari est Coniagui. Cette très légère exogamie des Bassari s’est légèrement accrue de la génération des mères des femmes interrogées à celle des femmes elles-mêmes (voir le tableau ci-dessous). Chez les Coniagui, au contraire, dans 100 % des couples actuels, la femme et le mari sont tous les deux Coniagui, dans la génération précédente 0,29 % des maris étaient Bassari. Les chiffres concernant les Coniagui de la génération précédant l’actuelle sont probablement un peu inférieurs à la réalité, en ce qui concerne le nombre de mariages mixtes Coniagui-Bassari. En effet, au temps des guerres entre Fula et Bassari, à la fin du siècle dernier, un certain nombre de Bassari sont venus se réfugier en territoire Coniagui, s’y sont mariés et leurs enfants se considèrent comme des Coniagui alors qu’ils sont des métis Coniagui-Bassari.
Mariages entre Coniagui et Bassari
Hommes Femmes
Bassari Génération actuelle 97,1 % 2,8 %
Génération précédente 97,8 % 2,1 %
Coniagui Génération actuelle 0 % 100 %
Génération précédente 0,29 % 99,7 %

Avec qui le mariage est-il permis ?
Un Coniagui ou un Bassari 6 ne peut pas épouser n’importe quel membre de son propre groupe. Le groupe d’individus avec lesquels il se marie est limité :

  1. par l’âge
  2. par la coutume interdisant le mariage entre individus portant le même nom
  3. par l’éloignement géographique des villages.
  4. a) Age. — Chez les Coniagui comme ailleurs, un individu n’a que peu de chances d’épouser un conjoint beaucoup moins ou beaucoup plus âgé que lui. Par ailleurs, personne ne se marie avant 20 ans au moins. Il faudrait donc éliminer du groupe endogame tous les individus n’ayant pas 20 ans, ce qui réduirait fortement les groupes Coniagui et Bassari.
    b) Interdiction d’épouser un individu appartenant au même «anenke» que soi-même.— Coniagui et Bassari se répartissent en un certain nombre de groupements 7 que les Coniagui appellent anenke, groupements caractérisés par un nom 8 et très inégaux par le nombre d’individus qu’ils comprennent. Ces anenke sont presque exogames, à un certain nombre d’exceptions près, constituées par des couples où les deux conjoints appartiennent au même anenke. Le nombre de ces couples croît, il a augmenté de la génération des mères des femmes actuelles à celle des femmes actuelles. Il est nettement plus grand chez les Bassari (génération des mères : 18 %, génération actuelle : 23 %) que chez les Coniagui (génération des mères : 10 %, génération actuelle : 13 %). L’exogamie est plus souvent pratiquée par les femmes appartenant aux anenke qui comprennent le moins d’individus. Cette différence est logique : plus un anenke est petit, plus une femme a des chances de trouver un mari parmi les anenke autres que le sien. La plus forte endogamie des Bassari s’explique par le fait que deuxanenke comprennent plus de 60 % de l’ensemble Bassari. Ces mariages entre individus de même anenke s’expliquent en partie au moins par le fait suivant : chez les Coniagui, un réfugié ou un prisonnier prend le nom d’anenke de son maître, mais lorsque l’on demande à un ancien prisonnier de quel anenke il est, il répond par exemple ; « j’appartiens aux aigwal », alors qu’un homme libre répondrait : « je suis un aigwal ». Lorsque cet ancien prisonnier se mariera, il pourra épouser une femme aigwal : il n’est pas aigwal lui-même, quoique — aux jours de fête par exemple — il se range parmi les aigwal.
    Mais, malgré ces exceptions, l’interdiction d’épouser un homonyme n’en limite pas moins assez fortement le groupe à l’intérieur duquel on peut choisir son conjoint. Aujourd’hui, 87 % des femmes Coniagui se marient donc dans un groupe égal à celui des hommes Coniagui en âge de se marier, diminué de 7 à 29 % selon l’anenke auquel elles appartiennent, et 76 % des femmes Bassari se marient dans un groupe égal à celui des hommes Bassari en âge de se marier, diminué de 0,6 à 32 %, selon l’anenke auquel elles appartiennent.
  5. c) Éloignement géographique. — Les hameaux Coniagui et Bassari peuvent être répartis géographiquement en 6 groupes9pour les premiers, 5 pour les seconds. Au tableau ci-dessous, on voit que :
  6. 85 % des femmes se marient dans leur propre groupe de villages : le groupe de villages est endogame à 85 %. Ce fait limite grandement le nombre d’individus à l’intérieur duquel la femme choisit son conjoint puisque ce groupe correspond approximativement au 1/6 ou au 1/5 de l’ensemble Coniagui ou Bassari.
  7. L’endogamie est plus forte chez les femmes Coniagui que chez les femmes Bassari, ainsi que le montrait l’étude du mariage selon la famille.
  8. L’endogamie a diminué depuis une génération, tant chez les Coniagui que chez les Bassari. Mais si Coniagui et Bassari actuels se marient moins souvent que leurs parents à l’intérieur de leur propre village, ils se marient plus souvent que leurs parents dans le même groupe de villages. Si bien que l’endogamie de ce groupe de villages a à peine diminué d’une génération à l’autre : il est passé chez les Bassari, de 86 à 85 %; chez les Coniagui, de 90 à 85 %. Chez les Bassari, comme chez les Coniagui, l’isolat s’est donc agrandi.

Il semble donc que 85 % des femmes Coniagui et Bassari se marient à l’intérieur de leur propre groupe de villages. Les femmes Coniagui et Bassari choisissent leur conjoint parmi les hommes Coniagui et Bassari de plus de 20 ans, n’appartenant généralement pas à leur propreanenke, mais habitant dans 85 % des cas, leur propre groupe de villages. Ce groupe comprend environ 441 hommes chez les Coniagui et 415 chez les Bassari.
Coniagui et Bassari constituent en somme deux groupes endogames divisés, d’une part, en anenke non rigoureusement exogames, d’autre part, en groupes géographiques presque rigoureusement endogames : 75 % des Coniagui et des Bassari se marient hors de leur propreanenke et 85 % à l’intérieur du groupe de villages où ils sont nés.
Le dépouillement de notre enquête sur le mariage Coniagui et Bassari n’est pas encore terminé. Nous avons, en effet, l’intention de chercher si les couples où mari et femme appartiennent au même anenke sont aussi les couples où mari et femme viennent de villages très éloignés, et vice versa si les couples où mari et femme appartiennent à des anenke différents sont aussi ceux où mari et femme viennent du même village. Si cela est, on pourra dire que le mariage Coniagui et Bassari est régi par une sorte de loi d’éloignement, d’exogamie, nominale ou géographique. Mari et femme devraient alors, soit appartenir à des anenke différents : ils pourraient dans ce cas être du même village, soit être originaires de villages éloignés : ils pourraient dans ce cas appartenir au même anenke.
Les résultats de cette enquête préciseront la notion d’anenke, qui pourra peut-être être rapprochée de celle de lignée ou de clan.

Origine géographique des maris des femmes Coniagui et Bassari interrogées

Origine du mari Femmes Coniagui Femmes Bassari  Femmes Bassari
671 couples actuels 680 couples anciens 492 couples actuels 411 couples anciens
Même village 67,8 % 85,3 % 78,3 % 90,2 % 59 % 85 % 72 % 86 %
Même groupe 17,5 % 11,19 % 26 % 14 %
Même population 10
Groupes voisins 10,2 % 6,6 % 7 % 5 %
Groupes autres 4,1 % 2,7 % 2 % 1 %
Villages inconnus 0,14 % 2 % 3 %
Population voisine 11
Mari Bassari  — 0,29 %
Mari Coniagui  — 2,8 % 2,1 %

III. — Classes d’âge, cérémonies d’initiation

Les classes d’âge sont définies par rapport à l’initiation et à l’excision, aussi bien avant qu’après celles-ci. Les garçons devant être initiés ou ayant été initiés la même année, les filles devant être excisées ou ayant été excisées la même année constituent des groupes qui dureront jusque dans l’au-delà : les sacrifices funéraires seront accomplis par des « camarades » du défunt, c’est-à-dire des individus faisant partie de sa classe d’âge, ayant été initiés ou excisés la même année que lui.
Nous ne décrirons pas ici les cérémonies d’initiation à la société des hommes ou aux diverses sociétés de kore, de chasseurs, etc., qui seront décrites aux chapitres des associations et des adolescents (p. 47 et p. 61).

IV. — Le nom

Chaque Coniagui ou Bassari, homme ou femme, porte, dès la naissance, un nom numérique selon son sexe et selon son rang de naissance parmi les enfants de sa mère. Ces noms sont réunis au tableau suivant :

Coniagui Bassari
Hommes Femmes Hommes Femmes
Sara ou Tyala Nemme Tyara Tyira
Sampu ou Mbuna Nieni Tama Kema
Tani ou Fetta Afule Kali Pena
Loni T’eko Endega Nyari
Ufale Nyola
Sene Adel
Afer Nambik (qui n’a pas de nom)

Sara est donc le premier fils de sa mère, Sampu le deuxième, Nemme la première fille de sa mère, etc. Chacun de ces noms a des diminutifs d’affection, que nous ne citons pas au tableau ci-dessus, par exemple Sampule pour Sampu, Nemot, Nemolo ou Fannem pour Namme, etc.
Le petit garçon peut porter dès sa naissance un autre nom donné par son père (par exemple Bati, Kedyel, etc.). Ce nom a parfois une signification anecdotique : par exemple Mbozir, « fruit du raphia », nom porté par un garçon né comme sa mère revenait de cueillir des fruits de raphia.
A l’initiation le garçon reçoit de son père un autre nom, qu’il portera à l’exclusion de celui qu’il portait avant 12.
Enfin, hommes et femmes peuvent avoir des surnoms, par exemple, chez les Bassari « celui qui a les tibias tranchants comme une lame de bambou », etc.
Chaque individu appartient par ailleurs à un anenke. L’appartenance à cet anenke, caractérisé par un nom, s’hérite de la mère et dure toute la vie. Les principaux anenke s’appellent :

  • Coniagui : aigwal, ages, ayu, ayantya, aneon, aevyan.
  • Bassari: ayaganl’, ayes, adyar, ayantya, aban, emun, asoso.

La notion d’anenke est très importante, le rôle de chaque individu à l’intérieur de la société Coniagui ou Bassari variant selon son anenke : ainsi les chefs de village sont-ils choisis dans tel anenke, les kore ou certains lokuta (cf. p. 48) dans tel autre, etc. 13.

V. — Associations, sociétés secrètes, castes

Il existe chez les Coniagui et les Bassari une association qui groupe un certain nombre d’hommes, et aussi quelques femmes, d’un certain âge (pour un homme il faut être au moins marié ou dyarar alyankaf, cf. p. 64, et, pour une femme, annem). Cette société est secrète en ce sens que seuls ses membres se connaissent entre eux : femmes et non initiés connaissent l’existence de cette société, voient les dignitaires masqués et entendent leurs cris mais sans connaître l’identité de ces personnages. Un des rôles de cette « famille secrète » 14 consiste à rendre un culte à différents esprits 15 :

  • idaz chez les Bassari de Negare
  • igwar dans le tyareg
  • ikuv près du village
  • pedda en brousse, chez les Coniagui.

Mais, à côté de ce rôle officiel, sinon public, concernant des cultes généraux, les membres de la « famille secrète » ont des pouvoirs que tous n’ont pas : ils peuvent, par exemple, par magie, rendre des individus malades.
Il semble que le groupe constitué dans un village par les membres de la famille secrète soit différent du groupe constitué par tous les vieux et chargé des décisions concernant la coutume — l’organisation matérielle et économique du village par exemple (ce groupe s’appellebulunda chez les Coniagui). Cependant, le nom donné aux membres de la famille secrète viefogotongal : les veilleurs du village (de fogal : veiller, ngal : terre, village), indique assez l’importance de leur rôle dans la destinée du groupe.
Les sociétés secrètes des villages qui descendent d’un même fondateur forment des associations, elles-mêmes regroupées — le chef de l’ensemble étant Bassari. Dans l’ensemble Coniagui-Bassari, on remarque d’ailleurs une nette prééminence religieuse des Bassari, la prééminence politique étant, par contre, réservée aux Coniagui. Certains membres de la famille secrète ont des attributions précises et hiérarchisées. Dans chaque village il existe :

un numba, chef de la société secrète. Nommé pour sept ans (après quoi il assistera le nouveau numba, mais sans rien faire lui-même). L’individu nommé numba 16 n’apparaît en tant que tel qu’aux seuls initiés et n’est donc jamais masqué. Quand il pousse le cri qui le caractérise, les non-initiés s’enfuient : aussi ne le voient-ils jamais.

Un certain nombre d’hommes masqués, lokuta, sont chargés d’accomplir certains rites et de faire exécuter les décisions du numba et de l’assemblée des membres de la famille secrète. Ces cérémoniaires sont nommés pour sept ans par les membres âgés de la société. Ce sont, en commençant par le plus élevé en grade :

  • le lokuta du village ou ulongwal igwar, qui garde l’igwar
  • le lokuta ageker (garçon) ou agunt (gardien), chargé de la surveillance des jeunes initiés
  • le lokuta wontyeri numba lokuta chanteur, accompagnateur du numba
  • le lokuta vat’eva : lokuta danseur de at’eva (cf. p. 72).

Il existe enfin, dans chaque village, un lokuta à vie, chargé de surveiller le travail des jeunes gens.
A côté de ces dignitaires nommés, une classe d’âge tout entière, celle des dyarar (jeunes hommes initiés depuis quelques années, cf. p. 63) a un rôle à jouer dans la famille secrète. Les dyarar endossent tous, à l’occasion, le masque de lokuta : vêtement de fibres rousses et de feuilles de karité, cagoule de fibre chez les Coniagui, coiffure aux formes variées de fibre et de feuilles blanches de rônier chez les Bassari. Ceslokuta sont vus par les non-initiés, mais ils ont le corps enduit d’ocre rouge, déguisent leur voix, courent et sautent sur place pour ne pas être reconnus. Armés de gourdins, ils font respecter l’ordre au village, garantissant la propriété privée, surveillant femmes et enfants, jouant en somme le rôle de « gendarmes ».
Etant donné que le numba, chef de la famille secrète, préside à l’initiation des garçons, que tous les hommes initiés (c’est-à-dire tous les hommes adultes) connaissent le fonctionnement de cette association et, qu’enfin, tous les hommes, lorsqu’ils sont dyarar, en sont des membres actifs, on peut considérer, comme le fait Delacour, que l’initiation des garçons Coniagui-Bassari constitue l’accession au grade inférieur de la société secrète.
Une société particulière est celle des kore. Vêtus d’une jupe de fibre et d’une ceinture de peau de panthère, ils vont le visage découvert ; ils sont chargés de la police des femmes, en particulier de la surveillance de l’excision. Il en existe un ou deux par village. Dès qu’un koreapparaît, les femmes lui offrent des cadeaux de nourriture : plat de mil, de riz ou de fonio, poule et oeufs durs par dizaines.
Le kore est choisi par les membres de la société secrète parmi les dyarar, à vie. La nomination du nouveau kore, par un bassari, chef deskore 17, a lieu en juin : il est battu pour qu’il meurt, un esprit nouveau s’établit alors dans son corps. On lui donne un nom nouveau qu’on emploiera chaque fois qu’il sera habillé en kore. Dans les jours qui suivent, il apprendra peu à peu à parler et à danser en kore, et aussi à manger sans jamais être rassasié. Les filles viendront le saluer. On peut tuer un kore, mais pas le relever de sa fonction puisqu’on lui a donné un esprit nouveau : anonkwol. S’il est trop vieux, il réunit les gens pour le leur annoncer et sa femme lui donne à manger des fruits d’uryakan 18, un des interdits alimentaires des kore : après quoi il n’est plus kore.
Lokuta et kore sont des hommes dont on a modifié la personne, à qui l’on a enlevé leur esprit pour en mettre un autre : il s’agit, si l’on veut, d’un homme ressuscité (re-né, au sens initiatique), mais pas de l’esprit d’un mort réincarné.
Un homme est lokuta dès qu’il arrive à l’endroit où s’habillent les lokuta. Chaque lokuta a toujours un suivant qui doit ramasser les feuilles tombées de son costume : quiconque les ramasserait pourrait en faire un charme. Ces feuilles sont jetées au loin avec tout le costume quand le lokuta se déshabille. A ce moment-là, les feuilles n’ont plus de pouvoir : il n’y a plus de lokuta.
Au milieu de la rangée des cases des dyarar, au tyareg, dans une case nommée tankela, se réunissaient autrefois les membres d’une société secrète n’existant plus aujourd’hui et qui était responsable de sacrifices de jeunes gens.
Le rôle des femmes dans les sociétés secrètes est mal connu. Quelques vieilles femmes, particulièrement intelligentes et discrètes, parviennent à faire partie de la société secrète des hommes. Mais on peut penser qu’il existe une société parallèle, exclusivement féminine, à laquelle les femmes seraient « initiées » pendant la retraite qui suit leur excision : les hommes Coniagui racontent en tout cas que les femmes ont essayé d’organiser une telle société, pour se défendre de celle des hommes.

Confrérie de chasseurs

Kamara est le titre du chasseur qui a réussi à tuer un des animaux suivants, par ordre d’importance : éléphant ou buffle, lion, panthère, hippopotame, certaine antilope, hyène, certain rapace 19, etc.
L’animal est enterré avec un cérémonial qui rappelle celui de l’enterrement humain : on l’interroge pour savoir pourquoi lui, si puissant, s’est laissé tuer par le chasseur. Le chef de village prépare plusieurs tonneaux de bière de mil. Quand celle-ci est « mûre », les chasseurs et, en particulier, les kamara, viennent danser et boire. Un sacrifice a lieu. Depuis le jour où il a tué l’animal qui lui vaut le titre de kamara, le chasseur ne s’est pas lavé et est resté seul (pour se promener, pour manger, dormir, etc.). Les hommes dansent, mimant la chasse, la bête et le chasseur.
L’importance de ces confréries est grande. Nous verrons plus loin, qu’au matin de l’initiation Coniagui, une chasse rituelle a lieu — une bonne chasse étant interprétée comme un signe favorable, annonçant que la cérémonie de l’initiation tout entière se déroulera comme il se doit. Chez les Bassari, chaque printemps, avant de mettre le feu tout autour d’une montagne sacrée pour rabattre le gibier, un vieux kamara en demandera l’autorisation au génie, maître des animaux de cette montagne. Il lui demandera aussi d’accorder aux chasseurs de nombreux animaux tout en les protégeant contre les dangers de la chasse.

Organes de gouvernement local
Il existe, dans chaque village, un chef, choisi parmi les descendants du fondateur du village. Il gouverne assisté de deux conseils dont l’un,bulunda, est une assemblée de vieillards chargée de tout ce qui concerne les coutumes et la tradition : par exemple, le partage des terres entre les différents habitants du village, et dont l’autre, la société secrète, a une influence grande quoique plus ou moins occulte. Le chef est souvent chargé de faire exécuter les décisions de l’assemblée de vieillards qu’il préside. Le rôle de chef est si peu apprécié des Coniagui, aujourd’hui au moins, que plusieurs villages, en 1949, manquaient de chef depuis plusieurs mois ou même plus d’un an. Car aucun des chefs possibles n’avait accepté ce rôle ingrat. Ceci tient peut-être en partie au fait que le rôle de chef, toujours dangereux en pays de magiciens habiles, s’est encore compliqué depuis la présence de blancs dans la région. Ceux-ci ont nommé des chefs de canton héréditaires, donnant ainsi aux groupes Coniagui et Bassari une unité qui correspond mal au grand individualisme de ces populations habituées à ne se lier, entre villages voisins, qu’en cas d’attaque étrangère. En plus de ces chefs de canton (un Coniagui, un Bassari), il existe dans les villages, des « représentants » chargés des rapports avec l’administration française, ces représentants n’étant pas les réels chefs de village

Castes
Nous avons parlé des potières et des forgerons qui ne constituent pas à proprement parler des castes chez les Coniagui et les Bassari.
Seuls les griots, peu nombreux et mal considérés par le reste de la population, semblent former une caste fermée dont les membres, hommes et femmes, se marient entre eux. Notre enquête est très incomplète à ce sujet, mais les griots ne paraissent pas avoir chez les Coniagui et les Bassari l’importance qu’ils ont dans de nombreuses sociétés africaines 20.

VI. — Procédure juridique

Succession
Nom, biens, chefferie s’héritent par les femmes (en lignée utérine) et pour les biens et la chefferie, d’homme à homme. Les biens meubles consistent surtout en bétail, transmis de frère utérin aîné à cadet, ou d’oncle utérin à neveu. Les veuves peuvent être héritées par le frère cadet de leur mari, mais elles ne sont pas obligées de l’épouser et peuvent retourner chez leur père puis se remarier avec d’autres si elles le préfèrent.
Tout individu, homme ou femme, a le droit de posséder et de donner à qui il veut les biens qui lui appartiennent : ainsi, avant la mort, le père fait-il souvent des donations d’objets personnels à ses fils pour que ceux-ci ne soient pas totalement lésés, l’héritage allant au neveu utérin.
Promesses, dons, échanges se font devant témoins, pour éviter les contestations futures qui peuvent, par exemple, s’élever en cas de rupture de fiançailles.

Régime foncier
La propriété de la terre. — Mère des Coniagui, la terre n’appartient pas aux hommes, mais aux puissances surnaturelles. C’est pourquoi, avant d’établir en un lieu quelconque un village nouveau, on demande l’avis des esprits, en leur offrant un sacrifice.
Les bois sacrés, les cours d’eau, les chemins, les ponts, les carrefours, sont propriété collective du village, au même titre que les terrains de cultures, les prairies, les marais et les palmeraies.
Seuls les arbres fruitiers sont, comme les produits du jardin ou des champs, propriété personnelle de l’individu qui les a plantés, en tant que bien acquis par le travail personnel ou par donation ou par héritage. Si un homme ayant planté un manguier quitte le pays, sa famille cueillera les fruits, mais en dehors de ce cas, il est le seul à avoir droit à ces mangues.

Le partage de la terre. — Le territoire cultivable ayant été divisé en trois, nombre d’années nécessaires à l’assolement, au moment du débroussage, le chef de village et le conseil des anciens répartissent les champs entre les familles. Chaque fois que le nombre de familles du village change, il faut refaire le partage.
Le chef de village peut accorder à des étrangers le droit de se servir des terres du village, mais il ne peut pas les vendre et ne doit recevoir à ce propos aucune rémunération. L’étranger n’a qu’un droit d’usage.

Esclavage
Au temps des guerres des Coniagui et des Bassari avec leurs voisins, une partie des captifs étaient vendus en Casamance ou en Guinée portugaise, les autres gardés au village, dans la famille, y menaient une existence semblable à celle des hommes libres, à cela près qu’ils ne pouvaient s’en aller ; ils ont pris le nom d’anenke de la famille qui les a adoptés et se sont mariés avec des conjoints libres.

Situation des femmes
Une des principales et des plus intéressantes caractéristiques des sociétés Coniagui et Bassari est, sans doute, l’opposition permanente qui y règne entre le groupe des hommes et celui des femmes. Peut-être la situation importante de celles-ci dans ces sociétés en est-elle responsable. Les femmes sont fortes de ce que le nom, les biens et l’autorité se transmettent par elles : les hommes eux-mêmes ne se glorifient-ils pas de leurs ancêtres maternels ? Mais l’autorité est cependant exercée par les hommes. Peut-être est-ce pour la préserver que ceux-ci ont dû se grouper en sociétés secrètes, de manière à maintenir les femmes dans un état de sujétion et d’infériorité qui leur laisse à eux l’exercice du pouvoir.

VII. — La guerre

La guerre était hier un élément essentiel de la culture Coniagui et, à un moindre degré, de la vie des Bassari. Armés de frondes, d’arcs et de flèches, de sabres de bois lourd, de bambous, de couteaux ou de fusils de traite, les dyarar Coniagui et leurs homologues Bassari ont eu souvent à défendre leur pays 21 contre des envahisseurs. Aujourd’hui, depuis l’occupation française, ils n’ont plus à prendre les armes contre leurs voisins.
Mais les villages des Coniagui — fiers, orgueilleux et conscients de n’avoir jamais été défaits par leurs voisins — restent des villages de guerriers : le tyareg est toujours un camp limité par des cases de soldats, à l’intérieur duquel habitants et richesses du village étaient autrefois réunis en cas d’attaque. De même les Bassari expliquent-ils au visiteur qui s’étonne de leurs fêtes et danses peu bruyantes qu’on évite ainsi d’attirer l’attention des voisins malintentionnés.
Car la profonde différence psychologique existant entre les Coniagui et les Bassari est clairement manifestée par les divergences de leur attitude en ce qui concerne la guerre : les Coniagui sont des guerriers demeurés invaincus jusqu’à l’arrivée des Blancs alors que les Bassari, pris entre les Fula et les Coniagui, n’ont souvent pu se défendre des premiers qu’en allant se réfugier chez les seconds.

Conclusion

La description qui précède n’est ni complète, ni définitive. Les travaux publiés à ce jour sur les Coniagui et les Bassari, et notre propre enquête chez eux, sont encore fragmentaires et imparfaits. D’où viennent ces populations ? nous ne le savons pas. Quelles langues parlent-elles ? nous le savons à peine. L’enquête sur les techniques n’est qu’abordée, elle s’éclairera sans doute lorsque l’enquête sur la structure sociale sera plus avancée. Mais un fait au moins semble acquis : les sociétés Coniagui et Bassari sont fortement organisées, minutieusement construites. Confédérations de villages, société des hommes et société des femmes, sociétés secrètes à rôle religieux et politique, confréries de chasseurs, classes d’âge, groupements exogames nominaux, associations endogames de villages voisins, tous ces groupes concourent à compartimenter rigoureusement les sociétés Coniagui et Bassari.
Coniagui et Bassari se ressemblent par les traits principaux de leurs coutumes et de leurs croyances. Cependant, au cours des pages qui précèdent, on a vu apparaître entre ces deux ethnies un certain nombre de divergences d’autant plus intéressantes que Coniagui et Bassari partagent un même schéma général d’organisation sociale. On peut dire dès à présent que les rites et les coutumes Coniagui et Bassari se complètent plutôt qu’ils ne s’opposent. Il s’agit, nous espérons le montrer prochainement, de sociétés complémentaires, jouant l’une et l’autre des rôles différents, mais pas indépendants. Par exemple, chez les Coniagui — gens de la plaine ouverte, l’opposition femmes-hommes est plus marquée, le rituel de l’initiation des garçons plus sévère et les vertus guerrières plus grandes ; un des jumeaux est mis à mort, la femme se marie après avoir eu des enfants, les fêtes sont bruyantes et le sens de la propriété personnelle est plus développé que chez les Bassari. Chez ces derniers — gens de la brousse accidentée, l’opposition femmes-hommes est moins marquée, les épreuves de l’initiation des garçons moins sévères, le rituel en général plus riche, les magiciens et les prêtres plus nombreux et plus élevés dans la hiérarchie et l’orientation des esprits portée — non pas vers l’action et la lutte comme chez les Coniagui — mais vers la « connaissance », la « sagesse » ; les jumeaux sont conservés, la femme se marie avant d’être mère, les fêtes ont lieu sans bruit et la dépendance de l’individu vis-à-vis de son groupe est plus manifeste. Les Coniagui pourraient être dits plus extériorisés, les Bassari plus intériorisés.
Nous espérons mener à bien une enquête plus approfondie sur les croyances de ces populations ; peut-être éclairera-t-elle leurs divergences, leurs oppositions, qui nous paraissent complémentaires et organisées. Cette enquête devra, bien entendu, englober les Badyaranké dont les coutumes et les croyances rappellent tantôt les Coniagui, tantôt les Bassari. Alors seulement pourra-t-on avoir une idée d’ensemble de ces trois groupes voisins, à la fois proches et divers, qui nous semblent constituer un exemple intéressant de sociétés à opposition complémentaire.

Notes
1. Cf. p. 18.
2. Au moins était-ce ainsi il y a peu d’années encore. Aujourd’hui, nombreux sont les villages où seules le font les femmes ayant un fils au tyareg.
3. A cause de l’éloignement des villages ou à cause de l’existence de sous-groupes.
4. M. de Lestrange, 1951.
5. Maupoil (1941) écrit: « Nous n’avons pas pu nous procurer la liste des interd its de ces 6 familles. »
6. M. de Lestrange, 1951.c et 1951.
7. Que Delacour et Maupoil appelaient des familles, cf. p. précédente.
8. Cf. p. 46.
9. Ces groupes géographiques réunissent en réalité plusieurs groupements historico-sociologiques de villages : les villages issus du même village-mère s’associent pour célébrer en commun certaines têtes et partagent chez les Bassari certaines particularités de costume, de coutume et de langue, cf. ci-dessus, p. 40.
10. C’est-à-dire mariages Coniagui x Coniagui ou Bassari x Bassari.
11. C’est-à-dire mariages Coniagui x Bassari.
12. Sachant l’importance d’un tel changement de nom, qui équivaut à la naissance d’un individu nouveau, les Pères Missionnaires insistent pour que les catholiques soient désignés par leurs noms de baptême.
13. L’origine de ces anenke, aujourd’hui mal connue de la majorité des Coniagui-Bassari est encore obscure. D’après certains informateurs, les propriétaires de numba seraient ayu ouaigwal, les ages très nombreux aujourd’hui descendraient d’étrangers, les ayantya d’anciens captifs de guerre et les aneon d’hommes d’une autre tribu du Soudan venus en partie s’installer dans le pays où ils sont souvent devenus chefs de villages. Mais notre enquête sur ces questions n’est qu’ébauchée.
A chaque anenke Coniagui correspond un anenke Bassari. Ainsi par exemple un Coniagui ayu ne pourra-t-il pas épouser un Bassari de l’anenke correspondant.
Ces anenke Coniagui et Bassari ont des correspondances chez les Badyaranké.
14. Comme disent les Coniagui parlant français.
15. Le même terme peut désigner l’esprit et sa matérialisation ou son autel, cf. n. 1, p. 71
16. Cf. pp. 61 et 71 : le même mot numba désigne à la lois l’esprit et son représentant.
17. Delacour pense que la direction de la société des kore a été retirée au village Coniagui de Landumba pour être confiée au village Bassari de Negare.
18. Icacina senegalensis A. Juss. : plante très commune dans le régime, elle a donné son nom à un village Coniagui.
19. Appelé dans la région aigle à pattes rouges.
20. Delacour écrivait, p. 373: « Il n’existe pas de griots. »
21. Maupoil (1954) écrit, p. 381 : « Dans des opérations en majorité défensives. »

Chapitre VI
Principaux traits culturels

I. — Caractéristiques physiques

Du point de vue anthropométrique, 400 Coniagui (200 hommes et 200 femmes) et 223 Bassari (128 hommes et 95 femmes) ont été étudiés par nous-même 1. Coniagui et Bassari sont dolichocéphales, mésoprosopes, platyrhiniens, de stature sur-moyenne, avec le buste court et les jambes longues. Ils appartiennent donc au groupe anthropologique des noirs de la savane, caractérisés par une haute taille et des jambes longues, un crâne dolichocéphale, un nez saillant et relativement étroit. Mais à les comparer à d’autres noirs de la savane — aux Ouolof par exemple, dont la stature est plus élevée et le nez plus large — on peut peut-être considérer, avec Richard Molard, que les Coniagui et les Bassari se rapprochent d’un type « Vieux Soudanais », plutôt que du véritable type « campestre », « Néo-Soudanais » classique.
Les Coniagui sont plus grands (1 m. 69) que les Bassari (1 m. 64) et plus dolichocéphales, ils ont le front plus étroit, la face plus large et plus courte, la mâchoire plus forte par rapport au diamètre bizygomatique, les yeux moins rapprochés, le nez plus mince, les lèvres plus épaisses et les jambes plus longues. Les deux groupes ont les contours du visage nettement dessinés, surtout les Coniagui au frontal étroit.
Coniagui et Bassari, comparés à d’autres groupes de noirs, semblent en assez bonne forme physique, ils sont le plus souvent robustes et résistants. Mais leur physiologie et leur pathologie n’ont à peu près pas été étudiées 2. Chez 203 Coniagui-Bassari, les pourcentages de groupes sanguins ABO suivants ont été trouvés :

  • AB — 4 %
  • A — 22 %
  • B — 32 %
  • O — 40 %

Les maladies vénériennes sont d’importation récente et encore rares, la tuberculose pratiquement inconnue mais la trypanosomiase, la méningite cérébro-spinale, le pian, la lèpre et bien entendu le paludisme, existent dans les deux populations et les ulcères phagédéniques sont fréquents, en particulier chez les femmes Coniagui.

II.—Habillement et parure

Il semble que l’habillement, très sommaire, était autrefois plus semblable chez les Bassari et Coniagui qu’il ne l’est aujourd’hui, où les Coniagui portent de plus en plus d’étoffes. Traditionnellement, les hommes sont vêtus d’un étui pénien (ipog) de feuilles de rônier tressées et d’un triangle de peau d’antilope sur les fesses pour les adultes, ou d’une ceinture couvre-fesses de ficelle (chez les Coniagui), ou de cuir (chez les Bassari), pour les jeunes garçons. Les femmes ne portaient, autrefois, qu’un cache-sexe d’écorce chez les Coniagui, de bandes de coton retombant devant et derrière en un court et étroit tablier brodé de perles chez les Bassari. Mais presque toutes les femmes Coniagui portent aujourd’hui un court pagne de bandes de coton indigo et les femmes Bassari, lorsqu’elles descendent de leurs montagnes, mettent le plus souvent un long pagne bleu.
Mais de plus en plus, Coniagui et Bassari apprécient les étoffes : les courtes culottes sont maintenant fréquentes chez les hommes et les mouchoirs, les pagnes et même les camisoles multicolores commencent à se répandre chez les femmes.
Les bijoux, nombreux, strictement réglementés par la mode et l’âge, comprennent, pour les hommes et les femmes, des perles le plus souvent aujourd’hui jaunes et bleues, portées en colliers, en bracelets, en ceintures, etc., des bracelets, des « médailles de nez » et des boucles d’oreille d’aluminium chez les Coniagui, des piquants de porc-épic dans le nez, de fines perles en bandeau frontal et des cercles de cuivre ou d’aluminium au cou, à la taille, aux poignets et aux chevilles, chez les Bassari.
Tout ce qui précède concerne le vêtement de tous les jours. Costumes et parures de fêtes sont aussi variés que riches : ils sont faits de fibres de cotonnades, de perles de verre, de graines, de métal, de plumes, de peaux, etc.

III. — Coiffure

La coiffure est semblable chez les hommes et les femmes Coniagui et Bassari (fig. 8). Les enfants ont les cheveux rasés, vers 12 ans ils laissent pousser leurs cheveux sur le dessus de la tête pour pouvoir ensuite les natter. Les côtés restent rasés. Quelquefois, les jeunes gens se font des nattes transversales et parallèles sur le dessus de la tête, mais le plus souvent, hommes et femmes ont les cheveux séparés par une raie médiane et tressés en une natte sur le dessus de la tête, du front au cou. Les cheveux des côtés sont réunis en deux ou quatre petites nattes verticales ou en une fine natte circulaire, au-dessus d’une certaine ligne au-dessus de laquelle les cheveux sont rasés. Ces « nattes » sont faites de courtes mèches ramenées vers le milieu, croisées deux à deux, elles se terminent par une « queue » libre nattée, de 5 à 6 cm. Ainsi coiffée, la tête paraît étroite, haute et longue, surmontée d’une sorte de crête. Parfois, pour grossir cette crête, elle est tressée sur un postiche, et l’arête en est cloutée de cuivre (chez les Bassari). Coniagui et Bassari souhaitent avoir les cheveux le plus long possible et d’un beau noir.

L’importance symbolique de la coiffure en crête des Coniagui et des Bassari est très grande. Une figuration de cette coiffure décore le faîte des cases de dyarar Coniagui, constitue la poupée que portent les filles pendant la fête de l’excision, décore de nombreux objets (manche de couteau par exemple): on peut dire que cette coiffure symbolise la personne humaine tout entière, qu’elle est cette personne. Transformé en cimier empanaché chez les Bassari, amplifié en un immense cimier-crête de coq au jour de la fête de l’initiation Coniagui, ce motif coiffe les jeunes danseurs, symboles de la puissance et de la beauté. Une enquête sur le symbolisme de la coiffure en crête paraît indispensable à la compréhension des Coniagui et des Bassari.

Fig. 8. — Coiffure et tatouages faciaux des Coniagui (La coiffure est la même chez les Coniagui et les Bassari)

IV. — Tatouages et mutilations

Sur le front et les joues, les Coniagui se font souvent tatouer (par incisions) de petits dessins figurant le plus souvent des lignes brisées, des rangées de petits traits parallèles, des croix, des étoiles ou « la patte du coq » (fig. 8).
Les femmes Coniagui ont le ventre tatoué en relief. Vers 10 ans, on commence à les marquer d’un petit cercle de points autour du nombril; peu à peu, le tatouage grandit pour être terminé à l’excision, couvrant alors le ventre d’un grand cercle qui se prolonge entre les seins par une colonne qui s’élargit sur la poitrine en une bande horizontale elle-même souvent terminée par deux bandes perpendiculaires verticales (fig. 9).

Tatouage de femme Coniagui

Ces tatouages sont faits, généralement, par une vieille femme qui soulève la peau à l’aide d’une épine enfoncée en biais et la tranche au-dessus de l’épine avec un couteau.
La seule mutilation dentaire est le limage en pointe des incisives supérieures, pratiquée par le forgeron sur quelques hommes, surtout Bassari.

V. — Caractéristiques mentales.

Les vertus et les vices des Coniagui et des Bassari ont été décrits par divers auteurs, les anciens trouvant généralement à ces indigènes tous les vices et les modernes toutes les vertus. Une remarque de Delacour (p. 374) nous semble cependant comporter une part de vérité :
Le noir fait, en général, une vertu de l’hospitalité ; c’est une coutume à laquelle les Tenda font exception. Pour eux, tout étranger est, sinon un ennemi, tout au moins un être dont il faut se méfier… on cherche … à s’en débarrasser le plus rapidement possible. » Isolés, refoulés par les groupes plus nombreux qui les entourent, les Coniagui et les Bassari ne sauraient, en effet, avoir pour les étrangers que méfiance — c’est là de l’élémentaire prudence. Mais cette méfiance explique peut-être en partie le manque de compréhension dont les étrangers, blancs et noirs, ont fait et font encore preuve à leur égard Aussi faut-il savoir gré à Maupoil d’avoir rompu avec une certaine tradition, en reconnaissant aux Coniagui et aux Bassari une complexité psychologique, affective en particulier, qui ne le cède en rien à celle dont se targuent les Européens occidentaux.
Mais il faut reconnaître que les « caractéristiques mentales » Coniagui et Bassari sont mal connues et que leur appréciation est généralement entachée de parti pris.
Mlle Barbé a examiné quelques écoliers Coniagui et Bassari et a comparé les résultats obtenus chez eux à ceux d’autres groupes noirs d’A.O.F. Il lui a semblé que les résultats des Coniagui étaient nettement inférieurs « dans les tests de mémoire concrète comme dans les tests d’intelligence ». Mais le nombre de cas (moins d’une dizaine de Coniagui et de Bassari semble-t-il) est trop faible pour accorder un grand crédit à ces résultats, si tant est que les méthodes utilisées — examen psychologique de Piéron (examen réduit comportant un test de barrage, un test de mémoire concrète et un test d’imagination), test mosaïque de Gille et tests psychotechniques — soient valables pour l’étude d’un tel groupe humain.
Hier encore guerriers invaincus, les Coniagui n’ont plus, aujourd’hui, l’occasion de se battre. Peut-être ceci explique-t-il, en partie, la mollesse, l’indifférence que les vieux reprochent aujourd’hui aux jeunes : « autrefois, disent-ils, nous chassions dans la brousse et ramenions de la viande, autrefois, nous défendions nos villages jour et nuit contre les étrangers et les magiciens, aujourd’hui, vous passez directement du lait de votre mère au ventre des femmes : vous ne savez user vos forces autrement » …
Remarquons à la décharge des jeunes générations que la loi française fait régner la paix et que le gibier se fait rare : les lourdes frondes de guerre et les flèches rapides ne peuvent plus atteindre que quelque singe voleur… Certaines traditions combatives demeurent vivantes, celle par exemple des luttes de village à village Coniagui qui allaient autrefois jusqu’à la capture de prisonniers 3. Un des plus grands villages est encore surveillé chaque nuit par des sentinelles. Nul ne s’aventure d’ailleurs la nuit hors de son propre village sans armes : les lourds sabres de bois Coniagui sont plus dangereux qu’on pourrait le croire… Les jeunes initiés de villages différents n’ont pas perdu l’habitude de se battre : les blessés sont encore parfois nombreux de part et d’autre qui, au lendemain de la bataille, vont se faire soigner au dispensaire de Youkounkoun.
Actuellement, au contact d’autres noirs qui les méprisent à cause de leur costume, Coniagui et Bassari sont tout prêts à développer un complexe d’infériorité qui ferait des fiers Coniagui et Bassari de pauvres êtres honteux d’être ce qu’ils sont. Souhaitons-leur de conserver conscience de leur propre valeur.

VI. — Vie et mœurs : coutumes relatives à la naissance au mariage et à l’enterrement

L’enfant
Attitudes durant la grossesse. — Chez les Coniagui, quand une femme mariée attend un enfant, son mari et elle en sont heureux : ils souhaitent avoir beaucoup d’enfants, parce que les enfants aident à travailler (en particulier à garder les champs) et donc à acquérir des richesses, et parce qu’il est triste de ne pas avoir d’enfant.
Quand une fille non mariée attend un enfant, elle est mécontente parce que cela va hâter son mariage, qui terminera la période de sa vie la plus agréable. L’homme au contraire, toujours pressé de se marier, est très content.
Les jeunes filles non excisées que la coutume n’autorise pas à avoir de rapports sexuels, se font avorter, et aussi, souvent, les filles excisées mais non mariées : différents procédés, chimiques et mécaniques, sont employés : la femme enceinte boit des médicaments à base de plantes ou bien se fait pilonner le ventre.
Si une femme est stérile ou avorte à plusieurs reprises (avortements non provoqués), elle cherche à se soustraire à l’influence néfaste à laquelle elle est soumise (elle va parfois jusqu’à changer de village), à fléchir le génie par l’intermédiaire duquel quelqu’un a provoqué ses avortements, à se concilier les anonkwol de sa famille et à leur demander pardon pour les fautes qu’elle a pu commettre. Pour cela, la femme consulte les devins et offre des sacrifices.
La femme enceinte change peu sa vie et ne cesse d’avoir des rapports sexuels que vers la fin de sa grossesse.

Naissance. — La femme accouche aidée de sa mère et de parentes ou d’amies. Il n’y a pas de sages-femmes spécialisées. La femme est agenouillée, sur son lit, dans sa case, inclinée en avant et appuyée sur les mains. Le cordon est coupé avec un couteau emprunté à un homme, le placenta est enterré à l’entrée de la case.
Lorsque le cordon tombe, on rase les cheveux de l’enfant à la mode Coniagui et l’enfant et sa mère sortent pour la première fois après un sacrifice appelé nhabata 4 au cours duquel on fait boire à l’enfant quelques gouttes de bière de mil. La femme recommence peu à peu à vaquer à ses occupations. Le père donne à la femme un pagne dans lequel elle portera l’enfant.
En cas de naissance gémellaire, les Coniagui tuent le jumeau né le second si les deux enfants sont de même sexe et la fille s’ils sont de sexes différents 5 : on considère que, si l’on garde les deux enfants, la mère mourra. Les Bassari conservent les deux jumeaux.

Allaitement. — Dès le jour de sa naissance, l’enfant est allaité par une femme autre que sa mère en attendant la montée de lait de celle-ci, puis par sa mère pendant deux ou trois ans : la femme qui allaite ne doit pas avoir de rapports sexuels avec son mari.

Sevrage. — Quand l’enfant se traîne sur les genoux, on commence à lui donner, en plus du lait maternel, un peu de riz ou de fonio cuit à l’eau en soupe liquide. Quand l’enfant marche, on le sèvre et la femme reprend ses relations sexuelles 6. Peu à peu, l’enfant va manger du mil et des bouillies plus solides. Quand il sait parler, il mange comme les adultes. On évite cependant de donner aux enfants épices et boissons alcoolisées. Les enfants mangent avec les femmes et à des heures régulières.

Propreté. — On ne commence à apprendre à l’enfant à être propre que lorsqu’il sait bien marcher.

Développement moteur. — Avant de savoir marcher, l’enfant vit serré dans un pagne au dos de sa mère. Quand il sait marcher, il ne doit pas s’éloigner de sa mère mais se promène tout le temps.
Les enfants sont élevés avec tendresse et jouissent d’une grande liberté; dès qu’ils ont atteint 4 ou 5 ans, les fils vont avec le père, les filles restent avec la mère; quand un nouvel enfant est né, sa mère s’en occupe, I’avant-dernier né passant à la garde des filles plus âgées.

Circoncision

Le garçon est circoncis vers 10 ans, quand son père le décide, par un homme qui est à la fois exciseur et circonciseur pour le village. Ce premier rite d’accession à la société des hommes ne donne pas lieu à de grandes cérémonies publiques, mais seulement à une petite fête familiale. On circoncit généralement plusieurs enfants en même temps, au début de la saison sèche, en décembre ou janvier. Le circoncis garde un pansement de feuilles quelques jours et passe les premières nuits dans la case de son père pour que des soins puissent lui être donnés au cas où, par exemple, son pansement se déferait. Pendant trois semaines environ, le jeune circoncis doit s’abstenir de manger des corps gras 7 — cela retarderait sa guérison — et observer certains interdits par rapport aux femmes. Une fois la plaie guérie, le jeune garçon se tressera un ipog, gros et court, puis, quand il sera habitué à ce vêtement, un ipog très long, très blanc, qu’il portera fièrement.

Excision

La petite fille (fatag fatyevel) prend le nom d’agatyer trois ans avant qu’on doive l’exciser, elle a alors environ 15 ans et on commence à lui tatouer la poitrine.
Les filles Coniagui sont excisées vers 17 ans, les Bassari, un peu plus jeunes. L’excision est, chez les Coniagui, une cérémonie importante qui donne lieu à de grandes réjouissances et à force bombance ; des villages voisins, les parents viennent y assister.
L’excision a lieu à la fin de la saison sèche (vers mai), dans chaque village, chaque année, à moins qu’il n’y ait pas de filles à exciser cette année-là ou que les gens aient fait de mauvaises récoltes. L’opération se fait vers 7 heures du matin, hors du village. Les hommes n’ont pas le droit d’y assister, sauf l’exciseur et les lokuta et kore qui surveilleront les femmes. La fille à exciser, nue sous un grand pagne, serrant dans ses dents un mors de bois, est portée sur le dos d’une vieille femme jusqu’au lieu de l’opération et déposée étendue sur le dos sur deux femmes assises l’une derrière l’autre dans le sable. On relève son pagne jusqu’à la taille, des vieilles lui tiennent bras et jambes. L’exciseur coupe avec un couteau les petites lèvres et le clitoris. Dès l’opération jugée terminée par les vieilles qui la surveillent, la jeune excisée se met à danser. On lui lave les jambes, on la tamponne avec des feuilles passées au feu, puis, elle se remet à danser avec ses camarades d’excision et les kore. Ces danses sampat’e durent trois jours, pendant lesquels tous mangent et surtout, boivent abondamment. Les excisées passent ensuite le temps de leur guérison, une lune, dans une case du tyaregkump, dont elles ne sortent que pour être pansées: chaque matin et chaque soir elles traversent le village pour aller au lieu de leur toilette, enveloppées dans un pagne blanc. Elles sont surveillées pendant cette retraite par des jeunes filles excisées depuis trois ans environ et aussi par les kore qui vont les visiter. Pendant les trois nuits qui suivent l’excision, les rhombes vrombissent dans le village: ce sont, dit-on aux femmes, les ventembesin, esprits de femmes mortes qui reviennent dans le village, et les femmes restent terrées dans leurs cases pendant que les hommes parcourent le village en poussant de grands cris et en déguisant leur voix pour ne pas être reconnus, font ronfler les rhombes, frappent les murs des cases des femmes et en soulèvent le toit pour jeter du sable à l’intérieur, etc.

Initiation

L’esprit qui préside aux cérémonies d’initiation ainsi que le plus haut dignitaire de la société secrète portent le même nom : numba.
Le petit garçon (fatag fatyan) prend le nom d’aheker lorsque sa classe d’âge est la prochaine à devoir être initiée.
Les garçons sont initiés vers 17-18 ans, chez les Coniagui (ou même plus tard), un peu plus jeunes, 16 ans environ, chez les Bassari. Chez ces derniers, l’initiation a lieu en juin. Chez les Coniagui, l’initiation a toujours lieu un dimanche 8, à la fin d’août ou en septembre. La date en est fixée par l’arrivée des envoyés du numba (dignitaire) de Negare (Bassari), portant de village en village une corde à laquelle chaque société secrète de village fait un nœud en signe d’acceptation
Auparavant, la préparation des costumes, des nourritures et des boissons occupent de longs jours Les femmes pensent que les garçons vont être mis à mort et mangés par numba (esprit) : ils renaîtront nouveau-nés ignorants à qui une longue retraite permettra de retrouver leur taille et leur force. Les garçons à initier sont fiers mais inquiets du sort qui les attend ; en jouant de la flûte, ils sont allés inviter leurs parents et amis. Falug et dyarar 9 ont préparé leurs costumes et surtout leurs coiffures de danse : les falug portent une ceinture à franges de peau blanche et beaucoup de bijoux d’aluminium et de perles — en particulier dans leurs cheveux piqués de plumes blanches, les dyarararborent des pantalons bouffants et des maillots de corps blancs, de nombreux pagnes roulés et autres ornements, et toujours un lourd cimier multicolore (daka), dont la visière de plumes leur cache le visage; ils portent aux chevilles des sonnailles de fer et jouent de la flûte et de la trompe.
Falug et dyarar commencent à danser le samedi soir ; les paroles chantées sur des airs traditionnels varient selon le village et on en invente souvent de nouvelles. Le lendemain, la première cérémonie est le lavage des garçons à initier par de vieilles parentes. Puis, accompagnés par les hommes du village, les garçons sont conduits à l’ikuw, lieu sacré marqué par quelques pierres au pied d’un arbre. Là, le chef de village offre en sacrifice riz (?), bouillie de mil et bière faite avec du mil de l’année précédente. Chaque père de garçon à initier a apporté une calebasse de riz, une calebasse de bouillie de mil et de la bière. Tous ceux qui ne suivront pas plus loin les candidats à l’initiation et leur cortège, consomment là ces nourritures et ces boissons.
Les jeunes garçons et leur cortège d’hommes initiés vont alors à padda, lieu sacré constitué lui aussi par des pierres au pied d’un arbre, mais situé en brousse : il n’existe pas, comme pour ikuw, autant de padda que de villages, mais un seul par groupe de villages ayant une origine commune. A padda le cortège retrouve les chasseurs partis du village dès le lever du soleil. Si la chasse a été bonne, c’est que numba est satisfait. Jusqu’au soir, les garçons à initier attendent tristement, pendant que les hommes boivent de la bière. A la tombée du soleil, le chef ordonne aux garçons de se dévêtir, puis il commence à frapper sur le dos les garçons accroupis. Les hommes initiés n’attendaient que ce signal pour frapper à leur tour les jeunes gens, jusqu’à ce que le numba fasse entendre son cri : les lokuta lui répondent et la bastonnade s’arrête. Les lokuta se sont présentés aux garçons : « c’est moi qui vous ai chassés tel jour de tel endroit …, c’est moi qui…, etc. » ; ni le numba, ni les lokuta ne sont masqués puisque tous ceux qui sont là les connaissent maintenant.
Les nouveaux initiés reviennent alors vers le village, nus, en file indienne, précédés par le chef et ses fils, et accompagnés par les hommes qui les ont frappés et leur donnent maintenant des conseils sans leur ménager les insultes. Fataggenumba, les enfants de numba, sont installés aux kump 10 qui ont été le matin même transportés par eux, du tyareg, jusque dans le champ de mil du village. De l’eau et de la nourriture les y attendent, les rations sont énormes et mal préparées. Fatigués, apeurés, douloureux, les initiés vont être, de plus, gavés pendant tout le temps de leur retraite : on dit aux femmes que les nouveau-nés doivent manger beaucoup pour grandir vite et les plats qu’elles remplissent trois fois par jour doivent être vidés. Pendant une lune, les initiés vont ainsi vivre entassés dans des cases trop petites, sans pouvoir se laver, surveillés par les falug, battus par les hommes, gavés de nourriture mal préparée et parfois même répugnante. Au cours de la retraite au kump, l’initié mange un plat de fonio et de haricots comportant une sauce dans laquelle a été mis un peu des organes sexuels féminins prélevés à la dernière excision. A l’initié on fait aussi manger de la graisse de caméléon, symbole de la force de l’homme. Le caméléon joue un rôle important dans la symbolique Coniagui et Bassari. Une semaine avant la fin de cette retraite, on cesse de battre les initiés pour que les femmes ne voient pas sur leurs corps de traces de coups et on leur apprend à marcher comme de faibles nouveau-nés, soutenus par les falug,
La retraite se termine un dimanche par un sacrifice animal — boucs et taureau — offert par les pères des initiés et le chef du village. Le lendemain matin, le corps luisant de graisse, la tête rasée, vêtus seulement de leur ipog, les initiés sont menés au village par les falug. Lefalug tient l’initié par la taille et le conduit à la case de sa mère : la mère s’avance, l’initié ne la reconnaît pas et veut la frapper — à peine l’a-t-il effleurée qu’il tombe, trop faible, et le falug doit le relever. Tour à tour s’avancent si elles le veulent toutes les femmes de la famille et la même scène recommence. Quand le soleil est haut, les initiés rentrent aux kump, déjeunent, se reposent et reviennent faire semblant de battre les femmes, de 14 heures jusqu’à la tombée du soleil. Ils rentrent dîner et dormir aux kump, reviennent le lendemain matin au village un peu plus forts : armés d’un bâton, ils frappent les femmes — comme la veille obligatoirement leurs mères, facultativement les autres. Chaque jour leurs forces leur reviennent un peu plus, peu à peu leurs mains s’ouvrent, ils peuvent à nouveau parler, tirer à l’arc, se laver à la rivière et toujours frapper les femmes qu’ils rencontrent: au bout de quelques jours ils n’ont plus le droit de frapper que les femmes de leurs familles et ils peuvent parler à toutes les autres.
Vers décembre, la mère de l’initié préparera de la bière de mil en l’honneur de son fils, c’est simpenha : la salutation; à partir de ce moment il n’aura plus le droit de la battre — en fait, il ne le fait déjà plus — et il pourra lui parler.
Les nouveaux initiés ont tout oublié de leur vie passée: aucune allusion n’y sera faite en leur présence.
Avant son initiation, le jeune aheker s’était construit une case près de celle de son père. Nouvellement initié il dort dans la case d’un dyarar, au dyareg, jusqu’au mois de mai ou de juin suivant. A ce moment-là, il devient falug et va habiter la case qu’il s’est construite près de son père. Un, deux, trois ou quatre ans plus tard, devenu dyarar, il installera sa case au tyareg au cours d’une intéressante cérémonie Entouré de danseurs — jeunes gens et jeunes filles — le toit neuf, blanc (il est couvert de feuilles de ronier) est porté chez la mère du nouveaudyarar, puis chez sa soeur qui lui donnent à boire de l’hydromel et à manger du fonio, puis enfin chez le chef. Celui-ci réveille le toit par des coups de fusil et l’interroge sur ses désirs : veut-il du parfum, de l’hydromel, du savon ou du riz ? Le toit répond en se dirigeant d’un côté ou d’un autre 11. Alors seulement le toit se déclare fatigué, tous les assistants dansent et le toit au faîte en forme de cimier est posé sur la case. Cette cérémonie a lieu avant l’excision des filles en mai, époque à laquelle les dyarar refont leurs cases : ils les repoussent pour faire de la place aux nouveaux, chaque jour un ou deux falug passent ainsi au tyareg ; ils y demeureront jusqu’à leur mariage et, s’ils ne se marient pas, toute leur vie. Dans ce cas, lorsque tous ses camarades initiés la même année que lui sont mariés, le dyarar prend le nom de dyarar atyankaf (dyarar chef).
Comme l’excision, l’initiation n’a pas lieu quand il n’y a pas de candidat en âge de la subir ou quand les réserves de nourritures sont épuisées. Mais qu’il y ait ou non des garçons à initier, I’ensemble des rites 12, les sacrifices à ikuw et à padda, c’est-à-dire l’essentiel, ont lieu chaque année. On désigne cette cérémonie sous le nom de dyendye qu’il y ait ou non initiation. La cérémonie est seulement plus importante et les festivités plus grandes, dans le premier cas.
Excisées (aryeg) et dyarar jouissent d’une grande liberté sexuelle. Chaque jeune fille est autorisée à avoir un ami par village, chez lequel elle peut aller faire de courts séjours si elle a de la famille dans ce village. Mais en réalité les filles Coniagui commencent vers 15 ans à « s’amuser » avec des garçons guère plus âgés qu’elles et non initiés. Comme cela est interdit, la fille qui rend visite à un garçon et vice versa, s’arrange avec des camarades pour tâcher de ne pas être vue par les dyarar qui font respecter les coutumes.
Au jeune initié (tant qu’il n’est pas falug), il est absolument interdit d’avoir de rapports avec des filles : il ne peut même songer à transgresser cet interdit avec ses plus chères anciennes amies, qui s’en vanteraient, lui faisant courir de très grands risques.
Jusqu’à son mariage, la jeune fille vit chez sa mère. Aujourd’hui elle se marie après avoir eu un enfant ou même seulement enceinte, autrefois après en avoir eu deux ou trois. Mais la jeune fille ne souhaite pas se marier de bonne heure, c’est son fiancé qui y tient.
Il existe quelques célibataires : de vieux dyarar qui n’ont pas pu trouver d’épouses, parce qu’ils sont malades ou paresseux par exemple. Les filles stériles ont du mal à se marier, elles finissent souvent par épouser des hommes ayant déjà des femmes qui leur ont donné des enfants.
Chez les Bassari, les classes d’âge sont tout à fait parallèles à celles des Coniagui et l’initiation se déroule suivant un schéma analogue, mais avec moins de sévérité. Ainsi chez les Coniagui les garçons nus doivent offrir leurs dos courbés aux coups des dyarar, chez les Bassari au contraire, il s’agit d’une lutte où les hommes sont les plus forts, mais où les garçons sont armés et peuvent se défendre ; de même chez les Coniagui la retraite des jeunes initiés dure plusieurs semaines ou plusieurs mois alors qu’elle ne dure que sept jours chez les Bassari ; chez les premiers la bastonnade a lieu en brousse et la retraite à l’écart du village, chez les Bassari les deux ont lieu au village, etc. Il est intéressant de noter à ce propos que si les Coniagui semblent avoir emprunté aux Bassari nombre de leurs coutumes religieuses, ils en ont exagéré la rigueur.

Le mariage

Pour se fiancer, le jeune homme Coniagui doit avoir le consentement de ses parents et futurs beaux-parents. Le jeune homme envoie à la mère de la jeune fille — celle-ci peut n’avoir que 3 ans ou ne pas même être née — du fil noir, puis des boucles d’oreille d’aluminium quand la fille a 12 ans : si la mère accepte il y a promesse de mariage. Mais pratiquement aucune fille n’est mariée sans son consentement et l’indépendance des filles croissant, il y a trop de risques à les fiancer jeunes, aussi attend-on généralement aujourd’hui que la fille choisisse qui lui convient. A l’excision, le jeune homme donne à sa fiancée perles, bracelets, aiguilles et pagnes; quelques mois avant il envoie un chapon qui sera mangé par le père de la fille (ce cadeau s’appelle iñena) et au dyendye suivant l’excision une poule noire. Chaque année le fiancé doit une pioche, un panier de mil à bière et quelques journées de travail au début de l’hivernage, et de nouveau quelques jours de travail à la récolte. La fiancée apporte du bois à son fiancé quand elle vient chez lui, et le fiancé lui rapporte de Gambie pagne, mouchoir et perles : elle les porte pour montrer qu’elle agrée le fiancé, sinon elle doit les rendre sans les avoir portés.
Tous ces cadeaux sont amenés par deux amis du fiancé qui serviront de témoins si, les fiançailles rompues, il doit y avoir remboursement. Car les fiançailles ne donnent pas un droit absolu et irrévocable au jeune homme, mais plutôt une priorité. Pour que le mariage ait lieu, le fiancé doit veiller avec soin à plaire à la jeune fille et à sa famille.
Le mariage a le plus souvent lieu au début de l’hivernage, moment où l’on partage les terres : il faut que le nouveau ménage dispose d’un lopin pour ses cultures. Un soir (lundi, mercredi ou vendredi) un homme et une femme âges, parents du jeune homme, vont chercher la jeune fille chez son père. Ils l’emmènent chez la mère du jeune homme, chez laquelle elle passera la nuit. Le lendemain, les parents de la jeune fille viendront pour un grand repas et recevront, dans certains villages, une offrande de bière de mil appelée uringwa. Le soir, les deux vieux parents du jeune homme mèneront la femme chez son mari. Le lendemain l’épouse retournera chez ses parents chercher ses vêtements et ustensiles. Les parentes du mari feront la cuisine pour la jeune épouse pendant quelques jours.
Quatre poteaux à encoches marquent les portes de la case et de la cuisine d’une première épouse.
Si la femme Coniagui attendait autrefois pour se marier d’avoir eu deux ou trois enfants et si aujourd’hui encore elle attend d’avoir eu un enfant, il n’en est pas de même chez les Bassari où la femme se marie plus jeune et nullipare. Chez les Bassari, entre les fiançailles et le mariage, le fiancé donne à sa fiancée ou à sa famille des perles, des nattes, des bandes de coton, des moutons et des chèvres et il va travailler quelques jours par an aux champs de son futur beau-père. La fiancée va aussi travailler chez sa future belle-mère pour piler le mil à bière ou préparer de l’huile de palme. Quand le fiancé a donné trois moutons au père et une chèvre à la mère de la fille, il construit une case, puis la fille vient modeler le mobilier. Quand la case est ainsi terminée, le père prévient qu’il va amener sa fille. Elle est amenée la nuit par un homme de sa famille. La fiancée lui donne une bande de coton ou un pagne et la fille reste chez son fiancé. Le lendemain des camarades viendront saluer les jeunes mariés et leur apporter de l’argent.

Après le mariage
Chez les Coniagui, la femme mariée (asevel) doit fidélité à son époux Quand un mari apprend que sa femme le trompe, il la bat, il peut battre l’amant et l’assemblée des vieillards du village peut faire payer à celui-ci une amende. Mais quand une femme apprend que son mari la trompe, c’est une affaire entre eux, aucune amende n’est due.
Quelques semaines après la naissance du premier enfant qu’une femme mariée a chez son mari, a lieu la cérémonie dite ityank (interdite depuis 1947 par le chef de canton Coniagui Cobita). Dans son carré, à la nuit, la femme agenouillée sous la peau d’un mouton offert par son premier amant, est interrogée par un vieux parent devant les hommes du village réunis. Questionnée au nom de numba, la femme confesse le nom de tous les hommes qu’elle a connus. Elle devra ensuite apporter aux vieux de son village autant de poulets qu’elle a avoué d’amants : 15, 20 ou 30. Chacun de ceux-ci lui fournira un poulet. Cette cérémonie peut créer une grande gêne chez la femme, si elle avoue un grand nombre d’amants, chez le mari et aussi parfois chez des jeunes gens qui ne se sont pas toujours vantés de toutes leurs bonnes fortunes 13.
Le mari a le devoir de nourrir et d’entretenir ses femmes, mais les biens meubles de chacun des conjoints restent leur propriété personnelle : la femme comme l’homme peut posséder, acquérir et administrer ses biens.
Marié, l’homme prend le nom d’atyer et la femme en vieillissant celui de annem
Le mariage peut être dissous par un divorce. Celui-ci est toujours prononcé par les vieux du village, soit que les époux veuillent se séparer par consentement mutuel, soit que le mari maltraite sa femme, etc. On offre à cette occasion un sacrifice appelé pasa, au carré du mari (Une poule blanche est sacrifiée sur le morceau de bois du pas de la porte de la case du mari, considéré comme « la tête du père » de celui-ci.) La stérilité du mari n’est pas une cause de divorce, mais dans ce cas l’opinion publique n’est pas défavorable à la femme qui a des enfants d’autres hommes.
Une femme divorcée retourne chez son père, puis peut se remarier. Mais, chez les Coniagui, si elle divorce deux fois, elle ne trouvera plus de mari, alors que chez les Bassari les femmes se marient souvent pour deux au trois ans et ont souvent un grand nombre de maris. En cas de divorce, les enfants petits, garçons et filles, suivent leur mère. Les garçons nés avant le mariage seront initiés au village de la femme même si elle est remariée, alors que ceux nés après le mariage retourneront au village de leur père vers les 10 ans pour être circoncis puis initiés.
La veuve peut épouser le frère de son mari, mais elle peut aussi épouser un autre homme.

Coutumes funéraires

Pour les Coniagui, après la mort, la partie essentielle de l’homme anonkwol, principe spirituel immortel, va mener une vie propre, dont différentes cérémonies et rites funéraires vont déclencher les étapes :

  1. Après la mort et l’enterrement, dés que l’anonkwolest sorti de la tombe (cette cérémonie porte le nom de kadyinda), il se promène dans le village, redoutable.
  2. La cérémoniewakuey va fixer l’anonkwol aux poteaux de bois de la porte et du lit du défunt.
  3. L’installation de ces poteaux auprès des autres poteaux funéraires (renka) de sa famille, réunis sous un grand arbre, apaise définitivement l’anonkwol. Pour celui-ci un nouvel état commence : il n’est plus à craindre mais à prier et ses descendants lui offriront des sacrifices en échange de sa protection, de ses conseils.

La mort est annoncée par les pleurs des femmes de la famille.

1° L’enterrement a lieu le jour même de la mort, ou le lendemain matin.
Le corps du défunt est lavé par les femmes, enveloppé dans un pagne et roulé dans une natte. On envoie les garçons et les falug prévenir les membres de la famille. Des hommes partent creuser la tombe près du village. La tombe est constituée par une fosse allongée, rectangulaire, à laquelle on accède par une étroite cheminée circulaire d’environ 50 cm. de profondeur
Avant de procéder à l’enterrement proprement dit, on interroge le mort sur les causes de son décès: toute mort est anormale et doit donc être expliquée.
Quatre hommes chargent sur leurs épaules la civière de bambous à laquelle le cadavre est attaché par des bandes de coton. Un vieillard apparenté au défunt, debout devant la civière, pose un certain nombre de questions dont la réponse est oui ou non : le mort répond en faisant avancer ou reculer les porteurs de la civière. Le dialogue qui s’engage peut être dramatique, comme par exemple celui-ci :
— Qui t’a tué ? Nous tes parents ? Dans ce cas avance, sinon recule.
La civière recule : la réponse est négative.
— Est-ce une maladie qui t’a tué ?
La civière avance : oui.
— Qui ?
La civière va cogner un des assistants.
— Pourquoi ?
La civière ne bouge pas : on ne peut répondre à cette question par oui ou non.
— Parce que tu lui avais donné un ordre qui ne lui plaisait pas ?
La civière recule : non.
— Parce que tu as empoisonné son fils ou son frère ?
Le cadavre avance : oui.
L’accusé prend alors la place du vieillard et interroge à son tour :
— Alors tu dis au village que c’est moi qui t’ai tué ?
Le cadavre avance : oui.
— Bon.
L’accusé ne peut se défendre. Il est un parent du décédé que le vieillard n’aimait pas. Tous l’injurient. Enfin, il reprend :
— Si c’est moi qui t’ai tué, va te reposer dans ta tombe.
Les porteurs font alors faire au cadavre le tour de la famille pour qu’on lui dise au revoir. Les femmes pleurent.
Arrivé à la tombe, on enlève les bandes de coton qui attachaient le corps à la civière. Le corps est déposé dans la fosse tapissée d’une natte, la tête vers le soleil levant s’il s’agit d’un homme, vers le soleil couchant dans le cas d’une femme. La partie inférieure de la cheminée circulaire est fermée par un lit de bambous qu’on recouvre ensuite de terre. On pose sur la tombe le toit de la case du mort, surmontée de la coiffure du défunt (vieille chéchia par exemple) ou de son « rond à porter » (d’écorce ou de tissu) s’il s’agit d’une femme. A côté de la tombe on place souvent une petite calebasse dont le mort se servait pour boire, sa tabatière, etc. Un sacrifice est ensuite offert au mort, de poulets par exemple; le manche de la pioche qui a servi à creuser la tombe est abandonné, le fer en est soigneusement lavé. Porteurs et fossoyeurs se lavent avant de rentrer chez eux, le sol de la case du défunt est soigneusement raclé et balayé.
Quelques jours plus tard une cérémonie a lieu à la tombe : kadyinda (le mot signifie soulever la tombe). Elle consiste à soulever le toit de la case du mort qui recouvre la tombe et à intercaler entre la terre et ce toit la partie supérieure de la natte de bambou qui constituait le mur de la case du mort, l’ouverture de la porte tournée vers l’est s’il s’agit d’un homme, vers l’ouest s’il s’agit d’une femme, pour que l’anonkwolpuisse respirer.
Jusqu’à ce jour seulement la famille du mort lui apporte chaque soir de la nourriture, de l’eau, du tabac. Mais maintenant l’anonkwol se promène et il est redoutable.
L’emplacement de la tombe restera marqué par le toit de la case du mort pendant quelques années, jusqu’à ce que les pluies l’aient fait disparaître.
Tout ce qui précède concerne l’enterrement d’un adulte Coniagui, homme ou femme. Certaines coutumes spéciales, que nous ne voulons pas décrire en détail ici, marquent l’enterrement des autres membres de la société Coniagui : par exemple, I’emplacement des tombes des petits enfants — qui n’ont pas de case personnelles et sont enterrés sous le lit de leur mère — est seulement marqué par une poterie renversée sur le sol, le goulot enterré; les enterrements des lépreux et de certains autres malades sont aussi différents et surtout les enterrements de chef qui donnent lieu à de nombreuses cérémonies particulières : Maupoil s’est particulièrement intéressé à cette dernière question et nous comptons publier prochainement ses notes à ce sujet.
Ni Delacour, ni Maupoil ne décrivent d’enterrement Bassari. Nous avons assisté à celui d’une vieille femme. Le schéma de la cérémonie est assez semblable à celui des Coniagui. Il y a cependant quelques différences : la tombe n’est pas isolée mais creusée auprès d’autres tombes en brousse et deux sacrifices ont lieu avant que la morte n’ait quitté le village: un premier sur le pas de la porte de la case de la morte — un poulet est sacrifié par une femme pour que la morte — soit emmenée dans le bon chemin », un canari et des calebasses contenant des arachides, du fonio et du sel sont brisées (pour un homme une calebasse contenant du sel). Ces débris seront balayes et jetés plus tard dans le marigot. Un second sacrifice a lieu sur un autel, au pied d’un fromager, près de l’ ambofor. La tombe est marquée d’un cercle de blocs de latérite couvert de branchages, de terre et enfin de la natte de la morte coupée en deux et fixée par quelques branches. Le vendredi ou le lundi (jours des morts) suivant l’enterrement, les parents viendront voir si l’« âme » du défunt, angap (synonyme d’anonkwol coniagui) est sortie, ce que marquera un petit trou dans la terre recouvrant la tombe vers la tête.
2° L’anonkwol se promène maintenant dans le village, ne pouvant rester tranquille. La cérémonie wakuey (le mot évoque l’idée de s’égarer) consiste essentiellement à verser de la bière sur le bois du lit du défunt, ce qui a pour effet d’y installer l’anonkwol.
Wakuey a lieu un lundi, environ quinze jours après la mort mais parfois plus tard : il faut avoir du mil pour préparer de la bière. Devant la case du mort a lieu un sacrifice de bière, versée sur les piquets de la porte et le bois du lit du mort. Un sacrifice de poulet est ensuite offert au mort.
Puis a lieu une cérémonie appelée gubangware (le mot signifie casser les arcs). Les femmes dansent au son du tambour, mimant successivement différentes activités d’hommes et de femmes avant l’offrande d’un sacrifice derrière la case du mort ou de la morte. Puis les hommes s’il s’agit d’un mort, les femmes s’il s’agit d’une morte, partent vers un petit bois non loin du village. Là, devant un certain arbre (un certain arbre pour tous les hommes, un certain arbre pour toutes les femmes), un vieux camarade 14 du mort dépose l’arc du défunt et tue sur cet arc un poulet. La tête de celui-ci et la gourde du mort sont mises dans une grande calebasse que l’on ferme à l’aide d’une plus petite et que l’on pose dans l’arbre. Lorsqu’il s’agit d’une femme, une de ses camarades 15 dépose sur l’arbre une baguette de bois fourchu qui lui servira de canne dans l’au-delà. Sur cette baguette est sacrifié un poulet dont la tête est mise dans la grande calebasse avec de petites calebasses ayant appartenu à la défunte.
wakuey Coniagui correspond chez les Bassari edas’ : de la bière (?), un poulet et du sel y sont sacrifiés à la case du mort pour qu’angap y revienne.
3° L’anonkwol est maintenant en paix. Mais il reste encore, le lendemain, une dernière cérémonie à accomplir, lepa : transporter auprès des poteaux (renka : le mot évoque l’idée de rentrer) de sa famille, réunis au pied d’un grand arbre, les bois de la porte et du lit du mort, dans lesquels l’anonkwol demeure maintenant et qui le symbolisent. Des vieux (qu’il s’agisse d’un mort ou d’une morte) plantent les poteaux puis versent de la bière de mil sur tous les renka de la famille, puis les vieilles (s’il s’agit d’une morte) versent de la bière de mil sur les poteaux de la morte.
Un an après peut-être, on offrira de la bière de mil aux renka pour demander aux anonkwol de protéger les membres vivants de leur famille. A renka Coniagui correspond oyaon chez les Bassari. Après cette offrande de bière le mort « a gagné une bonne place ». Le culte aux ancêtres de la famille qui constitue l’essentiel de la religion Coniagui consiste surtout en sacrifices offerts aux renka. Au cours de ces sacrifices, les anonkwol de la famille qui vivent avec tous les autres anonkwol dans un village mythique viennent dans les renka quand on arrose ceux-ci de bière. On offre aussi en sacrifice aux renka des boeufs, des chèvres ou des coqs. On demande en échange une guérison, la naissance d’un enfant, un conseil, etc., et on lit la réponse de l’anonkwol dans la couleur des testicules de l’animal sacrifié : par exemple oui s’ils sont blancs, non s’ils sont noirs, etc.

VII. — Croyances

Coniagui et Bassari croient en un certain nombre d’êtres surnaturels qu’on peut essayer de grouper comme suit :
1° Les esprits auxquels est rendu un culte public sous forme de sacrifices. Ce culte peut être général ou particulier, selon qu’il concerne un groupe ou un individu.
A) On rend des cultes généraux à :

  • unu, maître des éléments et des hommes qu’il a mis au monde. Il n’existe pas de représentation d’unu. Unu s’occupe peu des individus, on ne lui offre des sacrifices qu’en cas de calamités. Autrefois on offrait à unu chaque année le sacrifice appelé sadaga 16, qui avait lieu successivement dans chaque famille, au début de l’hivernage, avant at’eva.
  • numba est le père de tous les hommes Coniagui et préside à leur initiation. Le mouton est l’animal sacré de numba. Il n’existe pas d’objet le représentant, mais le dignitaire le plus élevé de la société secrète de chaque village s’appelle numba et le représente.
  • igwar est à la fois dieu (unu) et terre ; la terre lui appartient. Il existe une représentation d’igwar par village, c’est un objet en fer logé dans le toit du kump. On lui offre en sacrifice des animaux, de l’eau, mais jamais de bière. C’est le plus haut dignitaire de la société secrète, numba, qui offre les sacrifices à igwarIgwar joue un rôle important dans la fondation du village, la succession du chef, I’intronisation du kore, etc. En cas de guerre, le chef porte l’igwar de son village sur lui 17.
  • ikuv est matérialisé par quelques pierres sous un arbre ; il y a plusieurs de ces autels par village : un au village même, un autre àpedda, lieu sacré de brousse, un autre encore au village-mère du groupe dont le village fait partie. Lokuta et numba y sacrifient. C’est à l’ikwu (at’eva) que les Coniagui demandent la venue des pluies, chaque printemps. Les offrandes de mouton sont réservées à ikuv etigwar
  1. B) A d’autres esprits sont rendus des cultes personnels : unker et différentsrevgen(esprits) protègent contre les maladies, facilitent les accouchements, accordent bonne récolte, bonne chasse ou tout autre bienfait à échéance rapide. On offre à unker de la bière, de la bouillie de mil cru, un coq, etc. Il existe un unker par village (un morceau de bois conservé dans le petit grenier du tyareg) et des unker familiaux ou individuels. Aux revgen on offre le plus souvent de l’eau, parfois aussi de la bière ou le sang d’un animal. Atyer rend les enfants malades, c’est un des plus puissants revyen 18.
    Mais c’est aux anonkwol, aux âmes des ancêtres habitant les renka que sont le plus souvent offerts des sacrifices pour le bien-être de la famille et de l’individu, les cultes généraux étant eux nécessaires à la bonne marche des affaires du village tout entier.
    2° Les génies, parmi lesquels ont peut citer fato, le génie des eaux et de la richesse, à forme de serpent 19, et santiu et sambutyira (« le vieux du baobab ») qui sont malfaisants.
    Tous les noms d’esprits et de génies cités ci-dessus sont les noms Coniagui, leurs noms et caractéristiques chez les Bassari étant généralement très proches. Il semble que les cultes particuliers à des individus ou à des familles (à l’intérieur desquels ils sont héréditaires) soient plus fréquents chez les Bassari que chez les Coniagui. Esprits et génies sont invisibles et habitent la brousse, les bois et les lieux consacrés.
    Les magiciens sont des hommes ou des femmes nés avec des pouvoirs que les autres n’ont pas : ils voient à distance la nuit comme le jour, peuvent se changer en animaux, être à deux endroits à la fois, courir sans toucher terre, etc. Celui qui possède ce pouvoir peut s’en servir pour le bien et pour le mal. Il peut rendre les gens malades, et aussi les guérir. Les malades quittent souvent leur village pour échapper à l’influence du magicien qui leur veut du mal.
    Devins et devineresses sont des intermédiaires entre les anonkwol et les hommes. Ils interrogent les premiers sur l’avenir et lisent leurs réponses dans la manière par exemple dont l’eau est retenue par un canari percé 20 ou s’écoule d’une gourde.

VIII. — Cérémonie religieuses

La plupart des cérémonies religieuses Coniagui et Bassari ont été décrites dans les chapitres précédents, en particulier celles qui se rapportent à l’initiation, aux sociétés secrètes, à la société des chasseurs et aux rites funéraires. Nous n’avons cependant pas encore parlé de la cérémonie Coniagui appelée at’eva, qui a lieu chaque année vers le mois de mai. Comme dans toutes les cérémonies religieuses que nous avons décrites jusqu’ici, des hommes, en l’occurrence des lokuta-chanteurs, y offrent un sacrifice. Mais ces sacrificateurs ne sont cette fois que les porte-parole des femmes : ce sont en réalité celles-ci qui demandent à ikuv la venue des pluies, nécessaires aux cultures, c’est-à-dire la subsistance et la vie même des Coniagui. Après ce sacrifice, les femmes dansent pendant plusieurs nuits, au cours desquelles règne une grande licence sexuelle. Cette fête annuelle est particulièrement appréciée des femmes mariées qui doivent en tout autre temps fidélité à leur mari. Une cérémonie analogue a lieu chez les Bassari.
Dans quelques villages Coniagui avoisinant Youkounkoun (Bantank et Momon) un culte spécial est rendu à un canari et à différents charmes conservés dans une petite construction sur pilotis au milieu du tyareg. Ce culte est dit avoir été apporté par un marabout musulman.
Nous voudrions citer une dernière cérémonie, que certains Bassari appellent bako. Seuls quelques hommes d’un certain âge offrent aux esprits ce sacrifice de mil cuit, de viande de boeuf et de rat et de divers fruits. Cette cérémonie extrêmement complexe a lieu en saison sèche et comporte une chasse, des danses d’hommes et de femmes mimant la vie des hommes (nous avons vu une femme porter à cette occasion un phallus d’argile et un étui pénien) et de grandes beuveries de bière de mil. De cette coutume Bassari on peut probablement rapprocher les rites (reve wadiey) accomplis par certains Coniagui qui ne mangent pas la farine de néré. Mais sur tous ces sujets nous sommes encore très mal renseignés.
Chez les Bassari, le nombre de cérémonies, toutes groupées en saison sèche, est plus grand que chez les Coniagui. A chacune prend part plus spécialement une classe d’âge, jeunes gens, jeunes filles, hommes adultes, etc.
Si l’on compare toutes ces cérémonies religieuses, on voit qu’elles ont presque toutes en commun un sacrifice qui sert à mettre en rapport les hommes et les puissances surnaturelles. Par cette offrande de sang, de mil, d’eau ou de bière de mil, le sacrificateur, agissant au nom de l’individu ou du groupe qui offre le sacrifice, fait venir dans l’autel les puissances auxquelles il s’adresse et se les concilie. Il leur demande une aide et lit souvent leur réponse dans la couleur des testicules de l’animal sacrifié. Des mets et des boissons ainsi offerts aux puissances surnaturelles, une partie est versée sur l’autel et abandonnée aux esprits, le reste est consommé par certains des assistants. La bière de mil, offerte aux esprits et consommée par les assistants, a une valeur communielle, elle est d’une importance capitale dans ces cérémonies qui marquent les divers événements de la vie des Coniagui et des Bassari, de la naissance à la mort et au-delà.

Notes
1. M. de Lestrange, 1950-a. Depuis la rédaction du présent travail, Pales (L.) et Tassin de St. Pereuse (M.), 1953, ont publié le résultat de leurs enquêtes sur la stature, l’indice cormique et l’indice céphalique des Coniagui et Bassari (n = 175 en ce qui concerne l’indice céphalique, 176 la stature et l’indice cormique des Coniagui 107 l’indice céphalique et la stature et 106 l’indice cormique des Bassari). Ils on trouvé les Coniagui (p. 257) « mésosomes sur moyens tendant aux hautes statures brachycormes, dolichocéphales francs » et les Bassari (p. 253) « mésosomes sur moyens brachycormes dolichocéphales ». Ces résultats sont très proches des nôtres.
2. M. de Lestrange, avec la collaboration de N. Diakité, 1949.
3. Qui n’étaient pas vendus comme l’étaient une partie des captifs étrangers. Delacour (p. 374) écrit : « Dans leurs luttes intestines les Koniagui se faisaient bien des captifs, mais, généralement, tout s’arrangeait par une réconciliation ou des échanges. »
4. Un sacrifice du même nom aura lieu à l’initiation et au cours des cérémonies funéraires..
5. Ou, dit-on aujourd’hui, le jumeau le plus faible. Mais il semble qu’il ne faille voir là qu’une information erronée qui peut d’ailleurs indiquer que l’explication traditionnelle de ce rite, et peut-être demain ce rite lui-même, est en train de se perdre : ne connaissant pas la raison pour laquelle on supprime le jumeau né le second, les jeunes Coniagui pensent aujourd’hui qu’on supprime le jumeau le plus faible.
6. Les Coniagui donnent souvent aujourd’hui des explications telles que la suivante : « La femme qui allaite ne doit pas avoir de rapports sexuels avec son mari pour éviter d’avoir un autre enfant, car elle ne peut emmener avec elle aux champs deux enfants ne sachant pas marcher. » C’est une raison, mais il y en a d’autres sur d’autres plans car il existe des ordres de connaissance divers, que les Coniagui — et a fortiori les ethnographes qui les étudient — n’appréhendent que successivement et fort lentement.
7. En particulier des arachides : culture de femmes.
8. Les Coniagui et les Bassari connaissant le mois lunaire et la semaine de sept jours, chacun des jours de leur semaine est assimilé à un des nôtres.
9. Cf. Initiation.
10. Il peut y avoir un ou deux kump, selon le nombre d’excisées ou d’initiés.
11. Cf. Interrogatoire du mort, et Importance de la coiffure .
12. A Ifane (et à Ikandye jusqu’en 1945, ainsi que dans d’autres villages auparavant), l’initiation se passe de manière différente : un tambour y joue un rôle important, analogue à celui de numba dans les autres villages.
13. On peut refaire ityank plusieurs fois pour la même femme, en cas d’inconduite ou de maladie.
14. C’est-à-dire de même classe d’âge.
15. C’est-à-dire de même classe d’âge.
16. Sadaga désigne aussi le sacrifice offert à la fin de l’hivernage, quand les céréales sont déjà hautes et que les champs réclament moins de travaux. Quand ce sacrifice a été accompli, on peut consacrer au repos un ou deux jours. Il n’est pas dans notre intention d’aborder ici l’étude comparative des Coniagui et des Bassari ; notons cependant que le terme arabesadaga signifie offrande et désigne, chez les Kabyles d’Algérie, deux sacrifices annuels dont l’un a lieu au début de l’automne, avant les pluies et les semailles, l’autre quand le blé et l’orge sont verts, avant les récoltes.
17. Il est vraisemblable que l’esprit igwar ne vient dans l’objet igwar qu’au moment où on verse sur celui-ci le liquide (sang, eau) qu’on lui offre en sacrifice. Mais un seul mot désigne l’esprit et cet objet qui le supporte au moment où les hommes entrent en contact avec lui : il en est de même pour tous les esprits que nous décrivons ici, l’esprit et son autel ne font qu’un.
18. Il existe un grand nombre d’êtres surnaturels invoqués par les Coniagui et les Bassari, pour des causes précises. Nous n’avons cité ici que les principaux. Ils habitent souvent des arbres ou des tas de pierres.
19. M. de Lestrange, 1960-b.
20. M. de Lestrange, 1952-b.

Chapitre VII.
Evolution actuelle des Coniagui-Bassari

Il y a maintenant cinquante ans que des blancs occupent la région habitée par les Coniagui-Bassari. Quel est le bilan de ce demi-siècle d’administration française ? En dehors d’une influence certaine mais souvent difficile à mesurer, s’exerçant directement ou indirectement sur l’ensemble des coutumes, des rites et des croyances, quelques institutions sont particulièrement importantes : l’école, l’armée et le dispensaire.
Il existe chez les Coniagui-Bassari deux enseignements côte à côte : celui fourni par l’école officielle, laïque, à Youkounkoun en Guinée et à Ebarak chez les Bassari du Sénégal, et celui fourni par les écoles des missionnaires catholiques (Pères du Saint-Esprit établis dès avant la première guerre mondiale à Urus, à quelques kilomètres de Youkounkoun) à Urus pour les Coniagui et les Bassari et à Negare pour les Bassari 1. Laïque ou religieux, I’enseignement ne touche encore qu’un petit nombre d’enfants Coniagui et Bassari, environ 250 en 1949.
L’école officielle est mixte, comporte un internat et prépare les meilleurs de ses élèves au certificat d’études. A l’heure actuelle, le nombre de Coniagui et de Bassari arrivés à ce niveau est infime mais il est vraisemblablement destiné à s’accroître. A voir les quelques Coniagui et Bassari que nous avons connus dans ce cas il est certainement difficile de franchir sans trop de dommage psychologique ce qui sépare la civilisation Coniagui-Bassari de celle de l’Europe occidentale, dont s’inspire l’école officielle.
L’école des missionnaires a voulu d’abord préparer des Coniagui ou des Bassari catholiques et parlant français, plutôt que des fonctionnaires détribalisés. Il y a environ un millier de catholiques Coniagui ou Bassari (surtout Coniagui) ; les écoliers catholiques apprennent quelques rudiments de français, mais retournent ensuite pour la plupart mener dans leurs villages la vie paysanne traditionnelle de leurs ancêtres.
A côté de l’école, l’armée joue un rôle éducatif dans les sociétés Coniagui et Bassari. De nombreux jeunes hommes reviennent du service militaire ayant appris par exemple l’usage de la cuillère, du fer à repasser et surtout de la langue française (parfois de la langue anglaise: quelques Coniagui ont été enrôlés dans l’armée anglaise au cours de voyages en Gambie britannique).
Le dispensaire d’Assistance Médicale Indigène de Youkounkoun a été créé en 1938 pour servir de poste frontière de surveillance pour la fièvre jaune. Depuis cette date « les indigènes ont peu à peu pris l’habitude de venir se faire soigner au poste ou de recevoir la visite du médecin africain résident et même de médecins et d’infirmiers en tournée de prospection de trypanosomiase par exemple 2. La clientèle du poste comprend tous les Coniagui et tous les Bassari, puisque même ceux du Sénégal sont plus près de Youkounkoun que du poste médical de Kédougou dont ils dépendent administrativement. Coniagui et Bassari disposent donc à Youkounkoun de consultations de médecine générale, d’une hypnoserie et d’une maternité avec consultation de nourrissons, etc. 2. Les malades peuvent être hospitalisés et sont soignés par un médecin, une sage-femme et des infirmiers, tous africains. Ils se sont peu à peu habitués à venir se faire traiter, en particulier pour la trypanosomiase, les ulcères phagédéniques, le pian, la lèpre, la méningite cérébro-spinale, etc.

Quel avenir réserve aux Coniagui-Bassari l’actuelle évolution de l’Afrique ? C’est là une question à laquelle il est difficile de répondre. Souhaitons aux fiers Coniagui et Bassari de trouver, dans cette nouvelle Afrique, une place qui convienne à leur personnalité.

Notes
1. Depuis 1949, de nouvelles écoles ont pu être fondées, laïques ou confessionnelles.
2. M. de Lestrange, 1949.

Monique de Lestrange

Assistante au Musée de l’Homme, Paris

Les Coniagui et les Bassari (Guinée française)

Presses Universitaires de France. 1955. 83 pages.

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