Livre sur le régime Sékou Touré : L’itinéraire sanglant (Almamy Fodé Sylla)

Victimes — Témoignages

Enfin, voici un petit livre de chevet, riche, fortement documenté, passionnément engagé dans la guerre de réhabilitation de la vérité, la justice et la fraternité pour l’avènement d’un monde de paix et de bonheur pour tous.
Simple, vivant, expressif, le livre du Professeur Sylla fait d’accablantes révélations dont la lecture donne la chair de poule : des réunions du Bureau Politique National du Parti Démocratique de Guinée (P.D.G.) à celles’ du gouvernement, des entretiens privés aux déclarations publiques de Sékou Touré, il y a de quoi retenir le souffle. Les témoignages radiophoniques de l’auteur ne tarissent pas de conseils aux nouvelles autorités guinéennes, les mettant en garde contre les excès du pouvoir et le peuple contre l’excitation populaire.
En lisant « L’Itinéraire sanglant », l’on se rend compte de la nature complexe de l’homme, sa méchanceté mais aussi la pitié qu’il inspire dès que son cœur cesse de battre, l’entraînant dans un sublime oubli.

Bureau Exécutif de l’Amicale des Anciens détenus politiques de Conakry III

Conakry le 18 juillet 1985

Emission « A vous la parole ! »

En première visite à Conakry en juillet-août 1984, j’ai été passionnée par l’émission radiophonique du professeur Sylla sur l’ancien régime.
Le ton et la teneur de ses propos ne pouvaient as laisser indifférents. Mais, comme chacun sait, « les paroles s’envolent et les écrits restent ». Il était donc indispensable de léguer à la postérité une trace de ce témoignage vibrant, parfois fascinant du professeur Almamy Fodé Sylla. C’est maintenant chose faite avec la publication de l’Itinéraire sanglant, qui sera suivi d’un second volume prochainement.
Je souhaite que ce pages célèbrent le courage et l’honneur du peuple guinéen pour que vive la Guinée.

L’éditeur

Sommaire

Introduction

Chapitre Premier : Considérations générales

  1. Les courants historiques du XXe siècle en Afrique de l’Ouest
  2. Bref aperçu sur la situation de l’Afrique sous le régime colonial

Chapitre Deuxième : Les faits

  1. Prostitution
    1. Il ne s’appelait pas Camp Boiro
      1. Premier complot 1959-1960
      2. Deuxième complot 1961
      3. Troisième complot 1964
      4. Quatrième complot 1965
      5. Cinquième complot 1968
      6. Sixième complot 1969
      7. Septième complot 1969
      8. Huitième complot Almamy David Sylla
      9. Neuvième complot Agression 1970
      10. Dixième complot Wanda 1973
      11. Onzième complot Cheytane 1975
      12. Douzième complot Telli Diallo 1976
      13. Treizième complot 27 août 1977
      14. Quatorzième complot 1978
      15. Quinzième complot 1979
      16. Seizième complot 1980
      17. Dix-septième complot Aéroport 1981
      18. Dix-huitième complot « Les rêves »
      19. Dix-neuvième complot Jeunes Lybiens 1982
      20. Vingtième complot « Présidence » 1982
      21. Vingt et unième complot « Elèves-gendarmes » 1982
    2. La répression
      1. Modes d’arrestations
      2. Arrivée et séjour au Camp Boiro
      3. Comparition devant la fameuse commission d’enquêtes
      4. Des tortures morales
      5. Des tortures physiques
      6. Régime de détention
      7. Renseignements sur les charniers
      8. Formes de liquidation
      9. Charniers connus

Chapitre Troisième : A vous la parole !

  1. Opinion publique
  2. Mon premier témoignage radiophonique
  3. Une séance d’interrogatoire
  4. Quelques preuves
  5. Sékou était un ingrat
  6. Mon second témoignage radiophonique
  7. Des dessous de la carte du tyran
  8. Quelques faits historiques
  9. Qui a tué Balla Camara ?
  10. Le ridicule ne tue pas
  11. Une famille insouciante
  12. Comment est né le mythe de petit-fils de Samory ?
  13. Détails sur l’organisation policière de Sékou Touré
  14. Au C.M.R.N.
  15. Mon troisième témoignage radiophonique
  16. Pas d’entorse à l’histoire
  17. Sékou était-il un homme
  18. Sékou, un artiste cynique
  19. Conséquences du complexe de naissance
  20. Sékou aimait tyranniquement le pouvoir
  21. Sékou était un imposteur
  22. Un mauvais calcul
  23. Sékou n’oublie pas et ne pardonne pas
  24. Sékou parle de Dieu pour tromper Dieu et le peuple
  25. Le tyran n’avait aucune considération pour ses collaborateurs
  26. Mais pour autant ses collaborateurs étaient-ils innocents ?
  27. Sékou ne comptait que sur ses fétiches
  28. Une carte d’identité énigmatique
  29. Qualité ou défaut ?
  30. Sékou était un politicien opportuniste
  31. Souvenirs inoubliables
  32. Une nuit pas comme les autres !
  33. Le chauvinisme : une tare grave !
  34. Psychose
  35. Espoir
  36. C’était la justice
  37. Qui n’était pas coupable?
  38. Requête
  39. Avis de recherche
  40. Dignité
  41. Conseils d’un musulman
  42. Détenu politique avant sa naissance
  43. Prophétie
  44. Dieu s’est toujours révélé

Chapitre Quatrième : Le futur pouvoir ou le pouvoir futur

  1. La succession
  2. Surprise agréable
  3. Appel

Conclusion

  1. Les dix souhaits
  2. Regret
  3. Objet de chagrin
  4. Requiem

 

Remerciements

  • A celle qui m’a ardemment, puissamment et tendrement soutenu pendant l’épreuve des dures années de détention, madame Salématou Youla
  • A tous les compagnons, morts et rescapés des tristes geôles politiques de Guinée et familles
  • Au père bien aimé que le Tout-Puissant rappela à lui le 14 mars 1983 à l’âge de 112 ans
  • A l’infatigable frère Almamy Oumar Youla et famille ; Alkaly Youla et M’Bemba Sylla
  • A mon frère jumeau Sylla Youssouf (paix à son âme).
  • Aux camarades d’enfance des écoles primaires de Tondon, Ouassou et Dubréka, de la mission catholique de Boffa et du lycée classique de Conakry
  • A Monsieur et Madame la comtesse de Toulgoët, 14, bd Émile-Augier, Paris XVIe
  • Aux honorables maîtres Sanoh Saféré (paix à son âme)
  • A Sano Hamidou
  • au Révérend Père Balez (paix à son âme)
  • Mgr Barry
  • Mère Héleine
  • Barry Léon
  • Père Trichler
  • Aux protecteurs émérites, MM. Conte Famara (Dubréka) et ses aimables épouses Bountouraby Soumah et Adama Camara (Dubréka)
  • A la vieille feue Thierno Mariama Sylla, mère de Mme feue Almamy Fatou Camara et de M. Sarassoukhou Fodé Camara (Tondon)
  • A Monsieur Thiany Camara, tailleur domicilié à Domminiya (Boffa)
  • A l’affectueuse feue maman Anna, dont les nombreux cocotiers de Domminya ont grassement nourri ma tendre enfance
  • A cette douce maman, madame Fatou Conte qui remplaça par ses soins et son attention vigilante, Adama Camara, ma mère chérie qu’Allah arracha à notre affection en 1948, en laissant huit enfants entre les bras d’un mari qui ne fut jamais consolé d’une mort qu’il qualifia de perte cruelle et irréparable
  • Aux amis, Wann professeur artiste-peintre, Jean-Pierre Youla, Michel Bergeret, M. et Mme Bangoura Hadramet, Mme Sylla née Haidara Oummou, Mlle Drame Fatoumata, papa Alsény Camara artiste balafonniste
  • Les commissaires Naby Issa Camara, Amara Soumah et Diallo Aliou
  • Les professeurs
    • Docteur Bah, ministre de la santé
    • Mohamed Aly Kaba, diplomate
    • Coumbassa Saliou, ambassadeur
    • ElhadjFodé Mahamoudou Toure, directeur de la Cité de Solidarité
    • Zaïnoul Abidine Sanoussi
    • Abou Camara (ministres)
    • Sékou Dékazy Camara, (ambassadeur)
    • Sékou « philo » Camara (ambassadeur)
    • Moussa Songolon Bangoura (proviseur de Lycée)
    • Aboubacar Sompare
    • Diane Sanimba
    • Haidara Mabinty
    • Doumbouya, du secrétariat particulier du Ministre de l’Enseignement pré-universitaire
    • Boiro Alsény, recteur d’univer sité
  • Les administrateurs
    • Elhadj Salifou Touré
    • Elhadj Oumar Deen Camara
    • ElhadjSoriba Soumah (Friguia)
  • Elhadj Aï Fodé Camara (imam)
  • Les magistrats
    • Aboubacar Barath Camara, Président de la Cour d’appel de Faranah
    • Son viceprésident Saïdouba Camara
    • Mohamed Lamine Youla, Procureur de la République
    • Tounkara Sékou, secrétaire général à Fria
  • Les médecins et pharmaciens
    • Docteur Conté Saïdou
    • Docteur Diallo Saliou, médecine générale Donka
    • Docteur Soumah Almamy Id
    • Docteur Alioune Chérif Sylla, directeur des services pharmaceutiques
    • Saïdou Bangoura, radiologie Ignace Deen
    • Fodé Sory Soumah, acupuncture
    • Mamadou Camara dentiste, Obk
    • Aribot chirurgien-dentiste
    • Mme Condé N’Sira major général médecine générale Donka
    • Mme Kebe, de « Médecins sans frontières »
    • Ranguelov et Durnov coopérants de pays amis
    • Yansane, annexe Ignace Deen
    • Docteur Dramé Pharmaguinée
    • Fadiga Facinet, Eniphargui
    • Barry, directeur général Pharmaguinée
    • Lansana Camara médecin chef Boffa
    • Barry Robert en retraite
    • Diallo, directeur service des soins
    • Naby Camara, médecin-chef Ignace Deen
    • Souleymane Yala Sylla santé publique 5e sous-préfecture
    • Les Médecins Sans Frontières
  • A Amadou Sylla professeur
  • Amadou Kérivel Barry, administrateur en retraite et famille
  • Almamy Youssouf Sylla
  • Karamoko Sylla et famille
  • Fatou Kè Touré et famille
  • Aux neveux Almainy Sylla et Madame
  • Seimba Sylla et Madame
  • Michaël Sylla et madame, tous en France
  • Aux frères Cheick Mohamed Sylla, imam de Fâréinya (Tondon)
  • El-hadj Louncény Camara ancien chef d’État Major de la Milice
  • Chef de corp,s commandant Camara Fodé Komoya
  • commandant Mohamed Traoré
  • El-hadj Mohamed Lamine Soapit Sylla
  • Elhadj Abdoulaye Chalhoub
  • El-hadj Aly Baguiné Camara
  • El-hadj Saïdouba Sylla Tabossy
  • El-hadj Aboubacar Camara en retraite à Fria
  • Lt. Thiam Aguibou
  • Facinet Sylla, Bned
  • Haidar Nazime
  • Sidibé, inspecteur des banques
  • Camara Alpha, ingénieur
  • Touré Soriba du Commerce
  • Soumah Sékou, Préfet
  • Aly Bangoura protocole des AE, Keïta
  • N’Fafing, AE
  • Sidiki Camara, commissaire de police
  • Keïta Mamoudou
  • Sanoh Mahmoud
  • Mamy André
  • Abdoul Kader Camara
  • Touré Moustapha
  • Diané Lamine, professeur
  • Mohamed Tondon
  • Facély Il Mara
  • Kandet Ournar Touré
  • Kaba Bamboun
  • Emmanuel Katt
  • Bernard Keïta
  • El hadj Yangomodou Keïta ophtalmologue
  • El hadj Yakhouba Conté
  • El hadj Bâ Conté
  • El hadj Moussa Conté
  • Touré Younoussa
  • Chef Niassa
  • Major Sako
  • Henriette, sage-femme dispensaire du port
  • Mlle Diallo Taran, de l’office des petites et moyennes entreprises
  • Mlle Khadyja Bangoura
  • Mlle Fatoumata Bangoura
  • Emile Tompapa
  • M. et Mme Camara Mory
  • Aux doyens
    • Naby Youla
    • Boubacar Biro Diallo
    • Kouramoudou Doumbouya
    • Alimou Diallo
    • Koumandian Keïta
    • feu Mamba Sanoh
    • Fodé Lamine Touré
    • Sékou Yansané
    • Amirou Diallo
    • Sangaré Aliou
    • Kouyaté Karamoko
    • Balla Camara
    • Almamy Sékhou Sankon
  • Au frère bien-aimé S.M. et à son personnel Novotel Conakry,
  • A la dynastie des « Kinsy », les descendants du grand guerrier Yambo Kinsy, portant les noms de
    • Sylla au Labaya (Dubréka), Kaloum (Conakry), Kinsan, Téni Khatya, Souguéta (Kindia)
    • Conté à Beiréyiré Bafila, Bramaya, Lisso, Taboumsou, Thiè ; Damba à Boffa
    • Yattara à Kouria, Falessadé, Kakossa, Kokè, Morbaya
  • Aux secrétaires dactylographes, Mlle Hawa Camara dite Mama, Mme Mady Charles née Marie Gomez, Mme Soumah née Anna Benjamin, Mme Da Sylva née Katty Suzanne, Mme Camara née Fatoumata Sylla, Mlle Fatoumata Conté,
  • A mesdames Belle Ba Camara, Condé Mariama dite Yambobo, Barry Fatou, Marianne Martin, Mariam Sylla,
  • Aux amis intimes Ousmane Dâna Condé et Fassa Diallo, persotines attachantes, serviables et aimables
  • Aux membres de la section guinéenne d’Amnesty International, des bureaux exécutifs de l’Amicale des anciens détenus politiques de Guinée.
  • Aux familles éplorées des disparus des camps de concentration
  • Au fiston Abdoulaye Abder Zaka Sylla et à sa mère Djamilatoti Condé
  • Au Président Lansana Conté et Madame
  • Au Peuple de Guinée tout entier,

L’expression de ma très vive gratitude.

Hommage

  1. Aux administrateurs des colonies :
  2. Aux sages devanciers :
  3. Au défenseur de la liberté de presse
    • Maurice Voisin dit Petit Jules

Introduction

Il est hélas, regrettable de constater encore de nos jours que la violence, la guerre, la peur, l’intolérance, la misère, l’injustice et la mort,  dues à notre désir de domination et à notre égoïsme, sont plus que jamais présentes partout dans le monde.

Le seul espoir de l’humanité réside dans la volonté des hommes à combattre ces fléaux et, pour que cette volonté surgisse, s’étende et se développe, ne soit pas le fait d’un petit nombre incapable par lui seul de produire un réel changement, il faut que les îeunes sachent quelles sont les tâches qui les attendent, quels sont les problèmes à résoudre et les moyens d’y parvenir. Il faut leur donner une éducation qui leur permette d’élaborer un nouvel ordre mondial, afin de vivre mieux dans leur environnement planétaire.

Cette éducation intéresse la paix, le désarmement, mais aussi les droits de l’homme, la compréhension d’autrui et l’appréciation des di fférentes cultures qui sont nées et se sont développées partout où les hommes se sont réunis pour former des sociétés.

Une toute petite séquence de l’histoire d’une de ces sociétés humaines qui fait l’objet de notre propos dans les pages qui suivent est celle qui couvre la période 1960-1984 en République de Guinée. Le regard sera essentiellement porté sur l’exercice du pouvoir politique par un homme et sa famille qui n’ont pas hésité à créer plusieurs camps de concentration de type nazi dans ce beau pays musulman aux belles traditions : la République de Guinée.

Généralités

Le territoire de la Guinée est situé dans l’hémisphère nord du continent africain. Il s’étend entre les 7e et 12e parallèles nord ; il est donc situé tout entier dans la zone tropicale humide. En longitude il s’étend entre les 8e et 15e degrés de longitude ouest du méridien de Greenvich. Son fuseau horaire est celui de la France mais l’heure légale de France est en avance sur l’heure réelle (8 h à Conakry, 10 h à Paris).

La République de Guinée est limitée à l’ouest par la Guinée-Bissau et l’océan Atlantique, au sud par la Sierra Leone et le Liberia, à l’est par la Côte-d’Ivoire et le Mali, au nord par le Mali et le Sénégal.

De forme très irrégulière, la République de Guinée forme un vaste arc de cercle couvrant une superficie de 275 000 km2 ; elle représente un peu moins du 1/17 de la superficie totale de l’ex-A.O.F., et à peu près la moitié de celle de la France ex-métropolitaine.

Le climat de la Guinée est caractérisée dans son ensemble par l’alternance de deux saisons : une sèche et une pluvieuse. Toutefois, la configuration du sol et la latitude y font distinguer :

  • un climat subguinéen en zone côtière, avec des pluies abondantes, des écarts de température
  • un climat foutanien dans la région montagneuse avec des pluies moins abondantes et de brusques refroidissements nocturnes
  • un climat sub-soudanien avec une saison des pluies, plus courte, des écarts de température plus accentués, la forte influence de l’harmattan
  • un climat équatorial guinéen avec des pluies toute l’année et une température constante.

La Guinée compte près de 5 000 000 d’habitants avec une densité de 8 population répartie entre 3 grands groupes :

Le français est la langue officielle.
L’Islam est la religion dominante avec plus de 90 % d’adeptes.
L’agriculture pratiquée par plus de 90 % de la population guinéenne est une économie de subsistance, qui est loin de résoudre le douloureux problème de l’insuffisance alimentaire.

Chapitre Premier
Considérations générales

1. Les courants historiques du XXe siècle en Afrique de l’Ouest

Dans l’évolution humaine à travers les âges et les continents, il est des dates fatidiques qui, telles des lames de fond, bouleversent et brassent la vie des peuples de façon inattendue, infléchissent et précipitent la marche des événements qu’elles jalonnent de faits marquants : ce sont les grands relais de l’histoire.

Il est ainsi de l’an 1 du Christianisme, de l’Hégire pour l’Islam (622), de l’invention de l’imprimerie (1440) et de la découverte de l’Amérique (1492) pour le progrès de la civilisation universelle, de 1789 pour la liberté et l’humanisme démocratiques, de 1914-1918 et 1939-1945 pour les affreuses calamités connues et de la conférence de Bertin (1885) pour la tragique agonie de l’Indépendance Africaine sous les coups de boutoir de lEurope conquérante et dominante. En effet, cette conférence décida du sort de l’Afrique, en réunissant quatorze États européens dont l’Angleterre, la France, l’Allemagne, la Belgique, le Portugal, l’Espagne, la Russie, les Pays-Bas. Mais, pour éviter tout conflit possible entre concurrents avides de se servir, on arreta les règles de partage suivantes : tout pays parcouru par un Européen est, en puissance, destiné à tomber sous le contrôle de l’État auquel appartient l’explorateur toute occupation de côte signifie que l’hinterland est également destiné à appartenir à la puissance qui a le contrôle de la côte, il ne sera tenu aucun compte des limites entre peuples et Etats africains, toute annexion doit être suivie d’une prise de possession effective et immédiatement notifiée aux autres puissances, une colonie est un bien qu’on peut échanger, abandonner ou transformer dans l’intérêt exclusif du colonisateur, l’action européenne se justifie par la mission de civilisation dont se charge l’Europe. Telle est l’économie de la fameuse rencontre qui décréta en doctrine de colonisation, le postulat de la supériorité du Blanc sur le Noir, pour disposer souverainement de tout un continent, de ses immenses ressources matérielles et humaines sans autre forme de procès que la force armée contre la légitime résistance de l’habitant spolié à l’envahisseur menaçant.

Et, de 1885 à 1890, la ruée commence par une course de vitesse effrénée entre rivaux, une cascade de missions de reconnaissance, de prise de contact, de signature de traités d’amitié et de commerce plus ou moins justifiés, pour s’adjuger le plus de zones d’influence possible afin de dresser au plus vite l’inventaire des réalités économiques et humaines exploitables.

En 1881, Gallieni est dépêché auprès d’Ahmadou de Ségou qui ne le reçoit pas mais lui envoie à distance un traité sans valeur. De 1887 à 1889, Binger va à travers une contrée inconnue, de Kayes à Grand Bassam en Côte d’Ivoire pour explorer, étudier et fixer la géographie physique, politique, économique, linguistique et militaire de la boucle du Niger. En 1888, l’allemand Krause, voyageant seul, visite le Soudan ou Mali actuel, le Mossi et rentre par la Côte-d’Ivoire avec une riche moisson de renseignements sur l’itinéraire suivi. De 1891 à 1893, le Colonel Monteil traverse le Soudan et l’Afrique Centrale jusqu’au Tchad en passant par Sokoto, Kano, Kouka, Bilma et Tripoli ; il rentre avec un dossier redoutable de précision sur les pays prospectés.

En 1888, le Colonel Audéoud se rend de Benty à Siguiri en Guinée. Par le Soudan, le Capitaine Cazemajou arrive à Zinder où il est tué en 1898. Decoeur, Toutée et Band, venus du Dahomey ( 1898), atteignent le Niger à Boussa. En 1893, le Capitaine Quinquandon est installé comme résident à Sikasso auprès du roi Tiéba pour empêcher celuici de se réconcilier avec Samory, cet autre champion de la résistance africaine.

Ainsi donc, les défauts de la cuirasse repérés, les possibilités de réaction pesées et soupesées, le géant est dépecé sur papier avant d’être abattu : c’est une situation minée que présente l’Afrique quand sonna l’hallali de sa conquête concertée , son hospitalité confiante lui aura été fatale, l’aura divisée, aura accentué les zizanies dans son sein. Les luttes fratricides vont la déchirer, empêchant lêtes couronnées de réaliser un front uni. Ce qui facilitera leur liquidation successive et l’immixtion étrangère dans leurs affaires intérieures.

Techniquement, matériellement, la disproportion est frappante entre la puissance de l’assaillant et l’armement moyenâgeux de l’assiégé qui n’oppose que des flèches, des lances, des sabres, des fusils à pierres, aux canons et armes automatiques de l’adversaire.

Que se serait-il passé si, en 1887, Tiéba et Samory avaient suivi le conseil de réconciliation que leur avait proposé le Capitaine Binger ?

Supposons Samory lançant un appel pathétique pour l’unité, supposons le sens national patriotique profond de cet appel entendu et compris par Mamadou Lamine sur la Falémé, Ahmadou de Ségou, Tiéba ou son successeur Babemba de Sikasso, Aguibou Tall de Dinguiraye, les Almamy du royaume théocratique du Fouta-Djalon, le Moro Naba du Burkina Faso (Haute-Volta), le terrible Béhanzin du Bénin (Dahomey), le Djermakoye de Dasso (Niger), les sultans de Zinder, Sokoto, Kano jusqu’aux Lamidats peulhs SAdamaoua et du Cameroun, joints à l’immense domaine de Rabah au Tchad vers le Douzan égyptien ; supposons pareille nouvelle « muraille de Chine » constituée, galvanisée et dressée contre l’envahisseur, pour défendre la liberté de la patrie en danger ! Eh bien ! qui ne voit l’invincibilité d’une telle puissance matérielle, militaire, morale et humaine ? Elle nous aurait épargné près de trois siècles d’asservissement en jugulant au départ la bête de la colonisation. Ç’aurait été la conférence d’Addis-Abeba de mai 1963 anticipée de 87 ans, et la « guerre de Troie » n’aurait pas eu lieu. Quel formidable manque à gagner pour l’Afrique. La leçon a été trop chèrement payée pour qu’on l’oublie. Je la dédie à nos dirigeants actuels. Que cette leçon soit leur point de mire.

Mais revenons aux affrontements, à la conquête elême qui bat son plein de 1890 à 1900.

Le Sénégal quoique devenu colonie depuis Faidherbe nétait cependant pas entièrement occupé. Ses successeurs Pinet Laprade, Vallière Brière de l’Isle poursuivent ce qu’on appelle la pacification qui est en réalité une série d’actions armées contre le Fouta Toro, le Coyor, le Djolof, le Baol, le Siné-Saloum et autres principautés, dressant leurs rois les uns contre les autres pour ensuite les éliminer successivement et installer l’autorité française par la création de cercles d’administration directe avec les Chefs de Canton remplaçant les souverains liquidés. Cette période prend fin en 1895 par l’institution du gouvernement général que l’on appellera plus tard Fédération de l’A.O.F. Au reste, depuis la République de 1849, le Sénégal est représenté au parlement français, et depuis Faidherbe, Saint-Louis, puis Kayes deviennent les points de départ de toutes les grandes opérations militaires levées contre le Soudan (Mali) et l’Almamy Samory. N’oublions pas que le premier bataillon des tirailleurs sénégalais est créé par Faidherbe en 1857 et que cette formation militaire sera le noyau de l’armée noire dont l’organisateur et le chantre sera plus tard le général Mangin dans son livre intitulé « Force Noire ». De Saint-Louis à Kayes une série de postes édifiées, constituent les bases, les assises de roc d’où voleront les troupes françaises à l’assaut des pays de la boucle du Niger et des États de Samory. Aussi, dit-on avec raison que l’Afrique a été, hélas conquise par les africains, simplement encadrés par des officiers européens. En réplique, à l’instar du risorgimento italien de 1830-1870, tendant à l’unification des petits Etats de la Péninsule issue de l’épisode Napoléonien et gouvernés par des princes étrangers abhorés, également le risorgimento africain, soulevé par un sentiment identique, fait surgir de grands chefs généralement fils de leurs œuvres pour tenir tête à l’agresseur et tenter de sauver le patrimoine sacré de leurs ancêtres. Mais tant le risorgimento italien plus cohérent aboutit à l’unité désirée, tant le risorgimento africain handicapé par son insuffisance technique et les manoeuvres dissolvantes de l’adversaire, succombe, malgré des prodiges d’héroïsme et d’abnégation et, sa défaite sonne le glas de l’indépendance africaine en ouvrant la voie à l’occupation militaire préparatoire de l’installation du régime colonial en Afrique occidentale. Les acteurs du drame entrent bientôt en scène et donnent la parole à la poudre. Les dés sont jetés, il faut défendre son bien et son honneur.

Or, on y est tenu ! De 1885 à 1887, entre la Falémé et la Gambie, le Colonel Gallieni détruisit la puissance naissante de Mamadou Lamine : en voilà un de moins. Le Colonel Archinard s’attaque à un plus gros morceau : Ahmadou de Ségou. Il commence par l’affaiblir en le coupant de son père1 Aguibou de Dinguiraye dont il place l’Etat sous le protectorat français en 1888. Puis, il pourchasse Ahmadou lui-même, le bat successivement à Ouassébougou, dont le défenseur, Bandiougou Diara, se fait sauter à la poudre (1890), puis à Nioro et Ségou (1891) pour le rejeter ensuite dans le Macina où il le déloge à nouveau en 1893, l’obligeant à se réfugier au pays Haoussa, vers l’Est. Ségou, Nioro, Bandiagara, Djenné, sont annexés et érigés en postes français. Et l’Empire d’Ahmadou, fils d’El hadj Oumar a vécu ! l’installation à Dinguiraye d’un résident coupe désormais Samory des Almamy du Fouta Djallon et le prive à jamais de leur précieux concours en cas de besoin. Pour consommer cette rupture, un traité de protectorat est imposé aux Almamy en 1896 et un résident installé auprès d’eux dans leur capitale à Timbo.

Les lieutenants Voulet et Chanoine guerroient à travers le vaste pays Mossi, obtiennent des soumissions à coups de fusils, puis entrent à Ouagadougou où le Moro Naba est obligé de traiter pour éviter le carnage et les déprédations. Cet empire millénaire, contemporain de la dynastie carolingienne de France tombe ainsi sous l’influence étrangère.

Sikasso est célébré dans les annales maliennes. Son mur d’enceinte qui a cinq mètres d’épaisseur à la base est imprenable sans artillerie. Samory l’assiège de 1887 à 1888, pendant 16 mois sans pouvoir le prendre. Il y perd la crème de son armée et se remettra difficilement de cet échec jusqu’à la fin de sa vie. Cette erreur coûta très chère à l’Afrique. Puissions-nous toujours nous en souvenir dans l’intérêt supérieur de l’unité africaine qui s’édifie à l’heure actuelle ! Après ce blocus échoué, Tiéba inquiet pour l’avenir, se met sous la protection de la France en 1890 et meurt en 1893. Son frère Babemba qui le remplace est sommé de recevoir le Capitaine Quinquandon comme résident. Babemba ne peut pas se réconcilier avec Samory. Mais à son tour, à la suite d’une altercation avec le Capitaine Morisson, dernier résident, Babemba est cerné. Sikasso bombardé par le Colonel Audéoud du 15 avril au 1er mai 1898. Le roi se tue pour ne pas se laisser prendre. Tout est perdu. Sikasso. C’est le Verdun du Mali 2. Et le terrible Béhanzin ? Il n’est pas oublié, car, par sa puissance, son autorité îndiscutée, la valeur guerrière de son armée, il est seul capable d’en imposer à lenvahisseur qui craint une alliance possible entre le roi du Dahomey (Béhanzin) et Samory : ce qu’il faut éviter à tout prix. Et Béhanzin est accusé de violation de convention.

Aussitôt, en deux expéditions 1 mpressionnantes et meurtrières, le Colonel Dodds l’attaque, mettant son pays à feu et à sang. Il résiste héroïquement et ne se rend que devant la trahison coupable de son propre frère. Il aura farouchement tenu tête à l’envahisseur de 1892 à janvier 1894. Éxilé à la Martinique, puis en Algérie, le grand Béhanzin meurt en 1906. Par ce film rapide saute aux yeux, le processus d’éliminations successives des rois africains.

Seul Rabah du Tchad, si loin de Samory, restera debout et ne sera tué qu’en 1900 à Koussri par les forces combinées de trois missions françaises : Jealland-Meunier venant du Soudan (Mali) par Zinder (Niger), Foureau Lamy venant du Sud algérien et Gentil venant du Congo.

2. Bref aperçu sur la situation de l’Afrique sous le régime colonial

Après le partage du gâteau à Berlin, il suffit maintenant de le manger sans craindre la colique ou l’indigestion : populations taillables et corvéables à merci, dornination totale, exploitation systématique des richesses du soi et du sous-sol, fournitures obligatoires de denrées et produits agricoles dans l’effort de guerre, travail forcé : cependant, à l’intérieur de toute cette situation malheureuse mûrissent en même temps que la contradiction, les idées progressistes issues des différentes révolutions à travers le monde, notamment celles de la révolution française de 1789. La 2e guerre mondiale viendra déborder le vase déjà trop plein. L’Afrique prendra une part décisive a ce conflit entre puissances impérialistes avec l’espoir qu’une fois la guerre terminée, les populations africaines verront leur sort amélioré. En effet, si dures qu’ont été ses conséquences pour l’humanité, la 2e guerre mondiale (1’939-1945) a eu des implications heureuses pour les peuples sous domination étrangère. La participation de ceux-ci à la lutte contre le nazisme et le fascisme a accéléré leur prise de conscience face à leur état de colonisés.

Ainsi, avec l’évolution de la conscience internationale, les puissances impérialistes commencent à reconnaître que la civilisation n’est l’apanage d’aucun peuple et que la liberté que les africains venaient de défendre aux côtés de leurs frères européens est aussi chère aux uns qu 1 aux autres.

De la conférence de Brazzaville (1944) au congrès constitutif du R.D.A. à Bamako (1946) en passant par l’historique conférence de Yalta en 1945, que de chemin parcouru par cette idée de liberté aux Peuples coloniaux !

Lit-on les chapitres évocateurs de cette liberté dans le manifeste de Bamako :

  • « Les parlementaires au service du mouvement des masses ».
  • « Pour un gouvernement d’Union démocratique et anti-colonialiste ».
  • « Pour la liberté et le progrès ».

Mais la triste réalité des pays coloniaux et semi-coloniaux demeure les territoires d’outre-mer étaient classés en quatre catégories principales :

  • États protégés : Tunisie, Maroc, Annam, Tonkin, Cambodge, Laos
  • Département spécial : Algérie
  • Colonies : parmi lesquelles on distinguait encore celles jouissant de certaines libertés démocratiques : Antilles, Réunion, Guyanne, Sénégal, Cochinchine, les établissements français de l’Océanie.
  • Territoires sous mandat : Cameroun et Togo.

Cette simple énumération suffit à prouver l’extrême complexité géographique, politique, juridique, économique, sociale et culturelle du problème.

3. Naissance et développement de la vie politique en Guinée

Après la 2e guerre mondiale, la France restaurée, le gouvernement provisoire de la République française céda la place à la 4e République. L’empire colonial s’intégra dans la République française et l’étiquette de « colonie » tomba pour laisser la place à celle de territoires d’Outre-mer. C’est ainsi qu’en 1945 avec le système de double collège, la Guinée put, pour la première fois élire un député. Ce fut Monsieur Yacine Diallo (1897-1954). Et, à partir de 1944 diverses organisations politiques se partagèrent la population guinéenne. En voici les principales :

  • Pour le Fouta-Djallon, Amicale Gilbert Vieillard
  • Pour la Basse-Guinée, L’Union de la Basse-Guinée
  • Pour la Haute-Guinée, L’Union Mandé
  • Pour la Forêt, L’Union forestière

Viennent compléter ces grandes associations correspondant aux quatre régions naturelles de Guinée, celles du Foyer sénégalais, du Foyer des Métis, de l’Union des Toucouleurs, des Insulaires, etc., etc.

Les idées de Bamako circulent partout au sein des populations et, avec la création en mai 1947 de la section guinéenne du R.D.A., le P.D.G., Parti Démocratique de Guinée, s’ouvre en Guinée une véritable ère d’activités politiques qui s’ajoutent au dynamisme syndical déjà inquiétant pour le colonialisme depuis la création du syndicat des P.T.T. en 1944.

Toutes les organisations politiques et syndicales vont lutter dans l’ensemble :

  • contre la domination étrangère
  • pour défendre la personnalité africaine
  • créer les conditions pacifiques d’évolution et d’émancipation des populations guinéennes.

Quelle femme quel homme, quel citoyen tout court ne donnerait sa vie pour l’accomplissement d’un tel programme ? C’est ainsi que tous les hommes politiques et les leaders syndicalistes se sont donné la main pour conduire la Guinée à réaliser cet idéal.

La répartition politique du territoire de la Guinée entre les quatre grands groupements ethniques obligea les cadres du Parti Démocratique de Guinée (section guinéenne du Rassemblement démocratique africain « R.D.A. » créé en octobre 1946 à Bamako) à élire un non guinéen à la tête du P.D.G., en la personne de Mamadou Madeira Keita, un malien.

Sékou Touré, simple syndicaliste à l’époque, assumait les fonctions de secrétaire permanent de la C.G.T. (Centrale Générale du Travail).

En avril 1947, visite du premier président socialiste en Guinée, Vincent Auriol, reçu en grande pompe à Conakry. Barthe, un socialiste intransigeant est gouverneur général à Dakar, alors qu’Édouard Terrac, ancien maire de Conakry, est gouverneur de la Guinée française.

Marius Moutet, un autre socialiste, est ministre des colonies. Au meeting convoqué à l’occasion de la visite de Vincent Auriol, l’on écoutera avec intérêt deux discours : le premier celui de Monsieur Yacine Diallo, député socialiste, est court mais plein de vérités. Le second, de Monsieur Mamba Sano, donne le programme du R.D.A. dans les moindres détails.

En 1949, éclatent les incidents de Madagascar. Une consigne générale est donnée pour combattre le R.D.A., jugé dangereux pour l’avenir du système colonial. En France on assiste à la rupture entre les socialistes et les communistes. Georges Marrane fut le dernier Ministre communiste à démissionner du gouvernement par solidarité avec ses copartisans. Il était l’un des sénateurs à ne pas prendre part au vote de l’Assemblée Nationale désapprouvant l’attitude du gouvernement à Madagascar. Les communistes sont renvoyés du gouvernement par Paul Ramadier, Président du conseil des Ministres et père de Jean Ramadier, un des derniers gouverneurs de la Guinée française.

Désormais il faut tout mettre en œuvre pour liquider le R.D.A. En application de cette décision, une consigne formelle est donnée aux gouverneurs choisis pour leur intégrité et leur hostilité à ce vaste mouvement panafricain de libération et d’émancipation des peuples coloniaux.

  • Au Sénégal, M. De Mauduit
  • En Guinée, M. Roland Pré
  • Au Soudan (actuel Mali), M. Louveau
  • En Haute-Volta (actuel Burkina Faso), M. Mourags
  • Au Niger, M. Jean Toby
  • En Côte-d’Ivoire, M. Péchoux.

L’on assistera à la dislocation de l’équipe dirigeante du R.D.A. : MM. Ray-Autra et Madeira Keita sont affectés au Dahomey (Bénin), M. Saïfoulaye au Niger. Il faut signaler un petit détail intéressant : victime de ces représailles (affecté arbitrairement et suspendu de ses fonctions) M. Madeira Keita perdit onze kilos sur son poids. Sékou, « assis sur l’argent » de la C.G.T., est épargné par l’administration coloniale. M. Amara Soumah dut succéder à M. Madeira à la tête du Parti Démocratique de Guinée (P.D.G.)

En 1950 donc, le R.D.A. fait un repli tactique : c’est la période de désapparentement du R.D.A. avec le Parti communiste français.

René Pleven, président du conseil reçoit le suffrage du R.D.A. par le député du Moyen Congo, Félix Tchicaya. A partir de ce moment, il y a un changement. On nomme deux gouverneurs pour les deux colonies totalement dominées par le R.D.A.

  • Jean Latrille en Côte-d’Ivoire
  • Paul Henri Siriex en Guinée.

C’est à ce moment là seulement que Sékou Touré est élu Secrétaire général du P.D.G. Il était alors matériellement et financièrement soutenu par Félix Houphouët-Boigny, président du R.D.A. sur le plan africain, Mamadou Konaté du Soudan (Mali), Ouezzin Koulibaly de Côte-d’Ivoire, Gabriel Darboussier, Philippe Yace, etc. C’est ce soutien qui a grandement profité à Sékou Touré et qui manquait aux autres partis et aux autres leaders guinéens.

En Guinée, le R.D.A. bénéficiait également du soutien de Doudou Guèye un sénégalais, celui d’un antillais, chef de la subdivision des T.P. de Dubréka (ville côtière située à 50 km de Conakry), l’appui des Français, MM. Guy Tirolien, Maurice Pougon et d’autres encore. L’action mobilisatrice de personnalites locales : Amara Soumah, Moustapha Soumah, à qui s’ajoute l’Almamy Kâla, le chef du canton de Conakry, surtout l’action salvatrice de M. Barry Diawadou, le leader du Bloc Africain de Guinée (B.A.G.), a été déterminante pour le succès du R.D.A., malgré l’opposition systématique de M. Yacine Diallo de prendre part à l’action conjuguée des partis en faveur du P.D.G.-R.D.A. de Sékou Touré.

Au congrès constitutif de l’U.G.T.A.N. (Union Générale des Travailleurs l’Afrique Noire), furent élus :

  • C.G.T.
    • Diallo Abdoulaye de Guinée
    • Cisse Alioune du Sénégal
  • C.G.T.A.
    • Sékou Touré de Guinée
    • Diallo Saïdou du Soudan
  • Syndicat de la Santé
    • Dr Deen Ignace de Guinée
    • Sane Michel du Sénégal
  • Syndicat des Cheminots
    • Edoh Koffi Corneille du Dahomey (Bénin)
    • Bah Abdoulaye de Côte-d’Ivoire
  • Syndicat des Enseignants

Sékou sera élu Président de l’U.G.T.A.N. au congrès de janvier 1959.

  1. Sékou Touré luttait-il pour l’indépendance de la Guinée ?

Tous les anciens cadres de la Guinée, les syndicalistes africains, les animateurs et leaders des mouvements et partis politiques savent, de façon indéniable que Sékou Touré a été un catégorique opposant à l’idée d’Indépendance de la Guinée.

En voici les preuves :

Jean Lacouture écrit, en parlant de Sékou Touré et de son régime :

« Une sorte de démocratie populaire naît progressivement au sein de la République. Mais jamais l’équipe dirigeante ne paraît remettre en question son attachement à la nation française. En toutes occasions le leader affirme son appartenance à la République française ».

Et, en mai 1958, Van Den Reysen résuma dans le journal « l’Étudiant d’Afrique Noire » l’opinion des observations politiques :

« Le Sékou Touré de la communauté Franco-Africaine, le Sékou Touré ministre de la loi-cadre, grassement payé avec l’argent des travailleurs, le Sékou Touré qui pousse les guinéens au meurtre… parle de liquidation du système colonial, de lutte pour l’émancipation, de décolonisation, mais il évite de prononcer le mot-clef de notre temps : indépendance ».

Sékou Touré dit clairement :

« Notre idée n’est nullement celle d’une séparation avec la France, mais la signification de la confiance, de l’amour que nous portons à la France ».

Mais c’est surtout le 17 février 1958, à la conférence dite de Regroupement des Partis Africains à Paris, que la thèse anti-indépendantiste sékou-touréenne est admise :

Citons André Blanchet qui écrit :

« Il est important qu’à l’égard des problèmes fondamentaux de la communauté franco-africaine, les soixante hommes réunis au Palais-Bourbon n’avaient eu à surmonter, semble-t-il que des divergences mineures pour s’entendre sur une définition de base… ».

Il faut plutôt rendre hommage à la mémoire de Modibo Keïta qui, accueillant le Ministre de la France d’Outre-Mer, Gérard Jaquet en mars 1958, donnera un cachet officiel au mot indépendance, en déclarant : « Si la France laisse échapper l’occasion de réaliser la communauté Franco-africaine, l’Afrique s’engagerait inévitablement sur la seule voie libre et compatible avec sa dignité, la voie de l’indépendance ».

Sékou Touré saisira cette balle au bond, et dira quelques jours plus tard à Conakry : « Si la France ne savait pas choisir à temps, l’Afrique se résignerait à ce seau dans l’inconnu ».

L’indépendance est donc pour Sékou Touré à la veille du référendum, un « saut dans l’inconnu », vers lequel cependant le poussent irrémédiablement, les étudiants, les jeunes, les travailleurs, et les prises de position sans équivoque de ses concurrents.

Et, sentant le retard qu’il commençait à accuser sur cette idée d’indépenlance, Sékou Touré, homme pratique, réaliste, prend les devants en se faisant passer pour le plus grand chantre, l’intransigeant apôtre de l’indépendance africaine en général et guinéenne en particulier.

C’est ainsi qu’il lira avec toute l’aisance requise devant le Général De Gaulle, le discours rédigé par d’autres…

Le discours a été si précis et si clair sur le point de vue guinéen face au referendum du 28 septembre 1958, que le Général dut répondre par un défi.

« On a parlé d’Indépendance. Je dis ici plus haut encore qu’ailleurs que l’indépendance est à la disposition de la Guinée. Elle peut la prendre. Elle peut la prendre le 28 septembre en votant non à la proposition qui lui est faite. Et dans ce cas, je garantis que la métropole n’y fera pas obstacle, elle en tirera bien sûr des conséquences, mais d’obstacle elle n’en fera pas et votre territoire pourra, dans les conditions qu’il voudra, suivre la route qu’il voudra ».

Oh ! parole prophétique ! les Guinéens ont effectivement suivi cette route, mais quelle route ! En tout cas elle ne fut pas enchantée !

Si Hamani Diori du Niger avait accepté la trahison à cause de l’argent contre Bakary Djibo, ce ne fut pas le cas en Guinée, où MM. Barry Diawadou, Keita Koumandian, Barry III, ont tous composé avec Sékou Touré pour voter non au referendum gaulliste.

Pour éviter les désordres à l’arrivée du Général De Gaulle à Conakry, M. Keita Koumandian consigna à domicile tous ses militants, pendant que Sékou ordonnait de faire des émeutes dont celle du 2 mai 1958, avec ses 200 morts et ses nombreux blessés, a été la meilleure illustration de cette violence sékoutouréenne.

  1. Du paradis au purgatoire

Les grandes religions enseignent qu’après la mort, l’homme ressuscite et passe devant le tribunal suprême du Tout-Puissant créateur qui récompense les bonnes actions par l’envoi de leurs auteurs au Paradis, lieu de repos et de quiétude éternels, et punit les hommes injustes en les condamnant au supplice de l’enfer éternel. Les religions précisent également qu’une fois admis au paradis, l’on n’en sort plus sous quelque prétexte que ce soit : c’est donc le purgatoire avant le paradis en règle générale. Sauf en Guinée où l’histoire nous a réservé le contraire.

En effet, les historiens nous ont appris qu’ avant l’intrusion coloniale, les populations guinéennes vivaient en grandes sociétés évoluées n’enviant rien à la lointaine Europe. Les premiers navigateurs portugais qui abordèrent les côtes guinéennes furent émerveillés par l’organisation politique et religieuse des populations noires. Par exemple, situés bien au-delà de la zone d’influence des musulmans arabes et berbères, les peuples Ashanti et Yorouba ont su créer et développer des civilisations remarquables. Les Yorouba furent de grands bâtisseurs et de grands artistes ; aujourd’hui l’art yorouba est célèbre dans le monde entier ; les villes de Bénin et d’Ifé, furent de grands centres artistiques avant l’arrivée des européens ; grands sculpteurs, les Yorouba ont laissé des œuvres remarquables par la finesse du travail et par le souci des artistes de représenter avec exactitude les traits des personnages.

L’intrusion européenne mit donc fin à cette vie paisible africaine pour entraîner de force toute l’Afrique — le continent et ses hommes — dans un purgatoire immérité qui durera pour la Guinée, [plus de] 60 longues années (1898-1958) [en réalité de 1896 à 1958].

  1. Du purgatoire à l’enfer

Les premiers navigateurs portugais qui atteignirent la Guinée lui donnèrent le nom de Rivières du Sud. Sur ses côtes les marchandises s’y échangeaient contre des produits précieux. L’or de Bouré et d’ailleurs, et peut être déjà les diamants (??) de la forêt, l’ivoire des éléphants, et aussi contre des hommes, car la Guinée s’est, hélas, rendue célèbre par le trafic de ses esclaves.

Mais qui dit « esclaves », dit aussi « pirates » et ceux-ci furent très nombreux sur les côtes des rivières du Sud. C’est dans une île en face de Conakry, l’Ile Room que le romancier anglais Stevenson a placé l’action de « l’Ile au trésor » qui a sans doute, dans une édition illustrée, éveillé votre jeunesse aux récits des corsaires3.

C’est pour les combattre, et réduire à la fois l’esclavage et assurer la protection de leurs ressortissants que les européens ont, au siècle dernier, amené leurs soldats et leurs marins le long des côtes de Guinée. Le Portugal, l’Angleterre, l’Allemagne et la France se disputèrent longtemps ces morceaux de terre africaine qui changèrent de main au gré des victoires et des défaites en Europe. C’est parce que la France accède par le Sénégal et le Soudan (Mali) aux hauts plateaux guinéens qu’elle reste en définitive dans ce pays jusqu’au 2 octobre 1958, date de la proclamation de l’indépendance guinéenne.

Toutes les entreprises humaines doivent avoir pour but de rendre l’homme et le peuple heureux. C’est ainsi que l’indépendance guinéenne trouvée au fond des urnes en 1958 a suscité de grands espoirs chez le peuple, mais malheureusement vite déçus. Voyons donc si le peuple de Guinée a eu raison ou tort de regretter la colonisation française pendant le quart de siècle de son indépendance du 2 octobre 1958 au 3 avril 1984.

En effet il a été victime de :

  • tyrannie et dictature sanglante exercées par une famille,
  • suppression de toutes les libertés démocratiques
  • marasme économique
  • éducation et instruction publiques vidées de leur contenu
  • fournitures obligatoires de denrées et de produits agricoles (sous l’appellation de normes)
  • dégradation des acquis (infrastructure, habitat, etc.)
  • création de tribunaux d’exception dans des camps de type nazi, où ont lieu tortures et assassinats individuels et collectifs pendant 24 ans
  • prostitution des mœurs.

De tous ces crimes, voyons quelques exemples économiques.

En 1958, la France a laissé son ancienne colonie, la Guinée avec une production agricole contrôlée à la sortie, représentant un tonnage brut exporté de 101 326,500 tonnes pour une valeur totale de 3 863 122 dans lesquels entrent les fruits frais (bananes, ananas, agrumes) et transformés (conserves, huiles essentielles). 26 ans plus tard, cette production est tombée à zéro.

D’autre part, dans le cadre de l’industrialisation de la Guinée coloniale, il faut retenir que la prospection a permis de découvrir les plus importants gisements de bauxite de l’Afrique de l’Ouest.

  1. Travaux envisagés par les autorités coloniales
  • Extraction du minerai que l’on trouve par millions de tonnes, le débarrasser de ses impuretés et en transformer une partie sur place en alumine, première étape de la fabrication de l’aluminium.
  • Dans un délai de trois à cinq ans deux combinats industriels doivent être créés pour parvenir à cette fin :
    • le premier en importance, celui de Fria, produira à partir de 1960, 480 000 tonnes d’alumine, chiffre égal en gros à toute la production française
    • le deuxième, celui de Boké, dont l’exploitation commencera deux ans plus tard est destiné à produire 22 000 tonnes d’alumine. Mais ces objectifs ne sont que la première étape d’un plan beaucoup plus vaste qui a pour but de fabriquer sur place, à Fria, dès 1965, 150 000 tonnes d’aluminium par an, soit en une usine, autant que l’ensemble de la production française actuelle.

Cette production ne peut être atteinte que si l’énergie nécessaire à la fabrication est elle-même fournie par un barrage dont la construction est prévue à 40 km de Fria, à Souapiti, sous la forme d’une immense montagne de terre. Cette montagne dont les terrassements mis bout à bout, permettraient la construction d’une route de 6 000 km, retiendra derrière elle un lac dont la superficie représente à elle seule les deux tiers de celle du lac de Genève : l’énergie fournie — plus de 3,2 milliards de kWh sera aussi importante que celle des deux barrages français réunis de Génissiat et Donzère- Mondragon.

Tous les projets de la deuxième étape sont encore au stade de projets où les a laissés la France en 1958.

Des Rivières du Sud, de la Suisse africaine ou de la Guinée Conakry tout court, les 26 ans d’indépendance ont laissé un pays gravement menacé par la sécheresse, avec une population affamée, malade de tous les maux dont les meilleurs cadres sont soit tués en prison soit détenus de longues années dans des camps de concentration.

« Il pleut trop à Conakry » : 4,5 m de pluie en 1958.
« Nos cultures manquent gravement d’eau » : 1,45 m de pluie à Conakry en 1983.

Appréciez vous-mêmes !

Jusqu’en 1958, la Guinée exportait les produits suivants : agrumes, ananas, autres fruits : arachides en coque, bananes fraîches, bananes séchées, café, cire d’abeille clarifiée, colas, conserve de fruits, jus, essence d’orange autres essences, miel naturel, noix de coco, palmiste, peaux et cuirs divers, piments et épices, sésame, tabac brut, huile de karité, écorces de quinquina, animaux vivants, produits végétaux, poissons, légumes frais. En 1983, de tous ces produits, dont les guinéens nés entre 1958 et 1984 ignorent l’importance économique, la Guinée n’exportera qu’après l’avènement du C.M.R.N.

Conakry : village… ville… ruine !

En ce mois d’août 1889, Conakry n’est qu’un petit village d’une vingtaine de cases, qui disputait à Boulbinet, autre village situé à 800 m environ, la prédominence sur l’île de Tumbo. A Conakry, on ne comptait guère qu’une maison française.

Élevée au rang de capitale, mieux placée, mieux équipée, la cité de l’île Tumbo ne tarde pas à se construire, à se développer et à surclasser les vieilles enclaves des « rios ». En 1901 fut construit l’hôpital Ballay et, les trois grandes œuvres qui allaient donner à Conakry son véritable couronnement comme capitale du pays furent la réalisation de la conduite d’eau, la route vers le Niger et le chemin de fer. Les deux premiers projets furent réalisés et terminés en 1903 et le dernier en 1914.

De petit village en 1890, lisez la description de Conakry par Georges Poiret.

  1. Une ville nouvelle : Conakry

« Le 1er janvier 1890, l’île Tumbo fut choisie comme capitale : des roches volcaniques formant brise-lames, une plage de sable fin, des cocotiers échevelés ; en arrière, la grande futaie dont les verdures trempées ont des scintillements d’émeraude.

Conakry passe pour la plus belle ville de la côte occidentale d’Afrique sous ses avenues bordées de manguiers géants, formant voûte épaisse, l’insolation n’est plus à craindre. Les boulevards n’attendent plus les édifices ; de coquettes villas se cachent parmi des bosquets de lianes et de fraîches verdures. Une eau pure jaillit des fontaines et des bassins, et, sur la corniche qui borde l’île, des pousses élégantes se succèdent : c’est l’heure de la promenade le soleil, maintenant inoffensif, se borne à enluminer les fresques de nuages ; les îles de loos, au loin, se pourprent de rayons changeants une apaisante brise marine passe sur la ville ; dans l’écartement des palmes, on voit de courtes vagues mordorées se poursuivre sur la mer. Conakry n’a plus rien à envier aux autres villes poétiques de l’archipel malais qui enchantèrent la jeunesse de Marcel Monnier et qu’il proposait en exemple aux édiles dévastateurs de Conakry. »

Après Conakry la capitale ou perle de la Côte d’Afrique, le gouverneur de la Guinée, Parisot, écrit en 1953 :

« La Guinée française n’a longtemps été considérée que comme une région d’élection de l’Afrique Occidentale où touristes et ethnographes pourraient contempler des paysages dignes d’une imagination romantique et assister aux manifestations de civilisations primitives conservées dans toute leur pureté. La Guinée française offre au visiteur et au chercheur la diversité constamment renouvelée de ses paysages, de ses populations, de son folklore. Mais la Guinée française n’est pas que cela ; c’est aussi un pays qui, depuis dix ans, s’éveille à une vie économique intense ; ses ressources agricoles et pastorales traditionnelles sont venues s’ajouter à la prospection et l’exploitation méthodique de son sous-sol, l’aménagement de barrages, la création de nombreuses industries, l’extension et l’amélioration de son réseau routier. A cette contrée qui naguère encore, retenait surtout l’attention par son charme désuet et sa grâce alanguie, la présence française a donné une nouvelle jeunesse et ouvert les plus belles perspectives d’avenir.

Notes
1. Correction. Aguibou était un frère cadet, et non le père de Ahmadou Shaykh. De surcroît, en 1885-87, Elhadj Umar Tall, le père de Ahmadou, n’était déjà plus puisque sa mort remonte à 1865 à Jegembere (Mali). — T.S. Bah
2. Appelée Haut-Niger au début de la conquête militaire française, le territoire colonial du Soudan n’existait pas à l’époque. C’est lui qui prit le nom de république du Mali en 1960. Tierno S. Bah
3. Voir également Un weekend à ConakryTierno S. Bah

Chapitre Deuxième
Les faits

1. Prostitution

A. Il ne s’appelait pas Camp Boiro

En construisant en 1944 le Camp de Camayenne ou Camp des gardes-cercles, le gouverneur de la Guinée française, Jacques Fourneau (25 mars 1944 – 30 avril 1946), ne pensait pas que son oeuvre, si utile au départ, servirait un jour (16 ans plus tard) à détruire la vie de milliers de guinéens et guinéennes tous innocents les uns que les autres. En effet, de retour d’une mission de bonne volonté en Chine et au Viet-Nam, la délégation guinéenne insiste auprès du Chef de l’Etat sur la nécessité de créer un camp d’internement et de tortures pour servir d’épée de Damoclès au régime de terreur mis en place par le Parti unique, le P.D.G. Le choix fut porté sur le camp des gardes-cercles, dont les agents assureraient sans difficultés la garde des futurs prisonniers politiques. Les travaux de construction de cette gigantesque prison comptant onze bâtiments principaux furent engagés et terminés en 1960 sous la surveillance du Ministère de la Défense et de la Sécurité.

  1. Bâtiment abritant les bureaux de la Commission d’enquête.
  2. Tête de mort : où les détenus sont parqués comme des animaux. Ils y meurent par dizaine tous les jours.
  3. Poste X : autre lieu de regroupement, d’entassement des pauvres détenus que la mort enlève par pitié mettant ainsi fin au supplice des malheureux.
  4. Cabine technique : avec ses appareils de torture.
  5. Bâtiment administratif à l’intérieur du Bloc : où sont entassés les effets volés aux domiciles des détenus au moment de leur arrestation.
  6. Bâtiment no. 5 : métallique comprenant 16 cellules d’un mètre de large sur deux de long, numérotées de 47 à 62.
  7. Bâtiment no. 6 métallique comptant 14 cellules de 63 à 76.
  8. Bâtiment no. 4 portes en bois massif réunissant 16 cellules de 31 à 46.
  9. Bâtiment no. 2 portes en bois massif avec 10 cellules de 11 à 20.
  10. Bâtiment no 1 : portes en bois comptant 10 cellules de 1 à 10.
  11. Bâtiment no 3 : portes en bois comprenant 10 cellules de 21 à 30.

En attendant les résultats des travaux de la commission nationale d’enquête, nous sommes en droit de supposer que le Parti Social Démocrate allemand et son leader Adolf Hitler ont créé plus de camps de concentration avec des moyens de destruction de l’homme plus perfectionnés, et tué plus d’hommes, de femmes et d’enfants que les cas qui nous préoccupent, cependant Sékou Touré et son P.D.G. n’ont pas fourni moins d’effort dans la compétition sanglante.

A la chute du nazisme, l’humanité a été scandalisée devant 5 phénomènes ssentiels :

  1. La cruauté de l’équipe nazie
  2. La monstruosité des crimes commis à l’échelle internationale
  3. La perfection des machines de destruction
  4. La détermination d’un groupe de racistes à supprimer des races entières
  5. L’existence trop longue (3 à 4 ans) de ces camps de la mort, dont la nouvelle de la tragédie n’a point filtré jusqu’à leur destruction par les forces alliées.

Si l’on perd le souffle devant les horreurs de quatre ans, c’est possible qu’on meure en apprenant tout ce qui s’est passé à Boiro et… pendant 24 ans…

En étudiant le mécanisme de fonctionnement de cette machine infernale, l’on saura pourquoi le mystère a trop longtemps entouré le Camp Boiro (1960-1984, soit 24 ans de silence).

De son avènement à sa mort, Sékou Touré a usé d’une seule technique pour s’imposer au peuple de Guinée. Cette technique est celle de la violence, appuyée sur la mobilisation de citoyens marginaux (voyous sans adresse, femmes ambitieuses, fainéants de tous bords).

Les premières manifestations de cette violence datent de février 1955 pour se poursuivre en octobre 1956, en avril 1957 et en mai 1958 à Conakry entre les formations de choc du P.D.G. (Parti Démocratique de Guinée) créé le 14 mai 1947, comme section guinéenne du R.D.A. (Rassemblement Démoratique Africain dont Félix Houphouët-Boigny est le Président depuis sa constitution à ;amako en 1946) et les militants des autres partis politiques du territoire. Ces bagarres ont fait beaucoup de morts (200 morts la nuit du 2 mai 1958 à Conakry).

Ces victimes, déjà anonymes, dont le souvenir doit être associé à celui de outes les autres victimes jalonnant l’histoire du P.D.G., doivent être recensées pour une meilleure comparaison entre Hitler et Sékou. Le travail de statistique ne sera pas aisé car, toutes ces innocentes victimes des bagarres entre partisans, n’ont subi aucune forme de détention. Elles ont été purement et simplement massacrées dans leurs maisons ou pourchassées et égorgées dans les rues de Conakry. Certains cadavres furent rassemblés à la morgue de l’hôpital Ballay, mais d’autres ont été jetés dans des puits inutilisés et à la mer. Que le Tout-Puissant Allah ait l’âme de ces sacrifices de la liberté.

Pour le peuple de Guinée et pour tous ceux qui s’intéressent à son histoire, ces violences étaient le fait d’un homme aux fins d’une politique sanglante du début à la fin. C’est à partir de la fusion réalisée des principaux partis politiques et de la proclamation de l’indépendance le 2 octobre 1958, cette situation nouvelle rendant impossible ce prétexte de violences incontrôlées, que le nouveau secrétaire général du P.D.G., Sékou Touré trouvera un nouveau cheval de bataille qu’il appellera le complot permanent.

En effet, plus de vingt complots ont ravitaillé les Camps Boiro, Alpha YayaKindia et Kankan.

Notre propos n’est pas de décrire chacun de ces complots qui ont présenté les mêmes caractéristiques générales mais, pour saisir le sens de la démocratie, de la liberté Sékou Touréennes, un résumé substantiel de ces fameuses manifestations, fruit de l’imagination fertile d’un groupe hitlérien, est nécessaire.

Premier « complot » dit Ibrahima Diallo, 1959-1960

Ibrahima Diallo, tout comme la plupart des intellectuels guinéens, dans l’euphorie de l’Indépendance nouvellement proclamée, rentre en Guinée, décidé à mettre à la disposition du jeune état son expérience et ses connaissances. Exploitant les dispositions de la constitution, il envisage de créer le parti progressiste de Guinée, P.P.G., en accord avec d’autres jeunes cadres dont Jean-Marie Yattara, avec qui il rédige un manifeste : la démocratie à l’ombre de Sékou Touré. Diallo voulut envoyer imprimer ce document en Suisse, mais il fut saisi à l’aéroport de Conakry. A une conférence du P.D.G. à Kankan en février 1960, une affaire est évoquée au tribunal concernant le non paiement d’indemnités de déguerpissement versées par la compagnie des Bauxites de Kassa à un syndicat représenté par Sékou Touré. Diallo Ibrahima plaide pour les déguerpis et prouve la malhonnêteté du « grand syndicaliste » Sékou Touré qui se fait passer pour le plus grand saint.
Ça y est ! le prétexte est tout trouvé. Voici un complot qualifié de crapuleux par le P.D.G. contre le gouvernement. Les arrestations commenceront à partir du 20 avril 1960. Elles ont lieu de nuit, les victimes étant trouvées généralement en plein sommeil. C’était déjà une atteinte très grave au droit d’inviolabilité du domicile du citoyen pendant la nuit (du coucher au lever du soleil). Diallo Ibrahima, arrêté, torturé aurait été fusillé au sommet du mont Kakoulima le 17 mai 1960.

Deuxième « complot » dit des Enseignants, 1961.

Trois ans de souveraineté mais aussi de difficultés socio-économiques sans solution satisfaisante.
En août 1961, lors d’une conférence nationale du Parti, la question scolaire avait fait l’objet d’un désaccord entre la Direction du P.D.G. et celle du Syndicat des enseignants. Le gouvernement, ne tenant aucun compte de ses promesses, publie un texte « statut particulier de l’Éducation nationale », le 30 septembre 1961, où, au lieu d’améliorer leurs conditions salariales, les enseignants sont plutôt brimés. Un mémoire est ainsi rédigé et communiqué au gouvernement. Une rencontre eut lieu entre la direction du Syndicat et le gouvernement ; celui-ci chercha à réfuter le mémoire mais cela était plutôt malaisé car il s’agissait de cas très concrets. Après l’exposé du Président Sékou Touré, la séance fut levée sans que le syndicat ait dit son point de vue. Il devait exprimer celui-ci dans une lettre où il constatait n’avoir pas été convaincu par le gouvernement.
Voilà que s’ouvre le 16 novembre 1961 une conférence de la C.N.T.G. (Confédération nationale des travailleurs de Guinée) qui entend ses sections exposer en grand nombre leur appui au mémoire des enseignants. La direction du P.D.G. y trouve une occasion à ne pas manquer ; celle de frapper l’imagination des masses, de les terroriser, de mettre fin aux velléités de revendications salariales. L’opération consistait surtout à éliminer de la scène publique M. Keita Koumandian, Secrétaire général du Syndicat des enseignants de l’Afrique noire, membre du bureau de l’U.G.T.A.N. (l’Union générale des travailleurs de l’Afrique Noire). En effet, un homme aussi moralement sain que politiquement honnête, grand syndicaliste africain, M. Keita Koumandian, anti-thèse de Sékou Touré, ne pouvait être qênant pour le leader du P.D.G. dont on ne saura les véritables intentions qu’à partir de 1961.
L’arrestation et la condamnation des dirigeants syndicalistes enseignants secoua profondément les esprits des élèves et étudiants qui réclamèrent leur libération immédiate et inconditionnelle ; ce qui eut pour résultat de durcir la Direction du P.D.G., c’est-à-dire Sékou Touré qui était de facto « Responsable Suprême de la Révolution ».
L’arrestation des dirigeants syndicalistes enseignants et les mouvements d’opinion et de masse qui en résulteront conduisirent la direction du P.D.G. à approfondir le « complot » qui devient celui des intellectuels.
Ainsi, bien des intellectuels de la diaspora actuelle se sont enfuis à l’époque, rejoignant ceux qui avaient décidé de s’exiler tant que sera au pouvoir le régime du P.D.G. en Guinée. Cependant, d’autres, des opportunistes saisirent cette occasion pour faire une planque dans l’appareil d’État pour jouir et non pour servir. Cette mentalité se forgera un slogan qui fera fortune et qui fera bien du mal à la Nation et à l’État guinéens, à savoir que l’engagement politique d’un cadre est plus important que sa compétence professionnelle (ce qu’ils appelaient engagement politique n’étant en fait qu’une subordination verbale ostentatoire à Sékou Touré dans le but d’obtenir de lui des nominations de faveur).

Troisième « complot », l’affaire des femmes, octobre 1964

Au cours de la rentrée scolaire d’octobre 1964, un grand nombre d’enfants avaient été refusés dans les écoles de Conakry. Les mères manifestèrent leur mécontentement en organisant une marche de protestation sur la Présidence. Le cortège fut intercepté par Mafory Bangoura, alors Présidente des femmes du P.D.G., dispersant les femmes après les avoir calmées.
Mais ce n’est pas fini ! Pour M. Sékou Touré, c’est le 3e complot contre le gouvernement. Et, pour mater l’esprit ainsi né et affirmé, il ordonne une rafle de femmes devant les entreprises d’État et dans les rues de Conakry. Les malheureuses femmes en très grand nombre furent envoyées au Camp Alpha Yaya où elles subirent les pires traitements.
Elles furent déshabillées et, toutes nues, obligées de marcher du camp au Palais de la Présidence (15 km). Certaines en moururent de honte, alors que d’autres s’exilèrent. Cette affaire eut une terrible impression au sein du public et, c’est après ce travail psychologique de terreur qu’il inventa sa fameuse loi-cadre du 8 novembre 1964.

Quatrième « complot » dit complot Petit Touré, 1965

Cette autre violence est la suite logique de l’affaire du 8 novembre 1964 qui avait été dirigée contre les commerçants privés. Puisque la population n’avait pas accepté les thèses de novembre 1964, le dictateur devait préparer un autre complot plus monstrueux, faisant plus d’effet par sa cruauté et sa dimension que les précédents.
Mamadou Touré dit Petit Touré, riche commerçant précédemment installé en Côte-d’Ivoire, Kélétigui Touré et Moussa Touré sont trois frères, fils de Bô Touré, lui-même fils de Kèmé Kourema, frère de Samory. Le rappel de leur naissance n’est pas inutile car c’est un alibi valable et suffisant pour leur arrestation et leur liquidation, car Sékou Touré a juré d’éliminer systématiquement trois catégories de personnes :

  • les intellectuels de toutes formations
  • les riches, possesseurs d’argent ou de biens matériels
  • les « biens nés », souche féodale surtout.

Mais écoutons plutôt Kinsan Sylla, fils d’Almamy Bakary Sylla, ex-chef de canton de Kinsan (Kindia), un ami de Petit Touré, expliquer le mécanisme qui a emporté tout le peuple de Guinée :

« Nous avons fermement cru en l’homme qui, par ses déclarations convaincantes, passait pour le plus grand défenseur des intérêts des masses populaires opprimées. Nous avons pris pour argent comptant tout ce qu’il disait avec force dans ses meetings. Nous nous sommes littéralement jetés dans les bras de l’hypocrite qui tournait autour de nous comme un vautour affamé. Il était effectivement un carnassier avide de sang. C’est, fort des dispositions de notre constitution qui stipule la liberté de parole, d’association, de presse, de créer un parti, que Petit Touré décida de créer le parti de l’Unité Nationale Guinéenne. Le 11 octobre 1965 à 10 h, Petit Touré, son frère Kélétigui, Kémoko Samake dit Kolatambi, Sékou Touré un commerçant et moi-même, sommes rendus au Ministère de l’Intérieur pour déposer les statuts de notre Parti. Petit Touré remit un exemplaire au Président de la république et des exemplaires à la presse. »

Voilà ce que Sékou Touré appelle le grand complot des commerçants qui a fournit le prétexte d’arrêter et tuer tous les grands commerçants qui avaient survécu à la loi-cadre du 8 novembre 1964.

Les trois frères Touré sont arrêtés, comme des centaines de commerçants, de fonctionnaires, de privés, d’étrangers, d’africains et de militaires trop vises l’époque.
Petit Touré et son frère Kélétigui sont tués par la diète noire (mort par privation totale d’eau et de nourriture) ; ils sont morts respectivement le 21 octobre et le 2 novembre 1965.
Quelques jours plus tard les familles des deux frères tués sont expulsées .e leurs maisons, tous les biens confisqués, du balai aux bâtiments. Diao Diallo, frère d’une des femmes expulsées reçoit chez lui les membres des deux familles « reniées ». Il sera lui-mêmeêté quelques jours après, interné à Boiro, puis menotté et escorté jusqu’à N’Zérékoré où il purgera cinq ans de détention sans aucune forme de procès. Alamdia, l’épouse de Petit Touré, une nigérienne, sera également arrêtée, alors qu’elle était en grossesse de 4 mois. Elle accouchera en prison d’un garçon qui fera lui-même la prison jusqu’à l’âge de trois ans, avant d’être rendu à la famille de son père tandis que sa mère continuera à purger sa peine jusqu’en 1970, date à laquelle, elle sera renvoyée à Niamey sa ville natale. Kadiatou Diallo, l’épouse de Kélétigui, sera arrêtée le 19 décembre 1965 à 2 h du matin et emmenée en prison avec son bébé de 20 jours.

Cinquième « complot », non baptisé, 1968

D’humbles citoyens, pour la plupart des mécaniciens, chauffeurs, manoeuvres, exploitent les dispositions de la constitution qui autorise tout citoyen majeur d’être électeur et éligible, pour présenter un candidant à la présidence de la République, un certain Fofana Boubacar qui sera immédiatement arrêté avec 13 autres partisans. Ils seront accusés de crime de lèse-majesté et gardés longtemps en prison pour ceux qui n’ont pas été tués.

Sixième « complot » dit Complot Kama-Fodéba, 1969»

Quelques jours après le coup d’État du Mali, Sékou Touré redoutant la contagion en Guinée du fait des relations amicales existant entre les nouveaux dirigeants de Bamako et certains officiers guinéens (compagnons de stages de formation ou d’études dans les académies militaires), décide de prévenir toute velléité de putch en Guinée.
Pour ce faire, il nomme à la tête de quelques entreprises d’État certains officiers très populaires, et le Colonel Kaman Diaby, en qualité de Secrétaire d’État à la milice, en vue de les éloigner des camps.
Le détonateur sera au camp militaire de Labé où certains parachutistes font un petit mouvement de revendication interne sans importance. Sékou Touré s’en saisit pour trouver moyen d’inventer un complot, celui qu’il a toujours redouté et dont il imaginé si bien le scénario. Ce complot prétendûment ourdi par les officiers et les Ministres très populaires, tendant à assassiner le Chef de l’État », fournit le prétexte pour arrêter les meilleurs parachutistes de la jeune armée nationale : Namory Keita, Aboubacar Camara dit M’Bengue, Mouctar Diallo, etc. Une commission d’enquête est dépêchée à Labé où elle procède à l’arrestation de plusieurs officiers, sous-officiers et hommes de troupe (10 mars 1969). Ainsi naquit le fameux « complot Kaman-Fodéba » qui emporta les cadres sursitaires des « complots » précédents :

Pour la première fois est organisée une parodie de tribunal dit révolutionnaire. L’on passe les bandes magnétiques des accusés qui sont condamnés sans être entendus ni défendus. Verdict :

  • Treize (13) condamnations à mort, exécutées le 24 mai 1969 au poste d’enrobage sur la route de Kindia (ancien champ de tir de l’armée)
  • Neuf (09) condamnations aux travaux forcés à perpétuité
  • Douze à vingt (20) ans de travaux forcés
  • Six (06) à 10 ans de prison ferme
  • Un (01) à 5 ans de prison
  • Quatre (04) acquittés au bénéfice du doute.

Ces malheureux prisonniers, tous innocents, détenus dans des sordides cellules du triste Camp Boiro, seront libérés par les Portugais le 22 novembre 1970. Repris quelques heures après, ils seront transférés à Kindia et, au cours du transfert, le Capitaine Pierre Koivogui sera tué d’une balle tirée par des agents de la sécurité routière. Signalons deux faits troublants : Sékou Touré était décidément un « grand stratège ». Il fait exécuter des prisonniers le 3 janvier 1971 sous le mont Gangan à Kindia alors que le tribunal chargé de les juger est convoqué pour le 2 janvier à Conakry. On vient donc juger des cadavres dont Sékou seul sait la mort. Il se moque de qui ?
C’est ainsi que le Ministre Balla Camara, l’ambassadeur Achkar Marof et Koivogui Charles, frère de Pierre Koivogui tué sur la route de Kindia, sont exécutés avant cette parodie de jugement.

Septième « complot » dit complot Tidiane Keita, 1969

Dans la matinée du 26 mai 1969, au cours de la visite officielle du Président Kenneth Kaunda de Zambie, Sékou Touré est agressé dans sa voiture par un certain Tidiane Keita, qui est aussitôt tué par un officier de l’escorte présidentielle. Les responsables opportunistes, saisissent cette occasion pour se tailler une place de choix dans le cœur du tyran, en rasant la concession du père de Tidiane. Le pauvre vieux Lancéï, père de Tidiane se retrouve en prison, avec deux chauffeurs de taxi, Diallo Alpha Oumar et Bah Boubacar, arrêtés pour avoir commenté l’incident de l’agression de Sékou par Tidiane Keita.
Ce coup Tidiane sera marié aux précédents complots imaginaires et rattaché aux suivants, surtout celui de 1970-71, et occasionnera de nombreuses arrestations et exécutions.

Huitième « complot », cas Almamy David Sylla, 1969

Un des plus prestigieux chefs de canton de la Guinée, Almamy David Sylla est choisi comme bouc-émissaire, étant entendu qu’en s’opposant à un homme d’envergure, le P.D.G. passait pour puissant aux yeux du peuple qu’il cherchait à mystifier. En l’accusant de l’assassinat d’une femme en grossesse avancée, M’Balia Camara que Sékou proclame héroïne nationale, le leader du P.D.G. trouve le moyen politique le plus sûr pour mobiliser les masses et galvaniser leur énergie combative. Comme tous les cadres politiques grands patriotes, Yacine DialloMamba Sano, Koumandian Keita, Karim Bangoura, Barry Diawadou, etc. Almamy David Sylla a été de tout temps la bête noire de Sékou Touré. Arrêté le 27 septembre 1969 avec son fils Almamy Dédé Sylla, il mourra le 12 juillet 1970, laissant 4 veuves et 47 enfants vivants dont 20 garçons et 27 filles. Les cérémonies funèbres d’Almamy David Sylla serviront de prétexte à l’arrestation de Madame Hadja Loffo Camara, membre du Bureau Politique National (organisme suprême du P.D.G.), ministre des Affaires Sociales, un des cadres fondateurs du Parti Démocratique de Guinée. Mme Loffo Camara sera exécutée le 25 janvier 1971 et jetée dans une fosse commune avec quatre hauts fonctionnaires pendus en plein centre-ville à Conakry. Il s’agit des Ministres Baldet Ousmane, Barry III, Magassouba Moriba, et le commissaire de Police Keita Kara.

Neuvième « complot », agression du 22 novembre 1970

Voici l’opération qui a le plus réussi de tous les feux complots inventés par la matière grise de Sékou Touré avec le concours technique de ses demi-frères Ismaël et Siaka Touré. En effet, un seul instant le peuple de Guinée n’a pu douter de l’authenticité des déclarations tonitruantes de Sékou à propos de l’agression « impérialo-portugaise » du 22 novembre 1970.

Le peuple de Guinée sera donc surpris d’apprendre la réalité sur cette agression qui, au départ n’en était pas une.

En effet, selon un marché de dupe conclu entre Sékou Touré et les autorités portugaises, il est convenu que celles-ci pouvaient venir chercher le fils du maire de Lisbonne détenu par le P.A.I.G.C. (Parti Africaîn de l’Indépendance de la Guinée Bissau et des Iles du Cap Vert) comme prisonnier de guerre au cours d’un de ses affrontements avec l’armée portugaise a fait prisonnier le fils unique du maire de Lisbonne qui a entrepris, avec le concours du gouvernement portugais des négociations en vue de récupérer son héritier. Sékou Touré exige le paiement d’une forte rançon dont la nouvelle filtre et tombe dans les oreilles d’Amilcar Cabral, Secrétaire Général du P.A.I.G.C.

Homme intransigeant, Amilcar Cabral se brouille avec Sékou Touré pour plusieurs autres raisons politiques et financières dont notamment, la possibilité d’annexion de la Guinée Bissau indépendante par la République de Guinée, la gestion unilatérale (par Sékou Touré) des fonds du P.A.I.G.C. qu’il considère et traite comme une section du P.D.G. Ces raisons ont créé une réelle tension entre les deux hommes politiques aux idéaux totalement différents. L’un, Cabral, a des objectifs nobles à atteindre , l’autre, Sékou, des buts à atteindre par tous les moyens . Plusieurs fois ils élèveront le ton à propos d’argent du P.A.I.G.C. que Sékou veut coûte que coûte régenter.

Sékou, très patient, a attendu le moment propice pour abattre son hôte trop « têtu », qui entend gérer les fonds de son Parti sans en laisser le soin à son « grand frère ». Pour le moment, Sékou laisse Cabral et s’occupe de négociations avec le maire de Lisbonne. Les choses semblent bien marcher car, de Mamou, le jeune prisonnier portugais est transféré à Conakry sur ordre de Sékou et ce, à la veille de l’agression. Les autorités portugaises, de concert avec un certain mouvement dissident, organisent le débarquement du 22 novembre 1970 qui servira de prétexte à Sékou Touré pour commettre le plus grand crime de son règne.
Des milliers de personnes sont arrêtées dans toutes les préfectures — paysans, élèves, ouvriers, commerçants laissés en 1964, 1965-1969, fonctionnaires, militaires, membres du gouvernement, dirigeants du Parti — alimenteront tous les camps de concentration.
Le 21 janvier 1971, une seconde parodie de tribunal populaire est ouverte pour enfanter la 5e colonne ou la grande purge Sékou Touréenne d’une envergure jamais connue.
En effet, l’emploi populaire de ce terme en République de Guinée date des premiers mois de l’année 1971.
Nous le devons à l’imagination fertile de l’artiste Emile Cissé, dont Sékou a malheureusement utilisé l’intelligence au service du mal. Malgré les arrestations successives depuis 1959, Sékou Touré et ses adeptes trouvent qu’il y a encore trop de cadres formés à l’École d’hier, qui sont donc des ennemis potentiels de la « Révolution ». Il faut trouver moyen de les « liquider sans pitié ni remords », comme l’a proposé un fondateur du P.D.G. en réunion du Bureau Politique National dès l’année 1958, quelques mois seulement après la proclamation de l’Indépendance. Sékou Touré, certainement plus « malin » aurait demandé à ce cadre-là, la patience jusqu’à ce que tous les adversaires politiques oublient qu’ils ont des comptes à rendre au P.D.G. victorieux, selon ses propres termes. « L’ennemi ancien est aussi le nouvel ennemi », aimait à répéter Sékou Touré invitant ses collègues à la vigilance : « Nous les frapperons au moment où ils ne s’y attendent plus ».
Voilà quelques propos précurseurs des nombreux complots conçus, préparés, exécutés par Sékou Touré, sa famille et leurs complices contre le peuple de Guinée.
Pour des prétextes, ayant trait plus aux problèmes de femmes, de place et de querelles de familles qu’au complot, Sékou Touré saisira la balle au bond pour arrêter tous les anciens adversaires politiques, les membres des principales familles de l’ex-féodalité, les officiers supérieurs de l’armée, toutes les personnes pécunièrement nanties, tous les cadres politiques ayant des assises populaires, les universitaires, opposants potentiels, les ménages mixtes, de nombreux ressortissants étrangers (français, allemands, libanais, grecs, syriens), qui jouissaient d’une certaine notoriété publique.
Les arrestations estimées à plus de douze mille, ont entraîné la mort de plus de 9 000 (neuf mille) détenus dont le recensement ne sera jamais exact. En perdant ses meilleurs cadres dans tous les domaines, le peuple de Guinée a enregistré la plus amère mais aussi la plus exaltante des leçons de l’histoire. Il a su « qui est qui dans quoi pour faire quoi en faveur de qui ». Que Sékou Touré fasse de tout un peuple ce qu’il veut, le traîne dans la boue, l’humilie, l’affame, le corrompt et le décapite en tuant les « génîes qui l’éclairent ainsi que les meilleures mains qui le servent » est une douloureuse expérience, mais une expérience quand même.
Que Sékou Touré commette tous ces crimes sous l’oeil complice de prétendus amis guinéens d’Afrique et d’ailleurs et qu’aucun n’ait levé le petit doigt en signe de protestation contre les monstruosités, cela a donné et donne encore une grande leçon aux Guinéens qui ne cessent de recevoir, depuis le 3 avril 1984, des frères, amis, cousins, grands pères, oncles, tontons et tanties qui viennent s’appitoyer sur leur état et proposer des solutions-miracles aux douloureux problèmes de développement économique de la nation.
Que Sékou Touré accuse par des tribunaux d’exception non seulement les cadres nationaux mais de nombreux ressortissants étrangers, lance des défis aux plus grands services secrets du monde (CIA, FBI, SCOTLAND YARD, KGB, SEDEC), crie sur tous les toits la coalition de toutes les puissances contre sa personne et son petit pédégé (Parti Démocratique de Guinée), lance des injures grossières toutes les 72 heures contre les gouvernements, les hommes politiques éminents, les partis politiques, les syndicalistes, les charlatans, les marabouts les plus craints, les intellectuels, les hommes d’affaires, les savants, les industriels, les artistes, les sportifs, les commerçants, les religieux les plus prestigieux (imams, prêtres, papes), en un mot, que Sékou Touré insulte brillamment tous les grands de ce monde et impunément, comportement invraisemblable mais vrai qu’il a « affiché » comme une arme contre son peuple, continue d’étonner les historiens, les politiciens, les sociologues et d’autres spécialistes.
Que Sékou Touré brave les États-Unis d’Amérique, première puissance économique du monde, en les menaçant d’entrer en conflit armé avec eux, saccage leur ambassade à Conakry, n’est pas seulement l’affaire des États-Unis, mais aussi et surtout celle du malheureux peuple de Guinée que Sékou Touré cherchait à intimider en s’attaquant au plus géant du monde. « Si les plus grands de la terre n’osent pas s’attaquer à lui, c’est parce qu’il est plus fort qu’eux, donc le peuple de Guinée a intérêt à se tenir tranquille ».
C’est l’analyse et la conclusion que recherchait Sékou Touré. Qu’aucun gouvernement, surtout de l’Occident n’ait répondu de quelque manière que ce soit à Sékou Touré a été considéré par la plupart des Guinéens comme une trahison du devoir de solidarité vis-à-vis d’un peuple martyr.
Les idéalistes ont mis tout ce qui est arrivé sur le compte de la fatalité. « Est arrivé, ce qui devait arriver ». « On ne peut rien contre le destin ». « D’ailleurs, le peuple de Guinée, comme le peuple hébreu sous Saül, mérite parfaitement l’oppression et les privations dont il est victime de la part du P.D.G. pour lequel il a tué, pillé, saccagé les édifices religieux, détruit les livres saints ».
Pour les hommes politiques, si l’Occident et l’Amérique ont laissé Sékou agir pendant un quart de siècle, c’est parce qu’ils ont voulu donner une leçon au peuple de Guinée considéré comme cobaye en Afrique. En effet, en laissant Sékou Touré prostituer le Socialisme dans un pays d’où sont parties les premières idées revendicatrices (Maurice Voisin n’a-t-il pas annoncé 20 ans plus tôt le ton des Indépendances africaines à partir de la Guinée), les capitalistes et leurs alliés n’ont souhaité que longue vie à chacun de nous pour pouvoir assister à la décomposition de ce socialisme fantôme. La réussite d’une telle politique est infaillible car, voyons aujourd’hui ce qui se passe en Guinée !
Qui ose parler, pour le moment de Parti, encore moins de socialisme, de Révolution et aussi des nombreux slogans qui ont déformé le style du Guinéen ! Voilà le résultat de la patience. Il est vraiment beau !

Dixième « complot », l’affaire Wanda à Faranah, 1973

Malgré le poids de la dictature, le peuple de Guinée a quelquefois réagi devant les exactions du président stratège. En voici un exemple : lors du renouvellement des organismes dirigeants du Parti en 1973, un mouvement spontané de la jeunesse de Faranah porte un militant du nom de Wanda à la tête de la Fédération, remplaçant ainsi par le jeu de la démocratie, l’intouchable Amara Touré, grand frère de Sékou Touré. En effet, depuis son imposition aux populations de Faranah par son demi-frère Sékou Touré, l’analphabète Amara Touré, aussi rustre que grossier, plus dictateur que son frère, a régné en véritable potentat disant à qui veut l’entendre qu’il s’est partagé le territoire politique de la Guinée avec Sékou : « l’un à Conakry, l’autre à Faranah et pas de conflit de compétence, ni d’ingérance dans les états de l’autre ». Amara Touré ne peut pas digérer son échec politique, car le P.D.G. est avant tout la « chose » des Touré et non celle des Diallo ou des Sylla. Sékou Touré informé, envoie un détachement de la force publique à Faranah pour « mater », a-t-on dit à l’époque, un soulèvement contre-révolutionnaire.
Comme les autres « complots », là aussi le prétexte est trouvé pour arrêter tous ceux qui étaient inscrits pour la prochaine purge. Ainsi une centaine d’hommes et de femmes connaîtront à leur tour les géôles de Boiro. Nos vives félicitations au courageux Wanda et nos souhaits de réussite totale sous la 2e République.

Onzième « complot », baptisé « Cheytane 1975 »

Les militants du P.R.L. de Kaîté, section de Kakossa dans la fédération de Forécariah protestent contre le paiement double de la norme (fourniture obligatoire de grains). Comme à Faranah, Sékou Touré dirige un petit détachement d’agents de la force publique sur l’île ou n’existe entre autre inconvénient, aucune possibilité d’échapper au contrôle si les embarcations sont amarrées et gardées. Guidés par les responsables locaux du P.R.L., les agents prennent d’assaut tous les points susceptibles de servir de refuge aux populations effarouchées, réveillées par des coups de feu d’armes de guerre. Les pauvres citoyens, hommes, femmes et enfants sont pourchassés comme des singes et abattus froidement dans cette obscurité et même dans l’eau où ils s’étaient jetés pour échapper à la mort. Bilan : plus de 200 prisonniers et six tués par balle comme à la guerre :

  • Camara Kandet
  • Camara Bô Abou
  • El-Hadj Camara
  • Momo Camara
  • Marie Camara
  • Kanbouba M’Bémba
  • Keita Facinet
    Dieu de miséricorde ait l’âme de ces autres victimes de la tyrannie !

Douzième « complot » dit Telly Diallo, 1976

Nous sommes au 12e complot, et la purge n’est pas encore totale. Beaucoup de cadres existent sur le chemin ! Il faut donc continuer à les pourchasser jusqu’à l’élimination totale de tous ceux des générations 1910-1920-1930-1940.
Alors que ceux nés entre 1950 et 1960, présentant moins de danger pour le régime — car ce sont des hommes nouveaux fabriqués par Syli-Sékou et le P.D.G. —, peuvent sursitairement vivre. Ils seront les futurs sujets du « Prince Mohamed », que son père a des velléités de désignation comme roi de Guinée afin que l’alliance avec une certaine princesse du Mahgreb ait lieu.
Mais attention, Sékou Touré connaît bien le peuple de Guinée ! Il ne fait rien au hasard. S’il craint les Soussous pour leur dynamisme, leur clairvoyance et leur disposition naturelle au combat, il a une peur bleue des Peulhs pour leur nombre, leurs qualités intellectuelles, leur prudence et leur discrétion. Diallo Telli, premier Secrétaire général de l’O.U.A. (Organisation de l’Unité Africaine), faisait la fierté de l’Afrique depuis l’École primaire élémentaire de Porédaka.
Éminemment intelligent, lucide et clairvoyant, ce Peulh du Fouta Djallon a fait l’admiration de tous ceux qui l’ont connu.
Pour ce compatriote victime de la jalousie d’un homme qui n’avait de qualité sociale que celle de protéger sa famille (limitée et étendue), nous demandons au Tout-Puissant Allah la clémence et la miséricorde. Qu’il l’accueille parmi ses élus : Abraham, Noé, Moïse, Jésus, Mahomet… (Amen).
A l’annonce de l’arrestation de ce fin diplomate, une dame roumaine est tombée en syncope au bord de la Mer Noire, où elle prenait un bain de soleil. Pourtant, toute enquête faite, elle n’a jamais vu Telli Diallo qu’en photo, mais elle l’admirait à cause de ses nombreuses qualités connues du « monde civilisé ».
Certains n’ont-ils pas condamné Telli d’être rentré en Guinée après tant d’intrigues faites par Sékou Touré en vue de son éviction du Secrétariat Général de l’O.U.A., poste qu’il a si honorablement occupé, si dignement dirigé, surtout pendant cette période de balbutiement du bébé qu’il a entretenu, soigné pour le laisser beau, luisant avec un langage développé, un enfant âgé de dix ans ?
Il ne serait pas rentré en Guinée s’il se reprochait quelque chose. Mais blanc comme neige, Telli Diallo, ce grand patriote devait-il vendre ailleurs ses compétences dont le peuple de Guinée avait le plus besoin ? Nous pouvons supposer sans trop de risques que si Sékou Touré avait eu pour compatriote Toussaint-Louverture, Blaise Diagne, Lamine Guèye, il les aurait tués ou éliminés de la scène politique au même titre que Karim Bangoura, Koumandian Keita, Barry Diawadou, Mamba Sano, Diallo Abdoulaye, et autres.
Si Sékou Touré a toujours réussi dans sa politique de « diviser pour régner » en opposant systématiquement des ethnies, des groupes sociaux, des hommes aux femmes, des époux aux épouses, des enfants aux pères, des élèves aux maîtres, pour la première fois, à notre connaissance, il échoue lamentablement en 1976 dans l’incitation des Soussous contre les Peulhs.

A ses slogans criés au Palais du Peuple :
— « A bas les Peulhs », les Soussous répondent :
— « Non ».
— « A bas le racisme peulh »
— « Non ».
— « A bas la situation particulière du Fouta »
— « Non ».

Sékou, constatant avec amertume son échec à opposer désormais deux frères, comme il l’avait réussi en 1957-58, emploie sans retenue la violence propre à son état d’âme. Car il n’a pas réussi cette fois-ci a faire adhérer le Peuple à son complot contre les Peulhs.
Il s’acharne donc avec hargne contre l’ethnie peulhe mais, « grand stratège », « le Responsable Suprême de la Révolution », fera arrêter d’abord quelques éléments des autres groupes ethniques, tournant longtemps autour des malheureux cadres peulhs. Là, se confirme une déclaration qu’avait faite un jour un membre du B.P.N. (Bureau Politique National du P.D.G.) s’agissant des opérations de ratissage qu’organise périodiquement le Parti. « Pour prendre le gros poisson visé, nous jetons le filet sur mille petits et moyens poissons innocents victimes de notre haine mortelle ». « Il vaut mieux sacrifier mille innocents que de laisser échapper un prétendu coupable ». Propos de Damantang Camara. Ainsi, pour arrêter Telly Diallo et tenter de convaincre l’opinion sur sa culpabilité, il faut prendre des personnalités telles queDocteur Alpha Oumar Barry, membre du Bureau Politique National du PDG, deux membres du gouvernement, deux ambassadeurs, une dizaine d’officiers de l’armée, une centaine de cadres politiques et administratifs, sans compter plusieurs centaines de parents et amis aux principaux arrêtés, des centaines de marginaux, surtout Peuhls.
Avec cette crise d’une exceptionnelle gravité réglée par le feu et le fer, tout le monde s’attend à l’intérieur à l’explosion très prochaine de cette situation qui couve depuis février 1975. De quel côté partira l’étincelle. La suite des événements nous le dira.

Treizième « complot », le mouvement des femmes du 27 août 1977

A notre connaissance, voici le mouvement qui mérite exactement la dimension, le caractère et la raison que Sékou Touré et son Parti ont bien voulu lui donner. En effet, mouvement spontané d’explosion de colère générale provoqué par le marasme économique dans lequel végètent les populations guinéennes depuis le 2 octobre 1958, l’événement du 27 août 1977, est sans conteste, celui de la libération du peuple martyr de Guinée. Sékou Touré luimême l’a qualifié de plus grand complot anti-gouvernemental depuis l’indépendance nationale. S’il a eu tort de l’appeler « complot » comme les précédents fruits de son imagination, il a cependant eu raison d’affirmer que c’est le mouvement qui a fait plus de mal au Parti que toutes les manifestations jusqu’ici connues. Sékou ne dit pas pourquoi les 27 et 28 août ont fait plus de mal à son Parti. La raison est très simple : le mouvement des femmes de Conakry a d’habitude un caractère de soutien « dansant et chantant » au père de la nation. Que celui des matinées des 27 et 28 août 1977 sorte de l’ordinaire pour signifier avec force la désapprobation du P.D.G. et de son leader, c’est du nouveau auquel le premier jeune, l’idole et le mari de toutes les femmes de Guinée l’incorruptible, l’intransigeant Syli (éléphant) Sékou, guide incontesté et leader bien aimé, ne s’attendait pas du tout. Démystifié, le gros « éléphant » de Guinée est tombé, son invincibilité démentie.
Un dicton soussou nous avertit que le mourant est têtu. Sékou en donnera la preuve dans la soirée du 27 août 1977, quand certains cadres sont allés lui déconseiller le meeting précipitamment convoqué le 28 août au Palais du Peuple. « Convoquez-moi le meeting pour 10 heures. Quel que soit l’état d’esprit des femmes soussoues, ma seule apparition sur la tribune leur fait changer d’opinion », voilà la réponse de « l’homme-éléphant », toujours sûr de lui, qui enseigne cependant qu’en politique il ne faut minimiser aucune situation. Pour cette fois-ci il oublie son propre enseignement comme ce cycliste qui s’abstient, une seule fois de fermer son vélo en le garant devant le cinéma Matam : à la fin du film, il constate qu’un voleur ayant eu besoin de rentrer à la maison, a été obligé, malgré lui, d’utiliser la seule bicyclette qui n’a pas présenté de résistance. Les bonnes habitudes sont garantes de notre sécurité.
Le meeting est donc convoqué par un communiqué radio-diffusé du B.P.N. pour la matinée du 27 août 1977 au Palais du Peuple.
En grand boubou blanc, le Secrétaire Général du P.D.G. (pour l’avènement de qui les femmes de Conakry avaient demandé à leurs maris en 1954 de leur « céder le pantalon » s’ils étaient hésitants), arrive à la tribune du Palais conduisant une délégation du B.P.N. et du gouvernement. Il n’est pas ovationné comme d’habitude. Çà ! ce n’est pas clair ! quelque chose doit clocher quelque part ! Mais, on verra bien !
— Pour la Révolution !
— A bas !
— L’impérialisme ! »
— Qu’il vienne maintenant !
Brusque arrêt du tonnerre des slogans par le Président, qui n’a pas bien compris la réponse de la foule surexcitée…
— « Le colonialisme ! »
— On l’attend impatiemment !
Le Président tend bien l’oreille en se penchant même de son « bon côté » pour capter les termes soussous qu’emploient les femmes.
— Gloire !
— Au Peuple !
— Victoire !
— Au Peuple !
— Honneur !
— Au Peuple !
Par ces réponses justes, le président est quelque peu encouragé. Il continue donc :
— Vive la Révolution !
— Au tombeau !
Entre l’étonnement et la colère, Sékou Touré ne sait pas où donner de la tête quand, comble de désespoir, il entend les femmes fredonner un chant populaire très significatif :
« Ce n’est pas la convention établie entre nous. Tu nous as trahies. Nous en avons assez, crois-nous, Sékou ! Sékou ! as-tu oublié tes promesses » !
Les femmes se rendent compte que le « sans-peur » a pris peur.
En le voyant prendre la fuite de la tribune vers la porte de sortie, les insurgées redoublent d’ardeur en se ruant vers le politicien humilié dont le salut résidera dans sa course effrénée. Les milliers de femmes le poursuivront, du Palais du Peuple au Palais de la Présidence, lui, en voiture, elles à pied, chantant et dansant dans la rue.
Caché dans les méandres de son palais « labyrinthe », le grand tribun prend le micro et donne ordre aux forces publiques de tirer sur les pauvres femmes et, dans la seule ville de Conakry, l’on enregistrera 67 blessés graves et 12 morts.
A Fria, Coyah, Forécariah, Kindia comme une traînée de poudre, les femmes se sont levées comme une panthère blessée pour suivre l’exemple de leurs soeurs de Conakry, en se rebellant contre toute autorité de l’État et du Parti.
Si les fois précédentes, Sékou faisait une purge en arrêtant surtout les cadres, cette fois-ci, c’est une véritable arrestation massive, car c’est le peuple lui-même qui s’est levé les 27 et 28 août 1977 pour lui dire non, définitivement non. Pour se venger de cette grave indiscipline, il fait arrêter plus de mille femmes et enfants dont un grand nombre périt dans le camp de concentration tristement célèbre de Boiro. Cependant si la leçon a été durement payée, on reconnaît unanimement que les événements du 27 août 1977 ont signé deux actes de décès et un de naissance.
Sékou et son P.D.G. sont politiquement morts tandis que naissait la liberté du Peuple de Guinée. Événement réellement douloureux mais décisif qui influencera de façon heureuse la vie politique, économique et sociale de la nation. Le Peuple de Guinée s’incline pieusement devant la mémoire de ces autres martyrs dont le sacrifice a précédé à coup sûr la mort de Sékou Touré.

Quatorzième « complot », « l’ennemi utilise une poignée de femmes contre la Révolution » 1978

Sékou n’est pas à sa première manifestation d’hostilité contre les enfants. Déjà en 1968 (?), il ordonne au Ministre de la Défense et de la Sécurité d’organiser une rafle d’enfants sous le prétexte de faux chômeurs. Sékou devait annoncer lui-même, un an plus tard, le nombre de 300 enfantsêtés et tués par asphyxie dans une cellule hermétiquement fermée du camp Alpha Yaya par la faute de ce Ministre, avait-il dit pour se disculper.
Comme il n’y a pas de crime parfait, la répétition de ce crime dix ans plus tard, met cette fois-ci à nu sa responsabilité toble et entière. En effet, lors d’une rencontre internationale de foot-ball organisée au stade du 28 septeinbre, en 1978, Sékou Touré en mal de sacrifices humains, fit ramasser une cinquantaine d’enfants de 7 à 13 ans qui, engouffrés dans un gros camion cellulaire, sans orifice d’air, seront étouffés jusqu’à ce que mort s’ensuive.
Cette regrettable situation déclencha une marche de protestation vive des femmes de Conakry I qui seront malheureusement dispersées par les forces de police.
Ce qui est intéressant comme leçon à retenir c’est que Sékou n’est plus ce « fascineur » d’antan dont les tonitruants discours résolvaient tout, jusqu’au douloureux problème de pénurie alimentaire. Il n’est plus craint surtout des femmes qui sont désormais prêtes à lui régler les comptes.

Quinzième « complot », l’affaire d’un professeur mercenaire, 1979

Un jeune professeur du nom de Bah Mahmoud, résidant en France depuis 1962, originaire de Labé, décide de rentrer en Guinée suivant l’itinéraire Paris-Dakar-Bissau-Boké-Conakry.
Il est réceptionné à la frontière de Boké par les hommes de main de Siaka Touré et conduit au Camp Boiro sans autre forme de procès. Les personnes l’ayant hébergé tout le long du parcours, ainsi que ses guides, au total une vingtaine d’hommes dont deux grands marabouts, ont été tous appréhendés, ligotés et envoyés à Boiro comme des colis de marchandises rares. Sékou est un assassin endurci, mais s’il avait « vu de ses propres yeux » les neuf (9) jeunes hommes, qu’il a ordonné de tuer par diète noire dans cette affaire du professeur Bah, il les aurait certainement épargnés à cause de leurs qualités physiques : tous, jeunes peuhls de 18 à 25 ans, teint très clair, belle stature, nez aquilin, dents blanches, cheveux longs et lisses, bref, le type de Peuhl aux traits fins, du Fouta-Djallon au Macina, du Mali au Niger, du Cameroun au Nigeria. Plus que tous les crimes que Sékou a déjà commis, la mort de ces neuf jeunes hommes nous a si profondément marqués à Boiro que tous les détenus en gardent un triste souvenir.
Dieu les accueille dans son paradis… Amen.

Seizième « complot » : attentat par la grenade, 1980

Sékou Touré se moquait royalement du Peuple de Guinée en le jugeant incapable de réfléchir tant soit peu sur les problèmes de la vie. C’est pourquoi il a inventé toutes sortes de complots même ceux qui ne convainquaient personne, avec un scénario mal monté. C’est le cas de cette fameuse affaire de grenade. En effet, c’est au cours d’une manifestation artistique organisée au Palais du Peuple, pour commémorer la fête anniversaire du 14 mai, qu’une grenade défensive éclata aux pieds du « Responsable Suprême de la Révolution ». Cette explosion causa la mort d’une femme et de nombreux blessés.
Selon les témoins qui étaient dans la salle au moment de l’incident, ainsi que les renseignements fournis par les spécialistes de l’armement et munitions, il semble que les choses ont été montées de toutes pièces, car, qui ne sait pas la vigilance du leader du P.D.G. qui ne vient dans la salle des congrès du Palais du Peuple qu’après avoir fait fouiller tous les coins et recoins, et d’être parfaitement sûr de la sécurité des lieux ! Connaissant l’homme, l’opinion publique a exprimé sa surprise en apprenant que le coupable de l’attentat a réussi à glisser deux grenades dans les pochettes des rideaux, dont le Secrétaire Général du P.D.G. s’assure de la parfaite sécurité, garantie que lui donnent ses hommes de confiance, avant de prendre place dans la salle. L’on dira comme version officielle « Le Responsable Suprême de la Révolution, le Camarade Président A.S.T., par un réflexe révolutionnaire a évité de justesse la grenade dégoupillée ; il s’est saisi de cet engin fumant, l’a propulsé à 30 mètres où il devait éclater quelques secondes plus tard ! » La propagande venimeuse du Parti consiste à déifier le leader, à mystifier ses faits, gestes et propos qu’on dira relevant d’une inspiration divine.
Le scénario de la grenade a voulu prouver l’invulnérabilité de Syli-Sékou sur le plan physique, car au plan politique, l’événement du 27 août 1977, l’a complètement tué. Le côté qui lui reste c’est accréditer l’idée que Sékou Touré est anti-balle, anti-fer, aucune arme ne pouvant pénétrer son corps. Malheureusement, il ne donnera aucune occasion de vérifier cela. Mais, comme on le sait, jamais Sékou n’échoue totalement dans ses affaires : s’il perd la face d’un côté, il gagnera infailliblement de l’autre. Si l’opinion a banalisé cette affaire de grenade, Sékou lui, n’écoutera que son coeur pour agir conformément à son programme habituel de purge périodique. Ainsi, plus de 200 personnes, dont plusieurs officiers de la milice, de la gendarmerie, de l’armée, accompagneront au Camp Boiro, toute la police en service au Palais le jour de l’incident. Beaucoup y mourront alors que les autres resteront en prison jusqu’au 3 avril 1984.

Dix-septième « complot » : l’affaire des tracts à l’aéroport, 1981

Depuis l’événement du 27 août 1977, le régime de Sékou Touré est aux abois. Tout mouvement est un complot. Tout coup de feu est une tentative d’assassinat du Chef de l’État. Il faut cependant reconnaître que si la plupart des complots sortaient de l’usine à complots Ahmed Sékou Touré, la fin du règne de dictature et de misère a été sérieusement marquée par des soulèvements populaires spontanés, qui se succédaient à une cadence effrayante pour le « Responsable Suprême de la Révolution ».
En effet, l’année 1981 commence avec des explosions à l’aéroport international de Conakry le 22 février, suivies de distribution de tracts dénonçant le régime de Sékou Touré. C’est le « complot de l’aéroport ». Comme d’habitude, on rafle tous les travailleurs civils et militaires de l’aéroport, tous les habitants proches de l’aéroport, et même les gens qui étaient de passage. Le nombre d’arrestations varie entre 300 et 350 personnes. De ce groupe important tant par le nombre que par la qualité de ceux qui sont arrêtés, on n’a dénombré que 41 rescapés dont une partie n’a été libérée de Boiro que par l’armée le 3 janvier 1984. L’année 1981 sera également marquée par bien d’autres affaires dont le retentissement sera moindre mais dont la portée dépassera les frontières guinéennes. C’est le cas de Chelck Mohamed Kone, un ressortissant guinéen qui a commis le crime d’écrire dans un journal libérien un article dénonçant le régime dictatorial de Sékou Touré. Ce dernier le fera arrêter par la police libérienne, dont le gouvernement en fera livraison au Premier Ministre Beavogui, dépêché sur les lieux par son ami le tyran. La technique consistait à fournir au pays extradiant, une accusation entrant dans le cadre du droit commun. Dans le cas de Kone, c’est un chauffeur guinéen en chômage au Libéria qui sera son accusateur.

Dix-huitième « complot » : Affaire des rêves, 1982

En 1974, un jeune paysan, lettré arabe, du village de Posséah, dans la sous-préfecture de Tondon/Dubréka, et en janvier 1982, un autre jeune étudiant de la ville de Pita, perdent leur liberté (le premier son innocente vie) à la suite de cauchemar dont le récit a été rapporté falsifié aux autorités. En effet, chacun, au réveil d’un sommeil troublé annonce aux siens s’être vu, êve, Président de la République. Quel sacrilège ! « Il faut éviter de faire de tels rêves » , car ces rêves avaient ouvert, en 1974 et en 1982, des affaires tristement connues d’affaires de Posséah et de Pita qui emportèrent un nombre important de cadres intellectuels, politiques, civils et militaires. Le recensement a permis de dénombrer 19 rescapés de cette affaire de Pita alors que six seulement de Posséah végètent actuellement dans des maladies contractées en prison politique pour avoir été mis au courant d’un tel rêve et n’avoir pris aucune disposition dans le cadre de la « vigilance du Parti ».

Dix-neuvième « complot », dit des jeunes lybiens, 1982

Une lettre anonyme (c’est la règle au sein du P.D.G.) déclencha le « complot » des jeunes lybiens. (Il s’agit des jeunes miliciens du parti formés en Lybie).
Un « révolutionnaire vigilant » qui a un petit problème anodin avec un jeune militaire formé en Lybie, informe par lettre anonyme, les autorités comme quoi les « jeunes lybiens » sont en train de préparer un coup pour renverser le « Responsable Suprême de la Révolution », Commandant en chef des Forces armées populaires et révolutionnaires, le Stratège Président Ahmed Sékou Touré ». Le principal accusé, le caporal Sidiki Kaba, malgré toutes les tortures (dont celles des aiguilles sur les paupières), ne dénoncera aucun officier de l’armée. Il mourra donc le 29 décembre 1982 (Paix à son âme). L’on a recensé 25 rescapés de cette affaire.

Vingtième « complot » dit de la Présidence, 1982

En avril 1982, une sentinelle est assassinée à la Présidence. Un chauffeur, nommé Aly Camara, de la C.B.G. est accusé, arrêté torturé et gardé au secret à la cellule 49 du Camp Boiro pour mourir en septembre 1983. Beaucoup d’arrestations auront lieu à cette occasion, bien préparée par Sékou, le « fervent musulman » qui, selon des témoignages dignes de foi, aurait personnellement mis le couteau à la gorge de la pauvre sentinelle, lui fermant ainsi définitivement la bouche, car celle-ci, au cours d’une ronde régulière le long de la clôture du Palais de la Présidence, aurait à sa perte, surpris Sékou et un de ses agents complices, en train d’immoler une fille comme sacrifice humain.

Vingt et unième « complot » dit des élèves gendarmes, 1982

De mai à juillet, ils seront onze (11) avec leur directeur et les encadreurs à répondre de la « tentative de renversement du régime ». Ces pauvres jeunes, à l’exception de trois, ne recouvreront la liberté qu’à la prise du pouvoir par l’armée le 3 avril 1984.
L’année 1982 comme toutes les années du règne du dictateur, sera également marquée par plusieurs arrestations d’individus ou de petits groupes, pour « activités subversives, propos malveillants ou intelligence avec l’ennemi ». Mis au banc des accusés par l’O.N.U. à travers ses institutions humanitaires et par certaines organisations non gouvernementales comme Amnesty International, complètement démasqué et acculé pour ses nombreux crimes politiques depuis son accession au pouvoir, Sékou Touré change de méthode : sous l’inculpation de délit de droit commun, il fera arrêter désormais tous ceux et toutes celles qu’il aurait bien voulu accuser de complot.

C’est ainsi qu’en mai 1982, la situation de Macenta n’est pas qualifiée de complot. En effet, la population de Macenta, excédée par les exactions du régime de la vie chère, se révoltera et ira saccager le commissariat de police et la Maison du Peuple, résidence officielle du Secrétaire Fédéral du Parti, qui ne devra la vie sauve qu’à la protection de l’armée. Cette affaire passera aux assises et tous les inculpés, à l’exception d’une femme et d’un garçon mineur, seront condamnés à de lourdes peines d’emprisonnement.

Année 1983

L’année 1983 connaîtra plusieurs cas isolés, dénotant l’emballement total de Sekou car, il ne se passera pas un mois sans qu’il y ait une arrestation pour « tentative de sabotage de la prochaine conférence de l’O.U.A. », mercenariat et tentative d’assassinat du Chef de l’État, sortie ou entrée illégale ».
Il n’est pas bon recevoir la visite ou héberger un ami ou un parent venant de l’extérieur. Tout est matière à suspiscion. Un chasseur du nom de Namory Berete est arrêté le 15 juillet 1983 pour détention illégale de munitions de chasse. Cinq militaires de Sérédou (Macenta) sont arrêtés pour « détention illégale de munitions de guerre ». Deux moururent au camp Boiro sans jugement. L’on est surpris d’apprendre qu’un militaire autorisé de porter une arme soit inquiété par ce qu’on a trouvé des munitions sur lui. Par ailleurs, si Sékou Touré est mort avec une idée force, celle de la réunion à Conakry du sommet de l’O.U.A., la mort l’a emporté avec 25 ans de retard ; mais l’essentiel est fait : Sékou qu’on croyait éternel est mort. Et sa mort intervient au moment où tout le monde s’y attend le moins. Le dictateur de Conakry, après tant d’ombrages, voulait redorer son blason en organisant l’un des sommets de l’O.U.A. les plus réussis, celui de Conakry (où l’on ne trouvait que l’air pour respirer et les dispositions prises pour assurer le succès des assises). Aussi, voulait-il faire place nette de tous les « troublions » susceptibles de rencontrer tous ces journalistes indépendants, fouineurs et trouble-fait qui allaient envahir lit Guinée pendant quelques jours. Il prépara donc fiévreusement un « complot » chargé d’assainir le climat socio-politique guinéen. Au cours des meetings qu’il baptisait « Conseil Régional de la Révolution » (C.R.R.), il mettait en garde les cadres de son parti contre, disait-il, les menées subversives de l’impérialisme et de certains responsables africains (Lybie et Algérie) qui voulaient faire échouer le vingtième sommet de l’O.U.A. prévu à Conakry. Sékou Touré prétend que le pays est menacé en cinq points de ses frontières et à Conakry. Le scénario était en place, les acteurs aussi. Les gouverneurs des régions frontalières devaient servir de détonateurs : il s’agissait pour eux d’exacerber un peu plus les populations déjà exténuées.

Année 1984
Affaire des normes, Benty (Forécariah), janvier 1984

C’est cette manoeuvre subtile qui conduira, en janvier 1984 les autorités de Forécariah à exiger des populations de Benty de payer deux fois les normes (quantité donnée de produits agricoles que chaque paysan doit obligatoirement fournir annuellement au gouvernement).
Les malheureuses populations à bout de force refusent cette fois-ci de s’exécuter. Conakry informé, donne l’ordre de « faire feu » et les autorités administratives et politiques rendues sur les lieux exécutent l’ordre reçu de tirer sur les populations. Elles ne trouveront le salut que dans la force de leurs jambes, laissant sur le carreau un commissaire de police.
L’ordre est impérativement donné à l’armée de « ceinturer » la région concernée et de « mater » sans pitié la « rébellion ». On dénombrera 52 arrestations dont 44 transferts au Camp Boiro. Un inculpé a été immédiatement jugé, condamné à mort et exécuté sur place. Parmi les transférés au Camp Boiro, deux mourront d’hémorragie interne due aux coups de crosse reçus au cours de la bagarre. Une femme en grossesse avancée, pourchassée, se réfugiera en brousse où elle accouchera de jumeaux prématurés. La mère et les deux nouveau-nés devaient mourir quelques heures plus tard. Des coups de feu et l’émotion violente provoqueront de nombreux avortements dans beaucoup de villages de Benty. Les rescapés, au nombre de 40, tous cultivateurs, n’ont été libérés de Boiro, des maisons de force de Forécariah et de Kindia, que le 3 avril 1984 à l’avènement du C.M.R.N.

Affaire de Seinko (Beyla), février 1984

Pendant que l’affaire de Benty est en cours, éclate en février 1984, celle très douloureuse de Seinko (Beyla) à la frontière guinéo-ivoirienne. Ici, le gouverneur de région, exaspéré par l’attitude des femmes qui déclarent n’avoir plus de produits pour la commercialisation, après avoir fourni les normes exigées, ordonne à la police de tirer dans le tas. Trois femmes tombent aussitôt après les premiers coups de feu. La population n’arrivent pas à mettre la main sur le Gouverneur qui met ses jambes au cou jusqu’à sa jeep. Arrivé à Beyla il envoie un message à Conakry signalant un soulèvement populaire à Seinko. Ici encore on dépêchera une troupe pour, dit-on « maintenir l’ordre ». Après de nombreuses arrestations, Lansana Diané est chargé de superviser un jugement sommaire qui aboutit à une condamnation à mort par fusillade.

Les fusillés de Mamou, mars 1984

A Mamou, en mars 1984, un contrôle de police aboutit à l’arrestation d’un citoyen pour faute de non présentation de pièce d’identité. Les traitements violents infligés à ce pauvre citoyen par la police exaspèrent la population qui exige sa libération immédiate. Bagarre déclenchée, la population saccage le commissariat de police , on procède à de nombreuses arrestations.
Cherif Sékou, Ministre de l’intérieur beau-frère de Sékou, qui avait fait intervenir la troupe, supervise un jugement à la « P.D.G. » qui condamne cinq citoyens à mort.
Les 4 condamnés présents dont un handicapé, le 5e étant en fuite, sont fusillés publiquement à Mamou.
Avant d’être fusillée une des malheureuses victimes sollicite des autorités, la permission d’adresser la dernière prière à Allah le Tout-Puissant. Diallo, imam des fidèles musulmans de la Mosquée de son quartier, après la prière, prononce les dernières paroles à l’adresse de Sékou, le cruel :
— Allez dire de ma part à celui qui vous envoie nous fusiller, que nous sommes et demeurons ses dernières victimes ; il ne tuera plus personne en Guinée, nous sommes les derniers sacrifices humains, c’est tout ce que j’avais à dire à Sékou et, aux miens, mon innocence totale. Wassalam.
Après ce discours pathétique, le peloton d’exécution déchargea sur les pauvres innocents le contenu des 12 armes de guerre qui étaient braquées sur eux.

Mais Sékou n’a toujours pas frappé son dernier grand coup. En règle générale, tout Africain entrant en Guinée est considéré comme un mercenaire et, arrêté, il est traité comme tel à Boiro.
Trois jeunes ivoiriens (Alphonse Dally, Honoré Gaye et Merlin Antoine) avec quatre ressortissants Sierra-léonais, en feront la triste expérience.
Tous les nationaux recevant des parents ou des amis venant de l’étranger sont arrêtés comme agents de la 5e colonne (l’artiste Siaka Diabatéde l’orchestre Bembeya Jazz, Charles Durand et Mady Kaba, en ont fait l’amère expérience). Tout cela ne peut être considéré que comme hors-d’oeuvre, avant le grand et dernier coup que le dictateur et ses hommes de main vont savamment préparer dans les laboratoires de Boiro

Préparation du dernier complot

En effet, au cours d’une séance du fameux Conseil régional de la Révolution tenue au Palais du Peuple, Sékou annonce à l’auditoire que la révolution avait encore « mis hors d’état de nuire les têtes de file d’un vaste complot anti-guinéen sérieusement préparé tant à l’intérieur qu’à l’extérieur ». Il fera écouter les aveux extorqués d’un certain Karifa Kourouma, magistrat de son état, récemment rentré en Guinée et qui serait la tête de ce complot, presque avorté. La bande suivante décline l’identité d’un ivoirien envoyé pour faire du sabotage…
Mais dès les premières phrases, Sékou Touré fait arrêter la bande en disant : « Arrêtez cette bande, vous aurez l’occasion de l’entendre lorsque nous aurons mis à l’ombre tous ceux qu’elle dénonce, car il y est question de personnes très proches de moi ».
Voilà une méthode très chère au dictateur : paniquer pour mieux préparer le terrain des futures arrestations.
Sur la bande de Karifa, il est question de Côte-d’Ivoire, d’ambassadeur de France à Dakar, des membres influents du gouvernement sénégalais, qui sont nommément cités.
On saura plus tard que Sékou Touré avait décidé de profiter de cette nouvelle phase du « complot permanent » pour reprendre tous les anciens détenus politiques qui avaient été libérés. Cela est d’autant vrai que Karifa dénonçait certains d’entre eux, comme Jean Faragué, ancien ministre dont lui et sa famille totalisent déjà 12 ans de Boiro répartis comme suit :

  • Monsieur Tounkara Jean Faragué : sept ans en deux séjours
  • Mme Tounkara : trois ans
  • Mlle Raymonde Tounkara, étudiante : deux ans.

C’est au cours de cette autre gigantesque opération de purge nationale, une sorte de résumé de tous les complots imaginaires que le champion des changements brusques, Dieu d’Abraham, de Jésus et de Mohamed, qui eut raison de Namrod, d’Hérodote, des pharaons d’Égypte, des empereurs romains ; qui vainquit Hitler, Mussolini, Tschombé, Idi Amine, Bokassa, Mao, rappela à lui cet autre champion de la suppression de la vie, contre qui l’ange de la mort portera plainte pour usurpation de fonction, le jour du jugement dernier, le très célèbre Sékou Touré, Président de la République de Guinée.

2. La répression

Toutes les séquences du « complot permanent » ont été violemment réprimées de la même manière et présentent les traits caractéristiques suivants :

B. Modes d’arrestation

Tous les modes d’arrestation pratiqués par Sékou sont en violation flagrante du respect des droits de l’homme et du citoyen, tels que définis dans les chartes de l’O.N.U. et de l’O.U.A. De l’avis des anciens détenus politiques qui ont connu la sanglante répression et le séjour des tristes camps de concentration, on dénombre les modes d’arrestation suivants :

Procédé de kidnapping ou d’enlèvement par des agents de la force publique non nantis de mandat d’arrêt ni de mandat d’emmener.

Ce procédé est généralement pratiqué entre 0 h et 6 h du matin. Les agents investissent le domicile, s’emparent des biens (argent, bijoux, appareils, pierres précieuses, etc.), laissent la famille éplorée sans abri (elle sera, les jours suivants, renvoyée de la maison) et sans moyen de subsistance. Ligoté dans le plus normal des cas ou menotté, le malheureux « agent de la contre révolution » est conduit dans l’un des camps de la mort.

Enlèvement par les comités du Parti

A la suite d’une dénonciation calomnieuse sur les antennes de la radio, une compétition s’ouvrait aussitôt entre les militants du comité ou P.R.L. de résidence du dénoncé pour s’emparer de lui et de ses biens, à qui mieux, mieux, le lyncher et le conduire, dans un rythme battant de chants populaires, devant le Comité révolutionnaire. Durant le parcours, il sera rué de coups, mais le souvenir le plus triste qu’il gardera de ces instants héroïques est l’injure qu’il reçoit ainsi que le crachat à la figure de la part de personnes qui lui doivent gratitude et reconnaissance (ancien domestique par exemple).

Arrestation après une présentation volontaire

Un citoyen qui ne sait pas ce qui se passe au Camp Boiro, qui n’imagine pas un seul instant les méthodes utilisées pour monter les scénarios et préparer les acteurs des complots, qui ne se reproche absolument rien, qui croit profondément en la sagesse du Président Ahmed Sékou Touré son leader bien aimé, est dénoncé par voix de radio. Il ne sait pas que c’est un arrangement pour mettre main sur lui. Dès qu’il entend donc son nom sur les antennes de la « Voix de la Révolution », il se lève, gaillardement et innocçmment, se rend au siège du Comité Révolutionnaire pour exiger une confrontation avec son accusateur. Quelle naïveté ! Quel naturel ! Il se fait tout bonnement « cravater », sans effort par la commission d’enquête dont le président l’accueille « fraternellement » en le mettant à la disposition de M. Fadama Conde, chef de poste central du bloc.

Arrestation par perfidie

La perfidie est la règle d’or de conduite du « Responsable Suprême de la Révolution », de son P.D.G., donc du Comité Révolutionnaire, appareil répressif dont les membres sont désignés en fonction de leur disponibilité pour commettre les crimes les plus odieux, les plus ignominieux.
En effet, assis à son bureau, dans son salon ou couché dans sa chambre à une heure avancée de la nuit, tel haut cadre, programmé, pour ce jour, reçoit un coup de téléphone l’invitant à se rendre immédiatement au Camp Boiro où la commission a besoin de ses bons offices. Il interrompt ses activités ou son repos, et dans une confiance totale, se présente au Comité Révolutionnaire, fier d’avoir été correct et discipliné. Malheureusement pour lui, car il ne doit plus jamais revoir sa famille, pour la plupart des cas, ou alors il purgera plusieurs années de prison dans le triste Camp Boiro.
Sékou Touré, champion de la trahison, envoie ou fait envoyer des coups de téléphone.

Emile Condé, Ministre des T.P.
— Alors, Êmile il paraît que le bac sur la Fatala est en panne. Je te demande de te rendre immédiatement à Boffa pour le dépanner. Mais pas question de te faire remplacer. Va, toi-même constater les maux et, aussitôt, adresse-moi un rapport circonstancié.
— D’accord Camarade Président. J’y vais de ce pas !
Pauvre Émile ! Il sera « cravaté » par les gendarmes entre Conakry et Boffa. Déposé à Boiro, il ne verra la lumière que le jour où un peloton d’exécution le reçoit avec tous les honneurs dus à son rang.

Balla Camara
— Allo ! Zoumanigui ! Bonjour.
— Bonjour Camarade Ministre.
— Je suis Président et non Ministre
— Excusez-moi mille fois ! Je ne suis qu’un idiot pour n’avoir pas reconnu votre voix !
— Bien ! compris ! Maintenant va voir le Ministre Balla Camara, ton parent, mets-le en confiance en bon flic et dis-lui de se préparer pour un petit voyage avec moi sur Labé. Le départ est prévu pour 15 h, dans une heure donc !
—A vos ordres Camarade Responsable Suprême de la Révolution. Balla se prépare rapidement et, dehors, à quelques mètres de chez lui, des agents envoyés par Sékou-traître le saisissent violemment pour l’embarquer dans une jeep. Au lieu de Labé, le voyageur se retrouve à Boiro où il vivra tant que l’Almamy Ibrahima Sory de Mamou n’intercédera pas en sa faveur auprès de Sékou, qui promettra sa libération mais le tuera la nuit-là même.

Yansane Sékou Yalani
Affecté à Conakry, ce cadre fondateur du Parti, premier Gouverneur de la région administrative de Conakry, tente vainement de rencontrer Sékou Touré qui n’attend plus rien désormais pour monter un scénario de kidnapping.
— Demande à Yansané d’aller, de ma part, voir le Ministre de l’Intérieur.
Ordre transmis et nécessaire fait !
En effet, dans un couloir obscur du Ministère de l’Intérieur, deux agents, subitement tendent des menottes à Yansané qui n’en revenait pas. Malheureusement, le Ministre ne l’a pas reçu, mais plutôt Fadama du bloc central du Camp Boiro, où il fera 10 ans avec le triste bilan d’être devenu complètement aveugle.

Courrier diplomatique

Dans l’anarchie du pouvoir en place, les ambassades de Guinée à l’étranger avaient été transformées en commissariats de police, procédant aux arrestations de citoyens guinéens résidant à l’extérieur comme bon leur semble. Ces victimes étaient expédiées à Conakry par courrier diplomatique et livrées aux bourreaux Sékou Touré, Ismaël TouréSiaka Touré, Fadama Condé, et autres.

Extradition illégale

Si Sékou Touré a réussi à tromper tout le monde et partout, c’est surtout dans sa politique étrangère qu’il faut lui enlever le chapeau. En effet, par naïveté ou par complicité active, des gouvernants des pays voisins ont été très directement mêlés aux cruautés du régime sanguinaire de Sékou Touré. Sur commande spéciale, ils ont régulièrement livré aux bouchers de Conakry d’importants colis de ressortissants guinéens, exilés politiques ou simples navetanes.
Sur ce chapitre, rendons un hommage sincère aux Présidents Houphouët de Côte-d’Ivoire 1 et Senghor du Sénégal pour leur sagesse qui a sauvé les millions de Guinéens réfugiés dans leurs pays dont Sékou Touré exigeait la tête comme condition de « toute reprise avec son beau pays ».

C. Arrivée et séjour au Camp Boiro

1. Réception et accueil dans le camp

Si c’est un haut cadre du Parti et de l’État, les derniers honneurs lui seront rendus mais de façon un peu spéciale à Boiro ; si c’est un humble citoyen, pour une fois de sa vie, et la dernière aussi, il passera dans une haie d’honneur constituée d’agents de la force publique, en tenue de combat, baïonnettes au canon, mimant une phase de guerre. Bouleversé, traumatisé par des comportements qui lui sont tout à fait étrangers, le pauvre inculpé se sent si petit, si menacé de mort qu’il peut en devenir fou s’il manque tant soit peu de la bénédiction des parents. Mais tenez-vous bien ! ce psycho-choc n’est qu’un prélude à d’autres actes d’avilissement : déshabillement complet de la tête aux pieds, sans oublier les montres et les alliances, le rasage de ête sans eau mettent la dernière main à cette préparation psychosomatique qui finit par une humiliante photographie, ornement macabre du fameux livre blanc dont ce recueil de témoignages est l’antithèse. Le prisonnier ainsi traité, ahuri, abruti, est jeté dans une cellule sordide et sombre où commencent pour lui, s’il n’est pas mort quelques semaines plus tard, parfois de longues années de méditation.
Durant cinq jours au moins — c’est le minimum — ou 12 à 15 jours — c’est le maximum — le prisonnier entame une diète d’accueil (privation totale d’eau et de nourriture) devant l’affaisser moralement et le lessiver physiquement en vue de la Ire rencontre avec la commission d’enquête du Comité révolutionnaire.

2. Comparition devant la fameuse commission d’enquêtes

La diète a mis le détenu « en condition » selon les propres propos du Président de la Commission. Famélique, décharnu (les os seuls indiquent les différentes parties du corps), humilié, découragé de la vie qui ne signifie plus rien pour lui, au comble du désespoir, tel est l’état physique et moral général du prisonnier.
C’est justement l’état qui était attendu pour engager avec lui le combat héroïque de taureau qui finira de l’assommer ou le couronnera agrégé ès-résistances aux tortures, breveté du feu et du goudron chaud. Il est donc enchaîné et conduit sous escorte devant la commission d’enquêtes. La salle dans laquelle siège celle-ci est si vivement éclairée que le détenu est ébloui dès la porte, et torturé surtout par la vue d’une table garnie de toutes sortes de mets succulents, et du contenu d’un frigidaire sciemment exposé, plein de fruits, de glaces et d’eau fraîche. Mais un fumeur affamé est moins torturé par la présence de toutes ces nourritures qu’en recevant en pleine figure, des bouffées asphyxiantes de fumée de cigarette dont l’envie le torture depuis son arrestation. Le pauvre détenu, debout ou assis sur un petit tabouret, corps nu, écoute, désespéré, l’acte d’accusation que le président de la commission commence en ces termes :
— Maintenant qu’il est établi que tu es un élément des différents réseaux d’espionnage étrangers, la commission te demande de décharger ta conscience en « aidant la Révolution » qui compte encore sur toi, sur ce qui reste de guinéen en toi, malgré ta « haute trahison ».
Voilà qui est dit et bien dit ! quel procureur ! quel tribunal ! quels magistrats qui n’ont aucune différence avec ce policier célèbrement connu à Conakry, du nom de « dis la vérité » qui prétendait connaître le carnet secret de tous les citoyens mêlés de près ou de loin à telle ou telle situation judiciaire dont il était chargé. Il recevait, dès la porte, tout accusé avec les propos suivants :
— Ah oui ! tu es là ! comme tu es salaud ! tu m’as échappé la fois dernière mais te voilà encore devant moi. Vous connaissez ce bandit mon adjudant ? c’est un membre actif des « mains noires » qui commettent tous les crimes dans la haute banlieue de Conakry. Ce sont ces éléments qui ont tué la jeune fille de Dixinn. Voilà l’affaire et voici l’un des coupables. Et toi, tu vas dire la vérité ! tais-toi ! menteur ! voleur ! tueur ! ».
Le pauvre accusé, sidéré ne fait que s’exclamer, en allant de surprise en surprise, car il n’est pas du tout l’homme à qui « dis la vérité » tient coûte que coûte à l’assimiler. Le problème pour lequel il a été arrêté n’a rien de commun avec tout ce que « dis la vérité » raconte. Il s’efforce donc vainement de faire comprendre à l’assistance l’erreur de « dis la vérité ». Mais il ne sait pas que ce monde de policiers qui emplissent la salle sont tous complices conscients et actifs de « brigadier-chef » dont le manège a bien fini un jour par être découvert. De la même manière que cet accusé de la police judiciaire, le détenu politique commence à réagir, à s’agiter, en essayant, pour la plupart des cas, de prouver son innocence. Au cas où le détenu est averti des méthodes de travail à Boiro, il évitera toutes les tortures en s’alignant immédiatement, comme on dit « derrière » le président de la commission, en reconnaissant ipso facto, tous les maux dont on l’accuse.
Une dépositiontype lui est donc présentée et, après lecture, il y apposera sa signature.
Mais le pourcentage est très minime de détenus qui échappent ainsi aux tortures par ralliement automatique. Les 95 % des détenus rejetteront les accusations portées contre eux.
La monstruosité de la trahison du Peuple par Sékou Touré et son équipe se passe de tout commentaire.
Oh ! quelle déception plus grave, plus insupportable pour le détenu politique qui entend un féroce coup de poing sur la table et, avec un ton extrêmement menaçant, le président de la commission, l’invitant à « collaborer » s’il tient à sa vie.
— Et, puisque tu veux prouver que tu es un dur à cuir, eh bien ! tant pis pour toi. Oularé ! prends-le (Oularé, cet agent fidèle au régime et surtout au président de la commission dont il est le plus grand complice, s’exécute sans « discussion ni murmure »).

Il se saisit de cette loque humaine, l’enlève comme un petit chat mouillé et, allez ! en voiture. Une jeep bâchée, garée dans l’obscurité conduira le détenu à la cabine technique où il est réceptionné comme un colis précieux, car, Cissé le ministre des tortures et ses quatre gorilles l’attendent avec impatience.
Le « cuisinage » commence donc avec les meilleures techniques apprises auprès des plus grands spécialistes en la matière.
— Il faut dire la, vérité du Ministre », précise le ministre Cissé. « Cette vérité-là, tu la diras bon gré, mal gré. Conditionnez-le, mon vieux ! il y a du calme dans la cabine ! Le président de la commission va « m’engueuler » s’il n’entend pas de cris, de pleurs, de gémissements de comploteurs. Il me taxera de faible ou de complice et me traitera comme tel.
L’action continue par une série de tortures, toutes aussi douloureuses les unes que les autres. Entre 0 h et 5 h du matin, si rien n’est obtenu du détenu tout en sang, de la tête aux pieds, respirant à peine, l’ordre est donné de le renvoyer dans sa cellule avec interdiction de soigner les plaies béantes faites sur plusieurs parties de son corps.
Après cette dose suffisante de tortures, couché à même le sol, complètement nu, le détenu n’a de bon que son esprit alors que le moral est à zéro. Le lendemain, à la même heure ou un peu plus tard, ême opération recommence. Et ainsi va la vie jusqu’au jour où, arrivé à la limite de la résistance humaine, le détenu, n’en pouvant plus, accepte de signer n’importe quelle « salade » en vue de sauver le « sauvable ».

3. Principales tortures

Les tortures pratiquées dans les camps de concentration sont de deux ordres : les tortures morales et les tortures physiques.

D. Tortures morales

  1. La séparation injuste et insupportable d’avec la famille, surtout des enfants de 3 à 5 ans, très turbulents, amis de leur père, est la forme de torture la plus pénible pour le détenu politique.
  2. Une épouse laissée en grossesse avancée cause des soucis permanents à un mari qui sait, par expérience, les accouchements suivis de complications d’une femme délicate.
  3. Les injures grossières proférées par le président de la commission d’enquêtes dans l’intention de choquer, d’énerver et de révolter le détenu ont amené beaucoup d’hommes de cœur à signer la fameuse déposition dans l’espoir que ce faux document compromettant une fois signé permettra la pendaison ou la fusillade immédiate de son prétendu auteur, mettant ainsi fin à cette douleur insupportable.
  4. Séances de torture de personnes très proches, l’une en présence de l’autre et inversement (mère en présence de son fils, fille abusée en présence du père, mère abusée en présence du fils, etc.).
  5. Une mère séparée d’avec son nouveau-né pleure son bébé qu’elle ne reverra d’ailleurs jamais, car, quelques semaines après son arrestation, celui-ci a tranquillement rejoint ses ancêtres qui voudront bien s’occuper de son éducation en attendant l’arrivée très prochaine de ses parents dont Sékou se charge de préparer le voyage.
  6. Longues détentions sans interrogatoires.
  7. Attitudes, comportements et propos discriminatoires des geôliers visà-vis des détenus.
  8. Traitements humiliants identiquement infligés à des personnes moralement débitrices l’une de l’autre (des beauxparents, des frères de mêmes parents, un jeune homme et une vieille personne à qui il doit égards et considération).
  9. Vaine attente en prison dans l’espoir d’être libéré la veille d’une fête quand on voit partir d’autres détenus, arrêtés pour le même motif que vous.

E. Tortures physiques

  1. La diète noire ou privation totale de nourriture et d’eau jusqu’à ce que mort s’ensuive.
  2. La diète limitée au cours de laquelle le détenu assiste à des séances d’exhibition de mets pour exciter son appétit.
  3. Ligotage des deux bras au dos et les deux jambes jointes, le tout lié au cou pour : être hissé, suspendu comme un régime de bananes, plongé dans un pneu 900 x 20, plongé dans un fût d’eaux usées.
  4. L’électro-choc avec des appareils électro-mécaniques produisant du courant à l’aide d’électrodes branchés sur les parties les plus sensibles du corps.
  5. La danse du feu : un amas de papiers allumé dans lequel on invite un groupe de détenus à danser.
  6. Brûlure par gouttes de caoutchouc allumé dont on laisse tomber les particules goutte à goutte sur le corps du détenu.
  7. Bain de la plante du pied dans du goudron chaud.
  8. Brûlure par feu de chalumeau et mégots de cigarettes sur les joues et d’autres parties sensibles du corps.
  9. Séance de placage sur un amas de gravillons et de tessons de bouteille.
  10. Bastonnade de femmes en grossesse jusqu’à avortement.
  11. Empoisonnement à mort de nourrice avec son bébé.
  12. Injection de produits toxique pour provoquer la mort.
  • Séances d’interrogatoires perlées, répétées la même nuit ou non, avec force bastonnade au fouet, surtout pour ceux qu’on appelle les « durs à cuir».

Toutes ces méthodes apprises au cours de stage dans certains pays étrangers, dénotent la recherche et la subtilité des instruments de destruction dont usait le régime tribal, féodal et dictatorial de Sékou Touré.

A titre d’exemple, nous citons le cas du professeur de Vincent Jean-Paul Rossignol, torturé avec un appareil appelé manette à balais, à système électrique. L’interessé, jusqu’ici en porte de grandes plaques cicatrisées de brûlures sur le corps.

F. Régime de détention

Terreur, horreur, insécurité, humiliation, privation de liberté, de nourriture, d’eau, de soins, de visite, voilà ce que tous les détenus politiques de Guînée connaissent et gardent des camps de concentration, justement rendus célèbres par toutes ces caractéristiques.
D’autre part, les faits qui paraissent anodins ou tout à fait normaux dans le cadre normal de la vie en liberté, passent ici pour importants ou même singuliers, tant le régime de détention est sévère, rigoureux. Par exemple la discrimination raciale instaurée et entretenue au sein des détenus, par la différence de traitement entre Blanc et Boir, relève d’un complexe que Sékou a cultivé dans les faits quotidiens pour démentir ses propres déclarations, très compromettantes aux yeux du monde.
En effet, un Blanc, dès son arrestation a droit au lit, à la couverture, à un régime alimentaire spécial (salade, viande, pain), à la douche journalière et à la porte ouverte. Alors qu’un Africain, de quelque rang social qu’il soit, doit coucher à même le sol, enfermé tout le temps, mangeant du riz fade à la sauce d’eau claire sans viande ni poisson.
De même, les diètes de sanction sont généralement réservées aux Africains pour la moindre pécadille. Est servi à chaque détenu un litre d’eau par jour à la fois pour la boisson et pour la toilette : chacun peut aisément comprendre le besoin dans lequel ont survécu les rescapés des tristes geôles du Camp Boiro et d’ailleurs.
L’absence de soins médicaux jusqu’au moment où la maladie frise le seuil de non retour, nous a fait perdre, en plus des tués, beaucoup de codétenus dont certains ont crié au secours pendant plusieurs jours avant de rendre l’âme.
Le manque de conditions hygiéniques (un pot de chambre par cellule, pas d’effets de toilette, pas de chaussures) a été la source de pas mal de maladies. Mais, pour celui qui sait l’importance du sport, du travail créateur et libérateur, Sékou n’a tué les prisonniers politiques que de ce côté là surtout car, ce régime de réclusion totale (pas de contacts entre détenus, pas de visites de familles, pas de correspondances, pas d’information, pas de radio, de journaux, de livres), a tué ces centaines de détenus politiques.
Mais Sékou trompait-il en jouant son jeu par sa mise en scène à cacher a Amnesty International en 1982 le véritable régime de détention que subissaient les détenus du camp Boiro ?

G. Renseignements sur les charniers

On ne saurait parler de charniers sans indiquer les différentes formes de liquidation physique, que pratiquaient Sékou et ses bourreaux dans le cadre de leur plan machiavélique d’élimination systématique de tous les Guinéens capables de contribuer tant soit peu à l’accélération du processus de développement de la nation guinéenne.

1. Formes de liquidation

  1. Les liquidations accidentelles ou volontaires des suites de tortures à la cabine technique sont si tragiques que les agents chargés de cette salle besogne sont aussi responsables des crimes que leurs maîtres. Il faut être sans cœur pour tuer aussi froidement l’homme, cette créature parfaite qui a la vie difficile à prendre.
  2. La pendaison publique est la forme qui a le plus terrorisé les populations guinéennes depuis que Sékou Touré apendu en 1971, 4 hauts cadres dont 2 Ministres à Conakry et 73 marginaux dans les régions, pauvres navetanes extradés d’un pays africain.
  3. L’exécution, par les armes est la forme classique de liquidation que tous les détenus préfèrent à toute autre forme, mais comme tout choix, l’exécution par les armes a ses inconvénients en Guinée de Sékou Touré où la balle du peloton d’exécution n’atteint pas tous les condamnés à mort. Poussés dans la fosse commune, ceux qui ne sont même pas blessés, demandent avec insistance le coup de grâce, s’il faut l’appeler ainsi, pour qu’ils ne soient pas enterrés vivants. «
    — Tuez-nous s’il vous plaît, nous ne sommes pas morts ! Nous ne sommes pas atteints par les balles ! «
    — Allez ! envoyez la terre ! leur bouche sera bientôt fermée .
    Le conducteur du bulldozer fait le nécessaire en mettant dans le ventre de cette innocente et silencieuse terre, morts, blessés et vivants.
  4. La liquidation par la diète noire a tout naturellement remplacé la forme classique qui requérait trop de dispositions. Cette forme ‘moderne’ ne coûte rien, même pas une balle. Il s’agit d’enfermer le détenu dans une cellule requise et de n’ouvrir la porte que pour retirer son cadavre. S’il gémit trop fort parce que tenaillé par la faim et la soif, Fadama Condé n’acceptera pas d’être « tympannisé », il fera ligoter le malheureux supplicié pour accélérer sa mort en empêchant le sang de circuler normalement. « Attachez-le ! il se taira et mourra bientôt, dira-t-il ».
  5. La liquidation après une injection de produits toxiques est une preuve du cynisme de Sékou Touré dont aucune mort n’a ébranlé la vie, même pas celle de son ami Saïfoulaye…
  6. L’ensevelissement de personnes vivantes a été considéré par l’opinion comme une ignoble exécution de sacrifices humains par le dictateur. Le cas du garde républicain enterré vivant à Dixinn a profondément marqué les populations de Conakry.
    Les pelotons d’exécution étaient communément appelés « corvée bois » par les services de sécurité et les agents de la force publique dont Sékou a sali la main de la plupart. De même, ils désignaient le Camp Boiro par Coyah, rien que pour cacher les tristes réalités que le monde sait aujourd’hui.

2. Charniers connus

  1. Bloc Boiro
    A l’intérieur du bloc, sous l’enceinte même de la prison, a été enterré le corps de Seibold, citoyen allemand arrêté en 1970.
  2. Nongo
    Quartier situé dans la 8e sous-préfecture de Conakry II, Nongo a cet avantage d’abriter l’un des plus grands cimetières de la capitale. Sékou Touré a profité du retrait de cette zone, presque rurale, pour y enterrer quelques cadres tués au Camp Boiro. Les fouilles, encore insuffisantes ont permis de découvrir, grâce à des témoins occulaires, les tombes des personnes suivantes :
  • Diallo Telli, ex-secrétaire général de l’O.U.A.
  • Dr Alpha Oumar Barry, ex-Ministre
  • Capitaine Lamine Kouyate, commandant du Camp Kindia.
  • Commandant Ibrahima Sylla, Chef d’État major armée de l’air.
  • Dr Ansoumane Traore, pharmacien.
  • Les frères Boiro ( Demba etYéro).
  • Barry Sory, contrôleur du grand marché Conakry-Madina.
  • Abdoul Rada, jeune Libanais, enfant unique pour sa famille installée à Coyah.
  • Karifa Camara, élève gendarme.
  • Sidiki Kaba, caporal formé en Lybie.
  • Les 9 jeunes peuhls tués dans l’affaire du professeurBah Mahmoudou.
  • Champ de tir Sangoyah
    On a découvert à cet endroit trois fosses communes. La première pourrait comprendre entre autres, les corps suivants :

 

Le cas de cette dame, Mme Hadja Loffo Camara, membre fondatrice du P.D.G., sage-femme principale de son état, membre de la Direction Nationale du Parti unique, Ministre des Affaires Sociales, est très douloureux, quand on sait les conditions de traitement infligées à cette respectueuse personne durant sa détention. Son calvaire ne devait prendre fin que le 25 janvier 1971, jour où elle a été retirée du Camp Boiro pour être exécutée à côté d’une fosse dont elle a personnellement apprécié des yeux non bandés, les dimensions. Aussitôt abattue, elle a été précipitée dans sa dernière demeure où elle repose.
La deuxième fosse contiendrait les corps des personnes qualifiées de mercenaires arrêtées lors de l’agression du 22 novembre 1970, dont le célèbre Thiam Mamoudou, l’assaillant principal de l’usine électrique la nuit du 22 novembre 1970.

  1. Kindia
    Sous le mont Gangan
    Il existe là deux fosses communes situées côte à côte et, les témoins affirment que les corps suivants sont enterrés dans la première fosse :

Dans la deuxième fosse, reposent les parachutistes de Labé arrêtés en 1969.

  • Mamadi Kourouma
  • Diallo Baïlo
  • Bah Oury Telly
  • Keita Ousmane, fils du Cdt. Guèye
  • Oulare Tamba Lewa
  • Camara Bignè
  • Soumaoro Karamoko
  • Beavogui Pévé
  • Sow Alpha
  • Bangoura Bassirou
  • Bangoura Ibrahima
  • Coumbassa Aly
  • Sakovogui Siba
  • Niankoye Tefamou
  • Lt Camara Aboubacar dit MBeng
  • Adjt-chef Keita Namory
  • Diallo Mouctar
  1. La forêt de Fissa
    Cette célèbre forêt renferme des fosses communes avec les corps des détenus de 1969 et ceux des extradés d’un pays africain, complices de Sékou. Ces victimes ont été nuitamment transportées sur ces lieux après avoir été étouffées dans des sacs d’emballage et traînées par les membres pour être jetées dans les fosses comunes. Ce massacre, mal opéré, a dû attirer l’attention des populations avoisinantes qui ont ainsi suivi toute l’opération. Cette mésaventure a conduit les prochaines opérations vers Kouradi sur la route deGomba, mais toujours dans la préfecture de Kindia.
    Le Comité révolutionnaire était composé d’hommes réellement astucieux : avant de lancer cette vaste opération, une mission était dépêchée de Conakry pour prendre contact avec les autorités de Kindia qui, à leur tour, passaient prévenir les villageois de l’organisation prochaine dans leur contrée de séances de combat de nuit de l’armée.
    A cet endroit l’existence de trois fosses communes a été prouvée.
    D’ailleurs à ce jour, et sur ces lieux, le sol est encore jonché d’étuis vides de cartouches de FM, AK et PA, confirmation des tueries massives dans ces bois lointains que la mission d’Amnesty International a visités en octobre 1984.

Note
1. Félix Houphoüet-Boigny ne mérite pas un tel hommage pour trois raisons :

  • C’est Bernard Cornut-Gentille et lui qui financèrent les débuts politiques de Sékou Touré
  • Il persécuta les intellectuels ivoiriens, contraignant feu Ahmadou Kourouma à l’exil. L’oeuvre de l’auteur dépeint les colonialistes noirs que furent Houphouët et Sékou. Dans En attendant le vote des bêtes sauvages, Kourouma campe la Guinée (la République des Monts), Sékou Touré (L’homme en blanc alias Nkoutigui Fondio), Ismael Touré (Fondio), et Béhanzin (Maclédio).
  • Il fit extrader des Guinéens de Côte d’Ivoire au Camp Boiro. Lire à ce propos le témoignage de Bah Mamadou Lamine, journaliste du Lynx. [Tierno S. Bah]

Chapitre Troisième
A vous la parole !

1. Opinion publique !

Liberté de parole ! En Guinée ! pas possible ! mais si, Pourtant ! l’armée, dans un de ses communiqués radiodiffusés le 3 avril 1984, a décidé le changement. Le grand éléphant (Syli en soussou) est mort de dilatation aortique il paraît, aux Etats-Unis d’Amérique.
— Mort de quoi dis-tu ?
— Oh ! tu sais ! Les médecins ne sont pas comme nous, hommes ordinaires ! Ils n’ont pas les pieds sur terre, ni la tête sur les épaules ! lis créent des mots tellement bizarres qu’ils sont les seuls à pouvoir lire et comprendre ! Tu as raison mon cher Diallo ! D’ailleurs, occupons-nous du mort et non de la maladie qui l’a tué !
— C’est vrai ! Au juste, ce n’est même pas certain qu’il soit mort ! Tu sais, les tyrans ont la vie dure ils ne meurent pas facilement : je ne pense pas qu’Hitlême soit mort. Tu as vu Bokassa ! L’Afrique entière le maudit et souhaite sa mort ! mais hélas ! Rappelle-toi les propos prophétiques de Sékou Touré, qui disait que personne ne verrait sa tombe et que jamais il ne vivrait ancien Chef d’État et indexé comme tel par ses ennemis ! Donc il n’est pas mort ! Il est allé se cacher quelque part en Amérique pour voir la réaction du monde à l’annonce de sa mort.
— C’est fort possible mon cher ami ! seulement il y a un aspect de ce problème qu’il faut considérer : quelle figure feraient les Etats-Unis en acceptant de jouer ce jeu de celui qui, 26 ans durant, les a insultés et boycottés ?
— Oh ! tu sais, la politique, c’est une affaire de balance ! chacun ira du côté de ses intérêts ! Et, puis, n’oublie pas que Sékou n’a jamais été, dans les faits, un homme de gauche, c’était un homme de droîte ! Ses meilleurs alliés étaient donc ceux, justement, qu’il insultait tous les jours !
— Quelle duplicité ! Quelle vérité amère ! Le Vatican l’a toujours considéré comme un homme de droite et à juste raison ! Mort ou pas mort, en attendant que la lumière soit faite sur cette situation, le Comité Militaire de Redressement National libère la « bouche » de tout le monde. Et, les choses étant ce qu’elles sont, à tout seigneur tout honneur, donne la parole aux anciens détenus politiques, rescapés des camps de concentration créés et animés par une équipe de tortionnaires sans cœur et sans foi.

2. Mon premier témoignage

Facély II Mara, Radio Télévision Guinéenne (RTG) : Voudriez-vous décliner votre identité à l’intention de nos auditeurs ?
Almamy Fodé Sylla : Almamy Fodé Sylla, professeur de Langues et Littératures, ex-Secrétaire général de l’ex-section du 5e arrondissement, ex-fédération de Conakry II.
RTG : Indiquez les circonstances de votre arrestation et les conditions de votre détention au Camp Boiro.
Almamy Fodé Sylla : Il y a exactement deux mois, nous vivions sous une dictature noire, impitoyable, injuste et sanglante qui a maintenu notre peuple martyr dans la plus effroyable terreur où chaque citoyen était en liberté provisoire, attendant chaque jour qui passe, son tour d’être pris pour l’un des trois principaux camps de concentration du pays. C’est dans cette logique sékoutouréenne que se situe mon arrestation survenue voici comment :
De retour de Kassa où j’avais passé la nuit du vendredi 16 septembre 1977, arrivé au petit matin par bateau, j’aperçus de loin, sur le pont, un de mes jeunes frères, Aboubacar Barath, actuel président de la Cour d’Appel de Faranah. Mais si je distinguai bien ce frère, je vis en même temps, et de tous côtés, de nombreux policiers et gendarmes dont la présence insolite et inaccoutumée au port avait attiré beaucoup de curieux. «
— Madame Sylla m’envoie te recevoir ce matin, te porter la triste nouvelle de la situation inquiétante qui prévaut chez nous depuis hier soir , devait m’annoncer Aboubacar, qui me réclama également ma fouille, notamment les clés si j’en avais sur moi.
Malgré la prise d’assaut du bateau par une vingtaine d’agents royalement ridicules — car aucun ne me connaissait je pus franchir tous les barrages, du bateau jusqu’à la porte où, réalisant l’éventuel scandale qui se produirait si je devais êtreêté en famille, je revins sur mes pas et, me rendant compte du désarroi général de ces nombreux sbires, venus pour arrêter un homme, un seul — ils étaient plus de cent cinquante — je demandai à l’un d’eux ce qu’il faisait là et, en mauvais policier, il répondit : «
— Nous sommes venus arrêter un certain Sylla, Secrétaire général de la section du 5e arrondissement.
A ma question de savoir s’il connaissait physiquement l’intéressé, il répondit négativement. Après l’avoir mis en scène, je me présentai à lui en exhibant ma pièce d’identité. Convaincu qu’il s’agit bien de moi, il s’exclama et donna un coup de sifflet. «
— Arrêtez les recherches, l’intéressé est retrouvé.
Je ne manquai pas l’occasion de redresser l’erreur qu’il commet en disant « l’intéressé est retrouvé .
— Il faut dire « l’intéressé, se rendant compte de la trop grande intelligence pratique de ceux qui nous ont envoyés, s’est présenté à nous.
Conduit donc au commissariat de police du Port, je fus déchaussé sans autre forme de procès et jeté dans une cellule sordide jusqu’à 11 h… Scandalisé par l’énormité de l’acte, car citoyen théoriquement protégé par toutes les prescriptions et lois de la démocratie, qu’on arrête sans aucune formule, et qu’on enferme sans interrogatoire ni jugement.
Vers 11 h 10, je vis la porte de la cellule s’ouvrir sur un homme élancé d’environ 1,90 in, les yeux injectés de sang, les lèvres pendantes rougies par l’excès d’alcool. Je reconnus le Commissaire Diallo dit « criminel » qui m’intima l’ordre de me lever et de le suivre. Ce que je fis sans résistance et, dehors, je voulus prendre ma moto, mais Diallo m’en empêcha, toujours sans scène de rue.
Monté à bord d’une jeep bâchée, je devais me retrouver quelques minutes plus tard dans un bureau situé dans un domaine et un milieu totalement inconnus de moi. Mais l’allure toute particulière des gens de cette planète, l’odeur des drogues qu’ils laissaient exhaler, le bruit de leurs chaussures, le cliquetis des armes m’indiquèrent tout le sérieux du nouveau monde d’accueil.
Trois violents coups de crosse devaient d’ailleurs compléter ma formation de base. Déshabillé à coups de poing, je fus conduit par quatre grands gaillards, les armes avec baïonnette au canon jusqu’à la porte de la cellule no. 71 où je fus enfermé avec mon innocence. A 0 h, je reçus la visite de quatre autres agents qui me sortirent et m’escortèrent devant la commission d’enquête du fameux Comité révolutionnaire que préside le très célèbre et très honorable Béria de Guinée, Son Excellence Ismaël Touré (astakh firllah al azime. Allahoumma rabbana amanna fakh firlana Djounoubana wa akhina adia ban nari). (Mon Dieu ! pardonne-moi, puisque j’ai cru en toi ! Pardonne-moi les péchés et évite-moi les tourments de l’enfer). Son altesse, roi du feu et du fer, Ismaël Touré, me recevant au nom de sa sagesse, le très vénéré père spirituel, propagateur émérite du « Saint-Esprit », sa sainteté Ahmed Sékou Touré. (Allahou akbarou ! Allahou Akbarou ! Allahou Akbarou soub hanalladji sakhara lana haza wama koun na lahou moukhrinina wa in na ila rabbinal moukha liboune). (Verset de protection contre la malédiction qui peut s’abattre sur toute personne prononçant le nom de Sékou Touré).
— Mon cher Sylla, tu te croyais malin pour avoir trompé la Révolution pendant 24 ans. Où es-tu ce soir ?
— Eh ! bien, pris dans l’engrenage infernal du filet infaillible, tu n’as aucune chance de t’en sortir. Cependant, pour limiter tes souffrances avant la potence, tu as intérêt à tout avouer. Préparez donc 20 feuilles pour lui, j’espère qu’il a compris !
C’est par ces propos que le président de la commission m’a reçu pour la première fois.
Cela se passe de tout commentaire. Tout semble préparé avant mon arrivée ! Il est facile de s’en rendre compte. Tous les cadres sont fichés par le Parti, mais c’est à tour de rôle que chacun sera arrêté.
Entre l’étonnement et la surprise, la tension nerveuse faillit me vaincre devant cette mascarade de juges techniquement incompétents dont les maîtres à penser, les directeurs de conscience, ignorent totalement les notions les plus élémentaires de l’histoire des sociétés humaines. Il faut être Sékou Touré, « Alcapone » 1 (c’est le nom que lui ont donné les détenus), pour organiser à la fin du XXe siècle, des tribunaux d’exception, dont l’histoire a enregistré la disparition il y a bien longtemps. Je continue donc à rêver, ête chargée d’idées noires.
C’est à ces instants insupportables, lourdement chargés de cauchemars que viendra s’ajouter la suite du programme : la cabine technique. «
— Oularé, envoyez-le et mettez-le en « condition » » (terme ironique pour voiler l’opération de tortures).
La cabine technique est dirigée par un officier de la gendarmerie du nom de Cisse surnommé « Ministre ». Les différentes tortures sont exécutées par des « hommes » qui n’ont d’humain que de constitution. Drogués pour tuer, ils ont plaisir à fouetter jusqu’au sang, à casser des membres, à plonger la tête du détenu dans un fût rempli d’excréments humains, à électrocuter, à mettre le pied du prisonnier dans du goudron chaud, à installer le détenu dans le pneu destiné à le torturer, etc.
Il est inutile d’insister sur cet aspect des atrocités du Camp Boiro qui, trop minutieusement racontées, donnent la chair de poule aux uns, envie de rendre aux autres alors que les plus délicats piquent une crise cardiaque qui peut leur être fatale. Sur ce chapitre, le livre « La vérité du Ministre » de M. Diallo Alpha Abdoulaye est suffisamment explicite !
Nous laissons le soin au CMRN (nouvelles autorités guinéennes) d’indiquer, pour l’opinion guinéenne en général et celle africaine et internationale en particulier, le véritable dessous de la carte du pouvoir, de l’autorité, de la singularité de la mobilisation dite « populaire » du P.D.G., surtout la petite histoire de celui que la plupart des peuples considèrent, à tort, comme un géant parmi les plus grands patriotes qui ont défendu les nobles idéaux de liberté, de justice, le « lion » de l’Afrique, le « champion » de l’Indépendance africaine, le « père fondateur » de l’OUA, l’infatigable pèlerin de la cessation de la guerre et du maintien de la paix entre l’Iran et l’Irak, l’éminent coprésident du Comité « Al Quods » chargé, au nom de la communauté musulmane toute entière, de déclencher une vaste campagne dans le monde en vue de préserver la propriété collective des religions révélées sur Jérusalem, le tribun capable des plus violentes diatribes, homme à mémoire d’éléphant, toujours prêt à rappeler, en vue d’humilier, les plus petits faits indigestes des personnalités qu’il a connues dont il est resté farouchement jaloux du rayonnement politique, intellectuel ou socio-humain. Sékou Touré a eu malheureusement beaucoup de complices dont nous sommes obligés de parler, car l’histoire est le rappel des faits et de leurs auteurs ainsi que les circonstances qui ont motivé les différents actes. Comme Hitler, le Parti social-démocrate, les généraux et commandants nazis, Sékou, le P.D.G. et les dirigeants du régime dictatorial et sanguinaire, tous à des degrés différents, portent le poids de la responsabilité d’assassinats massifs de populations paisibles et de cadres innocents. Les nombreux livres en chantier et les films historiques qui s’en inspireront, immortaliseront la mémoire de ceux et celles qui ont laissé leur innocente vie dans ces ghettos tristement célèbres. Aussi, le Comité Militaire de Redressement National, soucieux de réhabiliter ces dignes filles et fils du pays, s’est-il engagé à ouvrir les dossiers de ces camps de la honte.

  • Arrestation arbitraire
  • Accusation gratuite
  • Intimidation
  • Intoxication
  • Humiliation par des injures grossières
  • Tortures physique et morale
  • Privation de nourritures, d’eau et de soins médicaux
  • Réclusion totale
  • Actes de banditisme, de terrorisme
  • Assassinats individuels et collectifs
  • Destruction de cellules familiales par toutes sortes d’abus immoraux à l’endroit des épouses et filles des détenus
  • Vols crapuleux des biens du peuple en général et ceux des prisonniers en particulier

voilà en gros ce dont le régime de Sékou « Alcapone », le guinéo-mauritano-malien, a été capable pendant 26 ans d’un règne totalitaire, sanguinaire et inhumain.

Que dire des traits de caractère des principaux dirigeants du P.D.G. nazi ? Sékou a trahi les Guinéens, l’Afrique et les autres peuples qui l’accueillaient en héros, en véritable champion de la liberté et de la démocratie. Il a essayé de tromper Dieu, mais celui-ci avait déjà révélé avant lui dans le Saint Coran, le verset 13 de la Souratoul Moulkou : « Je sais ce que chacun de vous trame dans les méandres de sa pensée profonde ».

Sékou était un véritable ennemi du peuple de Guinée, un politicien réactionnaire qui n’a dit la vérité qu’une seule fois de sa vie , ce jour-là, agonisant dans son lit de mort, il laissera échapper la seule expression de vérité dont il a été capable : « l’homme propose, Dieu dispose, aujourd’hui c’est fini pour Sékou ».

Sékou était également méchant, très méchant, extrêmement méchant, mais aussi, il était petit, très petit, un lilliputien, qu’opposés ces deux traits de caractère ont limité certains dégâts de l’illuminé. Tous ces proches collaborateurs qu’il a fini par tuer ou mettre en prison pour de longues années ont été plus ou moins victimes de haine résultant de la jalousie née de cette petitesse. Constatant un jour la finesse des motifs de broderie du grand boubou d’un de ses Ministres, il s’exclama comme un bambin : « Oh là ! là ! quelle bourgeoisie. » Il n’oublie pas de faire à un autre Ministre, la remarque suivante : « Moi je suis un Président malheureux, tous mes Ministres ont de jolis salons. Chez moi, c’est une honte ».

Dès qu’il a arrêté un Ministre aisé, membre de la Direction Nationale du P.D.G., il s’est aussitôt jeté sur son bureau en marbre qu’il a immédiatement fait envoyer à la case de Belle-Vue, une de ses résidences officielles.

Tous les anciens détenus de Boiro conviendront avec moi quIsmaël Touré est un sadique né, un criminel né pour tuer. Il n’est pas entièrement satisfait de l’exécution de ses ordres par les « cabinards » (cabine technique) : il doit faire du mal lui-même pour jouir du bonheur qui en résulte pour un sadique comme lui. C’est ainsi qu’il torturera personnellement certains détenus. Momo Soloma-nâni en sait long sur ce chapitre. Il porte de visibles séquelles de la brûlure d’un morceau de caoutchouc allumé sur son corps. D’autres détenus ont eu le « privilège » de recevoir sur leurs joues pour être éteints plus d’un mégot de cigarettes allumées.

Quand ses bourreaux de la cabine technique sont venus lui annoncer la mort, survenue des suites de tortures, du Commandant Sylla Théoury, Ismaël a répondu : «C’est bien ! il est cuit dans son jus ».

Siaka Touré, lui, est un personnage singulier. Il n’est pas facile de rencontrer un bourreau au comportement doux et affable de l’acabit de cet homme qui a trompé tous les Guinéens, surtout les jolies filles guinéennes par cette nature innocente.
Grand spécialiste du montage, de la mise en scène et de l’exécution de tant de complots imaginaires, Siaka est un homme qui a su tromper par ses sourires et ses envolées sentimentales presque affectueuses, pas comme Néron d’Agrippine qui était cruel sans malice.
Siaka vient ramasser une dizaine de détenus pour les mener au « poum-poum » (fusillade) et revenir les mains. ensanglantées auprès des autres détenus qui attendent leur tour et, caressant l’épaule décharnue d’un malheureux, lui demander : « Et le moral, il est bon ? ».
Quel caractère monstrueux !
Keira KarimSaïdou KeitaCherif SékouMoussa Diakité, analphabètes opportunistes, sont, avec Mamadi KeitaSiké Camara,Mamadi Kaba, les meilleurs apprentis-sorciers, anthropophages. Responsables d’assassinats de cadres, ils étaient, comme leur maître Sékou, passionnément jaloux des qualités techniques, morales et intellectuelles de leurs victimes. Sékou Touré ne s’était entouré, pour la plupart, que de tristes individus, assoiffés de sang, qui l’ont aidé à saccager la Guinée, pour laisser ce beau pays dans une parfaite incurie, une totale désolation. Conakry, cette « perte de l’AOF » est une ville qui semble dévastée et abandonnée par des croisés.
Les crimes sont nombreux et de tous ordres. Peut-on payer le sang par le sang, comme le conseillent certaines religions ?
Le Comité Militaire de Redressement National a demandé au peuple de pardonner pour tout ce qui est arrivé et de regarder l’avenir avec optimisme. C’est bien beau de pardonner mais d’abord la justice !
Pour empêcher les rescapés des geôles de se rendre justice, il y a lieu de créer un tribunal spécial chargé de juger des crimes et criminels qui ont agi en temps de paix comme en temps de guerre.
Non pas en spécialiste, en magistrat, mais en qualité de victime, constituée en partie civile, voici l’accusation principale que je porte contre Sékou Touré et ses complices : convaincus de crimes et complicité de crimes.

1er groupe.

Ils sont accusés d’avoir apporté au dictateur :

  1. L’aide nécessaire requise pour la naissance, le développement et l’entretien d’un pouvoir personnel, dictatorl al par le culte de la personnalité du tyran, « Responsable Suprême de la Révolution, Stratège infaillible »
  2. Le concours opportun et nécessaire au tyran dans l’exécution de son plan machiavélique d’élimination systématique de tous les patriotes guinéens
  3. Le soutien politique et moral au cupide, insatiable dans ses nombreux vols d’argent et de pierres précieuses

les complices actifs suivants :

2e groupe

Sékou Touré dit « Alcapone », ancien Président de la République, accusé pour :

  1. Destruction physique et morale de paisibles et innocentes personnes au nombre incalculable.
    En effet, personne ne sait le nombre de citoyens guinéens et africains innocemment tués dans les « célèbres » camps de concentration sous le régime de Sékou Touré.
    Témoin, ces trois camions remplis de « Mamadou Diallo », tous raflés à Labé et déposés au Camp Boiro sur instruction du Comité Révolutionnaire dont une section avait signalé l’entrée clandestine en Guinée d’un mercenaire du nom de « Mamadou Diallo ».
    — Il faut prendre dans la zone où le mercenaire a disparu après sa pénétration illégale, tous ceux qui portaient les mêmes noms et prénoms que lui.
    Cela cadre parfaitement avec le système mis en place par Sékou qui préférait les défauts de ses amis aux qualités de ses adversaires, et qui disait qu’il vaut mieux sacrifier de nombreux innocents que de laisser échapper un cadre longtemps visé, lui-même un parfait innocent.
    Après trois ans de séjour, tous les Mamadou sont morts sauf cinq sur le contenu des trois camions. Quelle justice !
    Sékou Touré devra rendre compte devant les hommes et dans l’autre monde, de tous ces cas de massacres de marginaux raflés aux frontières ou dans les centres urbains. Il y sera aidé par certaines personnalités qui occupent encore aujourd’hui les premiers rangs des dignitaires du nouveau régime.
    Le cas d’un pauvre paysan, victime de l’arbitraire et de l’injustice mérite d’être porté à la connaissance du public. De passage devant le Camp Boiro, un vieux paysan fraîchement débarqué des montagnes de l’intérieur du pays, demande des renseignements au sujet d’un certain Abou, fils de son voisin, arrêté à Conakry et conduit au Camp Boiro, selon les informations reçues au village : «
    — Est-ce ici le Camp Boiro ? si oui, je vous prie de dire à votre chef de libérer « Abou ». C’est le fils de mon ami du village , son père est très bon. Lui-même, un garçon sérieux. Il est marié avec enfants. Pardon, libérez-le, car son champ de riz est en maturité et n’attend que des bras valides pour être récolté. Vous lui remettrez ces 20 sylis pour qu’il s’achète des cigarettes. N’oubliez pas ma commission, je compte sur vous et nous attendons Abou.
    — Approche un peu vieux et assieds-toi, ordonne le garde portier.
    Entre-temps arrive le « Tout-Puissant » Siaka Touré, maître-sorcier, tortionnaire en chef, commandant en chef des « forces occultes », célèbre gardien des « loques humaines », l’homme-caméléon : « monstre » à Boiro, « ange » ailleurs.
    — Voici, mon Commandant, un vieux qui demande des nouvelles d’un agent de la 5e colonne.
    — Bon, envoyez-le.
    Et voilà le pauvre vieux qui s’en va pour une destination inconnue. Il y fera trois ans pour sortir avec trois maladies qui ne tarderont pas à l’emporter à trois mois de sa libération… Ces quelques exemples suffisent, je crois pour appuyer ma première accusation contre « Alcapone » que j’accuse encore de :
  2. Haute trahison du peuple en hypothéquant son avenir politique, économique, culturel et social.
    En effet, en donnant au socialisme guinéen une figure de fantôme, synonyme de violence, de dictature, d’injustice, il a délibérément détruit les bases morales du socialisme qui s’en remettra difficilement en Guinée. En 30 ans du règne du Parti unique, Sékou a sacrifié le développement économique aux discours creux, insensés, ennuyeux, auxquels il a habitué les Guinéens qui ont abandonné l’essentiel au profit du superflu : plus de productions industrielles, pourtant source de devises ; créer la rareté en tout pour rendre le Parti indispensable à la vie car c’est lui seul qui peut satisfaire le centième des besoins du peuple qui doit se contenter du minimum car la « Révolution est exigence » selon Sékou Tôrè (Tôrè signifie souffrance en langue soussou).
    Quant à l’aspect culturel hypothéqué, le commentaire n’est pas nécessaire car c’est une honte nationale dont le peuple de Guinée portera encore longtemps le poids. Les centres d’enseignement révolutionnaire (C.E.R.) créés pour saboter l’enseignement et l’éducation en République de Guinée, avaient pleinement joué leur rôle.
    En effet, jusqu’au 3 avril 1984, le niveau général moyen de l’élève guinéen était le plus bas de toute l’Afrique, comme le revenu par tête d’habitant en Guinée.
    Que voulait Sékou pour ce beau pays de Guinée ? Un pays dont tous les habitants seraient des abrutis, des aveugles, prêts à applaudir le tyran, à rapporter au Parti le moindre propos malveillant de la part de n’importe qui, car seule la délation permet d’avoir un bon d’achat de quelques mètres de percale ou d’imprimés à Sonatex. Une population affamée, soumise au dictateur dont le bonheur fait la joie du peuple. Ne jamais laisser au peuple le moindre temps de réfléchir sur sa propre condition. Au plan social, un peuple divisé aux mœurs corrompues : menteur, tricheur, fainéant, cupide voilà la réalité que Sékou a voulu créer en Guinée pour garantir deux choses
    – son pouvoir personnel
    – après lui, le déluge, le chaos où se noierait immanquablement son successeur que le peuple qualifierait d’incapable, regrettant ainsi le règne tyrannique de notre brave tyran. Sékou a-t-il réussi dans cette entreprise destructrice ? A chacun d’y répondre !
  3. Vol de sommes fabuleuses d’argent et de pierres précieuses.
  4. Division du peuple pour préparer une guerre civile qui serait au passif du successeur. Comme Hitler, Sékou a construit une poudrière et mis à côté un fût d’essence avec une boîte d’allumettes pour qu’après lui la bombe éclate par la moindre imprudence de la part des nouvelles autorités en place.
  5. Abus de confiance, escroquerie politique et morale tout au début. (Alabè, Annabibè, de grâce, venez à moi, je ne vous décevrai pas).
  6. Incitation et appel à peine voilé à la débauche : toutes les structures du Parti et des organismes parallèles, des travailleurs, des jeunes, des femmes favorisent ce contact très délicat de l’essence et du feu, de la jeunesse, masculine et féminine. La plupart des enfants nés entre 1958 et 1984 portent les tares très graves de cette licence insupportable.
  7. Dictature politique imposée à un peuple doux résigné parce que profondément religieux.
  8. Propos délateurs et mensongers, injurieux et alarmistes, méthode cynique de tenir le peuple sous tension permanente et de créer en lui des sentiments d’éternelle suspicion et de haine.
  9. Charlatanisme et assassinat de personnes comme sacrifices humains.
  10. Attentat à la pudeur par de nombreux viols de mineures et d’épouses de détenus politiques.
  11. Exploitation scandaleuse des initiatives et aptitudes du peuple dans des activités inutiles, ruineuses et nuisibles (manifestations artistiques populaires).
  12. Fausse déclaration d’identité pour tromper l’opinion publique sur ses origines authentiques.

3e groupe

Ce groupe est composé de toutes celles et de tous ceux qui sont mêlés de près ou de loin à la tragédie guinéenne : agents secrets, parents ou alliés du tyran, les nombreux marabouts complices du pouvoir tyrannique. Responsables de la plupart des sacrifices humains, qu’ils indiquaient personnellement, avec le rituel, au Chef de la Loge maçonnique de l’Ouest africain, les sacrificateurs portent la lourde responsabilité d’avoir mis le couteau à la gorge d’êtres humains, comme eux, et de l’avoir tranchée, froidement, salis frémir.
Sur ce chapitre, rappelons avec amertume le résultat d’une amitié.
Oh ! Dieu de la Clémence ! Pardonnez aux innocents ! Mais condamnez les coupables !
Ayez l’âme d’Elhadj Sidiki que l’amitié d’un fils pour un tyran a entraîné sur la voie très périlleuse de « Cheytane », du Satan trompeur. En effet, Sékou et son ami Béa (Premier Ministre) se concertent, discutent, arrêtent un plan satanique, auquel ils associent malheureusement un homme respectable, le père du Premier Ministre. Si Sékou a, 30 ans durant, choisi, adopté et gardé Béavogui Lansana comme fidèle compagnon, c’est parce qu’il le sait capable d’accepter de jouer n’importe quel rôle dans son théâtre infernal. Assis dans un coin, les deux hommes complices convoquent Elhadj Sidiki Béavogui, qui arrive précipitamment, sans savoir qu’il venait se souiller les mains dans des circonstances imprévisibles pour un fervent musulman. «
— Tiens, égorge-le ! telle est la volonté de Dieu.
Les deux hommes d’État suivent avec un réel plaisir « l’exécution froide » qu’ils viennent d’ordonner. Crime parfait ! Certainement pas ! La chose, bien tenue au secret pendant un certain temps, va « filtrer ». Et, finalement, c’est dans un livre que l’humanité entière sera informée. Elhadj Sidiki Béavogui en voudra éternellement à son fils pour ce crime odieux qu’il lui a fait commettre. Toutes celles et tous ceux qui ont approché Elhadj Sidiki Béavogui peuvent témoigner de l’authenticité de cette révélation. Car le « vieux » l’a dit à tout son entourage. Et c’est pour cette raison que, très « adroitement », « ce père indiscret que l’âge fait délirer », est mis en réclusion quelque part jusqu’à sa mort. Mais comme il n’y a pas de crime parfait, c’est bien dans cette réclusion que le « Tout Guéckédou » a appris tout ce qui s’est passé.
« Je refuserai de commettre un tel crime », diront certains lecteurs.
Attention ! Sékou n’était plus un homme à partir de 1964. C’était un monstre si effrayant que tous les Guinéens craignaient plus que Dieu, parce qu’on avait fini par accréditer l’idée d’immortalité d’Ahmed Sékou Touré, qualifié de « Cheick Mahady », le sauveur de l’humanité, le dernier prophète et le plus grand de tous les envoyés.
Si un musulman intègre, à conviction inébranlable préfère la mort à un tel crime, ce n’est sûrement pas le cas chez un « musulman de circonstance », illettré par surcroît, récemment baptisé, peut être par conviction légère, ou par amour de certains rites, très certainement par honneur d’être dans ême « société » religieuse que Sékou le musulman de « parade », l’excellent commentateur du Saint Coran, mais qui s’est interrogé pour trouver, dans sa vie, le crime qu’il n’a pas encore commis, pour qu’il le fasse allègrement avant que la mort ne le surprenne.
Si l’on peut trouver des circonstances atténuantes pour le père de Béa, le seul fait d’avoir accepté la mission de tuer pour un salaire est une circonstance très aggravante pour les tueurs a gage. Quant aux dignitaires du P.D.G. qui, par excès de zèle, se sont rendus coupables de crime de toutes sortes, ils doivent être jugés et condamnés comme tels. Par exemple, Sékou n’a dit à aucun responsable de Conakry d’aller saccager la concession de Lancéï Keita, père de Tidiane, l’agresseur du Président.

3. Une séance d’interrogatoire par la commission présidée par Ismaël Touré, demi-frère de Sékou Touré

Frappés de cécité politique et morale, grisés par le pouvoir, aveuglés par la cupidité, ces hommes incultes n’ont, un seul jour imaginé le revers de la médaille. Puisqu’ils ne croyaient pas en Dieu, ils ne pouvaient pas prévoir le changement auquel s’attend tout croyant. C’est pourquoi, par la foi, la patience et le courage, nous, détenus politiques, étions sûrs qu’un jour la vérité serait connue et sa victoire proclamée. A ce titre prophétique, j’ai dit à Ismaël Beria : « Soub-hanallah, wal-ham doulillah, wa la i laha illallah wallahou akbarou. Wa la hawla, wa la quwatan, illa billahi al a liyoul azime» (Sainteté et Hommage à Dieu, unique divinité ! impuissant est l’humain, omnipotent est le Seigneur.)

Voici les onze questions qui m’ont été posées par la Commission d’enquête :

  1. A partir de quelle période avez-vous collaboré à l’utilisation de la Commission d’assainissement du marché MBalia contre la police économique ?
  2. Quels étaient les thèmes et les moyens utilisés pour opposer systématiquement la Commission d’assainissement et la police économique ?
  3. Quels sont les thèmes et autres moyens utilisés pour exciter les vendeuses et les annoncer par étape à s’insurger non seulement contre la police économique, mais aussi et surtout contre toute autorité se réclamant du Parti-État en les amenant dans une attitude de rébellion caractérisée ?
  4. Quels sont les principaux responsables mêlés de près ou de loin, directement ou indirectement, à cette action de sabotage et de rébellion ?
    a) parmi les militants et cadres du Parti à tous les échelons ?
    b) parmi les agents et cadres de l’administration régionale et centrale ?
    c) parmi les anciens commerçants aigris ?
    d) parmi les transporteurs, chauffeurs et apprentis ?
  5. Développez en détail, dans le cadre de cette organisation contre-révolutionnaire, présentant tous les traits caractéristiques d’une séquence du complot anti-guinéen, le rôle qui vous a été confié et dans quelle mesure vous iivez accompli ce rôle ? a) dans la phase préparatoire d’intoxication. b) dans la phase d’exécution au cours des graves incidents des 27 et 28 août 1977, en mettant l’accent sur votre participation aux phases principales de la rébellion ? (marche sur la Présidence, désordres au Palais du Peuple attaque des locaux de la police économique et des commissariats, vol des armes, munitions et autres mobiliers dans les locaux saccagés, attaque des personnes aux barrages, chant subversif, tentative de camouflage, complicité dans la fuite du comploteur Ibrahima Sory Barry).
  6. Quelles sont les raisons qui vous ont amené et depuis quand, à agir contre le Parti-État ?
  7. Qui vous a recruté dans la contre-révolution ?
  8. Quels sont les objectifs qui vous ont été présentés au moment de votre recrutement et quelles promesses vous ont été faites en cas de succès du complot ?
  9. Quels sont les complices que vous avez entraînés dans ce complot ?
  10. Rôle deIbrahima Sory Barry à la tête du groupe des collecteurs dans la subversion ? Moyens et méthodes d’action du groupe des collecteurs ?
  11. Rôle de Sény « la presse» à la tête du soi-disant syndicat des transporteurs ? Moyens et méthodes d’actions de ce syndicat en dîrection des transporteurs d’une part et des voyous d’autre part ?

« Prêt pour la révolution ! »

De toutes ces questions, celle qui a la plus retenu l’attention de la commission est la 7e « qui t’a recruté ? ».
Je répondis en disant que c’est une grave injure à mon endroit car, cadre conscient, suffisamment responsable, on ne peut pas me recruter pour servir de 5e roue dans une affaire où il est question des destinées du pays. Moi je peux recruter mais ne suis « recrutable » par personne. Très satisfait de cette réponse, Ismaël saisit la balle au bond, en me demandant : «
— Alors dis-nous, cadre conscient, quels sont ceux que tu as recrutés dans la contre-révolution.
A cette autre question, je répliquai que c’est là encore une injure, car c’est minimiser mes capacités de destruction d’un édifice fragile, parce que fondé sur le mensonge et le sang des innocents. Pour démonstration, que le P.D.G. convoque un grand meeting populaire comprenant les délégués de toutes les communautés villageoises ; mais attention, pas « d’élus du P.D.G. », en réalité des hommes imposés par le Secrétaire Général du Parti dont la volonté est souveraine dans les élections guinéennes. A ce meeting, je laisserai le Bureau Politique National du P.D.G. parler pendant deux heures de son propre bilan, de ses perspectives et moi, en cinq minutes de dissection du P.D.G. et de ses dirigeants, tout le peuple de Guinée, debout comme un seul homme, les écrasera comme une punaise. Je n’aurai donc pas besoin de me faire aider à la liquidation d’un régime dictatorial sans assises populaires.
Après cet échange d’idées, Ismaël me promit ce meeting qui choisirait entre le P.D.G. et moi. En attendant la réalisation de cette promesse, j’adressai au « Camarade Responsable Suprême de la Révolution », une lettre ouverte de plusieurs pages, dans laquelle je lui fis le récit substantiel de l’histoire de plusieurs princes tant temporels que spirituels, dont : Auguste le Clément, Alexandre le Grand de Macédoine, Abraham, David, Salomon, Ramsès 11, Noé, Namrod, Nabuchodonosor, Annibal, Pyrrus, Mithridate (qui parlait 22 langues et avait régné 61 ans), Hector, Assourbanipal, Képhren, Néron, Moïse, Jésus, Mahomet, Charlemagne, François ler, les rois bourbons, les empereurs Cisse du Ghana, ceux du Mali, de Gao, Hitler, Mussolini, Samory, Lénine, Staline, Mao.
Je précisais dans ma lettre la fin misérable de tous les mauvais princes et l’heureuse fin des autres dont l’histoire immortalisera la mémoire à cause de leur œuvre faite de générosité et de droiture.
Cette lettre, véritable document historique, a été très salutaire pour moi car, le « Responsable Suprême de la Révolution » qui ne s’attendait pas à une telle explosion de courageuses vérités, a été si surpris de cette attitude d’un détenu politique, qu’il a aussitôt ordonné de lever ma « diète », qui comptait déjà 7 jours. Convoqué une dernière fois par la commission, je devais préciser ma pensée à travers de nombreuses expressions latines que j’ai employées dans ma lettre : « Amare velle bonum alicui », (Aimer quelqu’un c’est vouloir son bien).
Sékou, dans tous ses discours chante le peuple mais il ne fait absolument rien pour le servir. « Homine imperito nunquam quidquam injustius», (Jamais rien n’est plus injuste qu’un ignorant). Par ce dicton je m’adressais encore à Sékou, qui n’a rien appris de l’histoire des peuples. Le peuple applaudit ses discours, chante ses louanges ; il se croit « aimé pour rien », il pense le demeurer éternellement. Il croit tromper le peuple, qui l’a cependant découvert depuis longtemps mais, qui continue à le louer espérant, par ce procédé, adoucir le coeur insensible du leader-charmeur, distributeur de beaux sourires. Si seulement Sékou avait appris l’histoire d’autres dictateurs qui ont régné en maîtres absolus, il aurait su que le « pouvoir absolu corrompt absolument » comme l’a dit Karl Marx. Si seulement le « père de l’indépendance guinéenne » savait que les politiciens comme Danton et Robespierre, des orateurs comme Cicéron, des dictateurs, malades de pouvoir et de sang comme Hitler, ont été chacun, en un moment donné, sous un ciel donné, noyés dans des bains de foule où ils étaient considérés comme des êtres spéciaux, extraordinaires, à qui l’histoire a réservé quelquefois une triste fin après bien des tournants périlleux, il comprendrait que seule la bonté, la justice et la droiture ont un prix de bonheur et d’honneur. Mais hélas !
« Urbe direpta, hostis discessit ». (« Après qu’il eût pillé la ville, l’ennemi partit »). Ceci s’adressait à Béhanzin, un béninois, traître à l’Afrique, adopté par Sékou, qui en fait un « grand Ministre » très écouté. Mathématicien, idéologue, « socialiste », Béhanzin a été le champion de toutes les réformes de l’enseignement en République de Guinée. C’est lui, avec d’autres, qui a institué les fameux C.E.R. Centres d’Enseignements Révolutionnaires, que la jeunesse scolaire et universitaire a vite fait d’appeler « Centre d’enseignement des enfants râtés, C.E.R. ». Pour avoir donc mis le feu à l’enseignement, et à l’éducation en Guinée, sa terre d’asile, il ne mérite ni pardon ni clémence.
« Brutus avait libéré la ville de Rome de la tyrannie des rois ; mais les Romains ne jouissaient point de la liberté ainsi acquise ». Là encore je m’adressais à Sékou. Citus avait provoqué la colère d’Alexandre par son insolence et ses libertés excessives. Menacé par lui, il sortit d’abord de la salle du festin, mais rentra bientôt par une autre porte, récitant ce vers dAndromaque d’Euripide. « Hélas, qu’il règne en Grèce un triste état d’esprit ». Alors Alexandre s’empara de la lance d’un de ses soldats, et comme Citus s’avançait vers lui, il l’en transperça. Citus s’écroula avec un gémissement de douleur. Aussitôt la colère du roi se calma. Voyant ses amis muets et immobiles, il eut honte de son crime et, tirant la lance du corps de Citus, il voulut s’en transpercer. Mais ses gardes lui saisirent le bras et le conduisirent dans sa chambre. Il y passa toute la nuit à pleurer et, immobile, il demeura toute la journée du lendemain, brisé de remords. Du vestibule de sa chambre, on pouvait entendre ses soupirs.
Cette petite anecdote signifie que tout chef est capable de commettre des crimes, mais lorsqu’il se ressaisit, s’il n’est pas un monstre à la face humaine, comme Sékou, il pleure son acte, le regrette et s’en repentit. Il est par ailleurs intéressant de savoir que le P.D.G. et son leader étaient des ennemis de classe de certaines couches sociales, dont Sékou a juré d’éliminer tous les éléments. C’est ce que j’eus la témérité d’évoquer dans ma déposition en précisant que trois conditions m’opposaient systématiquement au P.D.G. et à son leader.

  • Ma naissance : issu d’une féodalité comptant 12 chefs de canton et de nombreux chefs guerriers. L’administration coloniale française ne collabora qu’avec la moitié de ces princes : Almamy Mory, Almamy Salémodou, Almamy Amadou Yombo, Almamy Ousmane, Almamy David.
  • Mon éducation : très contrôlée par une famille rangée, conservatrice des traditions, a été complétée par un administrateur français, M. Laurent Labour, 90 bis, avenue Henri-Martin Paris XVIe.
  • Ma formation intellectuelle : dispensant l’enseignement de la langue française, je défends les intérêts de la culture française. Ces réalités m’opposaient dialectiquement au P.D.G. dont le leader reconnut aussitôt le bien-fondé de ma position de classe.

Je lui fis également comprendre que SamoryAlpha YayaBocar Biro Barry en Guinée, Lat Dior au Sénégal, Ba Bemba au Mali, Guillaume Tell en France, et tant d’autres à travers le monde, symbolisèrent le refus de se plier aux exigences avilissantes de la domination étrangère. Lavoisier, André Chénier, flétrirent la violence de la convention, et durent payer de leur vie leur courageuse conduite. Vercingétorix vaincu inspire plus d’admiration que César triomphant. L’Almamy Bocar Biro de l’Empire théocratique du Fouta-Djalon a plus de mérite vaincu que le Commandant de Beckmann, vainqueur de l’armée indigène fortement éprouvée par d’incessantes guerres provoquées et entretenues par l’envahisseur, qui « vainc sans péril et triomphe sans gloire ».

Il ne fut pas seul.

Sékou agissait exactement comme son maître Iblis ou Satan (Tel maître, tel élève ; tel prophète, tel apôtre). Iblis refusa d’exécuter l’ordre donné à tous les anges de se soumettre à Adam, reconnaissant ainsi l’hégémonie et la supériorité de celui-ci sur toutes les créatures. Dieu, pour le punir, le renvoya du ciel et, lui, pour se venger de l’homme (Adam) prit la décision « satanique » d’induire en erreur tous ceux et toutes celles des fils et filles d’Adam qui se laisseraient corrompre par sa tentation. «
— A cause de toi, fils d’Adam, j’ai été maudit, tu me le paieras cher, car nombreux seront mes adeptes parmi tes enfants, qui m’accompagneront dans la géhenne aux tourments éternels.
Ah, dit Cheytâne.
Cependant, Cheytâne a été plus sérieux, plus honnête, plus droit, que « certain leader », dont l’intention non affirmée ne pouvait filtrer qu’à travers ses actes quotidiens. Il s’est entouré de tous les cadres capables de sortir ce pays de l’ornière non pas par amour du peuple mais simplement pour les avoir à portée de main, les liquider au fur et à mesure par trahison, en les accusant de complots. C’est à cette seule fin qu’ il a amadoué bon nombre de hauts cadres en « fouettant » leur conscience patriotique, avec des propos très flatteurs, au lendemain de l’indépendance nationale.
— Rentrez dans votre pays nouvellement indépendant ; il a besoin de cadres valables comme vous pour sa reconstruction. J’en appelle donc à votre foi patriotique.
Quel cadre pouvait-il résister à une telle vérité, surtout qui s’inscrit dans le sens de l’histoire ? C’est à ce piège que furent pris la plupart de nos cadres, qui avaient à « manger et à boire » en Europe et ailleurs.
Fodéba KeitaAlhassane DiopBalla CamaraNaby Youla, occupent, parmi tant d’autres, une place de choix au sein de ces victimes de la perfidie et de la haineuse jalousie d’un politicien véreux, dont l’amitié ou l’estime, la confiance ou la foi, ne signifient rien d’autre qu’un moyen circonstanciel pour atteindre un but. Et, puisqu’il faut se servir des hommes pour atteindre tous les buts, il gardera donc autour de lui des gens « bons à rien », des « beni-oui-oui », qu’il a « travaillés » et déshumanisés, en en faisant des complices très actifs. C’est dans ce cadre qu’il a crée quatre grandes commissions permanentes d’enquêtes du Comité Révolutionnaire :

  • Commission des hauts cadres présidée par Ismaël Touré, qui a la mission d’éliminer tous les cadres intellectuels du pays, ayant certaine assise populaire (responsables politiques).
  • Commission chargée des commerçants, présidée par Moussa Diakité.
  • Commission des intellectuels, ennemis potentiels du P.D.G. présidée par Mamadi Keita.
  • Commission des femmes populaires, élèves et étudiants « lumineux », présidée par Keira Karim.

Supposons qu’un cadre, professeur, administrateur, médecin en même temps Secrétaire général de section ou Secrétaire fédéral, soit impliqué dans un « complot » et arrêté. Il ne sera pas interrogé par la commission des intellectuels, mais par celle des hauts cadres. L’on peut donc se demander si, de ce « tourbillon » infernal, de cette obscurité « noire », est sorti indemne, au moins un cadre pour servir de témoin aux générations montantes.
Dieu de sagesse soit loué pour avoir donné l’occasion à certains cadres de témoigner aujourd’hui de la triste réalité du Camp Boiro et d’être aux côtés du CMRN pour la gigantesque entreprise de redressement national. Ce livre est un simple recueil de témoignages. Il n’a pas la prétention d’orienter la commission nationale d’enquête chargée du dossier des complices de Sékou, mais aura le mérite, nous l’espérons, de donner des conseils d’ordre pratique. Ainsi, nous souhaiterions du CMRN et du gouvernement autant de rigueur pour les criminels endurcis que d’indulgence pour tous ceux qui ont évité de pactiser avec le tyran. Tous les citoyens, les cadres surtout, ont adopté la politique de « sauve-qui-peut » dans le régime de terreur de l’éléphant emballé, pendant que quelques assassins-nés conseillaient à Sékou sa dangereuse politique sanglante. Ceuxlà doivent être jugés et condamnés comme criminels et comme complices.
Par ailleurs, pour aider le musée national, les historiens et artistes, nous conseillons de mettre en sécurité les six principaux tortionnaires des camps de concentration :

  • Lt. Fadama Conde, chef de poste central au bloc Boiro à Conakry, fidèle exécutant des décisions du Comité révolutionnaire. Il a plaisir à faire du mal ; il jouit en tuant froidement un détenu. Sékou et Siaka sont ses dieux qu’il craint et vénère plus que le Tout-Puissant, en qui il ne croit pas du tout.
  • Douty Oularé, grand complice d’Ismaël Touré.
  • Lt. Amara Kourouma Bembeya, le « parfait secrétaire » du Comité Révolutionnaire.
  • Lt. Cissé, « Ministre de la cabine technique » au Camp Boiro.
  • Lt. Leno, sage commis-voyageur, spécialiste d’intoxication.
  • Lt. Cissé, l’éminent tortionnaire au bloc du Camp de Kindia.

Sans de tels exécutants fidèles, et d’autres encore, très nombreux, qui se recrutent dans tous les milieux, le dictateur n’aurait pas tué ces milliers d’innocents, tous accusés de complots.
Que la justice veille donc, désormais, sur l’exécutif ! Que Dieu, le juge infaillible, veille sur le peuple.
Un citoyen de bonne foi n’a-t-il pas lancé à ma figure, la question suivante : « Pourquoi aviez-vous gardé pour vous tout ce que vous saviez sur Sékou et sur le P.D.G. et, que vous êtes en train de révéler maintenant ? ».
La réponse à cette question est très simple car, qui connaît Sékou, craindra sa main ensanglantée. Des personnes averties par le « 6è sens », capables d’appréhender les défauts majeurs chez leurs semblables, au moindre contact, avaient annoncé tout ce qui devait arriver avec le régime de Sékou, mais à l’époque c’est le mensonge et la violence qui faisaient la loi en Guinée. On ne les a donc pas prises au sérieux.
Déjà à Tondon en 1954, où il venait de manger avec nous à table, Sékou a laissé une mauvaise impression au commandant. En effet, après la repas, l’administrateur et moi raccompagnons Sékou Touré et son ami Saïfoulaye Diallo, jusqu’à leur voiture. De retour au salon, le commandant me dit :
— Tu vois l’homme-là, c’est un menteur.
A l’époque je ne comprenais rien à cette affirmation de M. Labour. Il a fallu plusieurs années pour que les choses se précisent sans erreur.
De même, une certaine étrangère vient pour rendre visite à une amie, épouse d’un Ministre guinéen. Les bonnes manières exigent que le couple hôte accompagne l’étrangère pour une visite de courtoisie au Président de la République.
— Mais que vous êtes calme, Madame ! vouêtes donc pas heureuse en Guinée ! Elle n’a pas l’air d’aimer ce pays ! ». Voilà quelques propos-chahuts tenus par Sékou Touré, qui a vite constaté que l’étrangère était assise comme une statue, ne disant mot, observant seulement les moindres gestes du Président-charmeur.
La causerie finit, faute d’interlocutrice. Les visiteurs rentrent et, à la maison, l’étrangère n’ouvrit la bouche que dans la chambre de Mme Diop Alhassane, son amie :
— Ne lis-tu pas sur le visage de ton Président les nombreux signes indiquant sa criminalité ? Je te conseille de prendre ton mari et tes enfants et de mettre les « bouts », faute de quoi, nous allons perdre notre « cher mari », car il va le tuer. Si Diop ne te comprend pas, les enfants et toi, tout de suite à Dakar, c’est un ordre.
Voici fidèlement rapportés les propos de deux personnes qui n’ont vu qu’une fois Sékou Touré, mais l’ont défini comme menteur et criminel. Le tout s’est vérifié plus tard.

4. Quelques preuves

Pourquoi Sékou envoie-t-il un message de satisfaction à Marien N’Gouabi, président du Congo-Brazzaville, pour le crime qu’il vient de commettre en tuant le grand artiste congolais Franklin Boukaka, pendu, sa guitare au cou ? C’est parce qu’il en sait long. Ses « diables » de Karamoko-féticheurs ne lui conseillèrent-ils pas de sacrifier un homme public, connu et aimé dans le monde ? Selon ces fameux prédicateurs, en mourant le pauvre condamné « lègue » par procédés occultes, au leader qui le sacrifie, les qualités qui font qu’il soit connu et aimé de tout le monde. L’Afrique est un mystère !
De même, j’accuse Sékou Touré de la mort de l’artiste qui fut le plus populaire en Guinée dans les années 60-70, le compositeur-chanteur-animateur, danseur, le brillant Demba Camara, à qui il a remis son fameux mouchoir blanc ensorcelé, à la veille du départ de l’orchestre Bembeya-jazz pour Dakar, en 1973.
Jean-Paul Alata est un Français qui a eu, pendant longtemps, ses entrées et sorties à la présidence de la République. Pour entrer définitivement dans les bonnes grâces de Sékou touré, Alata prend le nom de famille de son ami : il s’appelera désormais Jean-Paul Touré Alata . Et pourquoi pas ? Dans la vie, l’homme est guidé par ses intérêts. C’est en Afrique qu’on entend dire « même pour milliards et châteaux, je n’aliénerai pas mon « sacré nom de famille ». L’Afrique a ses valeurs !
L’Europe et les autres parties du monde, ont aussi leurs civilisations ! Comprenons-nous, nous nous compléterons !
Comme la plupart de ses pairs africains et même européens (pourquoi pas), Sékou était un « fieffé charlatan», animateur des « petites chambres noires », refuge d’adeptes de Cheytâne. Les marabouts lui prédisent que son successeur viendrait de la région administrative de Dubréka, 3e poste de la Guinée française. Pour cette raison, (aujourd’hui il faut avouer la vérité, car les événements ont prouvé que son marabout avait vu juste, son successeur est bien de cette région) il s’acharne contre cette localité côtière, dont il ordonne même, discrètement, de brûler toute la documentation monographique, ainsi que les documents historiques compulsés depuis la pénétration coloniale. Il réduit ainsi Dubréka à sa plus simple expression. Et, pour résoudre le douloureux problème de « Coyah », dont il a tué, arrêté ou fait exiler les plus éminents et valeureux fils tels que Karim BangouraKassory BangouraMouctar Bangoura, Naby Issa Soumah, il érige l’arrondissement de Coyah en région administrative pour l’opposer à Dubréka qui, non seulement perd sa qualité de chef-lieu de région, mais devient un simple arrondissement dont le sort n’est, désormais, plus enviable.

5. Sékou était un ingrat

L’ingratitude de Sékou Touré se passe de tout commentaire. Toutes celles et tous ceux qui l’ont vu grandir, lui ont tendu une main fraternelle en lu donnant asile et repas, secours et protection, ont regretté leur action et, en secret, demandé à Dieu la rémission de leur péché.
De tous les groupes ethniques guinéens, ce sont les Soussous qui ont le plus soutenu Sékou Touré en combattant vigoureusement tous les cadres de l’opposition qui auraient certainement fait le bonheur de ce pays (Barry Diawadou, Bangoura Karim notamment). Il traînera les mêmes Soussous dans la boue, leur donnera l’occasion de « chanter et danser » à tous moments ; il dira sans hésitation ni retenue aux Soussous : «
— Vous ne savez que chanter, danser et attendre le riz du port.
Pourtant, s’il accède au pouvoir, s’il s’y est maintenu pendant si longtemps, c’est certainement grâce aux Soussous, qui ne font aucune réserve dans leur amitié. Ce sont eux dont il a exploité le dynamisme, la vivacité et le bon coeur, qui ont consolidé les bases du P.D.G., qui se serait miné par sa propre action négative, n’eût été le soutien désintéressé, inconditionnel et batailleur de « l’ethnie-choc ».
Pour implanter le P.D.G. au sein des masses populaires, diffuser la fameuse idéologie de civilisation de masse, Sékou n’a épargné aucune force politique, économique, sociale ou culturelle :

  • Almamy Kala Soumah, chef du canton de Conakry
  • Amara Soumah, cet autre fils de chef
  • Moustapha Soumah
  • Almamy Ibrahima Sory Dara III, chef supérieur du Fouta (Mamou-Timbo)
  • Thierno Ibrahima Bah Dalaba
  • Koly Kourouma de N’Zérékoré
  • Zébéla et Kaly Zézé, de Macenta
  • des intellectuels, représentants politiques ou législatifs des cercles
  • Karim Bangoura
  • Barry Diawadou
  • Barry III
  • Abdoulaye Ghana Diallo
  • des grands marabouts dont la réputation dépasse les frontières guinéennes
  • les femmes de bonne naissance comme Loffo CamaraMafory Bangoura
  • des marginaux toujours prêts à la bagarre comme Momo Joe et le groupe de choc appelé alpha
  • des grands bourgeois comme Elhadj Fofana Mamoudou, le protecteur, « l’habilleur » de l’équipe dirigeante du P.D.G. des années 1950, celui qui offrit à Sékou sa première et sa deuxième voitures
  • des comédiens artistes comme Tambadi, Fénabéré et Tamba Koupé
  • des fous comme celui de Kankan qui dénonçait à Sékou en les accusant de trahison, tous les responsables qui tombaient dans son collimateur, pendant ses moments de délire. C’est ce même fou qui a prédit la mort de Sékou en affirmant : « Hé ! gens de Kankan, votre Président va mourir dans une semaine, non je me trompe, il va mourir dans trois (3) jours ». Et, effectivement, il mourut trois jours plus tard comme l’a prédit le fou.

L’on voit que pour atteindre le but, Sékou n’a épargné aucun effort, aucun sacrifice, aucun moyen. Il n’a négligé aucun secteur, aucune personne susceptible de garantir ses intérêts politiques. Il a su utiliser chaque moyen à bon escient. En véritable homme politique, il ne s’est jamais embarrassé de scrupules, tels que les sentiments fraternels, amicaux ou autres. Dès qu’il traverse un tournant, il met cap sur un autre en rangeant dans la poubelle de l’histoire tous les moyens (sous-entendu tous les hommes) devenus « caducs ».
C’est ainsi que Sékou n’avait rien de fixe sur cette terre ; aucun contrat ne pouvait le lier indéfiniment à qui que ce soit. Toutes ses amitiés, solides pour les autres, « événementielles » pour lui s’envolaient avec la solution du problème politique qui étaient à la base de leur naissance. En décevant donc ses « amis », il croit cela si normal qu’il peut dormir les poings fermés à côté d’un cadavre d’un Elhadj Lamine Kaba de Coronthie ou de celui d’un Kassory Bangoura, d’un Tibou Tounkara ou d’un Saïfoulaye Diallo.
Pour mobiliser les femmes guinéennes, Sékou crée de toutes pièces une héroïne nationale, MBalia Camara, en accusant de son ‘assassinat’, alors qu’elle était enceinte, l’un des chefs de canton les plus prestigieux de la Guinée française. Le peuple de Guinée doit savoir maintenant la vérité sur les émeutes de Tondon (février 1955). Un des nombreux témoins occulaires dont la plupart sont encore vivants, j’affirme avec force l’innocence d’Almamy David Sylla, accusé d’être l’assassin de M’Balia, l’héroïne du P.D.G. Citons quelques-uns des témoins qui peuvent confirmer l’authenticité de cette déclaration

  • Elhadj Daouda Sylla, infirmier principal de la trypano en retraite à Dubréka.
  • M. Conte Famara en service à Dubréka.
  • M. Chalhoub Moustapha, commerçant à Conakry III.
  • Elhadj Chalhoub Abdoulaye, commerçant à Ouassou.
  • Elhadj Mangué Aboubacar Camara, infirmier principal en retraite à Fria.
  • M. Naby Youssouf Camara, contre-maître à Entrat.
  • M. Saarasoukhou Fodé Camara, notable à Tondon.
  • M. Daouda Marin Camara, notable à Fria-Tabossy.
  • Elhadj Mamy Conté, notable à Khorira, Dubréka
  • M. Hady Sylla, domicilié à Dabondy, Conakry III.

Facély II Mara, RTG : voulez-vous nous dire, à l’intention de nos auditeurs, ce qui s’est passé à la présidence, quand, libéré, vous vous y êtes rendu. Almamy Fodé Sylla : il est de coutume qu’après sa libération le détenu politique se rende à la Présidence, « remercier » le bourreau pour son acte « magnanime », sa « clémence ». Termes élogieux, profondément démagogiques que tout prisonnier entend de la bouche de Siaka Touré quelques instants avant sa libération :
— Le « Responsable Suprême de la Révolution » me charge de vous annoncer, que de son droit de grâce, il outre-passe le peuple qui vous a condamné à mort, en vous redonnant votre liberté, espérant que vous êtes décidés à servir, désormais fidèlement la Révolution. Mais attention ! ici vous n’avez rien vu ni entendu. Si par malheur, un parmi vous est repris par la faute de sa bouche, il sait ce qui l’attend, car on ne lui donnera plus l’occasion d’en reparler…
En dehors de quelques cas très rares de détenus de peu de foi, qui cherchent à entrer dans les bonnes grâces du tyran après leur libération, les prisonniers politiques éprouvent de l’amertume à se rendre auprès du bourreau dont tous les secrets sont désormais sus, lui serrer les mains ensanglantées. Chacun des détenus, suivant son degré de courage, met des semaines ou des mois à exécuter le dernier acte humiliant fermant la série des actes déshumanisants du camp, et ouvrant la voie à une nouvelle prison tout aussi dure moralement que le bloc central.
Certains préfèrent leur retour à Boiro à cette visite à laquelle s’attend le bourreau de Conakry. «
— Je refuse de le voir ! je n’ai pas à remercier mon bourreau parce que Dieu m’a sauvé de ses griffes empoisonnées. S’il faut le voir pour pouvoir vivre, je préfère mourir.
Ce sont là quelques-unes des déclarations de M. Coumbassa Firmin après sa libération de Boiro. Ces propos ont été fidèlement rapportés au tyran qui attendait patiemment leur auteur incorrigible dans un nouveau tournant :
— N’avais-tu pas juré de ne pas me voir Coumbassa, alors qu’as-tu à dire aujourd’hui ?
— Plus qu’hier, je suis prêt pour la potence mais pas vous voir pour des remerciements insensés. Je viens vous demander un bon d’achat d’un camion Zil, s’il vous plaît !
— C’est très courageux Coumbassa ! souviens-toi de tes propos ! je n’ai pas de Zil !
Quelques jours plus tard, le grand syndicaliste africain Coumbassa Firmin se retrouvait pour la 3e fois au cœur même du bloc central du Camp Boiro.

Facély II Mara : Il est veinard hein ! trois fois à Boiro, trois fois libéré ! De quel bois se chauffe-t-il ce Monsieur Coumbassa ?
Almamy Fodé Sylla : Moi qui ne suis pas aussi téméraire que Coumbassa, n’ai attendu que six mois pour me décider à la grande et solennelle visite que le dictateur attend de chaque cadre libéré de ses géôles. Sur les instances de ma famille, ma femme et moi sommes rendus à la Présidence et, reçus en audience publique, nous avons eu l’entretien suivant :
— Camarade Président, ma femme et moi-même sommes venus rendre hommage à Dieu pour notre libération et vous remercier pour tout ce que vous avez bien voulu faire pour nous. J’en profite pour vous réaffirmer que dans mes veines il ne coule pas de sang de la confusion ou de la trahison. Ma famille étendue, ma femme et moi-même vous rassurons de notre disponibilité permanente pour la cause sacrée du vaillant peuple de Guinée.
— Mon cher Sylla, je t’ai compris et je te remercie ; je te souhaite beaucoup de chance. Et toi Madame Sylla, es-tu heureuse de la libération de ton mari ?
— Dieu merci, camarade président.
Depuis ce jour, commençait pour notre famille et celle de tous les anciens détenus une autre vie de difficultés de toutes sortes : biens saisis, pas réhabilités, démunis de tous moyens de subsistance, craints des uns, méprisés des autres, rejetés dans de nombreux cas par la tribu où la concorde, l’amour, l’affection, le pardon, la compréhension ont cédé la place à la méfiance, à la mesquinerie, aux complexes les plus divers.
La plus dramatique des situations est l’incompréhension des conjoints dont la plupart ont fini par divorcer aux grands regrets de tout le monde. En effet, comment réussir à recréer cette atmosphère de confiance réciproque, de concorde et d’amour sincère rompue depuis plusieurs années ? La femme a joué le rôle de mari et d’épouse, a serré la ceinture autour du pagne pour valablement remplacer un père de famille dont l’absence est durement ressentie par les enfants surtout. Le détenu est revenu plein de complexes d’infériorité vis-à-vis d’une épouse qui le nourrit, l’habille et le loge. Viril sans virilité, homme sans moyens matériels et financiers. Incapable de jouer son véritable rôle, il doit choisir entre reprendre le combat pour la vie et laisser faire à sa place une femme déjà rompue à cette tâche.
Les enfants, habitués à se passer du père, ne reconnaissent comme autorité que celle de leur mère. Discriminés au sein d’une société qui a renié leur famille, la plupart des enfants de détenus se sont exilés s’ils ne se sont pas adonnés à l’alcool.
Père incapable, mère immunisée, enfants déséquilibrés = famille désunie !
C’est pour toutes ces raisons que nous lançons un appel pathétique aux nouvelles autorités du pays pour qu’elles rétablissent bien vite la justice au sein de la société guinéenne, tout en restant fermes, car liberté n’est pas synonyme de libertinage. L’une des qualités de Sékou était l’organisation dans le programme d’action. Il avait réussi à mettre tout le peuple de Guinée dans une sorte de basse-cour, où l’oncle Sam décidait de la vie ou de la mort de chaque poulet. Il donnait à chaque citoyenne, à chaque citoyen, un programme d’activités qui l’occupait tout le temps, lui laissant l’impression d’être utile à son pays. Sa mort a donc laissé un grand vide qu’il importe de combler le plus vite possible.
De même, il faut systématiquement démanteler l’organisation policière de Sékou, dont a longuement parlé M. Keita Koumandian, cet éminent syndicaliste, autre victime du tyran, arrêté en 1961 dans l’affaire des enseignants, qui m’a emporté moi-même pour les « 32 escaliers du Camp Alpha Yaya, autre camp de concentration.
Confiant dans le communiqué no. 10 du 3 avril 1984, relatif à la réhabilitation des anciens détenus politiques, je souhaite que des médailles spéciales de fidélité soient frappées à l’intention de certaines épouses de détenus qui étaient aussi prisonnières que nous. Sans avoir la prétention de savoir ce qui s’est passé dans chaque famille de détenu, et fortement impartial, c’est en me fondant sur le jugement du public que je propose une petite liste très incomplète d’épouses à « médailler », avec mes sincères excuses à toutes les autres qui ne sont pas portées ici. Ne vous formalisez pas ! Ne vous croyez pas abandonnées ou rejetées, condamnées par le tribunal de l’histoire ! Je cite les camarades que vous connaissez mieux que moi. Il y a sûrement de très bonnes épouses dont je ne parle pas par ignorance, dans ce livre ! Que leur anonymat les conduise à la vie éternelle du beau paradis – Amen.

  • Mme Camara née Salématou Youla, aide de Santé au C.H.U. de Donka.
  • Mme Cissé née Aribot, Académie Conakry.
  • Mme Tounkara Cellou, sage-femme d’État.
    Mme Diallo Portos née Aïcha, professeur.
  • Mme Coumbassa Saliou, Secrétaire diplômée.
  • Mme Guinémangué, épouse d’Elhadj Aribot Soda.
  • Mme Bangoura née Esther, professeur à Conakry.
  • Mme Conde Émile née Esther, sage-femme d’État.
  • Mme Barry Kandia née Bah, institutrice Conakry.
  • Mme Fofana Almamy née Fatou Touré, secrétaire Conakry.
  • Mme Chaloub Moustapha née Ezzédine, directrice préfectorale Conakry III.
  • Mme Camara Oumar Deen, secrétaire Conakry I.
  • Mme Camara David, diplômée de hautes études hôtelières, Ministère de la Communication et du Tourisme.
  • Mme Sory Condé née Hadja Billy Diallo, Conakry.

D’autre part, au départ de la 2e République, nous devons absolument faire attention à deux choses essentielles.
Le naturel qui frise la naïveté chez le Guinéen peut nous conduire à nous « jeter littéralement dans la gueule du loup », car le nouveau gâteau guinéen est plus sucré que celui que les puissances européennes se sont partagé à Berlin en 1885.
La recréation de l’atmosphère de plainte éternelle, de guerre froide contre l’impérialisme, le colonialisme, le néocolonialisme que les chantres du P.D.G. ont, près d’un demi siècle, accusés de tous les maux du monde :
« Si ça ne va pas, c’est la faute à l’impérialisme,
« Si nos sources d’eau tarissent, c’est l’impérialisme qui vient se désaltérer là ;
« Si les paysans de Tondon, Benty, Kaïnté ont été brutalisés, certains tués, c’est l’impérialisme qui a agit à l’insu de notre leader bien-aimé, le père des « miskines », etc.
Un pareil danger nous menace encore car Sékou risque de remplacer l’impérialisme — dont il était la véritable incarnation — dans les mentalités guinéennes. La vérité, quoique relative, est que Sékou a été, est et demeurera encore longtemps la référence de tous nos malheurs. Mais c’est inutile de continuer à perdre notre temps, à en parler à tout bout de champ.
Laissons-le donc avec ses tonnes de péchés ; s’il a une mémoire (ou pas), que Dieu et ses anges règlent son compte comme il faut, pour que ses mânes ne poursuivent aucune guinéenne, aucun guinéen, qui ne demandent qu’à vivre maintenant heureux par le travail dans la joie de la dignité retrouvée.
La Fontaine a eu raison de dire que « rien ne sert de courir, il faut partir à point ».
Le CMRN est-il bien parti ? c’est le titre d’un roman.
Un nouvel espoir vient de naître en Guinée.
Une date : 3 avril 1984, à inscrire en lettres capitales dans le registre de l’histoire de notre pays. « Si le malheur est social, le malheur n’est pas la loi. » Comme les compagnons d’Épicure, jamais nous n’imaginions plus qu’il pût exister un bonheur collectif, car celui-là retrancha tout dans l’homme social. Il retrancha ce qui est sociable, mais les désirs de l’homme naturel, il ne les retrancha point, faute de le pouvoir en effet. Cependant ce retranchement n’est pas une perte réelle, mais seulement une mutation des apparences, une amputation de ce qui est dans l’homme comme un tissu cancéreux. Il reste un homme dont les bras atteignent les limites vraies de son destin, c’est Conté. Donc au pessimisme social doit succéder un optimisme naturaliste fondé sur le réel, le sage et le divin. Si tout le peuple de Guinée a porté le poids de la dictature sékoutouréenne, certaines familles ont cependant été plus martyrisées que d’autres :

  • les Bah et les Diallo, familles féodale et spirituelle de Labé et Dalaba
  • les Barry de Pita, Mamou et Dabola (dynastie régnante du Fouta Djallon depuis le Moyen Age)
  • les Baldé (rameau de Thierno Saliou Balla) de Tougué
  • les Diané, Kaba et Condé (familles régnantes et spirituelles) de Kankan
  • les Bangoura de Coyah
  • les Sylla de Basse Guinée à cause de l’Almamy David Sylla de Tondon
  • les Youla, Conté et Soumah pour la haine surtout de Naby Youla, Conté Saïdou et Soumah Abou.

Facély II Mara, RTG : devant tout ce drame, quel message adressez-vous au glorieux peuple de Guinée ?
Almamy Fodé Sylla : je vous remercie M. Facély II Mara, pour m’avoir posé cette question, car, malgré la nouvelle situation qui prévaut en Guinée depuis le 3 avril 1984, certaines gens n’ont pas encore retrouvé leur équilibre interne.
D’honnêtes personnes pensent encore que le changement dont parlent les militaires n’est pas une réalité, mais un rêve, tellement elles ont été « mâtées » dans leur esprit et leur conscience. Les mots P.D.G., Syli, Sékou, Révolution, contre-Révolution sont si profondément ancrés en chaque guinéenne et en chaque guinéen, qu’il faut beaucoup de patience pour opérer le changement.
Voici donc à ce propos le message que j’adresse au peuple de Guinée. Glorieux peuple de Guinée, Finie la terreur ! Finies la tyrannie et la barbarie ! Finis à jamais l’injustice et l’arbitraire ! Finis, finis pour toujours :

  • la délation et la démagogie !
  • le mensonge et la duperie !
  • le vol et les détournements !
  • la paresse et la résistance au travail !
  • les arrestations et assassinats politiques !
  • Finis, définitivement finis :
  • l’hésitation et le tâtonnement !
  • la vie facile des agents de renseignements à la solde d’un aventurier démesurément ambitieux, fanfaron et stupide, cruel et déloyal, menteur et flibustier, orgueilleux et laid, jaloux, cruellement jaloux, possédé par un diable, obsédé… profondément haineux et vindicatif !
  • Finis la cupidité et l’amas de millions de dollars dans des banques étrangères !
  • Fini, fini pour toujours le culte de la personnalité ! pour que vivent et s’épanouissent la démocratie et la justice dans la liberté recouvrée.

Mon second témoignage

Au peuple de Guinée ! Voici 37 ans, le P.D.G., son leader et tous les démagogues opportunistes t’ont intoxiqué, par le mensonge et la délation ! A la R.T.G., « l’Eléphant » de Guinée a crié pendant 26 ans et, un seul jour, il ne t’a enseigné la vérité !
Maintenant qu’un changement total est intervenu, peuple, CMRN et gouvernement, accordez-nous le micro pour quelques semaines seulement. Nous désintoxiquerons l’ensemble du peuple par la vérité, rien que la vérité. Le vif désir de rendre un hommage sincère, profondément reconnaissant à toutes celles et à tous ceux qui nous ont encouragé par leurs douces paroles, ou par l’expression de leurs sentiments d’admiration et d’estime. Ce désir-là peut rendre notre style assez libéral et surtout entâcher notre élocution de quelque venin de vantardise. Car, comme Jacob, ce jeune paysan qui sut se faire aimer à Paris, je tire de mon premier témoignage une sorte de vanité secrète qui me condamne désormais à plus d’humilité et de sagesse, de rigueur et d’abnégation dans le travail, en vue de produire, à la dimension des espoirs, des oeuvres utiles et utilitaires, faites avec le cœur et la foi, le tout de bonté.Répétant avec La Rochefoucauld, la « beauté plaît, l’esprit amuse, la sensibilité passionne, la bonté seule attache ». Deo gratias ! Hommage au Tout-Puissant qui nous a permis de subir avec succès les dures mais très exaltantes épreuves de Boiro, et Hamdallâhi, Ham da-lasbâbi, notre reconnaissance va droit au seigneur des mondes, et nos remerciements aux hommes de bonne volonté dont l’œuvre de générosité et de bienfaisance a sauvé la vie de centaines d’innocents que les vampires assoiffés de sang auraient impitoyablement liquidés sans remords.
Nous pensons :

  • à tous ces gouvernements qui refusèrent pour l’histoire de livrer au bourreau de Conakry, des victimes bipèdes pour sa boucherie humaine et,
  • à ces géôliers comme Chef Niassa, adjudant-chef Balla Touré de Kindia, adjudant-chef Keita actuellement en service à la brigade de ville de Gonakry I, à l’adjudant-chef dit Chinois, à l’adjudant Fodé Sidiki, au major Sako, au sergent « bien nourri » aux adjudants Mamadouba Bangoura, Demba Sylla, aux para-commandos Fodé Camara, Mohamed Camara, Mastamo (ce dernier a été obligé de déserter l’armée parce qu’ayant porté secours aux malheureux détenus du bloc central no. 1 de Boiro, a été menacé d’arrestation… et s’il avait été pris, il serait tout bonnement passé par les armes… ). Nous souhaitons de tout cœur, le retour de ce jeune homme dévoué et sa reprise dans l’armée guinéenne.

Nous ne cesserons jamais d’adresser l’expression de nos vifs remerciements à tous ceux et à toutes celles qui ont joué un rôle bienveillant à l’endroit des détenus (dont certains doivent à d’autres. C’est le cas de M. Sékou Yalani Yansané. Il doit reconnaissance et gratitude à M. Benjamin Louis, autrement appelé Bejany, qui était récemment admis à l’hôpital Ignace Deen, au pavillon de Mme N’Diaye. Elle, qui s’était bien occupée, à l’instar des Médecins Sans Frontières, de ce pauvre rescapé fatigué par ses 72 ans d’âge et ses 8 ans de Camp Boiro. De même, il faut rendre hommage à tous les 15 détenus rescapés de Kindia, particulièrement à ceux qui s’occupaient de Faouly, l’une des plus malheureuses victimes des camps de concentration. En 8 ans de détention dans des conditions déjà décrites, M. Soumah Faouly, arrêté pour être jeune frère de Capitaine Abou Soumah, a perdu l’usage de la langue, des pieds, des yeux et des oreilles).
Il n’est pas superflu de rappeler qu’à propos du capitaine Abou Soumah, l’opinion doit être instruite sur sa mort tragi-mystérieuse.
En effet, après avoir vainement tenté de l’empoisonner à Abidjan comme il l’a fait à Alata, Sékou Touré envoie un de ses tueurs à gage faire le nécessaire en employant un procédé occulte qui devait malheureusement réussir et emporter l’âme précieuse de ce frère de combat, le capitaine Abou Soumah.
La vengeance poursuivant le crime ! Non ! On ne se vengera pas ! Mais attention ! Nous demandons que justice soit faite ! Ahmed, Sékou, Touré poursuivait des familles jusqu’à leur extinction totale ou tout au moins l’élimination des principaux membres. De même, certaines équipes de Médecins sans frontières, des témoins ayant assisté au traitement médical à Paris du professeur Kapet de Bana, rescapé de Boiro, peuvent attester que cet ancien détenu politique, après 8 ans dans le très tristement célèbre camp de concentration Boiro, libéré sur les instances des organisations humanitaires internationales, a été empoisonné à bord de l’avion qui le transportait à Paris. Les vérifications sont possibles à son niveau car il n’en est heureusement pas mort.

Mesdames et Messieurs, notre gratitude va encore au Tout-Puissant qui nous a libérés le 3 avril 1984 par la main fortifiée de l’armée nationale faisant renaître à la liberté, le vaillant peuple de Guinée et immortalisant les morts et les vivants, rescapés des tristes géôles : Camp Boiro, Camp Alpha Yaya, Camp Keme Bourema (Kindia), Camp Soundiata Keita (Kankan), et ailleurs.
Hommage aux nombreux et fidèles auditeurs de la R.T.G. dont les critiques très constructives nous servent grandement. Nous ne saurons donner la liste très longue de ces nombreux amis ; que tous soient vivement remerciés. Il faut cependant mettre à l’aise ceux qui se demanderaient les raisons de ce 2e témoignage. La réponse est très simple ; c’est pour donner satisfaction à de nombreux auditeurs dont les questions pertinentes posées après le 1er témoignage méritent une attention particulière. Aussi, un second, pourquoi pas un troisième, un quatrième… témoignage, quand on sait qu’à Boiro, on pouvait faire faire plusieurs dépositions à un détenu de façon circonstanciée ! Mieux, il n’est pas possible à un détenu rescapé d’un camp de concentration de dire en une fois tout ce qu’il sait des hommes et des machines intimement insérés les uns dans les autres dans un mécanisme de destruction de l’homme par l’homme.

  1. Facély II Mara: comment vous étiez-vous arrangé pour allier la Révolution de M. Sékou Touré « Alcapone » et votre attitude naturelle d’opposant systématique au P.D.G. pour finalement vous faire élire Secrétaire général de la section du 5e arrondissement, surtout sans vous faire prendre par le Parti ?
    Almamy Fodé Sylla: pour commencer, j’ai été arrêté malgré le voile et, je crois avoir dit dans mon témoignage en soussou que tout opposant au régime dictatorial défunt devait être prudent, choisir entre partir (c’est le cas de beaucoup de cadres) et rester.
    Dans ce dernier cas, il faut accepter toute la dictature du Parti unique, se plier aux vexations, humiliations, provocations de l’enfant, du cadet face à l’aîné, de l’élève vis-à-vis de son éducateur, de l’apprenti contre son maître, surtout de la femme qui se dit mariée à l’égard de l’homme qui prétend être son mari.
    Entre partir et rester, j’ai choisi de demeurer sans cependant condamner ceux qui, pour préserver leur âme, ont été contraints de s’expatrier. Et quand on a choisi de rester, il faut adopter une attitude conciliante dans toutes les situations. Ne jamais perdre de vue que pour abattre un ennemi il faut l’approcher le plus près possible. Si c’est un homme normal, ces réflexes seront donc normaux. Cela implique que ses réactions, à quelques nuances près, sont prévisibles. Or, Sékou Touré était un paranoïaque, un malade inconscient de son état. Il souffrait de deux grands complexes : de naissance et de formation. Mégalomane par surcroît, complexé « social », il se croyait socialement persécuté par un entourage, pour lui constamment douteux, dont il faut se méfier, en avoir une peur démentielle, qui met une trouille agressive, inflexiblement tendue, comme une flèche empoisonnée, vers les autres hommes, cible permanente.
    Dans un tel cas, disons-nous, il n’y a que Dieu — pour les croyants —, le hasard — pour les autres — qui sauve quand on a choisi de demeurer à ses côtés. Ayant compris l’homme, j’ai adopté une attitude et un comportement tout de contestation, mais pratique, car le tyran se laisse tromper par des façons de faire « zélées ». Par exemple, j’ai vu un ancien chef de canton danser le folklore en battant le tam-tam à l’occasion de la visite de Sékou Touré dans sa fédération. Sékou, très enchanté, nomma immédiatement l’intéressé commandant d’arrondissement. Il faut être fou pour croire et accepter un féodal épousant la « révolution socialiste » jusqu’à devenir danseur « nyamakala » à la place de « Samba Yoro ». Sékou n’a pas compris le proverbe peuhl : « Suttude e sattude ko attyugol ko suttunoo bhuri sattande suttudho » (l’habitude est une seconde nature dont il est difficile de se défaire). Un chef de canton dont tous les ancêtres sont des féodaux, adhérer à l’idée d’égalité absolue de tous les hommes, relève de phénomènes plutôt économiques que socio-politiques. Mais en tant qu’homme, surtout de nature explosive, il m’arrivait très souvent d’adopter des attitudes qui trahissent le manteau, espèce de couche superficielle de couleur « révolutionnaire », pour montrer mon vrai moi.
    Sachez en passant que dans le régime policier et dictatorial de Sékou Touré l’équilibre interne était rompu tout le temps que durait votre vie en son sein. Ici, les choses sont compliquées car, en vous rendant illogique, le comportement de l’illuminé demeure parfaitement lucide et logique. C’est ainsi que le 27 août 1977, dans la matinée, je fus spontanément sorti de mon « fourreau » pour dire aux femmes du marché M’Balia :
    — Vous avez parfaitement raison de vous révolter, le comportement de la police économique est plus que révoltant. Au nom du Parti-État, dont j’incarne l’autorité et la vérité pratique au 5e arrondissement, je vous assure que la police économique partira définitivement du marché M’Balia, soyez-en sûres ! retournez au marché, continuez vos activités comme par le passé sans inquiétude.
    Voilà des propos compromettants que seul le « Responsable suprême de la Révolution » a le droit de tenir devant sa foule délirante. Rendons grâce à Dieu pour nous avoir libérés d’un grand malade. Alhamdu lil’Allâhi rabbil aalamina « Hommage au Seigneur de l’univers ».

Facély II Mara : Pourquoi ne citez-vous pas tous les dignitaires du P.D.G. sur la liste des malfaiteurs ?
Almamy Fodé Sylla : En effet, je n’ai pas cité tout le monde mais des spécimens, si vous voulez, de chaque groupe. Voyez par exemple les cas combien douloureux

  • d’un Siké Camara, docteur en carton, spécialiste de la propagande vénimeuse du P.D.G., auteur de toutes les lois déloyales prises ces derniers temps ;
  • d’un Mamadi Kaba, maître sorcier qui fut commis par Sékou à la sale besogne de destruction de la classe ouvrière par intoxication, endoctrinement et manipulation des hommes selon les idées d’un marxisme tronqué, mal assimilé, enseigné par un autodidacte insuffisant et ambitieux qui se croît aux sommités des connaissances universelles et entend être accepté comme tel.

On ne saurait donc oublier aucun des collaborateurs du tyran dont la plupart sont criminels à leur façon.
Il faut également savoir que Sékou Touré était si méchant, si profondément égoïste, si ennemi du peuple de Guinée, qu’il s’est toujours arrangé pour partager la responsabilité de ces nombreux crimes avec ses collaborateurs, dont il a sali les mains de la plupart.
Quant au peuple qui condamnait avec lui (excité par lui, exalté par lui), des comploteurs sans complots (rendus traîtres par la bouche de Sékou Touré et tués après acclamations), Sékou l’a rendu responsable de nombreux crimes.
Il faut préciser également que pour accéder à certains postes de responsabilités au niveau de l’État ou des entreprises, à un moment où Sékou, se moquant royalement du peuple dont il fait tout pour empêcher le bonheur. Le dictateur employait la tactique du plus requis, du plus disponible à tel niveau, à tel poste, pour agir conformément à sa seule volonté. Qui n’a pas prononcé au moins un discours démagogique et plein d’éloges « du tyran » ? Si le CMRN pouvait amuser le peuple de Guinée en faisant repasser certains discours des années 1960 et 1970, quel retournement cela ferait !
C’est dans le même ordre d’idées que je demande avec insistance que le CMRN recherche la lettre ouverte que j’avais adressée à Sékou Touré ainsi que ma déposition sur bande magnétique que le peuple écouterait avec surprise, pour définitivement rassurer certaines gens qui pensent que nous n’osons « cracher » que sur des morts. Notre bande, qui date du 12 octobre 1977, donc 6 ans 5 mois avant la mort du tyran, est le meilleur témoin de notre position de toujours vis-à-vis du dictateur et de son régime. En rêvant sur le choix des cadres, pour nous, détenus politiques, nous supposions comme d’office acquis aux idées « machiavéliques » de Sékou Touré tous les hauts cadres, tous les cadres moyens, civils et militaires choisis après bien des tests pour assumer la haute et très délicate mission de torturer des innocents en vue de leur « arracher » des aveux.
Ainsi, tout membre de la commission d’enquête du Comité révolutionnaire est potentiellement tortionnaire. « Cujus abdîtis ad huc vitiismire congruebat ». Néron, dit Tacite, porta impatiemment la mort de Narcisse, parce que cet affranchi avait une conformité merveilleuse avec les vices du prince encore cachés.

Facély II Mara : que voulez-vous dire par bibliothèque vivante en parlant des tortionnaires ?
Almamy Fodé Sylla : Une bibliothèque vivante ou une encyclopédie (c’est strictement pareil), est une image pour faire comprendre la somme de connaissances ou d’informations détenues par les tortionnaires du Camp Boiro.
S’agissant de ces malfaiteurs toujours en liberté, complices exécutants de ceux qui sont déjà arrêtés, c’est-à-dire les Ministres, dignitaires de l’ancien régime, nous pensons qu’il faut les mettre en confiance, ne pas leur faire de mal, mais les mettre en sécurité à cause du rôle historique qu’ils sont appelés à jouer.
Après la disparition brutale de Fadama Condé, notre inquiétude demeure : Ces tortionnaires ne vont-ils pas mourir un à un, paisiblement, sans donner ce qu’ils doivent obligatoirement livrer à l’histoire ? Pour vous donner une idée de la complémentarité des rôles, voici résumée la relation des bourreaux : Sékou — Ismaël — Siaka — Fadama — d’autres bras. Expliquons cette chaîne.
Sékou dit : «
— Je suis jaloux de tel cadre !
Ismaël répond :
— Laisse-moi m’occuper de lui.
Siaka ajoute : «
— J’ai de nombreux bras de fer pour l’assommer !
Fadama conclut :
— Je l’ai déjà tué !
Et le cercle vicieux reprend par Sékou, qui conclut : «
— De ce côté-là, je suis tranquille mais voilà un autre ennemi qui se dessine là-bas. »
Et, infernal, le processus a duré jusqu’au 3 avril 1984.
Cette brave équipe de tortionnaires encore en liberté doit aider non pas la « révolution », cette fois-ci, comme il nous avait été demandé, mais la patrie dont ils détiennent une importante séquence de l’histoire. Et, qui parlerait en poète, dirait : « Et la nuit noire engloba de son lourd manteau le quart de siècle tristement célèbre de M. Sékou Touré. Né en 1922, il a conquis et obtenu le pouvoir à 36 ans, a régné 26 ans pour mourir à 62 ans, laissant la grande réputation de premier grand dictateur de la République de Guinée. Mais en Guinée, nous ne voulons ni de 2e, ni de 3e dictateur, plus de dictateur tout court.

Facély II Mara : Etes-vous en train d’écrire un livre ? Si oui, quels en sont les thèmes essentiels ?
Almamy Fodé Sylla : c’est l’histoire qui condamne tous les intellectuels, témoins de l’histoire, rescapés des divers camps de concentration, d’écrire des livres et des mémoires pour contribuer ainsi à la dénonciation des crimes commis par la clique de la 1re République, mettant aussi l’humanité en garde contre toute velléité de dictature, toute manifestation de pouvoir tyrannique.
Les divers écrits mettront en relief la duplicité de certains hommes et, s’ils sont chefs, les crimes dont ils seront coupables et, pire, s’ils sont tribuns, véritables savants en langage politique comme Sékou Touré, ils sont capables d’éliminer le genre humain. En effet, admettons que Sékou Touré ait vécu 1 000 ans dont 500 ans de pouvoir, voyons à peu près le nombre de personnes qu’il ferait voyager sans retour : soustraction faite de l’année 1958 où il était « Néron » dans ses trois premières années de règne, il reste 25 ans de pouvoir au cours desquels il a éliminé au moins 50 000 personnes dans 4 camps de la mort ; en 500 ans, 500 fois plus :

soit 500 x 50 000 25 1 000 000 de personnes.

S’il avait vécu 100 000 ans, il aurait éliminé une bonne partie de la population africaine. L’on sait surtout que le dictateur n’a pas d’idéal à défendre ; il n’a que des buts à atteindre. Quand on le loue, l’on fait ainsi le culte de sa personnalité. Devenu puissant, il se retourne non seulement contre tous ceux qui lui ont prêté une main forte, mais aussi tous ceux qui créent chez lui des complexes : il tuerait donc le plus bel homme, la plus belle femme, le plus riche, le plus instruit, le plus honnête… Tenez-vous bien ! le tyran fait toute comparaison par rapport à lui-même ! Imaginez voêmes, chers lecteurs, le nombre de Guinéens et Guinéennes que Sékou Touré aurait épargnés parce que ne présentant aucun danger pour lui, suivant sa logique implacable. Il n’y en aurait pas eu beaucoup hein ! La plupart des rescapés des tristes géôles sont donc en train d’écrire des mémoires et les nombreux livres déjà en chantier verront le Jour dans les très prochaines années « inchallâh » (s’il plaît à Dieu). En dehors de l’important travail réalisé par Jeune Afrique, J’invite toutes les Guinéennes, tous les Guinéens, les Africains et tous les hommes épris de justice, à lire le remarquable ouvrage de M. Alpha Abdoulaye Portos Diallo, cet autre illustre rescapé, diplômé de hautes études de résistance à Boiro.

Facély II Mara : pourquoi avez-vous qualifié le Camp Boiro de 6e continent ?
Almamy Fodé Sylla : les géographes, les historiens et autres spécialistes nous ont appris l’existence de cinq (5) continents mais, d’un commun avis, tous les détenus sont tombés d’accord sur cette appellation de Boiro « 6e continent ».
Nous invitons topographes, cartographes, géographes et tous spécialistes intéressés par la question à réfléchir sur ce problème afin d’enrichir le patrimoine mondial de nouvelles données continentales. Les premiers historiens qui ont foulé le soi de Boiro, émerveillés, se sont écriés : Oh ! quel musée ! Il l’aurait effectivement été, n’eût été l’acte criminel du chef de poste central Fadama qui a malheureusement effacé tous les écriteaux, les dessins significatifs que comportaient les murs des cellules.
Mais, malgré cela, Boiro demeure le 6e continent par l’esprit et les idées forces qui ont présidé à sa création, sa structure organisationnelle et fonctionnelle : terreur, horreur, crime, le tout entouré de mystère, et l’évocation du seul nom de Boiro fait sursauter d’émotion chaque Guinéen, chaque Guinéenne, sans compter l’impact négatif de cet austwich guinéen sur la politique extérieure guinéenne de Sékou, pendant tout le règne de l’hommeéléphant.
Le peuple de Guinée est aujourd’hui révolté dans sa conscience patriotique, dans son humanisme et dans sa religiosité en apprenant que Sékou, en trahissant sa cause sacrée, a gravement abusé de sa vigilance, en organisant dans sa capitale, Conakry, à proximité du cimetière national (où reposent en silence des Guinéens et Guinéennes ayant incarné avec dignité et bonheur les nobles idéaux de liberté et de justice), la plus terrible tuerie dans le plus monstrueux camp de concentration, pour éteindre avec un cynisme incomparable, la plupart de ses meilleurs enfants. Sékou Touré croit entrer dans les bonnes grâces du Tout-Puissant Allah, en construisant (après avoir détourné ou volé les premiers budgets mis à notre disposition par un pays frère), à 150 m de ce tombeau ouvert de Boiro, la 4e mosquée du monde par sa capacité, véritable joyau, fierté de notre sainte religion.

«A la ma ahadi ileykoun yâ bani âdama an la Ataaboudou chaytâneInnahou lakoun adoû-n moubbînn. Wa annouaboudouni haza ciratoun moustakhîm ! walakhad adalla minkoun djibilan kacîran Afalamtakoûnou taakhiloun hazihi djahannamoun lati kountoun touadoûne. »
« Enfant d’Adam, fils d’Adam ! n’as-tu pas reçu notre message te mettant en garde contre la tentation de chaytâne ton pire ennemi ? celui-ci a déjà guidé nombre de personnes sur le chemin glissant de la perdition parce qu’elles n’ont pas tenu compte de ma mise en garde. L’enfer est votre juste salaire ! Malheur donc à toi Sékou, toi qui t’es détruit, as détruit ta famille et creusé la tombe pour recevoir toute ta descendance ?»

Malheur à tous ceux qui continuent à sucer le sang du peuple de Guinée, ils sont tous connus parce qu’ils agissent au su et vu de tout le monde, de façon arrogante comme pour lancer un défi à l’esprit de redressement.
L’arrestation des maîtres-voleurs ne met nullement fin à leurs activités criminelles. On sait que les nombreux complices receleurs des fonds et équipements volés au peuple continuent à fructifier les sommes déjà colossales et, impunément.
Ils se sentent protégés par une trop grande tolérance du CMRN qui, cependant, en respectant et appliquant strictement la déclaration universelle des droits de l’homme, n’entend pas piétiner, même pour une seconde, la justice qui stipule la réparation de tout tort causé à un citoyen.
Nous connaissons, le peuple aussi connaît, qui était qui, sous « Alcapone ». Quelques exemples nous édifieraient mieux.
Nous sommes au Palais du peuple en conférence économique de 1976. Tous les PRL de Conakry, au nombre de 142 à l’époque, sont déclarés déficitaires des suites de la gestion économique en général et celle de la « commande spéciale » d’août 1975 en particulier. Tout le monde, tous les maires, tous les chefs de service des PRL doivent-ils aller en prison ? Doit-on tolérer tous ces agents plutôt politiques qu’économiques en sacrifiant les milliards de sylis théoriques disparus ? Quelle figure ferait le Parti face aux commerçants contre lesquels une guerre sainte a été déclarée en février 1975 ? Le « Responsable Suprême de la Révolution » est-il capable de déclarer l’échec de sa politique économique pour donner raison à ses soi-disant ennemis ? Pour répondre à toutes ces questions, voici comment Sékou stratège procéda. En pleine séance il dit :
— « Window » est-il là ? Celui-ci répond par l’affirmative.
Il reprend :
— Mon compte spécial fait combien ?
— 950 000 000 de Sylis, répond Window.
— Je les mets à la disposition des PRL de Conakry pour résorber leurs déficits, conclut le patron créateur de la monnaie syli.
Applaudissements prolongés.
Chacun comprend le reste. Quel compte spécial ce Window gérait-il pour le « chef suprême de la Révolution » ? La question doit être posée à Kourouma Daouda dit Window, confident économique et financier de Sékou Touré.
A l’ex-mairie de Conakry III, le Secrétaire fédéral Alkaly Bangoura (dont Sékou a difficilement validé l’élection), constate qu’un de ses agents, Traoré Faramoudou directeur de l’habitat, fait des malversations. Il condamne cette façon malhonnête de faire de l’intouchable Traoré ! Aussitôt le maire de la commune, secrétaire fédéral de Conakry III reçoit une convocation par l’ex-Ministre de l’intérieur, Son Excellence « Himmler » Moussa Diakité, qui, en trois mots, se démasque sans retenue ni hésitation :
— Tu veux croiser les fers avec moi ? Eh ! bien touche à Traoré. Comme toi, c’est un chef de service dont tu ne saurais lier les mains. A bon entendeur salut. Vous pouvez disposer .
On voit comment ces hommes se « respectaient en respectant » ceux qui incarnent l’autorité de leur parti.
Je n’insiste pas outre-mesure sur le cas de l’ex-directeur de la Cotra qui continue avec la même insolence ses activités « made by me for my friend Siaka », c’est-à-dire : au service exclusif de son frère économique Siaka, bourreau de Boiro.
Chaque cadre guinéen connaît le rôle de Chérif, l’ex-directeur de l’usine d’alumine de Fria, ou celui de Kamsar, et j’en passe.
Ne vous croyez pas épargnés les autres ! La liste serait simplement trop longue. Et surtout, ne m’épargnez pas ! Dites aussi tout ce que vous connaissez sur moi, mais soyez objectifs ! Je vous apprends que je n’ai même pas un carnet de ravitaillement alimentaire à Conakry. C’est le marché MBalia et les autres marchés qui sont mes magasins d’achat. En 26 ans, le P.D.G. ne m’a donné qu’un « bon d’achat » — que je n’avais pas sollicité d’ailleurs — ; il s’agit d’une mobylette que le Ministère du Commerce avait attribuée à des « fonctions » (maire, secrétaire à l’économie). Or, par hasard, j’exerçais à l’époque dans un P.R.L. les fonctions de secrétaire à l’économie. J’eus donc cette motoconfort qui, malheureusement, devait être saisie en 1977 après ma 3e arrestation.
Je dois donc peu de chose au P.D.G. en dehors des années de détention aux Camps Samory, Alpha Yaya et Boiro. Si vous croyez en Dieu et voulez échapper au sort de vos maîtres, un seul conseil : « rendez à César ce qui est à César ».
Remettez au CMRN tous les fonds volés que vous gérez pour soutenir des familles qui ne méritent que la pendaison n’eût été la clémence du gouvernement de la 2e République. En tout cas, si vous ne vous exécutez pas après ce témoignage, je vais livrer au peuple la suite très sombre du dossier des receleurs dans leurs activités intérieures et extérieures.
Amendez-vous ! Sinon, je suis prêt à livrer la liste de 52 agents de renseignements, dont 22 tueurs à gage qui étaient à la solde de Sékou Touré.
L’un de ces tueurs habite le quartier Madina-École sur la corniche nord. Il a beaucoup de moyens matériels et financiers. Il a un passeport diplomatique et avait ses entrées et sorties à la Présidence d’alors et, sous le couvert du sport, il recrute ses adeptes au sein de la jeunesse. Élément très dangereux, voici la copie d’un télégramme qu’il envoie un jour de Londres, en langue Mandingue (malinké) à l’adresse du Président Sékou Touré. Le message était ainsi libellé : « N’nyako, n’daasörö » (Je le suis, je l’aurai). Cela signifie que la personne poursuivie est effectivement suivie et le tueur à gages rassure son patron du succès certain de sa mission.
Le groupe de six (6) tueurs spécialistes de la piraterie, dépêchés de Conakry pour Bouaké via Monrovia où les éléments ont changé d’identité, et dont la mission consistait à tuer le professeur agrégé de médecine Dr Conté Saïdou, n’a-t-il pas été appréhendé quelque part dans un aéroport sans atteindre l’objectif ?
Et les deux missions envoyées pour supprimer Dr Diané Charles à Monrovia ?
Que dire des tueurs qui ont tenté l’enlèvement du professeur agrégé d’histoire Baba Ibrahima Kaké, lors de la visite de Sékou Touré à Paris ? Nous en passons !
C’est un sursis que j’accorde à tous ces éléments « pendables » qui se promènent dans les rues de Conakry à bord des voitures marquées pour « prix de services rendus ». La commission d’enquête devra poser des questions à Saïdou Keita à propos de la mort de M. Noumoukè Kaba, à qui il a rendu visite à la veille de la disparition brutale de ce compagnon de lutte.
En plus des nombreux cas de crimes qu’il a sur la conscience, Ismaël ‘Béria’ Touré devra spécialement expliquer comment ont été tuées et dans quelles conditions les 6 séries de frères que voici les :

  • 4 frères Diane de Kankan
  • 3 frères Bah de Dalaba
  • 2 frères Fofana de Forécariah (Karim et Almamy)
  • 8 frères Coumbassa de Boké arrêtés dont 3 tués
  • 3 frères Camara de Macenta
  • 3 frères Koivogui de Macenta.

Par ailleurs, Mama Tounkara doit s’expliquer sur la mort d’un de ses frères à Boké et rendre compte des centaines de frontaliers qu’il expédiait de Dakar pour la boucherie de Boiro. Un grand commerçant, transporteur, homme d’affaires, Boubacar Walan doit expliquer l’arrestation du commerçant Demba Traoré résidant à Lomé, après avoir fait des largesses aux membres influents de la famille ‘royale’ : une mercédès à Amara Touré à Faranah une voiture Volvo à Kalagban de l’argent aux autres.
Amara, le tyran de Faranah doit expliquer la mort de Sagno Mamadi qui lui a simplement dit que le P.D.G. n’était pas une affaire de famille (c’est ce qu’il croyait) et qu’en conséquence, s’il doit appartenir à un organisme dirigeant du Parti, il faut qu’il le mérite. C’est à la suite de cette vérité élémentaire que nous avons perdu ce vaillant fils du pays.

Facély II Mara : pourquoi avez-vous demandé une médaille pour les rescapés de Boiro et leurs épouses ?
Almamy Fodé Sylla : pour les détenus politiques, rescapés des camps de concentration, vétérans de la guerre 1958-1984, point n’est besoin de donner les raisons pour lesquelles la 2e République doit leur décerner la médaille de compagnons de la liberté et à leurs épouses (à certaines bien entendu), celles de fidélité au peuple.
Comme les anciens combattants des deux guerres mondiales, médaille de l’ordre national, voyez les nombreuses cicatrices dans nos mains, sur les bras, le front, le dos, les pieds, les jambes, les séquelles de l’électrochoc, etc.
Même à l’intérieur du Camp, au Bloc central no. 1, une fois passé le douloureux cap de diète d’accueil — 5 à 15 jours sans boire, ni manger, période d’isolement dans les étroites et sordides cellules métalliques, moment très dur —, de mémoire d’homme il n’en a existé nulle part ailleurs que dans les « célèbres » camps nazis. Lorsqu’un détenu (dont on a augmenté le nombre de jours de diète de 4 x 2 soit 8 jours supplémentaires) a, par la grâce de Dieu, réussi cette douloureuse épreuve en attendant d’être indiqué par les charlatans comme sacrifice nécessaire au maintien du pouvoir dictatorial de Sékou avide de sang, il a désormais droit à l’attente de son « jour » de départ soit pour la ville soit pour la tombe. A ce niveau-là, le détenu change de cellule et les géôliers qui nous torturaient hier, c’est-à-dire pendant les interrogatoires, ceux-là dont la seule présence devant la cellule faisait penser à la mort, ces tortionnaires endurcis, désormais éclairés par la résistance dont chaque détenu vivant a fait preuve, commencent à se ressaisir en pensant à la « possible possibilité » de retrouver dans les rues de la « liberté » leurs victimes d’aujourd’hui. C’est ainsi qu’un tortionnaire du Camp de Labé, un adjudant para-commando, donna des conseils de sagesse à ses subordonnés qui brutalisent les hauts cadres arrêtés en 1961 : «
— Méfiez-vous ! La politique c’est dangereux ! C’est le bas et le haut ! Faites attention à ces gens-là qui peuvent un jour sortir d’ici et occuper les mêmes fonctions importantes dans la vie sociale ! Contrôlez même vos propos ! Innalaha maa saabirine (Dieu est pour les patients) ! Nyallugol takkaade no bhuri dawgol yolaade, mieux vaut côtoyer patiemment une rivière que de se laisser noyer par empressement, dit le proverbe peul. » Cela veut dire qu’il vaut mieux, dans la vie, se hâter lentement comme a dit Boileau dans son Art Poétique.
L’amorce faite par le CMRN en restituant aux détenus les maisons qui leur ont été arbitrairement retirées, est suffisamment significative et rassure les uns et les autres que la vérité et la justice seront réhabilitées, avec elles les heureux détenteurs.
D’autre part, le peuple qui est, après Dieu, le meilleur juge, nous connaît, avant, pendant et après notre détention. Il a longuement observé le comportement de chacun des membres de nos familles. Il a constaté que certains étaient plus prisonniers que nous, notamment nos épouses, à la fois méprisées, torturées, humiliées mais aussi convoitées par nos ennemis communs. Pour asseoir l’idée qu’il faut récompenser le courage. la fidélité et la combativité de ces pauvres femmes qui se sont retrouvées un beau matin reniées par toute la société, y compris les siens, expropriées. démunies de tous les biens matériels, enfin jetées dans les rues leurs nombreux enfants entre les bras, il suffit de se remémorer les dates inoubliables de janvier 1971 (période de chasse à l’homme) de février 1975 (un autre épisode de la tension permanente, cette fois-ci spécialement dirigée contre tous les « nantis » (notamment les commerçants), et celle d’août 1977, avec le soulèvement des femmes à Macenta, Gueckédou, N’Zérékoré, Mamou, Labé, Fria, Kindia, Forécariah, Coyah et Conakry, où les épouses des « comploteurs » étaient encore les meilleures cibles après les marchandes insurgées.
Les bourreaux ont poussé le scrupule jusqu’à prononcer, par un décret du Chef de l’État, le divorce d’entre les conjoints dont l’un était illégalement détenu ou tué, et l’autre (la femme) naturellement objet de convoitise aboutissant quelquefois à des scènes de rue, des duels de gladiateurs entre tortionnaires (pourtant tous mariés).
Siaka Touré, bourreau et son « scribe », Bembeya, peuvent attester de l’authenticité de cette déclaration. Parmi ces nombreuses héroïnes dont nous avons déjà parlé dans notre premier témoignage, il faut insister sur le cas de Mme veuve Bangoura Karim. Cette dame, comme beaucoup de ses soeurs de mêmes conditions, a connu des moments terriblement durs. En effet, renvoyée de sa propre maison après l’arrestation de son mari, elle a été obligée d’accepter la condition inacceptable de locataire (et ce, après revendication de sa qualité de fonctionnaire qui a droit au logement) dans une maison qu’elle a proprement construite avec son mari. Quel scandale ! décidément on verra du tout en Guinée !
Mme Kaba née Fatoumata Kôlè surnommée « Tout-passe » (c’était son auto-conseil après l’arrestation de son mari, répétant à tout ami qui la plaint « ça va passer, et effectivement « ça a passé ») a vu toutes les couleurs à Tougué, sa préfecture natale. Plusieurs fois arrêtée, emprisonnée, elle a toujours répété son calmant « ça va passer ». C’est l’occasion de remercier vivement toutes les personnes qui, comme M. Youla Almamy Oumar, Elhadj Aboubacar Lakhata Camara et tant d’autres, se sont chaleureusement occupées des familles des détenus.

Facély II Mara : ne connaissez-vous aucune famille brimée en Forêt ?
Almamy Fodé Sylla : Oh si ! je ne pouvais pas citer toutes les familles. Car en vérité c’est l’ensemble du peuple de Guinée qui a supporté le poids combien écrasant de la dictature noire de Sékou Touré. Il n’a épargné aucune famille, aucune couche sociale, aucune catégorie professionnelle, aucun homme, aucune femme.
Il était aussi admiré que craint et, depuis qu’il a terrorisé les populations musulmanes de Guinée par 78 pendaisons publiques en 1971, acte malheureusement toléré par certains Chefs d’État sur qui nous comptions pourtant en raison de leur culture, leur longue expérience politique, leur sagesse, leur audience internationale.
Et surtout, Sékou ayant obtenu l’effet recherché à l’intérieur, à savoir scandaliser le peuple par ce crime d’une horrible cruauté, s’est tout bonnement vu décerner le prix d’excellence en boucherie humaine. Quelle horreur ! quelle barbarie ! quelle laideur ! Quel peuple aurait résisté à une telle exhibition d’êtres humains empalés la tête en bas, regardant cette terre de Guinée, des corps inertes frappés pour la dernière fois par la brise marine de Conakry, la mousson du sud, l’harmattan du Centre et les alizés du nord ? (les pendaisons ont eu lieu sous forme de manifestation populaire dans chaque préfecture).
Malgré lui, le peuple a chanté les louanges du tyran, qui a exigé cela comme preuve d’adhésion à ces crimes. Et, quant aux femmes et enfants des malheureuses victimes, « Alcapone » exigeait que chacun chantât et dansât sous le corps du mari ou du père. Quel cynisme que Ramsès II, Képhren, Sargon, Assourbanipal auraient qualifié de monstrueux et d’inimaginable !
Il n’était pas donné à Sékou de se tailler une place d’honneur aussi bien dans les rangs du R.D.A. qu’au sein de sa section guinéenne sans l’appui total de certaines familles, de cadres politiques, administratifs, syndicaux et locaux dont le rayonnement et l’influence politico-sociale étaient déterminants à l’époque. C’est justement toutes ces familles, tous ces cadres, qui ont activement pris part à la création du mythe Sékou. Ce qui en fera l’homme politique de premier plan. Mais malheureusement toutes ces familles et tous ces hommes, toutes ces braves femmes ont été récompensés par la prison si ce n’est pas par la mort. Sékou Touré a donc été parfaitement régulier dans son caractère, rigoureusement identique à lui-même.
Jamais, un seul jour, il n’a agi de façon désintéressée. Son génie semble avoir pour tabou (totem) la reconnaissance du bienfait : pour lui, il faut se servir de l’homme comme d’un instrument de travail et pour cela, utiliser tous les moyens, bons ou mauvais pour parvenir à ses fins. Sa vie durant, Sékou Touré a couru derrière trois choses qui ne l’ont cependant jamais rassasié jusqu’à sa mort. Ce sont : l’argent, la femme, l’honneur.
Sa supériorité par rapport à tous les hommes de la terre réside dans son comportement amoral que n’accepte aucun homme normal : sans scrupule, sans pudeur, Sékou n’a jamais éprouvé le moindre frisson en trompant ses semblables par d’éternels mensonges. Il vous approche, vous met en confiance par un poste élevé dans son fameux Parti-Etat (afin que la chute soit plus violente, entraînant des brisures irréparables). Et, une fois qu’il sait un tel cadre sans méfiance, qui se dévoue entièrement à sa cause, n’a plus de réserve pour lui, puisqu’il le considère plus qu’un frère, il a plaisir à faire du mal en lui fauchant l’herbe sous les pieds.
De Beyla à Conakry, de Dakar à Paris, que de chemin parcouru par Sékou Touré jetant dans la poubelle tous ses soutiens… L’on peut se demander comment un Sékou Touré de Faranah pouvait-il bien se faire élire conseiller territorial de la Guinée française sur la liste de Beyla ?
En 1954, avec la bénédiction du Gouverneur général de l’A.O.F. Benard Cornut-Gentille, Sékou est lancé sur l’arène politique. Avec des idées et des intentions ignorées de tout le monde : c’est le louveteau, véritable monstre naissant. Il le prouvera quelques années plus tard tant à l’égard de Beyla que de Cornut-Gentille.
Que dire de tous ces cadres qui l’ont accueilli à Conakry, en véritable fils pour les uns et frère pour les autres ? Où est le doyen Ibrahima Touré de Boulbinet ? Manè Dâti de Koundara, cet instituteur, fondateur du R.D.A. dans cette localité qui, après avoir été un jour violemment pris à partie par le commandant de cercle à propos du R.D.A., adresse au Gouverneur Ramadier à Conakry un rapport circonstancié dont l’étude aboutit au rapatriement immédiat du Commandant ? Ce grand combattant, comme tant d’autres, a été purement et simplement jeté dans la poubelle comme une peau d’orange — et cela, parce qu’il a la chance, car il aurait dû être tué au même titre que la plupart des cadres-fondateurs du Parti.
Il faut préciser que seul Dieu a épargné certains cadres pour en faire des témoins. Que dire encore de M. Bangoura Kassory, fonctionnaire à l’époque à Dakar, et qui sauva de justesse une décisive situation de M. Sékou Touré ?
En effet, après les élections législatives de 1951, Sékou n’est pas élu en Guinée. Il prépare donc précipitamment un voyage de revendication sur Paris, rue Oudinot. Mais comme il est fiché « élément dangereux, agitateur véhément, agent indiscipliné, politicien sans politique, etc. » les consignes le concernant sont données à tous les niveaux. On sait qu’après la publication des résultats électoraux, M. Sékou Touré voudra se rendre auprès de ses amis à Paris. Il faut donc tout faire pour l’en empêcher (sans enfreindre bien entendu à ses libertés fondamentales), mais agir de façon légale où les consignes n’apparaîtront pas. C’est ainsi qu’arrivé à Dakar, notre politicien de Conakry, avec son éternel chapeau anglais, se présente à Air France. Dès qu’il décline son identité, l’agent fait semblant de s’occuper de lui en allant dans le bureau voisin. Il revient quelques minutes plus tard s’excuser auprès de son « cher client ». Celui-ci, devenu plus noir que le charbon, sort de là pour se rendre à la Compagnie de transports maritimes Fabres & Fressinet, où il rencontre la même opposition, empreinte de courtoisie déférente : «
— Nous sommes désolés M. Sékou, nous regrettons de ne pouvoir voyager avec vous, nous n’avons plus aucune place.
Complètement atterré, ne sachant où donner de la tête, M. Sékou se souvient d’un ami M. Bangoura Kassory (17 ans de séjour à Dakar, très connu dans tous les milieux, aimé de tout le monde à cause de son amabilité et de sa sympathie). Après ses explications, M. Bangoura calme son ami, lui donne l’assurance de faire le nécessaire et, se prenant par la main les deux hommes se rendent à Air France où s’engage un véritable combat de coq :
— Bonjour M. Roger !
— Bonjour M. Bangoura
— M. Roger, veuillez m’inscrire pour Paris, aller simple s’il vous plaît.
— Il n’y a pas d’obstacle à cela M. Bangoura. Pour quel jour voudriezvous voyager ?
— Par le premier avion, M. Roger s’il vous plaît
— Alors, c’est réglé. Le nom, c’est M. Bangoura ? (M. Bangoura qui sait que le seul mot Sékou évoqué peut compromettre toute la situation, donne un nom composé, amalgame de deux noms plus deux prénoms)
— Écrivez Bangoura Sékou Kassory Touré
— Oh M. Bangoura, quelle longueur dans votre nom
— Vous savez M. Roger, en Afrique, les prénoms sont très nombreux.
— C’est enregistré, M. Bangoura.
Et M. Sékou, coiffé de son chapeau noir et portant une paire de lunettes obtint un billet d’avion et put ainsi se rendre à Paris où des amis, les députés de la gauche, l’attendaient pour défendre ses intérêts politiques qui vêtre déterminants dans l’avenir du jeune leader.

Astakhfiroullah ! Rabbana Zalamouna anfoussana wa illamtakhfirlana wa tarahamouna lanakoûnanna minalkhâcirina (Oh Dieu l’Éternel, pardonnenous à cause de notre ignorance ! Pardonne à tous ceux qui ont sincèrement aidé le dictateur à monter sur le trône ! Ils sont très nombreux et ils se recrutent dans tous les pays, dans toutes les races).

En effet, de Moscou à Bucarest, de Sofia à Berlin Est, de Bruxelles à Paris, de Brazzaville à Tananarive, de Casablanca à Niamey, de Ouagadougou à Dakar, partout dans le monde, Sékou a eu de fervents admirateurs qui l’ont ardemment soutenu sans le connaître jusqu’à sa mort. « L’homme est un véritable inconnu connu ».
Que n’ont-ils pas fait, MM.

  • Jean Faragué à Labé
  • Mamadi Traoré à Faranah
  • Salifou Sane à Boké
  • Ibrahima Touré à Boulbinet et à Coronthie
  • Amara Gasparis à Koba
  • Mory Camara à Macenta
  • Thiala Gobaye et Mané Dâti à Koundara
  • Mamadou Bâdy Baldé à Tougué
  • Amiata Madi Kaba et Sory Condé à Kankan
  • El Hadj Fofana trésorier du Parti à Conakry
  • Himy Touré à Forécarlah
  • Édouard Fernandez à Dubréka
  • Abdoulaye Chalhoub et Bembé Mamy à Ouassou
  • Doumbouya Kouramodou et Keita Fodéba à Siguiri, etc.

Nous savons le sort que Sékou a réservé à chacun de ces fondateurs qui ont tout sacrifié pour que vivent et se consolident un Parti et un homme qui ne sont différents du Parti démocrate-social et d’Hitler Adolf que par leur refus systématique de souscrire à un programme de développement économique viable.
Si César avait raison de dire « Je suis venu, j’ai vu, j’ai vaincu — veni, vidi, vici », Sékou n’aurait pas tort de dire « Je suis venu, j’ai vu, j’ai détruit le pays et ses meilleurs fils ».

7. Des dessous de la carte du tyran

Écoutez d’abord quelques déclarations de M. Sékou Touré, le tribun :

« Nous avons, quant à nous, choisi la voie de la vérité. Nous mourrons dans cette voie. Nous ne sommes pas des chefs de canton, qui ne parlent qu’une ou deux fois dans l’année. Nous voulons construire la nation : pour cela, tous les jours, nous diffuserons à la radio l’idéologie de la justice et de la vérité.
La valeur de l’homme dépend de son utilité pour le progrès de la société. La première richesse de l’homme c’est la vérité et la justice. Seule la vérité ne meurt pas. Quand on veut vivre éternellement, on doit choisir la vérité. Le P.D.G. c’est le Parti de la vérité et de la justice. Nous n’avons peur que de Dieu qui nous a créés. On ne peut pas vivre de vol et être ême temps un musulman. Il faut travailler ici-bas, pour qu’à la mort les gens vous pleurent ; mais si un homme ne fait que voler, mentir, s’il symbolise tout ce qui est mauvais, toute la famille aura honte de sa conduite, son titre de guinéen sera même contesté par les militants du P.D.G.
A sa mort, est-ce que tout le monde ne sera pas content ? Nous voulons mettre fin au mensonge, au vol, à la fainéantise. Nous voulons, en un minimum de temps, être à même d’électrifier tous nos P.R.L., les équiper tous en matériel de travail, en petites usines, en fabriques pour pouvoir transformer sur place nos matières premières. Nous voulons construire l’avenir. Au rendez-vous de l’histoire, nous verrons qui a eu tort et qui a eu raison. Notre unique force c’est la vérité. Nous mourrons avec elle, car un homme qui ment à son pays c’est-à-dire au souvenir des morts, aux vieux, aux pères, aux mères, aux enfants pour son intérêt particulier, ne mérite que mépris et pitié. Descartes, en disant « Distinguons le vrai d’avec le faux pour voir clair en nos actions et marcher avec assurance en cette vie », a indiqué à tous les hommes, à tous les Peuples la manière scientifique de marcher en la vie sans erreur » (Unité nationale. pages 33-35, 37, 97-109-110, 113 -117, 129-148).

Écoutons encore M. Sékou Touré en Juin 1949, contrecarrer les intérêts supérieur du peuple de Guinée :

« A l’occasion des élections des Sénateurs, les masses de tous les groupements ethniques, jointes à celles du P.D.G., ont affirmé sans équivoque leur commune position quant à l’élection d’un africain authentique du 2e collège. Mais hélas ! excepté les élus du P.D.G. et certains élus honnêtes tel que Mamadou Camara, conseiller de la Haute-Guinée, les autres conseillers parmi lesquels deux députés de la Guinée française, ont voté contre la volonté du peuple et ont ainsi, dans un climat de trahison ignoble, contribué à l’élection d’un gouverneur des colonies, Saller, frère du chef de cabinet du gouverneur Roland Pré. Quel scandale ! Quelle trahison ! »

Précisons que les conseillers, députés de la Guinée française que condamne M. Sékou Touré sont les mêmes qui ont approuvé le projet d’urbanisme de la ville de Conakry sous la bannière du gouverneur Roland Pré, dont tout le peuple de Guinée se souvient des efforts louables dans l’urbanisation systématique de Conakry. Le même Sékou qui prétendait faire le bonheur des guinéens, a écrit dans le journal « Réveil » no. 368 du 13 juin 1949.

« Le projet d’urbanisme de la ville de Conakry n’est, à vrai dire, qu’un projet de déguerpissement des populations africaines. Il faut refuser ».

Poussées par Sékou, les innocentes populations de Conakry ont opposé le refus « sékoutouréen », bien présenté mais cachant des intentions sataniques. Alors que le programme de construction de Roland Pré prévoyait l’édification en hauteur de la ville de Conakry des buildings à 3 étages sur toute l’île Tumbo. Tout le monde sait aujourd’hui celui qui avait raison entre les députés, conseillers de la Guinée française et M. Sékou Touré.

8. Quelques faits historiques

Au cours d’un grand meeting populaire tenu au palais du peuple en 1968, les militants du P.D.G. de la capitale s’indisciplinèrent notoirement. Ce qui n’enchanta pas le dictateur, qui aggrava la situation en menacant par de violents propos. Il n’obtint point le calme. C’est alors que M. Keita Fodéba, Ministre de la défense nationale 2, se leva, distribua des ordres impératifs à 4 officiers de se mettre en état d’alerte en prenant position aux portes d’entrée de la salle. Les populations voyant cette réaction de l’homme des militaires se tinrent tranquilles, permettant ainsi à M. Sékou de continuer ses jeux de mots. Ayant mis M. le dictateur en minorité, prouvant son incapacité à calmer ses auditeurs en début de révolte, M. Fodéba Keita venait de signer son propre acte de décès car, quelques jours plus tard, le tyran devait confier à un de ses intimes, un certain Fernand, en parlant de Fodéba : « il sera arrêté et liquidé car il se croit déjà trop fort et il ose le prouver ostensiblement ! ». Si le garde du corps surnommé De Gaulle a aidé Sékou à égorger une de ses sentinelles, ce n’est pas la seule victime dont M. Sékou Touré a recueilli le sang dans une calebasse blanche pour des fins occultes. Signalons entre autres, le cas de cette fillette que deux gendarmes complices ont envoyée à Sékou et qui n’est plus jamais ressortie du palais. M. Sékou Touré croyait éliminer tous les témoins, oubliant que « walâ hawlâ walâ quwa tan, illâ billâhi alhalyoul azîme » (l’homme ne peut rien en dehors de Dieu le Puissant).
Et cette autre victime que M. Sékou a égorgée de sa propre main aidé d’un gendarme, qui s’est enfui dès le lendemain matin pour la Côte-d’Ivoire, d’où il peut témoigner s’il n’est pas prêt à rentrer en Guinée ?
Assassins de tous les pays, apprenez cette vérité élémentaire : partout, l’homme vit en étroite compagnie de Dieu et, jamais un assassin n’a commis sont forfait que sous l’œil vigilant et attentif d’un chasseur à l’affût, ou d’un promeneur solitaire ou de toute autre personne à qui Dieu le Tout-Puissant montre la scène avec J’acteur du drame car, c’est toujours devant un homme-témoin qu’on tue un autre homme. Par ailleurs, c’est le moment d’interroger la vieille sorcière assoiffée de sang, la mère dAndrée, cette Hadja responsable de beaucoup de crimes, de nous dire où se trouvent cachés à Macenta la jeune fille momifiée et les autres produits macabres de l’ex-chambre secrète de son beau-fils Sékou Touré. Dans ce témoignage, nous ne dénonçons pas encore nommément les nombreux complices du dictateur qui, après avoir commis toutes sortes de crimes, continuent à jouir du produit de leurs sales besognes avec l’insolence et l’arrogance impardonnables. La plupart des femmes des anciens dignitaires font, avec leurs grands enfants, la pluie et le beau temps dans les rues de Conakry, dans les services et à l’extérieur de la Guinée. La femme de Ismaël ‘Béria’ Touré s’amuse impunément avec ses fonds volés, dont elle retire souvent des montants importants à la Banque.
Certaines de ces femmes complices de leurs maris criminels ne sont-elles pas allées à Kindia faire du scandale ?
C’est pourquoi il faut juger ces bandits et libérer la ville de Kindia où ils vivent grassement non pas en criminels endurcis, mais en véritables détenus politiques, alors qu’ils ne méritent pas ce statut.
Les femmes d’Abdoulaye Touré, de Mouctar Diallo, de Moussa Diakité, de Mamadi Kaba, de Siké Camara, de Karim Keira, etc., ne provoquent-elles pas par de propos malveillants ? :
— Nous n’avons plus peur nous aussi, nous nous préparons conséquemment.
Voilà le propos qu’une de ces femmes dignitaires a tenu quelque part !
Attention ! Que ces ennemis du peuple cessent de nous braver, hein ! Nous n’avons pas eu peur de leurs maris qui tenaient le canon contre nos poitrines nues. Cessez ! Vous en avez intérêt ! N’abusez pas de la trop grande liberté que vous laisse le CMRN.

La libération, peu attendue, de vos maris ne doit point vous tranquilliser. Car le tribunal de l’histoire est impitoyable ! Mory Senkoun Kaba doit nous dire ce qu’il faisait auprès de l’ingénieur Noumouké Kaba, de jour et de nuit, quand celui-ci a été libéré de Boiro. S’il s’occupait fraternellement de lui, pourquoi ne continuerait-il pas à manifester les mêmes sentiments à l’égard de la famille de son « ami et frère » mort, ou plutôt tué selon l’avis du public ?

9. Qui a tué Balla Camara ?

La révélation vous donnera la chair de poule. M. Balla Camara, administrateur civil de la F.O.M. (France d’Outre-Mer), exerçait les fonctions très importantes de commandant de cercle en Haute-Volta (Burkina Faso). A l’accession de la Guinée à l’indépendance, il a cédé aux instances de ses amis, notamment M. Mory Camara, et aussi à l’appel incessant du destin, représenté par la famille, et surtout par « Syli-Sékou », qui l’invitait en patriote à tout abandonner pour le service du jeune état guinéen. Ce que Balla Camara fit avec plaisir en rentrant en Guinée, où la patrie, les amis et surtout le devoir à l’égard d’une vieille mère dont il est l’unique enfant l’attendaient impatiemment.

Allahou Akbarou ! L’homme ne peut rien contre le destin.
Soub hanallah wal hamdoulillâh — wa la illâ ha illahâh wallâhou akbarou yafoua — Loû mâ youridou — innalâha yâ koumou ma youridou wallâhou alâkoullou chayn kha dîroun ! (Sainteté — Hommage à Dieu, seule divinité qui agit selon sa seule et irréversible volonté, parce que Suprême et absolu).

Enthousiaste, farouchement déterminé à travailler pour son pays, prouver que la science, la technique, l’art, la technologie ne sont l’apanage d’aucun peuple, encore moins d’un homme, notre administrateur, expert financier, Balla Camara est venu rejoindre sa terre natale, qui devra bientôt le recevoir en son sein, sacrifié par la jalousie et la haine d’une famille réprouvée à jamais par tous ceux qui en apprendront la malheureuse histoire. En effet, en bon citoyen guinéen qui a son mot à dire sans démagogie, M. Balla Camara sera victime de sa franchise. C’est ce que penseront ses amis alors que, patiemment, méthodiquement Sékou avait depuis longtemps préparé sa perte, la famille Touré et son alliance, la famille Kourouma, le sacrifiant comme ce fut le cas de M. Diallo Ibrahima, El Hadj M. Lamine Kaba imam de Coronthie et tant d’autres fils de ce pays.
Sékou arrête donc Balla Camara à la suite d’une explication répliquée de ce dernier au Palais du Peuple à Conakry. L’Almamy Ibrahima Sory de Mamou, ancien chef supérieur de la branche Alfaya du Fouta-Djallon, que Sékou avait choisi pour père adoptif, apprenant l’arrestation de Balla Camara, vient précipitamment à Conakry, rencontrer son illustre fils adoptif pour intercéder en faveur de l’inculpé. Sékou promet de le libérer très prochainement.
L’Almamy, retourne, fier de lui-même et de son « fils ».
Un instant plus tard, l’avion qui est allé chercher la mère de la première Dame, notre « belle-mère chérie », atterrit à l’aéroport de Conakry avec l’importante passagère à bord. Après les salutations d’usage, le beau-fils sans tarder, engage la conversation :
— C’est à cause de vos liens avec Balla que je vous fais venir (la mère d’Andrée et celle de Balla sont en effet des soeurs), Pour vous apprendre l’insolence dont Balla s’est rendu coupable à mon endroit, publiquement au Palais du Peuple » devait déclarer Sékou Touré.
La Hadja dont la « sagesse » se devait de sauver son neveu a malheureusement déclaré :
— Dieu te livre l’ennemi qui cherche à te détruire, qu’attendras-tu pour le liquider » ?
O ! vanité des vanités ! passion des passions ! Ca y est ! L’issue en est trouvée ! La belle-mère venait de sacrifier son propre neveu. Et, pour la première fois, il faut rendre témoignage à la vérité, Andrée n’a pas approuvé la position de sa mère, qui venait d’occuper cependant une nouvelle place de choix dans le coeur de son illustre beau-fils, qui a toujours cherché des complices pour ses crimes.
Balla a donc été condamné suivant le verdict de sa propre tante.
S’il est vrai que le comportement de Sékou était très déroutant, il n’a cependant trompé ses collaborateurs que pour un petit moment, jusqu’au séminaire de Foulaya (Kindia, décembre 1962) préparant le 6e congrès du P.D.G., où le masque du tyran est tombé, laissant apparaître nettement ses idées anti-démocratiques et son intention de dominer en véritable maître. En effet, quand il a été mis en minorité par les congressistes à Foulaya, il n’a pas pardonné à ceux qui en étaient les auteurs. Tous, un à un, ont été tués dans les différents pseudo-complots. L’on ne pouvait pas comprendre à l’époque, qu’en qualifiant, sa fameuse révolution de globale et multiforme, Sékou Touré s’adressait à lui-même mais dans un langage d’initiés inconnu des profanes.
Tous ceux qui ont approché l’homme, savent que le lâche avait si peur qu’une feuille morte qui le surprenait par sa chute, pouvait le faire fuir. Et, lorsqu’il se sentait en sécurité, il criait à tue-tête ses slogans de bravade et d’intimidation.
Pour illustrer cela, le voilà le jour de l’agression du 22 novembre 1970. Son garde du corps, le Commandant Zoumanigui, qui l’a servi fidèlement pendant 10 ans, après les premiers coups de feu, se fait accompagner de son aide de camp, le capitaine Doumbouya, pour venir assurer la sécurité du Chef de l’Etat. Blotti quelque part Sékou Touré ne s’attend qu’à des ennemis quand il voit arriver, l’air farouche, deux officiers supérieurs dont il ignore l’intention. Le « fier Syli-Sékou, le plus courageux des hommes, qui disait n’avoir peur que d’avoir peur », se met à trembler à la vue de ceux-là mêmes qu’il a toujours cherché à convaincre de son inébranlable courage et de son invincibilité physique et morale.
— Ne me livrez pas à la colère du peuple, tuez-moi sur place je vous en supplie, fredonna le Commandant en chef des forces armées populaires et révolutionnaires, le timonier en « carton », de la Révolution guinéenne. Oubliant qu’il est musulman, Sékou se met à invoquer Dieu par la Sainte vierge Marie, mère des malheureux, « Je vous salue Marie, pleine de grâce, le Seigneur est avec vous, vous êtes bénie entre toutes les femmes, et Jésus le fruit de vos entrailles est béni »…
Zoumanigui sentant que son patron délire, et réalisant toute la gravité de la situation, se met au garde-à-vous en prononçant le mot d’ordre de soumission et d’obéissance militaires :
— Commandant Zoumanigui Kékoura, chef d’État-major de la gendarmerie nationale, garde du corps du Chef de l’État, accompagné de l’aide de camp le capitaine Doumbouya ; après avoir entendu plusieurs coups de feu d’armes de guerre et détenant la preuve irréfutable d’une attaque extérieure, venons assurer votre sécurité personnelle et celle de votre famille ; à vos ordres pour toutes fins utiles.
— Mettez-vous à l’aise, devait difficilement dire le « Responsable Suprême de la Révolution », qui venait de s’humilier devant deux de ses subordonnés. La balle est partie, trop tard ! on ne peut plus la rattraper !
Zoumanigui et son compagnon, dans l’exercice de leurs fonctions, malheureusement venaient de signer, comme Fodéba, leurs actes de décès. Car Sékou Touré n’entendait laisser aucun témoin de ses malheureux moments de faiblesse.
Sachant ce que nous venons de dire, l’on peut se demander comment Aly Bangoura, alors Chef du Protocole à la Présidence, Fily Cissoko Ministre des Affaires étrangères, plusieurs autres cadres dont Sény la presse et moi-même, avons échappé à la mort, alors que nous avons été témoins de la plus grave humiliation du dictateur le 28 août 1977 au Palais du Peuple où les femmes de Conakry III, déchaînées, ont voulu le lyncher n’eût été notre intercession. Là encore, la réponse est très simple.
C’est Dieu le Tout-Puissant qui nous a sauvés, car il n’est pas toujours donné aux assassins d’éliminer tous les témoins.
En continuant les éléments d’information, l’on se souvient du Coup d’État militaire de Mali en 1968. A l’annonce de cet événement, le « Responsable Suprême de la Révolution » réagit violemment en ces termes : «
— C’est bien fait pour Modibo Keita, je le lui avais dit. A Bamako toutes les boutiques sont achalandées de marchandises, l’on ne manque de rien au Mali. Il s’est si bien occupé de son peuple que l’armée a fini par s’occuper de lui. Je lui avais conseillé d’utiliser le ventre comme arme politique. Il ne m’a pas cru. Tant pis pour lui. Tant que le peuple cherche de quoi manger et se vêtir, il ne s’occupera que de cela, vous laissant la paix qui durera tant que durera la situation de pénurie générale.
Plusieurs de ses Ministres sont témoins de ces déclarations passionnelles, profondément inhumaines de M. Sékou Touré, ami personnel de M. Modibo Keita.
D’autre part, il est très difficile d’épuiser le chapitre des crimes « d’Alcapone » de Guinée.
C’est pourquoi nous proposons au CMRN la constitution d’une Commission nationale de recueil et de rencensement des crimes de Sékou, depuis ses crimes d’enfance jusqu’aux sacrifices humains, qu’il a immolés lui-même ou fait immoler par d’autres complices. Une telle œuvre constituerait l’un des monuments écrits les plus imposants de notre siècle, car si les hommes peuvent falsifier l’histoire dans une de ses toutes petites séquences, ils sont cependant incapables d’en modifier le cours.
Les Nazis ont déclenché la 2e guerre mondiale en la soutenant par la science et la technique.
Sékou et ses complices ont, en temps de paix et de manière paisible, déclenché la plus effroyable guerre, celle que sous-tendent le mensonge et la duperie et, par laquelle un seul a le canon et tire sur des gens non armés, sans bouche, les yeux également bandés. Il ne l’a réussi que par de gros mensonges, car, comme a dit Marx : plus le mensonge est gros, plus on y croit !
Le choix de Nuremberg pour le procès des grands criminels de guerre nazis n’était pas l’effet du hasard. Cette ville existe depuis plus de 900 ans et, pendant des siècles, elle a symbolisé la politique de conquête, les diètes de l’empire y siégeaient souvent et c’est à partir de là quétaient gérées les affaires du Saint-Empire Romain.
A partir de 1356, en vertu de la bulle d’or de Charles IV, tout nouvel Empereur devait réunir sa première Diète (Conseil) de l’Empire à Nuremberg.
Pour les hitlériens, le « Saint-Empire Romain » était le 1er Reich (Domaine) Allemand, celui que Bismarck fonda en 1871 étant le second Reich. Ils se considéraient eux-mêmes comme les fondateurs du 3e Reich, millénaire. Nuremberg devint donc le symbole du Reich, la capitale du Parti nazi. C’est dans cette ville que se trouvait le lieu traditionnel des rassemblements fascistes.
Pour démystifier ce qui la rendait célèbre, on décida d’organiser dans cette ville, le tribunal chargé de juger les criminels du nazisme.
Pour de semblables raisons historiques je propose que le tribunal spécial chargé de juger les criminels du P.D.G. soit organisé au sein-même du tristement célèbre Camp Boiro.
Pour indiquer toute l’importance d’un tel tribunal, je rappelle à l’intention des amateurs de l’histoire quelques éléments d’information sur les assises de Nuremberg :

  • Le procès a été ouvert le 20 novembre 1945 pour prendre fin le 1er octobre 1946.
  • Le tribunal, composé des magistrats des puissances alliées, a tenu 403 audiences publiques.
  • Les protocoles ont couvert 16 000 pages.
  • Les accusateurs ont présenté 2 630 documents,
  • les avocats 2 700
  • 240 témoins ont été entendus
  • 300 000 dépositions écrites faites sous prestation de serment ont été étudiées
  • 27 000 mètres de bande sonore
  • 7 000 disques ont été utilisés pour enregistrer tout le déroulement du procès.

Ceci donne l’idée du sérieux avec lequel l’humanité, lasse de deux grandes guerres, qui ont tué plus d’hommes que la maladie et la faim ne l’ont fait en 500 ans, a préparé ce procès, unique exemple dans l’histoire, connu de moi, en vue de prévenir toute velléité d’ériger le racisme en système de gouvernement.
Or, au su et au vu de ces mêmes puissances, cette fois-ci mieux organisées à l’O.N.U., et sous l’oeil complice de certains africains, qu’un homme infiniment supérieur à Hitler (qui ignorait une arme efficace, l’irrationnel) organise son peuple, et l’éduque dans une idéologie de peuple supérieur. La Guinée a un sous-sol extrêmement riche, cela s’entend, mais dire que c’est le pays le plus riche du monde relève de cette idéologie de superlatif absolu. Il pleut en Guinée, c’est vrai. Il tombe plus de pluie en Guinée que nulle part ailleurs (?). Cela signifie que la Guinée est un pays élu (?). Or croire que la vérité ne se trouve nécessairement nulle part ailleurs que dans son propre milieu racial ou national est une utopie et une insuffisance intellectuelle grave.
Cet homme ondoyant crée un mythe autour de lui. Il se fait passer pour le plus grand défenseur des opprimés, des pauvres (parce qu’ils sont les plus nombreux partout dans le monde). Il affiche un amour tyrannique pour sa patrie alors que lui-même sait que s’il a une patrie, ce n’est en tout cas pas la Guinée, dont il se réclame. Il arrache, par ses tonitruantes élucubrations, l’admiration, l’estime et finalement l’amour des Guinéens, surtout des Guinéennes et des autres peuples qui ne le connaissent que par ses discours, aussi véridiques que vigoureusement engagés sur la voie théorique de la défense des intérêts supérieurs des hommes et des peuples.
Assuré donc de tous côtés, le « Responsable Suprême de la Révolution » peut librement agir avec la bénédiction des uns et des autres.
Les conditions de base ainsi créées. Sékou se fait appeler « Responsable Suprême de la Révolution », le seul et unique centre d’intérêt, l’élu du peuple-élu.
Pour opérer le changement indispensable dans les mentalités du Guinéen qui se croit de bonne foi supérieur aux autres peuples, parce qu’on le lui a fait comprendre, il faut nécessairement commencer par détruire cette superstructure par une sérieuse préparation du tribunal dont le monde entier attend les assises avec force impatience.
Toute négligence, toute faiblesse dans l’organisation et le déroulement d’un tel tribunal indiqueraient que nous avons insuffisamment réalisé la gravité et l’importance historique de notre rôle, le poids de la responsabilité que nous portons face à l’avenir. Les criminels de guerre nazis condamnés à Nuremberg ne sont-ils pas encore recherchés aujourd’hui, poursuivis pour pouvoir purger les peines de prison dûment méritées ? Malgré un argument de force qu’ont avancé certains généraux d’Hitler, à savoir à la guerre comme à la guerre, soldat, simple exécutant je n’ai fait que mon devoir (la discipline faisant la force principale des armées, il importe que le supérieur obtienne du subordonné une soumission et une obéissance de tous les instants. L’ordre doit être exécuté sans discussion, sans hésitation ni murmure. L’autorité qui le donne en est entièrement responsable et la réclamation n’est permise au subordonné que lorsqu’il a obéi) ; malgré un dicton populaire : le pays le plus puissant du monde serait un pays P. réunissant les conditions suivantes :

  1. avoir l’armement sophistiqué des U.S.A.
  2. avoir l’entraînement de l’armée égyptienne avoir la discipline militaire allemande.

Malgré d’autres attitudes militaires défendables, les juges des puissances alliées, avec l’impartialité requise, et après avoir fait la part de toutes choses, ont cependant sévèrement condamné les criminels nazis pour prévenir la velléité d’un autre nazisme, dans le monde. Et ceux qui, en temps de paix et de façon délibérée et paisible ont agi comme en temps de guerre ? Allons-nous pardonner à cette myriade de complices conscients et actifs du tyran qui ont répandu pendant un quart de siècle la dangereuse idéologie de la race et du racisme en présentant le peuple de Guinée comme le plus courageux des peuples, le seul à voter non à la communauté franco-africaine en 1958 et, de ce fait, le seul parmi les anciennes colonies françaises d’Afrique de l’Ouest à être indépendant et souverain ?
Il nous faut désormais avoir la tête sur les épaules, les pieds sur terre. C’est pourquoi je félicite le CMRN pour sa décision royale de ne pas le louer ! Car un tyran ne naît pas, on le crée ! Comment Sékou, cet homme d’une petite famille paysanne peut-il devenir l’un des plus grands dictateurs du monde ? C’est par la faute de ceux et celles qui par démagogie, lui ont fait comprendre qu’il était un ange, un demi-dieu, un être spécial, tel que les chantres du PDG, certains cadres politiques, les artistes, les journalistes l’ont présenté ; allant chaque semaine, chaque mois, chaque année, d’éloge en éloge… Sékou a donc fini par se voir exactement tel qu’il se souhaite, c’est-à-dire le super-homme que l’ex-Premier Ministre Beavogui qualifiait de petit-fils de Chelck Abdoul Khâdr de Bagdad.

10. Le ridicule ne tue pas !

Voici le secrétaire général de la section de Baranama devant le micro de la commission d’enquête en vue de l’enregistrement de sa déposition. L’homme n’est pas lettré en français. Il ne peut donc pas lire la déposition imaginaire qu’on a faite nour lui. Il faut lui apprendre ce qu’il ne sait pas, à savoir sa propre participation au complot. Les gens sont patients :
— Enquêteur : Kè ! itulumalôn kôsôbè
— Secrétaire général : Nho ! nho !
— Enquêteur : iyé a folalé : Kaba Laye léka afônyè Kon’nvè bara n’né nin Sébold (Tu dois dire : c’est Kaba Laye qui m’a dit de travailler avec Sébold).
— Secrétaire général : nho – nho – m’bara anyâyé !
— Enquêteur : awa wa ama (donc vas-y). Il déclenche le système d’enregistrement.
— Secrétaire général : Al ko ko n’nyaafô (on m’a dit le dire).
— Enquêteur : non – wotê ! atefôlaté ! (Non ! ne dis pas : on m’a dit de dire).
L’apprentissage reprend et le secrétaire général dit encore :
— Mbara nyâyé (J’ai compris). Le technicien déclenche encore son appareil :
— Awa, afô
— Secrétaire général : Alko ! ko n’nyâfô (On m’a dit de dire…)
— Enquêteur : non ! non ! Oh là là, mais qu’il est bête !
— Secrétaire général : N’té bèti di ! Alkolé kon’nyafô ko Kaba Laye koninyè… (Je ne suis pas bête ! vous m’avez dit de dire que c’est…)
— Enquêteur : A to té… arrête tes koko là !
Les deux se brouillent et le secrétaire général est renvoyé dans sa cellule. Ismaël Touré, le tout-puissant président de la Commission d’enquête, ordonne de faire signer au secrétaire général de Baranama sa propre déposition, qu’il a été incapable de traduire en malinké. Quel jeu ! quelle comédie ! quelle tragédie incroyable !
Un coup de téléphone :
— Allo ! Président, bonsoir !
— Oui Touré, comment vas-tu ?
— Ça va Camarade Président. J’ai appris par la radio le communiqué du B.P.N. (Bureau Politique National) relatif à la convocation du C.N.R. (Conseil National de la Révolution). C’est pour t’exprimer ma surprise puisqu’on n’en a pas parlé à notre dernière réunion.
— C’est exact, mais en tant que « Responsable Suprême de la Révolution », je me suis réuni seul !
— C’est compris, nous en reparlerons Camarade « Responsable Suprême de la Révolution ».
— D’ailleurs, viens vite à mon bureau signer mon « acte de condamnation » Ça y est ! ce Ministre a dit ce qu’il ne devait pas dire ! Il quittera le B.P.N. (organisme suprême du Parti) au cours des très prochaines assises du Conseil National de la Révolution (C.N.R.).
Nous sommes en 1962, un Ministre, très heureux des progrès que réalisent les populations de Conakry dans l’habitat, l’annonce fièrement au Président qui répond en ces termes : « On va tout prendre après, qu’ils construisent partout : laissez-les faire ». Surpris, le camarade Ministre regrette son indiscrétion En octobre 1964, à une réunion du B.P.N. ; le « R.S.R. » prend la parole : — Voici une démarche nouvelle qu’exige la Révolution populaire, transcroissante, transtemporelle et multidimensionnelle. En effet, pour pouvoir lutter efficacement contre la bourgeoisie, je vous propose une loi-cadre en 12 points dont voici le texte que j’ai rédigé en votre nom. Adoptez-le et, demain nous le promulgons.
Belle démocratie sékoutouréenne ! Le texte est effectivement adopté sans amendement, à l’unanimité. Dehors, avant de s’installer dans sa voiture, un Ministre membre du B.P.N. lance à un collègue la réflexion suivante : Vois-tu mon cher Diallo, le peuple ne sait pas ce qui se passe ici, s’il le savait, il nous pendrait tous… Oh mon ami ! Tu ne comprends donc rien à notre organisation ! Tu n’apprécies pas encore à sa juste valeur la chance exceptionnelle du peuple de Guinée, d’avoir comme guide Ahmed Sékou Touré, grand idéologue, homme de culture de réputation mondiale, fierté de l’Afrique et de l’humanité progressiste. As-tu suivi les nouvelles créations qu’il a faites aujourd’hui ? transcroisante, transtemporelle, etc. ? L’on comprendra par la suite l’arrestation de l’un de ces deux Ministres qui ont échangé ces propos. Quelle délation partout, même au sein du B.P.N. Savez-vous l’époque à laquelle la confusion a commencé chez Sékou ? C’est quand il a créé les slogans : l’école vers la vie, pour la vie, dans la vie, Parti-Etat, État-Peuple, homme-peuple, mathématique sociale 2+2=5 ; 6 millions = 1, pour dire dans ce dernier cas que lui, le leader incarnant toutes les vertus du Peuple de Guinée, peut valablement décider en lieu et place de celui-ci : donc 1 c’est lui, 6 millions c’est le peuple.
Décidément, le ridicule ne tue pas ! Écoutez le général en chef des forces sataniques de Faranah s’adresser aux lycéens grévistes de novembre 1961, fraîchement débarqués de Conakry :
— Alu radja hein ! Faransilu ko: kan dé verbu se sui le segon sémédé infinitifu ! mômô ba cé faranayan fo iba fèrè kè kabila n’nèko ! ni i mabila n’ko m’bîbila inflnitula Conakry pérésidan Sékou tésé ka ibo woro… môfu u lu ! agba ! ko indépendan manyin ba? Paki ! (Vous écoliers, apprenez le proverbe français « lorsque deux verbes se suivent le second se met à l’infinitif ». Quiconque ne s’aligne pas derrière moi à Faranah, je le mets à l’infinitif d’où personne ne le tirerait (l’infinitif signifie prison dans l’entendement de Amara Touré).
— Le jury, après délibération, vous proclame admis avec mention honorable. «
— Wo bara bèn ! Çà c’est bien ! Faranah bèh dâmeh ! Tout Faranah l’apprendra ! —
— Mais quesqué vous parlez Honorable ? C’est quoi ? C’est bon ou mauvais ? —
— Le jury vous déclare le meilleur des meilleurs, car depuis la création de l’université guinéenne, aucun étudiant n’a aussi brillamment réussi son sujet de mémoire que vous. Recevez les vives félicitations du père de la Nation dont vous venez de donner la meilleure démonstration de l’enseignement. La Révolution est globale, multiforme, transcroissante, multidimensionnelle et transtemporelle. Votre brillante réussite, en donnant raison au « Responsable Suprême de la Révolution » à propos de la « perfectibilité infinie de l’homme », est le meilleur défi à l’impérialisme, au colonialisme, au néo-colonialisme, au fantochisme et aux aliénés culturels ».
— J’ai compris tout léparole que vous avez parlé, la Guinée a dit non à De Gaulle, maintenant il faut beaucoup de vizilancie lé énémi il dorpaspérécidan Sékou Touré il est bravo. C’est pourquoi quand il parlé il faut écouter complètement ! Il y a pas de foula, il y a pas de malinké, il y a pas de kissi, il y a pas de sosso ! tout le monde sont égals.
Voici prise sur le vif la conversation d’un intellectuel opportuniste avec Amara Touré, grand demi-frère de Sékoucomédien. Décidément le ridicule ne tue pas ! Sékou Touré a voulu épargner à son frère, le tyran de Faranah, les critiques de l’opinion car, il aurait tout bonnement signé un décret faisant de l’analphabète Amara, « ingénieur agronome ». Mais, il a préféré demander à l’illustre paysan de Faranah de traiter comme sujet de mémoire « les feux de brousse ». Un étudiant de polytechnique peut être ajourné mais pas le Secrétaire fédéral de Faranah, grand frère de Sékou Touré. Le jury de soutenance comprend aussi bien des professeurs d’université que des paysans, tous, réformés pour être déformés à l’École du Parti.

  • Sékou Touré
  • Amara Touré
  • Ismaël Touré
  • Siaka Touré
  • Andrée Touré
  • Abdoulaye Touré
  • Mohamed Touré
  • Mouloukou Souleymane Touré
  • Almamy Samory Touré
  • Alpha Touré
  • Mory Touré
  • Kadialiou Touré
  • Mamourou Touré

Et d’autres Touré encore, sans oublier leurs alliances les Keita, Kourouma, Sangaré, Diakite, Cherif, leurs griots et ceux qui avaient vendu leur conscience et leur dignité. Voilà l’équipe qui, pendant 26 ans a tyrannisé le malheureux peuple de Guinée, l’a traîné dans la boue, le dédaignant, le toisant, le ridiculisant à longueur de journée, alors « qu’on était rassasié du fruit de son labeur.»
Mais Dieu ne dort pas ! Monseigneur Robert Sarah, archevêque de Conakry, à qui je rends hommage pour son courage, a enseigné à Sékou Touré, citation : « que personne ne s’arroge la place de Dieu pour faire du destin des autres une propriété privée »… « Aussi, le pouvoir use » devait conclure le saint homme.

11. Une famille insouciante

Écoutez la famille royale, détendue, chaque membre disant ce qu’il pense :

— Mon père a gâté le peuple de Guinée qui ne se plaint de rien. Il a tout dans les entreprises nationales. Je me demande comment je vais faire pour son redressement quand Ahmed va laisser ce pays à Mohamed ! Signé Mohamed Touré devant de nombreux employés du ministère des Finances à Conakry (il a précédé l’armée dans l’emploi du terme redressement).
Le même fils bien-aimé, le prince guinéo-mauritanien, continue à réfléchir sur le « futur », dont son père, le stratège-président-sorcier croit lui avoir révélé le secret :
— Tu sais maman, quand je serai au pouvoir, je ne pardonnerai jamais à mes ennemis. Si j’en prends un, je règle son compte par pendaison. Mon père, lui a trop pitié des gens qui veulent le renverser .
— Eh! al bara Mohamed kan mè ? » (avez-vous compris ce que dit Mohamed ?) a simplement répondu Andrée, déjà fière de son fils artificiel.
Donnons maintenant la parole à la première dame, Madame Andrée Touré, pleine de complexes de peau et d’origine, qu’elle porta le jour de sa naissance :
— Jamais Mohamed ne se mariera en Guinée dont les filles ne sont pas sérieuses. Il se mariera soit au Maroc soit à la Mecque et avec une princesse, digne de son rang ».
Propos recueillis dans un hôtel à New York en présence de plusieurs Guinéens qui furent scandalisés.

12. Comment est né le mythe de petit-fils de Samory ?

En 1965 la brouille de M. Sékou Touré avec ses voisins atteint son paroxysme. Il lance des insanités, des insolences à maintes personnalités africaines (Senghor Président du Sénégal et Houphouët Boigny de Côted’Ivoire). Les radios Conakry, Abidjan, Dakar frisent la vulgarité que n’admet aucune civilisation surtout les traditions africaines qui tiennent particulièrement à la qualité des rapports de voisinage. Maurice Yaméogo, président de la Haute-Volta (Burkina Faso), se mêle à la bagarre, guerre froide qui durera des mois, au désespoir de toute l’Afrique africaine.
Yaméogo dont le père adoptif, le sage Houphouët, évite de répondre à M. Sékou Touré, qualifie ce dernier d’enfant naturel, fils non d’Alpha mais de Sidi Mohamed, un esclave maure ! Complètement démasqué, démystifié, Sékou cherche un autre mythe autour de sa naissance. Il dit, énervé, en réunion du B.P.N.:
— Il ne sait pas que je suis petit-fils de Samory ?
Ça y est !
Comme Leuck le lièvre qui dit à l’Assemblée des animaux : « donnez-moi une place, je vais naître »
Oh ! il est né là parmi nous, il est donc le plus jeune en même temps le plus intelligent. M. Sékou Touré vient d’appartenir à la famille de l’Empereur de Ouassoulou 3. Soit. Mais même si cela était vrai, M. Sékou aurait-il raison de mépriser le peuple que son grand-père a chéri et défendu ? Là encore le doute serait permis sur l’authenticité de tel lien. Revenons à la réunion où M. Sékou devient le prolongement deSamory. Son demi-frère Ismaël, qui ne put se retenir comme plusieurs autres membres du B.P.N., réplique violemment :
— Comment peux-tu être petit-fils de Samory, toi ? Comment peux-tu, par simple propos incontrôlé, nous faire changer de clan.
Mais Sékou, dont la qualité dominante est le manque de pudeur, persistera dans ce mensonge historique, répandant partout l’idée de ses liens de sang avec Samory, une sorte de vengeance de la société, qui compte des personnes bien au-dessus de lui sur le plan de la naissance. Il tuera le [petit]-fils de Kèmé Bouréma, le vrai petit fils de l’Almamy Samory. L’arrière-petit-fils du grand oualiou de Dinguiraye, les principaux cadres de Dinguiraye. Les localités saintes de Kankan, Kong, Dalein, Labé, Koula, Zawiya, Sagalé, Khouréralandé (Boffa), Koubia (Ouassou), Bambaya (Tondon), seront visitées par le tyran. Il y sera béni par l’assemblée des fidèles musulmans entre 1950 et 1958. Déjà sûr de lui-même, il n’hésitera plus à tuer Dr. Maréga BocarDr. Bah Thierno, vétérinaire, Dr. Sow Mamadou, vétérinaire (4), Thiam Baba Hady, économiste, Diop Tidiane, professeur, Baydi Guèye, homme d’affaires, Tall Habib, Lt. Dia SaïdouLt. Sow Hassane, tous de Dinguiraye, que nous choisissons en exemple, car c’est l’une des plus petites préfectures de Guinée. Et s’il tue 10 cadres là, à Kankan, Macenta, NZérékoré, Guéckédou, Kindia ou Boké, Mamou, Labé, Kouroussa ou Forécariah. La liste serait effrayante. Cette haine implacable contre le genre humain ne quittera jamais Sékou Touré.

13. Détails sur l’organisation policière de M. Sékou Touré

Ce chapitre est d’autant plus intéressant que c’est le secteur qui a été particulièrement privilégié par le dictateur dans la conquête, la consolidation et le maintien du pouvoir.
Homme pratique ne minimisant aucun événement, personnage pragmatique, mystique, évasif, impulsif, il triomphe de ses propres défauts et de ses ennemis par une vigilance permanente, une solide organisation du pays et des hommes dont il ne doit ignorer aucun détail de la vie, aussi intime soit-il. C’est la devise de M. Sékou, qui avait quadrillé le territoire national, implanté un régime policier de terreur à l’intérieur et recruté des milliers d’agents de renseignements dans toutes les couches, en plus des ambassades de Guinée, qui n’étaient que des officines d’espionnage dont le seul rôle se limitait à ce travail et à escroquer de l’argent par toutes sortes de moyens illégaux. La perception de 30 dollars par les autorités libériennes sur chaque Guinéen comme taxe d’immigration, somme destinée au gouvernement guinéen de Sékou Touré, est un triste exemple d’escroquerie, à l’échelon étatique. La philosophie de conducteur des peuples ainsi que les principes actifs de cette philosophie de M. Sékou Touré se résument comme suit :

  1. Ne jamais rien minimiser.
  2. Surestimer tous les événements, surtout les événements malheureux inventer, en supposant qu’elles vont arriver éminemment des situations présentées comme désastreuses, requérant la mobilisation de toutes les énergies possibles ; c’est, en un mot, ne jamais permettre au peuple de réfléchir sur sa propre situation en lui donnant comme centre d’intérêt la vie et le programme d’une force anonyme, le Parti en l’occurrence, célébrer le leader de façon religieuse.
  3. S’intéresser à tout ce qui se passe dans chaque famille, chaque service en installant des mouchards à tous les niveaux.
  4. Opposer systématiquement les couches, familles, corporations entre elles, les groupes, les membres individuels de chaque famille, les hommes, les femmes, les enfants, même les animaux ; créer partout un esprit de méfiance réciproque et trouver à tout des raisons idéologiques d’ordre politique. De cette guerre froide entre les citoyens dépendra la vie du tyran. (L’ambassadeur craint son chauffeur oy sa petite secrétaire dactylo, véritables ambassadeurs plus que le chef de l’Etat, car ce sont les agents d’information, qui font et défont toutes les situations, toutes les fonctions). Des entreprises mêmes sont créées pour de telles personnes (Soguilec, extraite d’Ematec pour servir un homme de main, Nouhou Cissé).
  5. Sérier et orienter l’information dont il faut maîtriser tous les éléments donnez au peuple un ennemi aussi invisible qu’invincible (l’impérialisme) auquel il doit vouer une haine noire.
  6. Puisque le pouvoir ne souffre pas de partage, il faut éliminer tous les ennemis potentiels, même son propre frère ou fils, ses amis, n’en parlons pas, car en politique sékoutouréenne il n’y a pas de sentiments. Quoi de plus pitoyable et de plus cruel que de voir liés par une même cordeBah Bademba et Bah Thierno, deux frères de même mère arbitrairement arrêtés, torturés ensemble et enchaînés nu-corps, conduits à la potence ; les frères Telli Diallo, Alpha Oumar Barry et Alioune Dramé ?

Si, pour les hommes sérieux une information vaut la personne qui la donne, pour M. Sékou Touré cette théorie n’est valable que pour lui. En effet, en sa qualité de Secrétaire Général du Parti (le P.D.G.), Président de la République, il sait que personne ne peut et ne doit normalement douter de ses déclarations. Il profitera de cette situation pour mentir, encore mentir, toujours mentir. En prenant pour argent comptant les ragots des petites gens, il doutera de toute personne que l’opinion entoure de respect et de considération.
Au sein du B.P.N., du Gouvernement, M. Sékou Touré s’était arrangé pour trouver des « yeux et des oreilles » dans chaque groupuscule. L’animosité qui en est résultée entre ces dignitaires, tous proches collaborateurs du tyran, a été très profitable à celui-ci car, son pouvoir personnel n’a cessé de se renforcer au détriment de la structure démocratique fonctionnelle de l’État et du Parti.
Les petits groupes d’amis de la table de belotte se faisaient et se défaisaient suivant le bon vouloir du R.S.R., seul détenteur de la vérité. En effet, Sékou avait fini par accréditer l’idée de sa sainteté, de sa perfectibilité aux yeux du peuple. On entendait souvent dire :
— Le Président est bon, mais c’est son entourage qui sabote ses actions si bénéfiques pour le Peuple.
Il ne pouvait régner qu’en divisant. Ainsi, Ismaël voudrait frire Beavogui, empaler NFamara, pendre Bela Doumbouya, Dr Bah de la Santé, Diao Baldé, Cherif Nabaniou, Mamouna Touré et Soriba Touré, que Sékou entendait employer pour satisfaire la politique d’équilibrisme ethnique, ont été trouvés si dignes, si rigoureux qu’il fallait les renvoyer comme une balle dégonflée.
D’autre part, Sekou n’était pas intelligent mais très malin. Il sait que le monde est partagé entre trois blocs : Ouest, Est, Non-Alignés. Pour être parfaitement au courant de ce qui se passe partout, il s’organisera de la façon suivante. Il crée de toutes pièces un homme de Washington au sein du Gouvernement guinéen (qui se dit de gauche). Rendre cet homme de la C.I.A. très influent tant à l’intérieur qu’à l’extérieur est un devoir que Sékou a parfaitement accompli. Cet agent était Ismaël, qui a si bien joué son rôle d’agent double, qu’il refusait publiquement de monter à bord de tout véhicule de fabrication soviétique (russe).
Sékou, artiste, et son demi-frère Ismaël ont correctement joué leur rôle. Ils laissaient voir une certaine opposition idéologique entre eux, dont le mystère n’a été pénétré ni par les autres membres du Gouvernement, ni même par la famille. Par Ismaël, Sékou sait tout ce qui se trame au Pentagone, au sein de la C.I.A. Servi de ce côté-là, il crée son homme de Kremlin (Moscou) ; c’est lui-même, doublé de Siaka Touré. Là aussi, rien n’échappe à notre homme dont la politique et l’idéologie officielles sont « Socialistes ».
Il reste un dernier élément à créer, c’est l’agent du Tiers Monde. Il jouera encore lui-même ce rôle, doublé d’Abdoulaye Touré, qui joue au pacifisme tant à l’intérieur qu’à l’extérieur.
Pour le monde des loges maçonniques, Sékou restera l’un des patrons Francs-maçons de l’Ouest Africain.
Voici bien fait le quadrillage du monde que Monsieur Sékou Touré voulait maîtriser pour pouvoir dominer.
Ce n’est pas tout car, à l’intérieur, un agent X chargé de mission à Kankan sera suivi d’un autre, Y, chargé de lui. Et les deux se retrouvent dans l’organisation locale, dont ils ignorent les membres, qui peuvent donc les surveiller sans difficultés. Les agents locaux ont mission de veiller sur les activités de toute nouvelle figure étrangère à la cité, travaillant aussi dans le cadre de consignes générales alors que les hôtes s’occupent de consignes particulières.
Dans une telle organisation policière, personne ne sait « qui est qui dans quoi ». Les mieux servis dans un tel régime sont les mouchards, les délateurs. Le pauvre laboureur et ses enfants, le maître et l’élève, l’étranger et son hôte, la femme et son mari, l’employé et son employeur, tous se surveilleront les uns les autres. Un barman qui, répondant à un client sollicitant une tasse de café, gesticule négativement. Cela entraîne son arrestation et son transfert à Boiro, où il lui est demandé d’expliquer son signe négatif pour dire qu’il n’y a pas de sucre. Le dossier établi contre ce barman comportait l’acte d’accusation suivant : « geste contre-révolutionnaire dénotant une position de classe ».

Facely II Mara : Pouvez-vous donner la preuve de l’existence de 103 marabouts ?
Almamy Fodé Sylla : Tout auditeur averti se demande, depuis la diffusion de mon premier témoignage, la ou les sources d’information qui m’inspirent. En tant que simple professeur, j’ai été arrêté trois fois pour fait politique ou plus exactement pour délit d’opinion. J’ai été taxé d’ennemi juré du Parti par Mouctar Diallo, en 1961, à ma libération du Camp Alpha Yaya. Mamadi Keita l’a répété en 1967 à la commission d’établissement des programmes de Français à l’Institut Polytechnique de Conakry. Tout à fait situé donc à l’opposé du Parti, l’on est en droit de se demander mes sources d’information. Eh bien, ce n’est pas sorcier, je me suis particulièrement intéressé à la vie du P.D.G., de son leader et de tous ceux qui faisaient la pluie et le beau temps sous ce régime de mensonge, d’injustice et de terreur.
Aussi, les nombreuses fonctions que j’ai assumées au Camp Boiro ont-elles complété ma formation à l’École du P.D.G.

  • Secrétaire, rédacteur auprès de la commission du Bloc central, chargé de rédiger les dépositions des détenus non lettrés en français, j’ai eu la chance unique d’écouter des nouvelles d’une importance exceptionnelle.
  • Apprenti-forgeron-cordonnier-artisan de M. Diop Alhassane que nous appelions tonton Azou, j’ai tiré grand profit de mes contacts avec les doyens tels qu’Elhadj FofanaSory Condé (qui se pendit en cellule, paix à son âme), Mgr TchidimboSaliou Coumbassa,Yoro Diarra, Capitaine Sékou Diallo, Elhadj Sékou FofanaDr Keita OusmaneThiam AbdoulayeCapitaine Kaba 41 (qui m’a sauvé par un précieux conseil : « mange, mange tout ce qui te tombera entre les mains, mon cher Sylla, pas de fine bouche à Boiro ! Cherche à survivre ! Il faut sortir vivant de ce trou infernal »), le concours de M. Sékou Yalani Yansané, Karamoko Thiam Abdoulaye, de Dubréka, m’a été très précieux pour la maîtrise de certaines sourates du Saint Coran.
  • Chargé par Fadama de nourrir une chienne avec ses dix chiots et deux chattes avec leurs petits, j’ai pu, avec ce monde de petits amis turbulents, prendre de sérieux contacts avec d’augustes visiteurs, amis des bêtes. Chaque fois qu’un détenu venait nous voir avec la permission du chef de poste central Fadama, il ne partait jamais sans me livrer ce qu’il savait sur nos ennemis communs, le P.D.G. et ses hommes.
  • Arbitre des championnats de damier que tonton Azou organisait entre les geôliers. Assis du matin au soir, au milieu de ces tortionnaires, j’enregistrais tellement de choses que quelquefois, quand ils réalisaient avoir trop dit, ils se ressaisissaient mais trop tard, les oreilles indiscrètes du « général » avaient tout entendu.
  • Nommé Imam officiel des geôliers, « l’égorgeur » des boeufs de sacrifice que M. Sékou envoyait périodiquement au bloc pour endiguer et neutraliser l’action future de ceux qui auront la chance d’être libérés. Là surtout, j’ai été mêlé à l’action secrète de Sékou Touré dont j’exploitais à bon escient la trop grande naïveté. En effet, sachant que Sékou considérait pour vrais les sacrifices imaginés à partir des rêves, je lui écrivais périodiquement pour lui annoncer un rêve (souvent imaginaire) dans lequel il devait sacrifier dêtes de bœufs, convaincu qu’il en enverrait aux détenus du bloc. C’est ainsi que nous recevions environ tous les six mois deux taureaux, que j’avais plaisir à égorger car, en tant que « sacrificateur » j’avais droit au « cou » de l’animal une fois dépecé. J’étais surtout heureux de nourrir mes codétenus par ce procédé, que je répétais si régulièrement, qu’un jour, Fadama m’a demandé de « rêver aussi à son avenir ».
    — Ta tête est très claire ! tes rêves formidables ! Tu n’as qu’à rêver prochainement à mon cas, devait me dire un jour Fadama.

En plus de toutes ces charges, quand j’ai occupé les hautes fonctions de directeur de la cuisine. Avec de réelles prérogatives, je me suis fait de solides amitiés parmi les détenus et les geôliers. Ces derniers couraient après moi pour avoir quelques condiments soustraits à la cuisine. C’est dans l’exercice de ces nombreuses fonctions que j’ai reçu des informations très sûres à propos des 103 marabouts ayant travaillé pour Sékou Touré. Dans une lettre qu’un détenu de Boiro a adressée à M. Sékou Touré, en octobre 1977, existe la liste complète de ces marabouts, dont nous taisons les noms par mesure de sécurité, pour les intéressés. Mais s’ils ne s’amendent pas, ils seront nommément dénoncés dans le livre deuxième !
Un jour, Sékou Touré reçoit deux visiteurs de marque : un couple français venant de France ! Les hôtes sont reçus au salon d’honneur du Palais de la Présidence. Les entretiens atteignent un niveau tellement intéressant que nos deux Français comptent prolonger leur séjour guinéen. En effet, en plein débat, débouchent d’un coin du grand salon, avec une vitesse effrayante, deux grosses souris qui viennent monter sur M. le Président Sékou Touré dont la réaction ne se fait pas attendre :
— Allons ! Andrée ! comment tu peux laisser venir Juliot et Juliette pour nous déranger en pleine conversation amicale.
— Allez ! mes enfants, réintégrer le logis.
— Excusez-moi Madame et Monsieur Paul ! continuons le sujet qui m’intéresse beaucoup.
Andrée, avec sa langue « pâteuse », vient créer un problème qu’heureusement les Français ne saisissent pas :
— Ikaalon Péésidan, n’kaafonye wolon n’ko iye nyarinin keleen nyini… (Je t’ai déjà dit, président ,de trouver un chat… ).
— Ça va arrête, Andrée !
Sans rien comprendre, les étrangers apprécient hautement le pouvoir quelque peu magique ou surnaturel de M. Sékou Touré qui a incomparablement réussi à apprivoiser les souris. Décidément Sékou savait jouer son jeu

14. Au C.M.R.N.

« Quid de te alii loquantur, ipsi videant, sed loquentur tamen ». (Ce que les autres disent de toi, c’est leur affaire , il est sûr cependant qu’ils diront quelque chose).
N’as-tu pas vu la différence entre Sékou et toi ? Ses débuts furent violence, incendie et guerre fratricide. Ton départ prières, bénédictions exigeant ta sollicitude. Décidément il faut faire des vers sans cependant en avoir l’air. N’as-tu pas observé sept événements extraordinaires en Guinée ?

  1. L’indépendance, trouvée au fond des urnes, sans effusion de sang.
  2. Le gouvernement, par une loi-cadre insensée, fait un coup d’État contre le peuple de Guinée le 8 novembre 1964, brise la bourgeoisie nationale qui ne réagit pas.
  3. Un homme terrasse le chef de l’État, qui se relève plus fort que jamais (affaire Tidiane).
  4. Un chef d’État (Sékou Touré) fait arrêter les trois quarts des membres du gouvernement, tous les membres de l’État-major inter-armes et des États-majors particuliers, personne ne lève le petit doigt.
  5. Le gouvernement supprime le commerce privé, qui existe depuis les temps les plus reculés de l’existence humaine et personne ne bouge.
  6. La semaine compte six jours !
    Le Tout-Puissant créa le monde et son contenu en 6 jours. La puissance du P.D.G. et son leader avait atteint un tel niveau que les gens sans foi pensaient que Sékou ne mourrait pas. Mais l’Éternel, maître des mondes, se manifesta le jour J, anéantissant toute la puissance machiavélique de Sékou. Et cela, exactement en 6 jours, comme pour nous dire que le monde que Sékou croyait être sa propriété privée a été détruit jour pour jour.
  7. L’armée, qui prend le pouvoir dans un pays hautement préparé à la guerre civile, même un poulet n’a pas été sacrifié le 3 avril 1984.

Voilà des situations extraordinaires pour lesquelles le Peuple de Guinée et son gouvernement doivent rendre hommage au Tout-Puissant et lui adresser des prières d’action de grâce, à l’instar de Boké, Dubréka, Boffa, Tondon, Béréiré Bafila, Benty, Forécariah, Bady, Coba, Ouassou, Fria, Tanéné, Coyah, pendant que se préparent activement les autres préfectures et sous-préfectures de la République

  1. M. R. N. !
    Nous ne t’invitons pas à la violence !
    Mais refuse catégoriquement l’insolence !
    Le respect des droits de l’homme ne signifie pas refus de rétablir la justice !
    Si Sékou et son P.D.G. avaient pour alliés naturels les menteurs et les délateurs, c’est le C.M.R.N qui est l’allié de tous les combattants de la liberté, les opposants systématiques au P.D.G., les victimes (innocentes) des célèbres camps de concentration.
    Mille bras, dix mille énergies, cent mille courages les animent ! Il suffit de leur faire appel !
    Vous n’êtes pas M. Sékou Touré, le farouche ennemi des cadres et technocrates !
    L’homme qui ordonna de bitumer un côté de l’autoroute, celui qu’il utilise, laissant l’autre côté pour la plèbe qu’il chérissait pourtant par de beaux discours !
    Vous n’êtes pas l’homme qui autorisa la construction du barrage de Sélengué, ouvrage qui détruisit cinq villages frontaliers de Siguiri (Guinée) sans compensation des dommages et intérêts !
    Qui refusa de goudronner les tronçons Dubréka-Fria, Koubia-Tondon, Tanènè-Boké, Tercè-Falessadé, cependant des routes économiques de première importance.
    Vous n’êtes pas ce tyran qui imposa d’autres tyrans de l’espèce Moussa Sako de Kindia ou Amara Touré de Faranah !
    Qu’est-ce qu’un homme ? C’est la meilleure créature que Dieu ait faite à son image. Seul capable de langage articulé, l’homme est ainsi supérieur à toutes les créatures connues de nous. La langue, partie vitale de notre corps est essentielle dans nos rapports interpersonnels ; c’est pourquoi les juristes ont eu raison de dire « Pacta surit servenda » (les accords doivent être respectés, c’est-à-dire la parole donnée doit être considérée comme sacrée). « On lie les boeufs par les cornes et les hommes par la parole ». D’ailleurs si le peuple de Guinée n’avait pas été distrait par les discours trompeurs de Sékou, c’est en 1962 qu’il aurait mis fin au règne d’un dictateur qui n’a pas hésité de déclarer que lui, n’a pas de parole donnée, car dit-il, la parole n’est pas une montagne qu’on ne saurait déplacer.
  2. M. R. N. !
    Draîne donc le poids de la charge que le Tout-Puissant te demande de transporter vers les horizons de bonheur matériel et moral du Peuple de Guinée !
    N’hésite pas, l’hésitation et le tâtonnement étaient d’hier ! Depuis la mort de Sékou Touré, toutes les maladies ont disparu de notre pays comme par enchantement !
    Dieu en soit loué !
    Sékou n’a pas été « gentil » avec nous !
    Alors pour l’histoire, C.M.R.N. pense à Burrhus le vertueux : «civitati grande desiderium ejus mansit per memorium virtitus » (Extrêmement regretté à cause de sa vertu). Ceux qui luttent sont ceux qui vivent ».
  3. M. R. N. !
    Nous ne sommes pas vindicatifs, mais le peuple a son mot à dire Écoute-le sagement !
    Commander ! Diriger ! Gouverner !
    C’est écouter l’opinion publique ! choisir et faire la politique du possible.
    Et partir des conditions objectives, réelles pour bâtir l’avenir. Tout le peuple sollicite la tête des criminels, leur pendaison publique !
    Mais le C.M.R.N. crie à la clémence et au pardon.
    Le peuple a dit oui, confiant ! Mais il n’entend pas être insulté par la nomination de ceux qui de façon zélée, ont commis avec le tyran les crimes les plus odieux !
    Quel est le Guinéen qui ne connaît pas le rôle qu’ont joué l’ancien directeur de Syliphone ou un certain couple de mannequins, un Mama Tounkara aux mains ensanglantées, un « rougeau », ancien directeur d’Alimag, un Chérif ancien directeur de l’usine de Fria, que l’ancien régime avait placé au-dessus de tous les Ministres, etc.
    S’il est vrai que l’administration est une continuité, il est certain que l’administration sékoutouréenne fut un sérieux obstacle au progrès de la société guinéenne, freinant dangereusement la vie administrative nationale. Elle ne doit pas de ce fait être améliorée mais fondamentalement changée. Car le peuple et son C.M.R.N. n’ont pas opéré un changement de gouvernement mais un changement de régime politique. En conséquence, pour « déverrouiller » l’appareil toujours grippé malgré l’avènement du C.M.R.N. Il faut changer les hommes de Sékou, les remplacer par d’autres cadres plus compétents et plus requis au nouveau régime. Un Ministre ne suffit pas pour dynamiser son département. Ce sont ses collaborateurs qui sont essentiels pour la concrétisation du programme défini par le gouvernement. L’adhésion de ces techniciens à la politique générale de l’État est un impératif indispensable au progrès de la machine.
    Le Guinéen, de quelque niveau ou condition que ce soit, citadin ou villageois, est riche de l’expérience théorique et pratiqpe des 25 années de souffrance du P.D.G. Chaque Guinéen est un chef d’Etat par réflexe, par raisonnement, par engagement à la défense des intérêts du peuple, par esprit de justice et de liberté, par réaction politique face aux événements de tous ordres. Il n’est donc pas aisé de diriger ce peuple-martyr, sur le plan politique, car désormais aucun discours, si beau soit-il ne peut le convaincre. Il n’attend que les réalisations pratiques.

C.M.R.N. !
Attaque-toi aux priorités des priorités avec des hommes conséquents !
Un fagot de bois pris en pleine forêt se transporte-t-il sans briser les lianes qui le retiennent ?
Le C.M.R.N. n’a-t-il pas d’ennemis après avoir détruit le P.D.G., supprimé les barrages entre les préfectures, mis fin à la fourniture obligatoire de denrées ou de normes, autorisé la circulation libre des hommes et des biens, et proclamé le libéralisme dans tous les domaines de la pensée et de l’action ?
Ne nous trompons pas ! Les ennemis sont nombreux et puissants ! Et les communiqués du C.M.R.N. leur donnent toute liberté de nous torpiller.
Ils s’organisent partout en groupes ethniques pour défier le C.M.R.N. et le peuple. Ils parlent de cas malinké, de situation soussou et de condition peuhle.
Pour le peuple, il n’y a que deux groupes antagoniques en Guinée :

  • Le premier groupe
    • tous les malhonnêtes, les voleurs, criminels qui ont largement profité de l’ancien régime, se sont rendus coupables de zèle ayant entraîné des crimes de toutes sortes, jouant encore au caméléon dans ce régime en attendant qu’ils trouvent les moyens concrets de l’abattre, ils constituent la race no. 1 et comprennent toutes les ethnies.
    • les opposants les plus irréductibles au P.D.G. ne sont-ils pas les gens de Kankan, de Labé et de Tondon Dubréka,. Voilà trois régions très distantes, chacune occupant un pôle donné, qui ont cependant observé la même attitude vis-à-vis du dictateur. Ce n’est donc pas une affaire d’ethnie mais de famille idéologique (tous ceux, qui agissaient comme Alcapone) et biologique (sa famille).
  • Le second groupe est composé de ceux qui pensent et agissent contrairement au premier.

C.M.R.N. !
L’ordre au Port de Conakry ne suffit pas ! Pendant le règne du P.D.G., la Guinée n’a connu que les crimes commis par Sékou « Alcapone » et ses complices. Tous les bandits, voleurs, tueurs et autres malfaiteurs des pays voisins ne pouvaient mettre pieds en Guinée où leur maître, le chef bandit, Ahmed Sékou Touré régnait puissamment.
Mais maintenant que ce maître est mort, laissant un vide à l’intérieur de la Guinée, tous ceux qui attendaient à nos frontières sont entrés et, aujourd’hui, ils se livrent à une véritable compétition pour la première place, vacante depuis le 26 mars 1984.
Hold-up, vol à main armée, vol avec effraction, crimes crapuleux, viols de mineures, introduction de drogues et stupéfiants, voilà la nouvelle réalité de nos villes et villages sans oublier la criminalité qui augmente de jour en jour.
C’est une honte, C.M.R.N., prends et utilise le fusil pour protéger le peuple ! Engagés que nous sommes aux côtés du C.M.R.N. pour le meilleur et le pire, seule sa victoire est pour nous salutaire… !

Mon troisième témoignage

— Ah non ! ce n’est pas possible ! il s’attaque à la vie privée des gens ! mais nous, ma femme et moi, allons porter plainte contre lui.
— Je ne te le conseille pas ! mon bien cher cousin ! Que fais-tu des communiqués du 3 avril 1984 relatifs au changement en Guinée ? Le P.D.G. est mort, définitivement mort et enterré ! Sylla ne fait que dénoncer un système, un régime sanguinaire et ses dirigeants.
— Passe, mais a-t-il le droit de parler de ma vie privée ?
Cette conversation a été captée dans une cérémonie de baptême d’un enfant dans un quartier de Conakry en août 1984. Heureusement que ce Sylla n’est pas physiquement très connu ! Il n’a donc pas besoin de « mouchards » pour savoir ce qui se passe. C’est lui-même qui écoute les avis, les analyses, les critiques, les encouragements que son 2e témoignage a suscités, avec quelque bruit, accompagnés même de deux lettres de menace de mort, dont la première a été adressée à Monsieur Facély II Mara, l’animateur principal de l’émission « A vous la parole ». «
— Si vous avez été menacés, c’est que le but visé a été atteint.
C’est ce que m’a dit une jeune fille de qui je n’attendais pas une telle réflexion. Cependant, qu’à tous les niveaux les gens discutent autour des idées force du témoignage, me laisserait absolument froid, s’ils ne posaient pas un problème de fond qui peut aisément avoir quelque suffrage :
— Sylla a eu tort de parler de la vie privée d’un couple d’anciens dignitaires.
Pour reposer mes oreilles trop échauffées, je pris la décision de répondre aux détracteurs, confusionnistes d’hier et d’aujourd’hui, par une lettre malheureusement jamais parue dans les colonnes du journal « Horoya ».
Je ne sus pourquoi.
La question doit être posée à M. Mody Sory Barry, très dynamique hier avec Sékou, et bien froid aujourd’hui avec Conté, qu’il aurait peut être bien fait d’accompagner dans sa première tournée à travers la Guinée !

Pas d’entorse à l’histoire !

Chasseur malhabile, prends garde à ton arme !
Ne tire pas n’importe comment, tu créerais l’alarme !
Grands arbres ne cachez pas la forêt tropicale,
Sous le faux et éminent prétexte d’une puissante amicale !
Fromager géant ! je te croyais indéracinable !
Mais hélas ! tu me laisses penaud et misérable !
Je cours, cours désespérément sans te joindre !
Pourtant, espoir, confiance n’étaient pas moindres !
Père du clan Touré debout ! ne meurs surtout pas !
Pauvres chênes privés de sève en branle-bas !
Bûcherons, paysans endurants, pitié et clémence !
Coupe-coupe et haches, évitez-nous la potence !
Quant à toi menuisier imperturbable !
N’attaque pas du fromager les fidèles disciples !
N’as-tu pas reçu ma lettre de menace ?
Dis-moi franchement ce que tu veux que je fasse !
Doux procès chez le fabricant de bateau ?
Sais-tu le motif que j’évoquerai au barreau ?
Apprends-le donc et prépare ta défense !
Injure publique à l’égard d’une reine sans faiblesse !
Menuisier ! donne un coup de scie dur à l’histoire !
Elle te fournira des exemples sans examen probatoire !
Il était un certain Le Troquer de l’Assemblée française
Qui dut donner sa démission pour préserver la dignité française
Dans la fameuse affaire des Balais roses à Paris !
L’on ne parla pas de vie privée pour un cauri !
Et ce Ministre britannique qui fut obligé par sa Majesté
De quitter les rangs après d’indigestes intimités
Avec une certaine fille aux comportements licencieux !
Remémorez-vous l’affaire Ted Kennedy aux U.S.A.
Sa candidature à la Présidence des États-Unis d’Amérique
Fut rejetée quand l’opinion a su qu’il entretenait des rapports intimes
Avec sa talentueuse et sympathique secrétaire blondine !
Souvenez-vous des journalistes marocains qui écrivirent une certaine année
« Les chaussettes du Président guinéen sont trouées ».
Mais revenons chez nous avant l’indépendance !
Période où chacun en Paix, faisait la danse !
Un leader syndicaliste écrit dans les colonnes du « Bambou » :
« Une nouvelle qui porta un grand et violent coup !
« Un membre de l’Assemblée territoriale !
Est pris en flagrant délit d’adultère royal !
Contraint de piler du mil, il perdit ses poils !
Aussitôt un membre éminent porta plainte !
Que fit le juge pour sauver le leader sans crainte ?
L’accusé demanda au puissant magistrat
L’envoi de l’affaire à l’audience impartiale !
L’autorité judiciaire sentant la tempête !
Conseilla en coulisses, de retirer la plainte !
Évitant ainsi une triste confrontation !
Dans cette guerre inégale faite de contradictions
Si toute personne a une vie privée intouchable !
Celle des personnalités est attaquable !
Pourquoi épargner Jeune Afrique accusateur ?
Puisque vos mains sont propres pourquoi cette rougeur ?
La mystique du Redressement est l’honnêteté !
En pratiquant la justice et la vérité !
La liberté est le plus grand bien pour chacun !
La démocratie une école sans tribun !
En philosophie, la lutte entre l’ancien et le nouveau !
Entre ce qui meurt et ce qui se développe !
N’intervient jamais la sage Pénélope !
La loi de développement des sociétés !
Des continents, des nations et principautés !
Objet de toutes les luttes politiques !
Oubliez, oubliez donc ce passé héroïque !
Peuple de Guinée ! pour ta liberté !
Alors, tous ensemble, renaissons à la vraie vie !
Le pouvoir absolu corrompt absolument !
Le garde-fou limite les dégâts royalement !
La désinformation est une méthode cynique !
Qui désoriente une sage politique !
Comment ne pas réussir avec une telle pratique !
Placé devant un homme sage, clément et auguste ?
Vérité historique : la vie à ceux qui luttent !

Tous les auditeurs attendaient avec impatience ce troisième témoignage, qui devait certainement les édifier sur pas mal de situations obscures créées et entretenues par le régime sanguinaire défunt de Sékou Touré.

En suivant les conseils du Chef de l’Etat, Président de la République, qui enseigne depuis le 3 avril 1984, le pardon et la clémence à l’égard des uns et des autres, nous nous abstenons de faire des révélations qui inciteraient le peuple de Guinée à se venger des criminels, outrepassant ainsi la volonté du Président Conté de réconcilier tous les Guinéens.
Néanmoins, l’histoire étant le récit véridique des événements passés, tôt ou tard chaque acteur de la tragédie guinéenne sera connu et, à l’instar des criminels nazis, répondre au rôle qu’il a joué. Membres de l’actuel gouvernement, très prochainement, vous serez tamisés.
Pourquoi, après leur victoire sur le fascisme hitlérien, les puissances alliées ont-elles pris leur responsabilité historique en créant un tribunal international chargé de juger les criminels de guerre nazis ? Nous pensons que cela a eu deux avantages :

  • punir d’une part, selon le degré de responsabilité, les principaux responsables de la théorie raciale, des guerres d’agression, de crimes de lèse-majesté, d’assassinats massifs de populations civiles
  • d’autre part prévenir la naissance et le développement d’autres fondateurs de telles théories, dictateurs comme Hitler on ne sait jamais, car le pouvoir use et grise.

Le même souci, très légitime, doit animer le C.M.R.N. dans la conduite des événements politiques ayant sous-tendu le règne diabolique de Sékou Touré.
Accorder une importance exceptionnelle à ce sujet, c’est guérir la plaie profonde qui ronge le cœur de chaque Guinéen. Agir contrairement à cela, c’est gangrener cette plaie, dont le Président Conté a entrepris le magistral traitement.

17. Sékou était-il un homme ?

Chaque lectrice, chaque lecteur doit répondre à cette question. Mais pour aider à cela, nous rappelons quelques faits.
Adopté par M. Félix-Houphouët Boigny qui l’introduisit auprès du Gouverneur de la Guinée, ardemment soutenu par toutes les personnes que son apparence a lourdement trompées, Sékou reçoit de son père adoptif Houphouët 13 000 000 de francs C.F.A. et 15 000 000 C.F.A. du Grand Conseil de l’A.O.F. C’est ce même Houphouët qu’il insultera tous les jours pendant sept ans d’affilée 5.
Il insiste auprès de maints hauts cadres « solidement installés » à l’extérieur à se rendre en Guinée indépendante pour le travail de reconstruction nationale. Oh ! quel stratège ! C’était tout juste entraîner dans son sillage tous les cadres capables de le remplacer un jour, les exploiter en vue de profiter de leurs connaissances, culture et expérience, les éliminer dès que possible après les avoir accusés de complots. Les exemples sont si nombreux qu’il importe de ne signaler que quelques cas :

  • M. Diop Alhassane un sénégalais, ingénieur des sons, spécialiste de radiodiffusion, habile artisan, très bon cœur, doux et serviable, d’une fidélité rigoureuse à l’amitié, d’un parler franc et sincère et d’une foi religieuse inébranlable. Il le gardera 9 ans au camp Boiro avant de le renvoyer à Dakar dépossédé de tous ses biens.
  • M. Fodéba Keita : intellectuel patriote, grand artiste, fondateur des Ballets africains, a mis tous ses fonds à la disposition de Sékou Touré et de son Parti, qui le tuera par jalousie en 1969.
    M. Balla Camara : administrateur de la France d’Outre-mer, éminent technocrate, spécialiste des questions financières et de gestion, grand patriote africain qui avait, comme docteur Mamouna Touré, son mot à dire, son avis à donner sur toute question où il est consulté.
  • Dr. Diallo Taran
  • Dr. Najib Roger Accar
  • Dr. Barry Abdoul Wahab
  • Dr. Barry Alpha Oumar
  • Dr. Diallo Abdoulaye
  • Dr. Conte Saïdou
  • Dr. Diané Charles
  • Bâ Mamadou, de la Banque mondiale
  • M’Baye Cheick Oumar
  • Naby Youla
  • Fofana Karim
  • Diallo Abdoulaye dit Portos
  • Dr. Diallo Saliou, médecine générale Donka
  • Dr. Curtis Georges
  • Abdoulaye Ghana Diallo. ancien ministre au Mali
  • Sékou Sadibou Touré
  • Baydi Guèye
  • Petit Touré
    ces trois derniers étaient de grands bailleurs de fonds
  • et tant d’autres cadres de tous bords qui se comptent par centaines ont, pour la plupart été tués dans les camps de concentration, ou gardés pendant de longues années en prison, ou encore mis en liberté provisoire, strictement surveillés par des mouchards du Parti qui se recrutent dans tous les milieux.

Sékou Touré n’avait aucune considération pour l’avenir. Son action pratique en parfaite contradiction avec sa théorie était forcément réactionnaire par rapport à son propre « moi ». Sa vie durant, Sékou a farouchement lutté contre luimême, contre ses propres idées pourtant émises avec éclat. Toutes ses théories, relatives à toutes les situations, sont souvent très « bonnes », très progressistes. Mais étant donné que tout ce qu’il fait doit contredire toutes ces idées « lumineuses », Sékou n’a jamais eu la paix intérieure. La lutte entre ce qu’il est réellement et ce qu’il prétend être, a sous-tendu sa malheureuse vie faite de guerre froide et d’insécurité morale.
Atteint de folie des grandeurs, résultat de son complexe d’infériorité, Sékou n’a jamais accepté ni la dualité ni la contradiction. Toute bonne idée qui vient d’autrui doit être acceptée comme étant le fruit de son contact ou d’un de ses nombreux enseignements. C’est exactement sa pensée à l’égard de toutes les idées qui viennent de ses collaborateurs.
La responsabilité de ces mêmes collaborateurs a été justement cette faiblesse qu’ils ont manifestée en faisant croire à Sékou qu’il n’avait pas de semblable parmi eux ; surhomme, homme extraordinaire, envoyé spécial de Dieu sur terre pour sauver l’humanité de tous ses péchés, soigner tous les maux qui l’accablent, Sékou s’est finalement considéré comme tel et, petit à petit, le mythe grandissant avec le temps et les éloges des journalistes, des artistes, des femmes, des cadres politiques, le petit syndicaliste d’hier, d’une modeste famille de paysans, est subitement devenu le leader le plus écouté, le plus craint, le plus admiré d’un parti qu’il n’a ni fondé ni même dirigé avant 12 ans de l’existence de celui-ci.
Le hasard aidant, les circonstances historiques favorisent son ascension politique considérée comme mystérieuse dans un pays dont les populations, les cadres de tous les secteurs, les hommes politiques, les syndicalistes, se sont valablement imposés en Afrique depuis bien avant la pénétration coloniale et, aussi, depuis la domination française. L’on comprendra difficilement ce qu’un Sékou Touré a bien pu utiliser pour s’imposer à un peuple aussi éclairé que le peuple de Guinée, à des cadres dont toute l’Afrique était fière :

  • Koumandian Keita, Secrétaire général du Syndicat des enseignants d’Afrique noire
  • Diallo Abdoulaye « Ghana » vice Président de la Fédération syndicale mondiale
  • Madeira Keita, premier Secrétaire général du Parti démocratique de Guinée

Sékou s’impose également devant trois sommités intellectuelles de l’époque ayant toutes brillamment réussi le diplôme supérieur d’aptitude pédagogique (D.S.A.P.) :

Sékou prévalut face à :

  • Fodé Mamoudou Touré, premier licencié en droit guinéen
  • Framoï Bérété, président de l’Assemblée
  • Dr. Momo Touré, président de l’Union
  • Dr. Deen Ignace, secrétaire général du Syndicat de la santé de l’Afrique occidentale française
  • Barry Diawadou, fils de chef de canton, leader du Bloc Africain de Guinée (BAG), parti rival du PDG
  • Barry III, secrétaire général de la Démocratie Socialiste de Guinée (DSG), parti rival du PDG
  • Amara Soumah, 2e secrétaire général du P.D.G., de la famille régnante de Kaporo (Conakry)
  • Bangoura Karim, fils de chef de canton, leader du BAG, conseiller de l’Union
  • Louis David Soumah
  • Almamy David Sylla de Tondon, chef de canton
  • Telli Diallo, premier Secrétaire général de l’O.U.A.
  • Baldet Ousmane
  • Balla Camara
  • Dr. Fernandez Louis
  • Coumbassa Firmin
  • El Hadj Thierno Ibrahima Bah, chef de canton de Dalaba
  • Almamy Ibrahima Sory, chef supérieur de la branche Alfaya !

Il triompha plus tard face à la jeune génération, celle de

  • Diallo Portos
  • Baldet Oumar, ingénieur des Ponts & Chaussées, auteur du carrefour Constantin de Conakry, secrétaire général de l’Oorganisation des Etats Riverains du fleuve Sénégal (O.E.R.S.) 6
  • Karim Fofana, ce brillant ingénieur des mines, que le Président Senghor du Sénégal a qualifié de fierté de l’Afrique moderne après son allocution de présentation des travaux finis du barrage hydro-électrique de Kinkon (Pita)
  • Fofana Almamy, ingénieur, major à l’école supérieure d’électricité, jeune frère de Fofana Karim
  • M’Baye Cheick Oumar
  • les 3/4 de tous les cadres formés en France et aux États-Unis d’Amérique

A toutes ces valeurs, dont la plupart ont été tuées dans les camps de la honte, le peuple de Guinée doit rendre un hommage mérité pour les services rendus au jeune État guinéen, avec foi et éonfiance en l’avenir, dont Sékou était supposé être la véritable incarnation.

18. Sékou, un « artiste cynique»

Un jour, Sékou envoie des agents arrêter un Allemand de la société Friz-Werhner. A table pour le déjeuner, l’Allemand entend frapper à la porte. Il se lève tranquillement et, après une douce et gentille réponse à sa question « Qui est là ? » l’Allemand ouvre la porte sur quatre « malabars » qui le repoussent, comme des bandits, en faisant irruption dans le salon. Pas de mandat d’arrêt, ni de mandat d’emmener. L’Allemand est menotté, invité à s’asseoir dans un fauteuil en attendant que les agents mangent à sa place son repas, qu’il n’aura pas l’occasion d’apprécier aujourd’hui… Et pour longtemps. Une conversation s’engage entre les intrus :
— Oh ! que c’est bon cette mangé-là !
— Tu réson mon lasidan. Mais moi, mangé pas tomate avec cé qué blanc appelé salad !
— E é, toi auci caporal ! toi connais pas salad ? mais il est très bon
— Bon ! allez ! terminé le mangèment !
— Mentena, anawan !
Les agents se lèvent de table et d’un geste violent se saisissent de l’Allemand, que l’événement a si profondément surpris qu’il nourrit déjà la plus noire des haines. Jeté dans une jeep entièrement bâchée, l’Allemand se retrouvera dans une cellule du triste Camp Boiro, assis nu-corps, en train de méditer sur les raisons de cette arrestation brutale et lâche, cet enlèvement à la junie ! Les agents, qui n’ont pas oublié que l’intérieur de la maison de l’Allemand est bien « fourni », reviendront plus tard piller tous les biens. Honteux mais aussi comique est le combat qu’engagent deux agents autour d’une paire de chaussures pour enfant que chacun d’eux voulait coûte que coûte envoyer à son fils.
Une autre fois, Sékou Touré, pour avoir accès à un ménage, fait arrêter un jeune et le condamner à la peine capitale pour quelques cartons de poissons (l’intéressé travaillait au Frigorifique du Port). A l’annonce de cette peine, sa femme (3 ans de foyer), va voir Sékou, se jette à ses pieds en pleurant.
— Mais qu’est-ce que c’est, Mademoiselle ?
— Madame, s’il vous plaît, Camarade Président
— Ah bon ! tu es mariée ! Pourtant tu n’en as pas l’air ! Tu es si belle !
— Je vous remercie camarade Président ! Mais je suis là pour mon mari qui est arrêté et condamné à mort.
— Ah oui ! condamné pourquoi ? Et tu dis peine capitale ? Mais qu’ils sont méchants, les magistrats ! Rendre une si jolie fille veuve à ton âge ! … Allons, cesse de pleurer ! Je suis là pour remplacer ton mari ! Tu vois que tu ne perds rien en perdant un petit commis pour gagner un Chef d’État ! Donc, de temps en temps passe me voir, je te ferai oublier ton mari ! Tiens ce bout de papier, c’est un laisser-passer pour me voir à n’importe quelle heure de jour et de nuit.
La jeune femme sort pour ne plus jamais le revoir.
D’autre part, il fait arrêter des familles entières (père, mère, fille ou fils). Quelquefois l’épouse est enceinte de plusieurs mois. Il les garde tous en prison sans jugement. Et, si son humeur le conduit un jour à libérer la fille ou la mère, c’est pour lui proposer d’être sa maîtresse. Si elle refuse, Sékou se vengera d’elle en tuant son père ou son mari.
Des milliers de familles de détenus disparus vivent en Guinée déçues et heureuses à la fois depuis le 3 avril 1984. Madame veuve Traoré Lamine demande à Sékou de lui permettre de présenter son nouveau-né à son mari arrêté quand elle était en grossesse de 7 mois. Sékou la rassure que son mari va très bien et que personnellement il va transmettre au Procureur Traoré les meilleurs sentiments de sa femme pour la visite de laquelle il doit se préparer dans trois jours.
— Tu reviendras me voir après demain.
Plus jamais cette femme aussi n’aura l’occasion de le revoir.
Une des grandes filles du lieutenant Coumbassa Aly, arrêté en 1969 va voir Sékou pour exprimer son intention d’envoyer à son père quelques articles tels que les fruits, les allumettes et cigarettes. Sékou lui demande d’aller voir au Camp Alpha Yaya (32 escaliers) où se trouverait son père. La jeune fille va se promener toute la journée avec son petit paquet dans le sac, espérant revoir son père suivant l’assurance que le président lui a faite. Il se moque de l’innocence ou de la naïveté de la jeune fille dont il a tué le père il y a très longtemps.
Lors d’une conférence du Parti à Labé, Soumaré, secrétaire fédéral de Dinguiraye, proclame à la tribune l’innocence de Keita Koumandian et de ses compagnons. Sékou répond :
— Tu as raison Soumaré. Mais j’étais convaincu qu’en arrêtant ces enseignants je trouverai bien des motifs d’accusation contre eux.
Sékou n’hésitera pas à dire au Professeur Baldé Mountaga :
— Je sais que vous étiez innocents, mais je ne pouvais pas faire autrement. Il fallait vous arrêter.
Il arrête le grand commerçant Petit Touré (petit-fils de l’Almamy Samory, dont il prétend descendre lui-même) et toute sa famille : sa mère, ses frères, sa femme. Cette dernière en grossesse de 4 mois s’accouchera en prison d’un bébé, qui fera 3 ans de détention avant d’être arraché à sa mère pour la famille de son mari, que Sékou avait déjà tué.
Sékou Touré n’a pas hésité d’arrêter deux frères de même mère, Elhadj Thierno Ibrahima Bah et Bah Bademba, laissant en deuil 7 femmes, 45 enfants vivants et leur vieille mère âgée de 83 ans.
De même, ilêta deux frères de même mère, Drame Hamidou et Mohamed Bappaté Drame : le premier, ingénieur architecte, s’aperçoit qu’il est assis à côté de son frère Mohamed dans une jeep bâchée les transportant de Conakry à Kindia. Cette opération est communément appelée transfert de détenus. Les deux frères ne devaient malheureusement plus jamais se revoir, car dès que les autorités ont été informées que les Dramé sont venus à bord du même véhicule (on ne sait comment et par quelle distraction ou négligence cela a bien pu arriver), la décision fut prise de liquider l’un d’eux. Et ce fut Hamidou que Sékou, le boucher, ordonna d’exécuter immédiatement.
Nous regrettons la mort de ce jeune cadre de 32 ans, à cause de ses nombreuses qualités humaines, sociales, physiques et intellectuelles.
Sékou arrête trois autres frères : Koivogui PierreKoivogui Charles et Koivogui Massa. Il les tue sans laisser d’héritier.
Plus dramatique est l’arrestation de trois vieilles personnes très célèbres en Guinée. Il s’agit de :

  • Nène Fout,a âgée de 83 ans, fille de chef de canton, reine-mère, mère de Bah Thierno Ibrahima, chef de canton de Dalaba
  • Almamy Aguibou Barry, 75 ans, chef supérieur de la branche Soriya de Dabola, père de l’illustre Barry Diawadou.
    Le vieux chef de canton, père de Barry Diawadou, demande à Sékou l’autorisation de revoir son fils aîné avant sa mort. Pour toute réponse, il le fait arrêter et déporter à Boffa (ville côtière située à 300 km de Conakry). Sékou le mystificateur avait si peur de ses adversaires politiques qu’il n’a jamais serré la main à ce vénérable vieux féodal de Dabola par crainte d’être « truqué » par son contact, car l’Afrique est un mystère que l’Europe mettra encore mille ans pour comprendre !
  • Almamy David Sylla, 75 ans, chef de canton, ancien élève de l’Ecole normale William Ponty (Sénégal). C’est pour terroriser les populations qui vouent un respect divin à ces dignitaires coutumiers que Sékou les met en état d’arrestation, les démystifiant, prouvant que leur invincibilité n’est que théorique. Mme Petit Touré est invitée à sa libération de Boiro par Sékou. Accompagnée de ses enfants, le tyran la reçoit pour ne parler que de choses auxquelles la malheureuse victime ne s’attendait pas. Des banalités…

Sékou ordonnait des arrestations que lui seul pouvait expliquer comme celle de Bangoura Kassory, à qui lui-même téléphone pour annoncer une triste nouvelle :
— Allo ! Kassory, sais-tu que ton père est gravement malade à Coyah ?
— Comment le sais-tu Président ? Je croyais être le premier à recevoir des miens une telle information. Mais enfin ! informe-moi mieux !
— Tu n’as donc pas confiance en moi ?
— Oh si ! mille fois si ! Président.
— Alors, il faut t’y rendre immédiatement, car un père est sacré
— Bien Camarade Président ! Kassory prend sa voiture et file à Coyah.
Déception à l’arrivée. Comment peut-on s’amuser ainsi ? Mais… je ne reconnais dans cet acte, ni le chef d’Ëtat, ni l’ami Sékou Touré. Bon ! Dieu pardonne au pauvre pécheur que je suis ! Ma tête se charge d’idées noires que seule la vue de mon père rayonnant de santé renvoie comme une balle pompée ! Dieu en soit loué !
Quand Hadja Ramatoulaye Bangoura, fille du chef de canton de Koba (Boffa) et épouse de Diafodé Kaba, grand commerçant, s’est rendue à la Présidence accompagnée de huit de ses enfants (elle en a quinze au total). Sékou les a si bien reçus qu’il leur a dit ceci :
— Attention ! pas de larmes de crocodile dans mon bureau ! Ton mari a plusieurs comptes bancaires en France, veux-tu me communiquer leurs numéros ? Traître, il purge le juste salaire de sa forfaiture [Il s’était porté candidat à l’élection présidentielle en 1978].
C’est sur ces derniers propos que la pauvre Hadja Ramatoulaye piqua une violente crise dont elle ne se relèvera que plus tard dans sa chambre à coucher.
Chaque femme de détenu politique a vécu une expérience particulière qui mérite d’être enseignée aux générations montantes pour pouvoir les préparer contre la tyrannie et les tyrans, la dictature et les dictateurs. Le monde entier doit savoir ce qui s’est passé en Guinée, le condamner vigoureusement pour prévenir les velléités de pouvoir personnel.

19. Conséquences du complexe de naissance

Un sage conseil aux futures mères : femmes de Guinée, d’Afrique et d’ailleurs, ayez une conduite honorable dans la société africaine. Vous y gagnerez assurément car, partout dans le monde, les valeurs morales occupent une place de choix. Évitez autant que possible l’adultère.
Quant à la conception en dehors du mariage, elle vous couvre d’opprobre votre vie durant. Elle crée chez l’enfant naturel des complexes dangereux pour la société.
L’on sait que les femmes les plus malheureuses dans la famille africaine, en général, et guinéenne, en particulier, sont celles que les maris ne trouvent pas « vierges ». Pour les corriger, les parents leur rasent la tête et, les rouant de coups, les font promener à travers villages et hameaux, suivies de tous les jeunes gens de leur génération, qui se moquent d’elles en les arrosant de poussière. Certain père de famille bien fanatique peut pousser la violence jusqu’à faire subir à la jeune fille qui a souillé l’honneur du clan et même de la tribu, le supplice de « l’oreille coupée ».
Mais pourquoi toutes ces tortures morales et physiques ? Sans doute, chacun a déjà compris et réalisé toute l’importance de ces sanctions : réprimer l’acte immoral qu’est l’adultère et prévenir d’autres cas dans la communauté villageoise où les moeurs sont pieusement et jalousement gardées par les anciens.
Un jour, comme cela se fait dans toutes les familles africaines, Sékou Touré physiquement plus fort que son demi-frère Ismaël, donne quelques coups de fouet pour corriger ce cadet peu discipliné. Entre temps, arrive sa marâtre, mère d’Ismaël, dans un état de colère tel que ses propos incontrôlés marqueront sa vie durant Sékou Touré, hypothéquant ainsi inconsciemment l’avenir d’un peuple, pour ne pas dire celui d’un continent. «
— Pourquoi frappes-tu celui-ci ? Je t’interdis de porter la main sur Ismaël. Et si tu répètes cet acte, tu apprendras ce que tu ne sais pas. Sais-tu la différence entre Ismaël et toi ? Eh bien ! sache qu’il est fils de son père lui. Il est loin d’être un enfant naturel, un bâtard qui ne connaît pas son père. La prochaine fois que tu feras pleurer Ismaël, tu sauras ce jour que vous n’êtes pas égaux dans cette maison.
Ça y est ! Sékou a appris ce qu’il ne savait pas. Et voilà qu’il se retire, s’isole derrière la case pour pleurer à chaudes larmes. Depuis ce jour, il est déterminé à réussir par tous les moyens, pour pouvoir se venger, non pas seulement d’une méchante marâtre, mais de la société toute entière. En effet, Sékou Touré avait trois grandes raisons de lutter contre la société guinéenne :

  1. « Mal né » comme on dit, il a tout mis en oeuvre pour éliminer ceux et celles qui sont « bien nés ». Il faut entendre par « mal né », des doutes sur la paternité. Un enfant naturel est considéré comme « mal né » en Afrique. On le qualifie généralement de bâtard qui, selon les textes du Saint Coran, n’a aucun droit dans la famille d’adoption. Par « bien né », il faut entendre une naissance régulière, un enfant né d’une mère légitimement mariée. L’on comprend donc tout le regret de Sékou de ne pouvoir éliminer de la société tous ceux et toutes celles qui sont régulièrement nés de père et mère légitimement mariés. C’est pourquoi il s’était rabattu sur la catégorie la plus voyante des « bien nés », c’est-à-dire les enfants de souche féodale. Et pour se venger des autres familles, il légitime la « débauche » et favorise la délinquance juvénile pour que naissent dans chaque famille guinéenne un ou plusieurs petits bâtards qui viendront lui tenir compagnie devant les hommes et devant Dieu. Interrogez les pères de famille guinéens, ils vous diront que Sékou Touré a parfaitement réussi dans cette guerre anti-sociale.
  2. Né pauvre, dans une modeste famille de paysans, comme un hôte américain le lui a dit à Faranah, Sékou Touré a élaboré un programme systématique d’élimination de tous les riches et de lutte à outrance contre toute velléité bourgeoise.
  3. Analphabète d’abord, autodidacte ensuite, opportuniste ambitieux enfin, Sékou a détruit toutes les bases de l’enseignement en Guinée. Il ne pouvait pas concevoir qu’on dise qu’un Guinéen a brillamment soutenu une thèse de doctorat dans une université étrangère ; l’enseignement au rabais qu’il faisait donner dans ses C.E.R. ou « Centre dEnseignement Révolutionnaire » avait pour but de singulariser le Guinéen dans le monde par son ignorance et son incapacité à soutenir la comparaison avec les autres. Il voulait et cherchait à entendre dire « Sékou, quoiqu’on dise, est le seul Guinéen capable ». Là également, il est aisé de constater que le « stratège » avait parfaitement réussi dans la plus meurtrière guerre dont le peuple de Guinée mettra au moins un quart de siècle pour se relever. Des promotions entières sacrifiées ! Et Dieu, seul responsable de cette triple situation qu’a connue Sékou Touré, ne doitil pas être également victime d’« Alcapone » ?

Oh si ! Il faut que Dieu lui-même sache qui est Sékou, le terrible dragon de Guinée. Dieu créa Adam et obligea tous les anges à se prosterner devant lui. Tous s’exécutèrent sauf un seul, Iblis ou Satan, que Dieu renvoya du ciel avec promesse de le condamner aux tourments de l’enfer éternel le jour du Jugement dernier. Celui-ci, pour se venger du Créateur, se mit acharnément au travail de destruction de l’oeuvre divine. Sékou Touré se charge de continuer ce travail avec grand déploiement d’énergie. Il faut :

  • détourner de la voie juste tous les musulmans du monde
  • révolter les jeunes contre l’autorité paternelle — qui implique celle de Dieu
  • semer la discorde entre les conjoints en banalisant l’adultère
  • prostituer les moeurs en autorisant les jeunes filles à faire les enfants avec n’importe qui, en dehors du mariage encourager l’alcoolisme et l’usage de la drogue en ne prenant aucune disposition pratique pour les interdire effectivement
  • empêcher l’expansion de la culture arabo-islarnique par la fermeture de toutes les « médersas » ou écoles arabes en Guinée sous prétexte de réhabiliter la culture et l’art africains
  • créer des troupes de chanteurs et danseurs composés de jeunes gens (garçons et filles) mal encadrés, dans le but cynique inavoué de mettre une boîte d’allumettes à côté de la poudre à feu. Avant la fin de la semaine artistique, l’on aura enregistré beaucoup de cas d’inconduite !

Mais tout cela ne suffit pas à détourner de la voie de Dieu, un peuple aussi religieux que le peuple de Guinée. Qu’est-ce qu’il faut donc faire ? Eh ! bien saper les bases-mêmes de l’Islam. Pour cela, il faut faire très attention ! Car en Guinée, il faut absolument compter avec l’Islam (90 % de la population). Oh ! ce n’est pas si compliqué, l’on peut croquer la chèvre de M. Kaïta sans se faire repérer. Prenons donc le bâton de pèlerin, montons dans le plus moderne des avions de guerre. Et hop ! En avant ! A la guerre contre les ennemis de l’Islam ! Commençons par créer la théorie de « Révolution et religion » ; des slogans tels que « l’Islam au service de la Révolution, l’Islam et le socialisme, la Révolution par le Prophète Mahomet, etc., pour entrer dans les bonnes grâces des souverains arabes et avoir des millions de dollars. Il faut passer aux yeux du monde musulman, pour le plus grand défenseur de l’Islam à travers le monde.
Il faut profiter de l’estime et de la confiance des Arabes, les Saoudiens surtout, pour souiller et profaner les lieux saints de Médine et de la Mecque, en envoyant chaque année, sous l’étiquette de pèlerins, des centaines de gens indignes (jeunes filles, artistes, agents de renseignements, tueurs à gage et même des personnes d’autres religions, etc.).
Il faut se faire élire dans les organismes internationaux de l’Islam en vue de miner le terrain à l’échelon du monde. Il faut enseigner les textes sacrés du Coran aux docteurs en théologie qui viennent de terminer leur millième séance de récitation du livre sacré, dont Sékou est incapable de lire la première sourate.
Il faut encourager intelligemment, soutenir la guerre irako-iranienne.
Voilà en gros comment le stratège guinéen a su mener la guerre contre Dieu et sa plus parfaite créature, l’homme.
Sékou disait souvent à ses intimes :
— Quand je hais quelqu’un, c’est jusque dans la tombe, et, même mort, je continue à le poursuivre.

20. Sékou aimait tyranniquement le pouvoir

D’inlassables recherches nous ont amené aux résultats suivants : Sékou Touré faisait trois à quatre heures de discours en moyenne par mois pendant trente ans (1954-1984). Pour garder si longtemps le pouvoir dans un pays au peuple « éclairé », il lui a fallu organiser :

  • 14 congrès du P.D.G.
  • 58 conseils nationaux de la Révolution
  • 274 congrès fédéraux à l’échelon des régions administratives
  • 548 conférences fédérales
  • 426 conseils régionaux de la Révolution
  • 8 400 congrès des sections
  • 192 000 congrès des PRL ou cellules de base du Parti
  • 58 conférences économiques nationales
  • 86 conférences administratives
  • 8 conseils supérieurs de l’Éducation
  • 78 rencontres inter-africaines
  • 32 sessions d’organismes internationaux
  • 474 conseils de gouvernement
  • 500 missions de bonne volonté à travers le monde
  • 210 discours dans différentes capitales du monde
  • 16 fois le tour du monde
  • 21 « complots » imaginaires ayant entraîné la mort de près de 50 000 personnes de toutes nationalités dont 90 % de Guinéens
  • 150 à 200 alertes à l’invasion des frontières créant le désarroi au sein du peuple profondément traumatisé
  • 48 semaines artistiques à travers le pays
  • 4 festivals culturels nationaux à Conakry
  • 3 réformes monétaires en 26 ans
  • des compétitions sportives
  • des défilés
  • des marches de soutien
  • des meetings populaires tous les 8 à 10 jours
  • de grands rassemblements populaires toutes les 12 heures
  • des campagnes agricoles : occasion de grande bombance et de copieuses libations création
  • des brigades mécanisées de production (MMP) et des fermes agro-pastorales d’arrondissement (FAPA)
  • des centaines d’heures dites de surproduction à l’occasion de chaque premier Mai
  • une centaine de séminaires de formation idéologique à l’intention des cadres du Parti dont 16 furent destinés aux étudiants des classes terminales de l’Université guinéenne
  • des créations nouvelles dans la structure économique et financière :
    • SMDR (Société Mutuelle de Développement Rural)
    • CGCI (Comptoir Guinéen du Commerce Intérieur)
    • CGCE (Comptoir Guinéen du Commerce Extérieur)
    • Magasin général OCA (Office de Commercialisation Agricole)
    • ERC (Entreprise Régionale de Commerce)
    • ECOMA (Entreprise Commerciale d’Arrondissement)
    • ERCOA (Entreprise Régionale de Commercialisation Agricole)
  • des sociétés sectorielles qui ont vécu la vie d’une rose épanouie
    • qSECOFI
    • OCOFI
    • COFICOM
    • SERCOM
  • une centaine d’entreprises nationales, toutes aussi déficitaires les unes que les autres des centres de promotion féminine (CPF)
  • une quinzaine de réformes d’enseignement des discours du « Responsable Suprême de la Révolution » réunis dans 26 tomes et 30 brochures appelées RDA, « Révolution Démocratique Africaine»

A ce bilan auquel s’ajoute l’insécurité permanente pour tous les Guinéens, qui regardent la grande mosquée Fayçal de Conakry, l’Hôtel de l’Indépendance et le Palais des Nations comme les seules réalisations de Sékou Touré.

21. Sékou était un imposteur

En voici une petite preuve. En première étape, Sékou Touré supprime le commerce privé aux étrangers en les invitant à investir leurs fonds dans les activités industrielles : « le commerce aux Guinéens, l’industrie aux Étrangers ».
— Entendu !disent les Libano-Syriens, mais nous autres ne connaissons que le commerce et nous sommes étrangers. Que devons-nous faire ?
— Eh bien ! prenez la nationalité guinéenne , avait dit le Président.
Enthousiastes, tous les Lybano-Syriens, dans un mouvement de masse, emploient force corruption pour se faire délivrer les papiers nécessaires à la nouvelle nationalité. Tout est donc prêt ! Guinéens à part entière, ils se croient être dans les normes exigées pour faire le commerce privé. Mais que va-t-il se passer ?
Le Président proclame une nouvelle guerre contre le « démon argent », contre « Cheytâne 75 ». Plus de commerce pour qui que ce soit : Guinéen ou Etranger. Un poids, une mesure. Tout le monde à la terre !
Embarrassés, ne sachant plus où donner de la tête, certains ex-Liban-Syriens vont voir le Président :
— Comment allons-nous vivre, camarade Président, quand vous nous barrez la route de tous côtés ? Les choses étant ce qu’elles sont, nous vous demandons l’autorisation de nous laisser partir, de rentrer dans notre pays où, certainement, l’on aura besoin de nos services, car il y a la guerre chez nous.
— Ah, Ah ! vous êtes bien perdants messieurs ! Comment osez-vous me parler ainsi alors qu’en tant que Guinéens, vous jouissiez pleinement des mêmes droits que les Sylla, Touré, Bilivogui, Kaba, Bangoura, Sanoussi, Bah, Tolno ou Kolié ? Vous voulez fuir les difficultés de votre patrie, la Guinée, je ne vous en donnerai pas l’occasion ! D’ailleurs, je suis en droit de vous poursuivre pour tentative de fuite et je vous demande d’arrêter vos balivernes. Cessez de m’échauffer les oreilles et sortez de mon bureau !
Tout penauds, les Libano-Syriano-Guinéens sortent du Palais présidentiel. Et, « pantalon de moriba » chiffonné, ceinture montée et attachée au ventre, traits tirés, chaussures « peti » en cuir du Fouta aux pieds, chemise « donkafèlè » au col noirci par la sueur avec des boutons sautés, voilà nos frères « foté » ou Blancs des jours de gloire de la colonisation avec les périodes de traite et de soudure dans les campagnes de Boké, Boffa, Dubréka, Forécariah, Kindia, Mamou ou Labé. Les voilà nostalgiques des boutiques achalandées d’autrefois avec Mamadou comme vendeur, Fanta comme bonne, Abdou comme cuisinier, Ibrahima comme domestique, Monsieur et Madame Hizazi comme patrons tranquillement assis, en train de siroter leur traditionnel café et parlant sans arrêt un patois asiatique inaccessible au commun des mortels. Ils se rendent dans leurs vieilles « baraques », cherchent à se métamorphoser en véritables Guinéens ne parlant que les langues guinéennes et, en Arabes musulmans, s’achètent un tapis de prière.
Oh ! Dieu de miséricorde ! une longue nuit et un long calvaire commencent ainsi pour ces Guinéens spéciaux, qui pratiqueront tous les métiers du monde pour pouvoir vivre : vendeurs de patates, d’arachides, d’emballages vides, de bouteilles, de manioc sec, de bois de chauffe, de bonbons, etc., etc.

22. Un mauvais calcul

Comme Ramadier, le dernier gouverneur de la Guinée française, qui organisa la suppression de la chefferie traditionnelle dans le but d’inciter les populations à se révolter contre Sékou Touré, le dictateur de Conakry échoua lamentablement dans son dessein cynique de réduire tous les Guinéens à la mendicité, à la médiocrité.
Jamais Dieu d’Abraham, de Moïse, de Jésus et de Mahomet ne se contredit : les mauvaises intentions desservent toujours leurs auteurs.
Sékou Touré a voulu couvrir d’opprobre les plus dignes fils du pays, les accusant de haute trahison. Il les a couverts d’opprobre un petit moment, en disant au peuple de Guinée « voici tes bourreaux ». Il a tout sacrifié pour que le peuple de Guinée et les autres peuples l’immortalisent. Il a voulu se tailler une place dans l’histoire sur le dos des innocents. Là au moins il a réussi à entrer dans l’histoire mais par la fenêtre ! L’on parlera longtemps de Sékou mais dans quel sens ?
L’histoire impartiale, rétablissant la vérité et la justice, n’a-t-elle pas réhabilité sur le cadavre (hypothétique) de Sékou toutes celles et tous ceux que le sanguinaire de Guinée a voulu immerger dans la poubelle de l’histoire ?

23. Sékou n’oublie pas et ne pardonne pas

Les exemples sont très nombreux, mais signalons un seul cas. Au cours d’une conversation entre Sékou et Balla Camara, le Président, qui vient d’arrêter docteur Maréga s’explique :
— Tu sais Balla, c’est le père de Maréga qui m’a renvoyé de l’école 6. Son fils doit payer cet acte à la place d’un père, instituteur trop sévère.
— Je suis surpris de te savoir si vindicatif, mais enfin chacun a ses insuffisances !
— Tu trouves ça une insuffisance, le fait de me venger d’un ennemi ?
— Soit, je veux savoir si ta vengeance sur le fils ne dépasse pas le tort que le père t’a causé ! Pour moi, on ne doit pas punir un homme pour une faute qu’un autre a commise. Le Coran est formel sur ce principe.
— Suffit ! arrêtons ces considérations.

24. Sékou parle de Dieu pour tromper Dieu et le peuple

S’il a eu l’adhésion de tout le peuple de Guinée au P.D.G.-R.D.A., si les militants Soussou ont tout sacrifié pour que le Parti prenne pied en Guinée, cela est essentiellement dû à deux situations :

  1. La grande tolérance de l’autorité coloniale, qui respecte ses engagements7, les droits de l’homme et du citoyen depuis la déclaration officielle de ce principe sacré par la Société des Nations ; la libre jouissance de tous les droits que Dieu et les hommes sérieux reconnaissent à l’homme (liberté d’opinion, d’expression, d’association, de réunion, droit de grève au travailleur, etc.), ont permis à Sékou de s’infiltrer dans les rangs d’un Parti et d’y faire progresser ses idées sataniques sous la protection de la démocratie occidentale.
  2. La spiritualité et la très grande ferveur religieuse du peuple de Guinée ont été très profitables au leader du P.D.G. dont les propos humbles, allégoriques et optimistes ont fini par mobiliser le peuple tout entier.

Dans la fièvre des campagnes électorales, l’enthousiasme provoqué par les tonitruants propos d’un tribun captivant, a empêché le peuple de Guinée de voir de près, d’écouter avec les deux oreilles les déclarations flatteuses et de suivre fidèlement avec l’esprit critique le comportement de cet inconnu sorti on ne sait d’où, propulsé de l’anonymat par la volonté du Sage Créateur de l’univers. Il jouera essentiellement sur les cordes sensibles de son instrument, le peuple : évoquant, de triste mémoire, les excès du pouvoir colonial, l’effort de guerre ayant entraîné les fournitures obligatoires, il sensibilisera le peuple par le propos suivant :

« Malgré ses 90 % d’adeptes, la religion musulmane ne bénéficie d’aucun appui des autorités coloniales, alors que l’église catholique reçoit des subventions pour le développement, le rayonnement et l’expansion de la foi à travers les écoles privées, centre de formation ménagère, séminaires. »

D’autres discours devaient gagner tout le monde.

« Ouvriers des villes ! Paysans des campagnes !
Ouvrez les yeux ! Prenez conscience de votre état ! Les différences de traitement entre vous et les blancs, entre un planteur africain et un blanc ! Femmes et jeunes de Guinée, qu’attendez-vous pour conquérir vos droits, méconnus ou bafoués par des maris et des pères inconscients, esclaves de l’esclave ?
Révoltez-vous ! C’est votre droit ! Un parti est né pour vous ! Pour défendre vos intérêts ! Exigez votre indépendance qui n’a que trop duré pour venir ! Vous êtes la force vive du pays, la sève nourricière, l’oxygène vivifiant de l’homme et de la femme de Guinée !
Venez au P.D.G. ! vos maris et pères seront obligés de suivre ! Et vous autres fidèles musulmans de Guinée ! Qu’attendez-vous pour exiger la réhabilitation de votre sainte religion ? Comment pouvez-vous correctement pratiquer votre foi si les libertés les plus élémentaires vous manquent ? A 6 h du matin, au lieu d’aller à la mosquée pour la prière, le garde « foroko » vous conduit au champ du commandant en vous rouant de coups de « maligbolo » (ou gourdin).
L’ère de la liberté a sonné à chaque porte. A chacun d’en profiter ! Le P.D.G. est le Parti de Dieu de ceux qui ne comptent que sur Dieu des « misquine » (pauvres) qui vivent à la sueur de leur front. Aujourd’hui, nous n’avons rien vous et moi, tandis que les autres leaders sont des vendus que les blancs ont achetés contre vous.
Barry Diawadou a, lui seul, avalisé plus d’un milliard de francs C.F.A., monnayant ainsi votre liberté et votre dignité ! Pas d’alternative, pas de choix entre Dieu et Satan ! Dieu c’est la justice, Satan c’est l’argent. Dieu c’est l’incarnation du vrai, du beau ; c’est donc le P.D.G., son leader, véritable expression de votre volonté, qui sauront défendre vos intérêts longtemps bafoués. Levez-vous donc et en avant !»

Ces quelques propos mobilisateurs prouvent éloquemment la haute trahison de Sékou Touré. L’histoire doit retenir une vérité qui se vérifie chaque jour, surtout depuis sa mort. En effet, menacés, injuriés, humiliés, traînés dans la boue par le P.D.G., trois hommes politiques ont lancé à la face des assaillants, commandos du parti (P.D.G.), deux propos que les Guinéens répètent encore aujourd’hui avec le regret de n’avoir pas compris à l’époque le sens profond de telles prophéties.

Barry Diawadou, Fodé Mamoudou Touré et Almamy David Sylla ont tous trois, à des endroits différents, déclaré :

« Aujourd’hui c’est une seule partie du peuple de Guinée qui nous a insultés ; demain Sékou, lui, sera insulté par tout le peuple de Guinée ».

Almamy David a complété en disant :

« Il ne faut pas en vouloir à ceux qui nous ont insultés, car ce sont les mêmes qui vont à Sékou adresser les pires injures. Cela se fera un jour s’il plaît à Dieu ; le peuple entier honorera ce jour-là notre mémoire, car nous serons peut-être déjà morts ».

Fodé Mamoudou a dit aux populations de Forécariah et Barry Diawadou l’a répété à Mamou :

« Vous ne me comprenez pas aujourd’hui parce que enveloppés dans le manteau de Satan l’ingrat. Lorsque vous réaliserez que Sékou est en train de vous tromper, ce sera trop tard et, à ce moment, vous me chercherez partout, vous allumerez en plein jour des torches et, en vérité je vous le dis, vous ne me verrez pas. Ce sera trop tard…»

Une version assez répandue à Kankan soutient que Sékou aurait fait tuer son vrai père, un garde-cercle qui servit longtemps dans cette ville, et que le nom Fadiga que porte sa mère serait plutôt le nom de famille de la femme qui l’a élevée, son homonyme. Mais la version la plus courante, la plus connue et la plus crédible est la suivante :

Un certain Sidi Mohamed, grand marabout maure serait arrivé à Kissidougou, dont les vieux lui auraient demandé un travail divinatoire d’invocations et de prières à Dieu. Il aurait entrepris un ermitage de 40 jours, réclusion au sortir de laquelle il aurait constaté l’état anormal de sa femme (cette Guinéenne du nom de Minata serait mariée à ce marabout suivant la coutume des maures, commis-voyageurs, propagateurs de la foi à travers l’Afrique sahélo-soudanienne qui, s’abstenant de commettre l’adultère, se marient temporairement à nos sœurs tout juste pour la période de leur mission ; ils laissent la « mariée circonstancielle » en rentrant en Mauritanie).
Interrogée, Minata aurait dénoncé un certain Kouyate, boucher de son état. C’est donc celui-ci qui serait le vrai père de Sékou Touré et non Alpha, autre boucher qui aurait marié, en secondes noces, la jeune femme après le départ du marabout et sur accord de Kouyate, à qui sa main aurait été refusée par les anciens à cause de l’acte amoral dont il s’est rendu coupable en mettant Minata en grossesse.
Avant de partir de Kissidougou, précisément d’Albadaria, le grand marabout aurait annoncé l’avenir lumineux de l’enfant que Minata porte dans son sein. Ce n’est donc pas très surprenant que Sékou Touré soit un boucher, car il a bien eu, dans sa vie deux bouchers, son père et son oncle-tuteur. Mais l’on suppose que ceux-là tuaient des bœufs et non des hommes… C’est la « petite différence » entre Sékou et ses parents bouchers !

25. Le tyran n’avait aucune consideration pour ses collaborateurs

En réunion du Bureau Politique National du P.D.G., Sékou se moquait si royalement de ses collègues (qu’il considérait comme ses petits élèves), que son langage vis-à-vis d’eux n’était pas celui d’un sage idéologue mais plutôt d’un maître absolu, qui a laissé très loin derrière tous ses anciens camarades d’hier.
Comme rafraîchissant, il commande du jus de fruit marque « Fruitaguinée », de qualité médiocre pour tous ses collègues et du tonic pour lui seul. Comme cigarettes, il fait venir du milo pour tout le monde, des blondes étrangères pour lui 8. Un jour, un collègue refuse le mauvais jus de fruit en exigeant du tonic. Sékou demande donc un second tonic au garçon et dit au collègue du B.P.N. :
— Pourquoi te singularises-tu ? Sache que moi, Sékou, je suis la plus belle partie de notre parti, le P.D.G. ; or, le Parti est la meilleure partie du peuple ; le Parti, le peuple et moi ne faisons donc qu’une seule et même entité dialectique indissociable ».
Hitler ? Staline ? Mussolini ? Franco ? Que sais-je !

26. Mais, pour autant, ses collaborateurs étaient-ils innocents ?

Au cours d’une réunion du gouvernement, le Ministre Faraban Camara donne des conseils d’ordre général à ses collègues :
— Avec un esprit d’équipe, la main dans la main, par un travail collégial, nous conduirons à bon port le bateau de la Révolution économique et sociale. Évitons de déifier un homme, de faire génuflexion devant lui. Acceptons en camarades la discussion, source de lumière.
Moussa Diakité, un allié des Touré, un ministre fantoche, porte-bouilloir de Sékou Touré, prend la parole après avoir tapé sur la table :
— Du calme Faraban ! tous, nous avons le sacré devoir de nous plier, même en quatre, devant cet homme exceptionnel, ce don de Dieu, cette fierté de l’Afrique combattante. C’est à lui que nous devons tout, jusqu’à la vie.
— Avant hier, nous étions des égaux ! Hier, il (Sékou) fut choisi supérieur des égaux ! Aujourd’hui, il est sans égal !, devait préciserDamantang Camara, autre laquais du régime clanique des Touré.
Pour préparer la succession de Sékou Touré, Ismaël Touré n’a reculé devant aucun crime. Quantité de marabouts ont travaillé des nuits durant en vue de consolider le P.D.G., de pérenniser le régime tribal que dirigent depuis un quart de siècle Sékou Touré et ses complices. Un marabout n’avait-il pas dit à Ismaël que tous les signes lui étaient favorables pour être président de la République à condition qu’il « trouve » la tête d’une femme « populaire » en vue d’un truquage occulte. A cette fin, Ismaël convoqua deux cadres, dont le Secrétaire fédéral Mohamed Keïta, leur demanda de déterrer le cadavre de Hadja N’Gameh Touré, responsable féminine de Conakry I, récemment décédée. Mais Mohamed ne voulut pas prendre cette lourde, responsabilité devant l’histoire. C’est pourquoi, au lieu d’exécuter la volonté d’Ismaël, il fit plutôt monter la garde autour de la tombe de l’ancienne présidente de Conakry I.
Quel est le seul ministre guinéen que le tyran n’a pas tenté de mêler à ses crimes ? Il y en a pas à notre connaissance. Cependant, si certains ont été, de leur propre chef, directement mêlés à la gestion de la tragédie, d’autres ont intelligemment joué le jeu sans se compromettre. Sont de cette catégorie d’hommes dignes :

  • El-Hadj Salifou Touré
  • Fodé Mahamoudou Touré
  • Boubacar Diallo
  • Sy Mamoudou
  • Mamouna Touré
  • et tant d’autres cadres

Mamourou Touré, ancien chauffeur, nommé ambassadeur de Guinée en Sierra-Léone (c’est sa chance, son destin) a commis tellement de crimes que nous sommes obligés de rappeler un seul cas où la trahison de l’homme apparaît sans aucun doute. En effet, un jour, son Excellence Monsieur l’ambassadeur demande au jeune gendarme Sékou Sané, opérateur à l’ambassade de Guinée à Freetown, de l’accompagner jusqu’au poste frontalier de Pamelap. Sané, sans arrière-pensée, se blottit dans un coin de la Mercedès de son Excellence et, en avant ! marche ! roule ! roule !… Les voici à Pamelap ! Arrêt obligatoire au poste en attendant que les agents dégagent la voie à la voiture diplomatique.
— Je vous souhaite bon voyage, Excellence ! Vous direz bonjour à ma famille si ma femme a l’occasion de vous rencontrer !
— Écoute Sané ! Viens avec moi à Conakry, où j’aurai besoin de toi ! Nous en aurons tout juste une semaine !
— Mais… Excellence, je ne saurai me présenter ainsi ni à ma famille (je n’ai pas un « rond »), ni à l’État-major (pour des considérations de service). Je vous prie de me débarquer comme vous l’aviez promis à Freetown !
— Non et non ! maintenant, c’est un ordre ! Tu viens avec moi à Conakry. De l’argent de poche, je t’en donnerai… et pour ta famille aussi…
Oh ! Dieu de misécorde ! c’en est fini de Sékou Sané ! L’ambassadeur Mamourou Touré le fera arrêter aussitôt qu’ils arriveront à Conakry et… pour un motif… qu’on ne saura jamais. Après sept ans au Camp Boiro, sans avoir été un seul jour interrogé par aucune commission, Sékou Sané, libéré avec plusieurs maladies, est aujourd’hui « bon à rien ».
En dehors des milliers de crimes de toutes sortes qu’il a commis, Siaka Touré a laissé un triste souvenir à un groupe de femmes de détenus, en déclarant :
— Si vos maris avaient eu le dessus sur nous, tous, impitoyablement, nous aurions été liquidés par eux. Maintenant que c’est nous qui avons le dessus, notre devoir est de leur faire subir le sort qu’ils nous réservaient… D’autre part, tenez-vous tranquilles, chères beautés. Et sachez que c’est la guerre civile qui ravagera ce pays dès que le coeur du « Responsable Suprême de la Révolution » cessera de battre.
Quelle prophétie cynique !

27. Sékou ne comptait que sur ses fétiches

Un jour, dans une nuit noire du 2 septembre 1975, Sékou se rend au serpentorium de Kindia, accompagné d’un médecin et d’un marabout de Souguéta (Kindia). L’ordre est donné à un jeune médecin — troisième témoin de cette affaire — de faire venir les « danseurs ». Quelques minutes plus tard, la petite compagnie vérifiera le diction des anciens : « la curieuse curiosité ne profite qu’au curieux ». En effet, l’on assiste à une scène de « bagarre » entre deux serpents appelés « Koulé-Séguè » en langue soussou (ou « qui mord le singe »), leDendraspis ou couleuvre. Une souris sert d’appât aux serpents qui se livrent une guerre sans merci, laissant la pauvre souris de côté, proie que chaque combattant entend avaler après la victoire sur l’adversaire. Le combat fini par deux certificats de décès : les serpents se sont entre-tués, laissant en vie la souris mourant de peur.
Le marabout, organisateur de cette tragédie déclare, satisfait de son travail :
— Dieu soit loué, camarade Président, vous avez vaincu tous vos ennemis, et sans crainte, soyez ! Vous régnerez longtemps encore ! Je vous apprends un secret qui vous fera certainement plaisir. Vous avez si bien « ceinturé » votre pouvoir qu’en définitive vous avez consolidé celui de votre successeur. Stabilité et paix seront les compagnes de « l’homme » qui viendra après vous.
— Que voulez-vous dire, Karamoko ?
— Allahou Akbarou ! Dieu est grand ! Vos travaux occultes vous maintiendront longtemps au pouvoir mais, aussi, consolideront votre successeur ! Soyez donc heureux d’avoir fait le bonheur de ce peuple aussi bien « devant que derrière ».
Sékou ne dit donc plus rien, heureux de savoir que son étoile est toujours brillante et malheureux d’apprendre qu’inconsciemment il a solidement préparé sa succession.
Mais, à chaque problème, il y a une ou plusieurs solutions. Sékou est un champion des solutions rapides. Depuis ce jour, il prit la décision de ne laisser le pouvoir qu’à lui-même, c’est-à-dire à son « fils » Mohamed. « Travailler pour son fils est une action noble ». Mais comment léguer un pouvoir démocratique à des héritiers comme le fait aisément un féodal ? La Guinée est une République où le Président est élu pour sept ans. Ce n’est donc pas impossible de donner le pouvoir à Mohamed, ce garçon de 23 ans, lui-même père d’une dizaine d’enfants naturels. Mais ce ne sera pas facile. Sékou le sait bien. C’est pourquoi il prépare le terrain comme un laboureur, défriche et nettoie le champ avant de l’ensemencer. Il monte, comme d’habitude, un scénario de complot qui devra « déblayer » totalement et définitivement la route à l’adolescent qui règne déjà en maître au Ministère des Finances où le pragmatique, doux, prudent, attentif, intelligent, austère, ascète et consciencieux Fodé Mamoudou Touré sait que Sékou refuse de le laisser aller à la retraite simplement pour qu’il forme « financièrement » 9 le jeune Mohamed, futur second dictateur du pays.

Mais l’homme propose, Dieu dispose ! L’opinion est alertée. Le pseudo-complot est annoncé avec bruit. Les rideaux sont ouverts sur certains acteurs. Les autres attendent dans les coulisses. Ils sont naturellement plus nombreux. Les spectateurs suivent avec amertume le début de cette nouvelle tragi-comédie sékoutouréenne.
Paf ! Les rideaux tombent ! Les lampes s’éteignent ! L’obscurité devient totale ! L’opération de purge est momentanément arrêtée ! Le grand et excellent « exécuteur » des complots, le doux et pacifique bourreau de Boiro, sa grandeur Himmler Siaka Touré vient de faire un faux pas qui l’a conduit dans un hôpital de Rabat où se trouve également couché le Général en « carton »Lansana Diané.
En attendant que le « grand chirurgien » se rétablisse, pour continuer « l’opération cardio-pulmonaire », son patron, le grand théoricien et le parfait praticien, son altesse « impériale » Touré Adolphe Sékou Hitler Ahmed Mussolini, se promène à travers le monde.
Le dictateur revient le mercredi 20 mars 1984, convoque une dernière réunion de foules au Palais du peuple le jeudi.
Oh ! puissance ! grandeur ! sagesse ! Dieu d’Abraham, de Jacob, de Moïse, de Jésus, de Mahomet ! L’un des plus grands événements de ce dernier quart du 20e siècle vient de se produire ! Sékou Touré, qu’une dilatation aortique menaçait depuis longtemps (il n’a jamais eu de médecin traitant parce qu’il n’avait confiance en personne, faisant ses injections lui-même), souffre, souffre. Il met la main sur sa poitrine, il tente de crier le slogan habituel, mais en vain ! Il rentre à la maison où seule sa famille garde son contact. Son ami Béa est informé. La maladie et le mal gagnent du terrain. On veut et on essaie de cacher le douloureux et inquiétant évènement.
Cependant, la vigilance n’est pas un mot d’ordre exclusif au P.D.G. ! Les rescapés des tristes géôles l’enseignent aussi ! Certains suivent donc le désarroi de la famille « impériale », les démarches du 1er Saoudien auprès du 1er Marocain pour l’obtention de l’avion-clinique de ce dernier, le transfert de l’illustre malade à la Case de Belle-Vue, les attermoiements des membres de la petite famille Touré, le refus du « grand malade » d’aller aux ÉtatsUnis d’Amérique pour des soins. Le décollage, le voyage, les premiers soins à l’arrivée, la réception, l’admission à la clinique, l’opération, réussie ou ratée !

Enfin, c’est la fin tant attendue !
Une clarté se répand comme dirait le poète sur l’univers tout entier. Les oiseaux cessent de voler, les poissons quittent les eaux pour la terre ferme, les hommes vont sur Mars pour danser avec les martiens, les anges sortent des nues par dizaines, centaines de millions pour peupler une planète qui s’est subitement agrandie. Quelle nouvelle !
Le monde vient d’être libéré d’une figure. Le dictateur guinéen, « Responsable suprême de la Révolution », commandant en chef des forces armées populaires et révolutionnaires, secrétaire général du Parti « dictatorial » de Guinée (P.D.G.), Président de la République populaire et révolutionnaire de Guinée, son Excellence Ahmed Sékou Touré vient de mourir dans une clinique aux États-Unis d’Amérique. Mauvaise mort ou belle mort, l’essentiel est fait. L’humanité est à jamais débarrassée d’une gangrène virulente. Binn ! bann ! binn ! bann !
C’est le coup frénétique du grand tambour « impérial » annonçant la fin d’un homme, d’un parti, d’un régime ! A l’annonce de la souhaitable disparition du tyran, ses deux pseudo-parents hospitalisés à Rabat s’interrogent sur les conséquences de cet événement. Mais l’un d’eux, le général Lansana Diané, avec la traditionnelle franchise grandiloquente qu’on lui connaît, laisse tomber l’expression de soulagement, oubliant que Docteur Barry Ibrahima Kandia était là, une victime de Sékou, de son P.D.G. et, aujourd’hui, un témoin de l’histoire : «
— Dieu merci ! Sékou est mort dans un lit ! Dieu merci ! La Guinée aussi est libre.

Les cérémonies funèbres seront grandioses car le dictateur avait tout prévu ! Tous les Guinéens attendaient la mort du tyran pour trois raisons essentielles :

  1. Sa mort mettrait fin à la dictature qu’il a exercée pendant un quart de siècle sur le peuple martyr de Guinée. La dictature prenant fin avec le dictateur, les implications de la tyrannie ainsi que les supports du système (Parti, Révolution, « duperie socialiste ») s’envoleraient pour laisser la place à la liberté et à la démocratie. Il n’y a pas eu déception dans cet espoir pleinement réalisé par le Comité Militaire de Redressement National (CMRN) depuis le 3 avril 1984.
  2. Le peuple croyant de Guinée, fort riche des enseignements coraniques, savait avec conviction que le Tout-Puissant si bon, si clément, si juste, ne mettrait jamais fin à une dictature pour instaurer à sa place une tyrannie. « Après la pluie, le beau temps ». Ceci s’est aussi vérifié par le nouveau régime en place en Guinée depuis le 3 avril 1984. Le CMRN a décrété le pardon pour l’ensemble des crimes et torts causés aux uns et aux autres. La paix et la tranquillité règnent partout en Guinée du Président Lansana Conté.
  3. Le peuple de Guinée attendait avec impatience la mort, du moins la disparition du dictateur guinéen pour pouvoir vérifier le bien-fondé de la parole prophétique du « Responsable Suprême de la Révolution » qui a crié sur tous les toits qu’aucun Guinéen ne verrait sa tombe ni même ne constaterait son statut d’ancien chef d’État.

C’est sur ce chapitre que le doute plane encore. Surtout quand on a assisté à l’enterrement de Sékou Touré, l’on comprendra davantage le mystère de Dieu qui refusa d’humilier de son vivant celui qui humilia et méprisa un peuple qui l’a profondément adoré.
Les Marocains, « oulémas ou para-commandos » jouèrent pleinement un rôle qui semblait si bien assimilé qu’ils l’exécutèrent presque littéralement, sans faiblesse ni concession. Le peuple de Guinée a été profondément déçu du fait que les Marocains, rien qu’eux, aient formé le plus infranchissable cordon autour de la dépouille mortelle, exerçant une vigilance incompréhensible autour d’une caisse au contenu très contesté (dimensions très réduites contrastant avec la taille de l’illustre disparu, aucune fenêtre n’est pratiquée sur la caisse alors que d’ordinaire, la figure du défunt est visible à travers une fente, fermée par une glace transparente).
Aucune possibilité n’a été donnée à un Guinéen, à une Guinéenne, à un ami du Bureau politique du P.D.G., à un vieil ami, compagnon de lutte depuis trente ans, à un collègue chef d’Etat, à un frère bien aimé, à une soeur chérie, à une épouse éplorée, à un fils ou à une fille en deuil, de voir pour la dernière fois cette figure que pourtant le peuple de Guinée voulait admirer encore, sincèrement.
Car même mort Sékou a continué à exercer sur son peuple, et sur d’autres peuples aussi, une influence terrible. Quand des légendes ont été bâties sur des leaders « demi-dieu », dictateurs de leur état, il n’est pas facile de les démystifier. Même quand le peuple assiste à l’enterrement d’un tyran, il ne le croit pas mort. Jusqu’au moment où nous mettons ce livre sous presse, des milliers de Guinéens, surtout de Guinéennes de peu de foi, ne sont pas encore convaincus de la mort de Sékou Touré :
— Il n’est pas mort, il s’est caché quelque part aux États-Unis d’Amérique pour assister au jugement que lui réserve l’histoire après sa mort »
— Il veut savoir ce que l’histoire lui réserve, après tant de combat pour pouvoir se « tailler » une place parmi les plus grands de la terre.

Astakhfiroulah, que le Tout-Puissant pardonne nos péchés ! Penser ou dire que Sékou n’est pas mort, c’est commettre le péché le plus grave pour un musulman : l’hésitation entre Dieu et Iblis ou Satan.
Les élus, messies, prophètes, amis sincères de Dieu, ne sont-ils pas morts ? Et ses pires ennemis tels que Chaytâne, Namrod, Pharaon (qui a eu affaire avec le prophète Moïse), où sont-ils ?

  • Bons ou mauvais, tous les hommes sont mortels.
  • Or, Sékou Touré est un homme par nature.
  • Il est donc mortel ».

28. Une carte d’identité énigmatique

Sous sa propre dictée, les autorités de la police délivrent à Sékou, après en avoir vérifié l’authenticité sur son extrait de jugement supplétif tenant lieu, d’acte de naissance. La carte d’identité ainsi libellée : Sékou Touré, né vers 1922 à Faranah, cercle de Dabola. Fils de Alpha Touré et de Doussou Touré. Comptable domicilié à Sandervalia, Conakry.
État civil relevé le 20 juin 1939 à Conakry, à l’occasion de la délivrance d’un certificat de bonne conduite et moeurs à Sékou qui préparait un concours. Le 28 décembre 1949, Sékou se fait délivrer la carte d’identité suivante : carte d’identité no. 14.043 du 28.12.1949 délivrée à M. Sékou Touré sous le même état civil que celle du 30.06.1949 citée plus haut. Le seul changement est : comptable au trésor au lieu de comptable tout court.
Carte d’identité no. 17.526 du 3 novembre 1950 également libellée de la même manière que les précédentes. De même, les tribunaux de Conakry connaissent Sékou comme étant fils de Alpha Touré et de Doussou Touré au lieu de fils d’Alpha Touré et de Aminata Fadiga.
C’est sous le premier état civil qu’il a été condamné à six jours de prison avec sursis et 200 francs d’amende le 14 juin 1950, par le tribunal correctionnel de Conakry, pour infraction à la loi relative au droit de grève. Le bénéfice de grâce a été conditionné par le paiement de l’amende.
Également condamné le 20 février 1956 à 10 000 francs métro d’amende avec sursis pour diffamation et injures publiques, par la cour de Dakar. Pourvoi rejeté par arrêté du 5 janvier 1957 de la cour de cassation.
L’on se demande les raisons de ces deux noms différents pour désigner la mère de celui qui a étonné, mobilisé et trompé tout le monde aussi bien de son vivant que pendant une semaine encore après sa mort. Les prénoms Aminata et Doussou seraient-ils des synonymes ? Non ! affirment les ethnologues. Avec Sékou Touré, les historiens auront du pain sur la planche. Mettez-vous donc résolument au travail et donnez-nous le vrai nom de la mère de Sékou. Non pas parce que nous voulons nous occuper de la petite histoire, mais par simple souci de vérité historique, nous estimons indispensables la connaissance et l’interprétation de chaque acte de l’homme qui, encore aujourd’hui, malgré les preuves accablantes contre lui et son régime, a plus d’un admirateur en Guinée, en Afrique et dans le monde.

29. Qualité ou défaut ?

Pour garder le pouvoir comme un bien précieux à préserver par tous les moyens, Sékou écoutait beaucoup, ne minimisait rien. Prudent, il ne sous-estimait aucun adversaire potentiel, si petit, si jeune soit-il. Homme pratique et réaliste, il prenait toujours les devants dans toutes les situations.
Il protégeait ses parents, dont il préfère les défauts aux qualités des autres. Il prenait pour argent comptant tous les « racontars », tous les « ragots » de sa famille. Ses oncles d’Albadaria (Kissidougou) faisaient et défaisaient la vie des gouverneurs de Kissidougou.
L’exemple le plus regrettable à notre connaissance est celui du gouverneur Elhadj Koita Almamy qui avait simplement demandé à ses administrés d’Albadaria de fournir les « normes » comme tous les militants du Parti et d’éviter de compter sur leur neveu (Sékou) qui n’est qu’un mortel. C’est cette expression que les oncles du « Fâma » (Empereur) 10 ont grossie, extrapolée pour réclamer la tête de ce vieux compagnon de leur neveu, un fondateur du Parti, compagnon de l’indépendance, médaille d’honneur du travail.
Sans vérification aucune, sans confrontation, Elhadj Koita, plus de 10 ans Secrétaire fédéral (1er Secrétaire du Parti à l’échelon régional), 16 ans de commandement dans les fonctions de gouverneur, reçoit un télégramme du Chef de l’État le mutant et le sommant de rejoindre immédiatement son nouveau poste Boffa, d’où il sera, quelques mois plus tard, relevé de ses fonctions, mis à la retraite d’office. Quelle comédie !
Sékou savait utiliser tout le monde, car il faisait de tout bois son feu. Il était sans gêne devant les situations « morales ». Par exemple, Sékou ne croit pas avoir fait mal quand il a manqué un rendez-vous. Mentir pour lui n’est point un défaut mais une tactique noble et louable pour parvenir à ses fins. De même, le vol, la tricherie, la trahison ne sont que de simples mots dont la pratique n’est point condamnable.
Disciple de Machiavel, il a pratiqué la violence jusqu’à sa mort. Tous ses collaborateurs enlevèrent le chapeau pour lui à cause de sa force de travail, qui n’a d’égal que sa volonté d’être au courant de tout, de diriger, d’orienter tout, donnant ainsi l’impressioêtre ce que Béa et autres laquais ont dit de lui : « l’homme-dieu ».
Il avait une capacité extraordinaire de « camouflage ». Très rusé, en écoutant ses interlocuteurs, il fait semblant d’être distrait alors qu’il « enregistre, emmagasine » tous les propos dont il s’ait rapidement analyser les moindres nuances.
Il lisait beaucoup et, finalement, avait beaucoup retenu, car il avait une mémoire d’éléphant.
Grand physionomiste, il se rappelait toutes les « identités » perdues depuis de nombreuses années, par un « simple regard jeté sur la figure ». Il ne mangeait jamais seul, l’on se demande les raisons de ce comportement.
De bonne foi, il acceptait toutes les corrections nécessaires sur ses écrits.
Il s’est caché dans toutes les forêts pour ne être découvert avant sa mort.
Dès qu’il se rendait compte qu’un cadre avait découvert ses activités maçonniques, il le prenait aussitôt pour un camp de concentration.
C’est ainsi qu’aujourd’hui encore, malgré les informations objectives sur le régime du dictateur guinéen, bon nombre de dirigeants de pays étrangers et pays africains prennent Sékou pour le véritable héros de l’indépendance africaine. En tout cas, l’extérieur continue à garder pour lui une admiration qui frise l’amitié. C’est pourquoi une campagne africaine et internationale doit être organisée en vue de dénoncer systématiquement Sékou Touré et son régime qui ont lâchement assassiné des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants pour un pouvoir, un parti qui ne sont aujourd’hui que vague et triste souvenir dans le coeur des Guinéens.
Répétons donc avec Montesquieu : « L’homme dont les cinq sens lui disent qu’il est tout et que les autres ne sont rien est un paresseux, un « voluptueux ».
Et ce philosophe avait poursuivi : « Le plus fort n’est jamais assez fort pour continuer toujours à régner en maître s’il ne transforme la force en droit et l’obéissance en devoir ».
Mais écoutons Jacques de Larue, dans son livre intitulé « L’histoire de la Gestapo ». « Comme vous voyez, chaque dignitaire de la Gestapo a connu une fin conforme à sa vie ».
C’est la seule leçon morale qu’on peut tirer de cette machine infernale. Les crimes nazis ne sont pas ceux d’un peuple ; le goût de la violence, la religion de la force, le racisme féroce ne sont l’apanage ni d’une époque, ni d’une nation : ils sont de tous les temps et de tous les pays. L’être humain est un fauve dangereux. En période normale, ses instincts demeurent à l’arrière-plan, jugulés par les habitudes, les conventions, les lois, critères d’une civilisation. Mais que vienne un régime qui, non seulement libère ces instincts dangereux, mais en fasse des vertus, alors le mufle de la bête réapparaît sous le masque fragile de civilisé et pousse le hurlement de mort des temps oubliés.
Le monde nazi, c’est le monde de la force totale sans aucune retenue ! C’est le monde composé de maîtres et d’esclaves. C’est un monde où l’on tue sur commande et où l’on se laisse mourir en silence si l’on ne sait pas hurler avec les loups. C’est un monde où la bonté, la pitié, le respect du droit ne sont plus des vertus mais des crimes inexpugnables. C’est un monde où les assassins sont traités en héros.
L’aventure qui a ravagé l’Allemagne, qui a laissé ce malheureux pays brisé et qui l’a couvert d’opprobre, aurait pu arriver à n’importe quelle nation. Si l’on soumet un peuple à une politique alternée de propagande et de terreur, de militarisation totale, de délation, de surveillance , si l’on inculque à une jeunesse, les principes délirants du nazisme, si l’on glorifie les criminels, si l’on prive le peuple de toute morale et qu’on lui fasse comprendre qu’il constitue le peuple élu, la race des seigneurs, le résultat ne peut pas être différent.
Quel peuple, quelle nation auraient pu résister à une telle politique ?

30. Sékou était un politicien opportuniste

Le politicien Sékou Touré ne s’embarrassait pas de scrupules . Quels étaient les comportements normaux du politicien Sékou Touré : pas de sentiments particuliers pour son père, sa mère, ses frères et sœurs, son ami pas de considérations d’ordre moral ou psychologique : un rendez-vous manqué, une promesse non tenue, un gros mensonge jeté à la figure de celui qui souffre et qui ne compte que sur lui, une peau de banane habilement glissée sous les pieds de celui-là même qui le considère comme son protecteur émérite changer d’identité suivant les circonstances faire « mourir » ses parents selon l’objectif visé, tromper sa femme, son fils, sa belle-mère, son associé, son domestique, son tailleur, son parrain, son maître, son patron, son hôte, finalement son Dieu. rompre un serment répudier une femme qui a de l’amour pour vous trahir chaque fois que la trahison permet d’atteindre un but politique.
C’est ainsi que Sékou Touré n’a pas hésité de déclarer à Addis Abeba en 1963 : « Ma mère est Malinké, mon père est Soussou de Forécariah… »
En effet, c’est l’époque de la grande pénurie alimentaire en Guinée. Sékou Touré, en guerre avec les commerçants, prépare une violente offensive dont le succès dépend du soutien sans réserve des Soussous de Basse-Guinée. Il fallait donc dire quelque chose pour pouvoir entrer dans les bonnes grâces des Soussou.
C’est la fameuse loi-cadre du 8 novembre 1964. Sékou était un politicien supérieur aux autres politiciens par les qualités suivantes :

  1. Il ne minimisait rien, surtout les détails. Il s’intéressait aux propos des pauvres ménagères sur la route du marché. Il cherchait l’explication des chants populaires. Il écoutait les fous, les clochards, les handicapés — dont il avait recruté la plupart comme agents secrets. Pour être au courant de ce qui se passe dans un ménage homogène, il créait la discorde entre ses membres, en répandant le venin de la division. C’est dans cet ordre d’idées qu’il imposa la monogamie dans une société « agricole » où toute la vie économique, sociale et culturelle s’exprime en défrichage, surface, semence, désherbage, binage, sarclage, surveillance des champs, récolte, battage, vannage, ensachage.
  2. Sékou a cherché le plus de complices possibles de sa politique sanglante au sein de sa famille, et autour de lui (amis, alliés, personnalités et gouvernements étrangers). Les plus naturels continuent à dire : « Sékou Touré aimait sa famille ». Mais, en réalité, il ne l’aimait pas parce qu’il ne lui a pas préparé un avenir radieux, enviable !
  3. En Africain animiste, féticheur, mystificateur, Sékou faisait de tout bois son feu. S’il fait semblant de lutter contre les grands marabouts en dénonçant leurs activités occultes, c’est tout simplement pour les intimider, les empêcher de « travailler » pour d’autres, les réserver pour son seul compte. La plupart des grands marabouts et féticheurs de son temps se sont particulièrement « occupés » de lui.
  4. Dieu l’Éternel n’a-t-il pas recommandé à travers ses religions révélées de répandre le sang des animaux comme sacrifice ultime ? D’Abraham à Mahomet, les animaux domestiques, sans oublier la volaille, n’ont-ils pas été immolés à chaque fête religieuse et à d’autres occasions d’action de grâce ? Même les animistes pensent que le sang est indispensable au génie protecteur. Nos ancêtres n’offraient-ils pas au génie des eaux un taureau bien gras, du pain blanc, de la cola blanche, des oeufs et un coq blanc pour qu’il fasse preuve de largesses à l’égard de la population côtière, qui vit essentiellement des revenus de la mer ?

A Koromayan, Kakimbon, Bagataye, etc., que de sang d’animaux répandu et les résultats escomptés obtenus à 90 %. Si Dieu accepte le sang de sa créature inférieure, il est certain qu’il ne refusera pas celui de sa meilleure créature, l’homme, nos ancêtres avaient parfaitement compris cette vérité ! Allez à Kokè, Forécariah, Dubréka, Kabitaye, partout vous apprendrez l’histoire d’une jeune fille que les anciens avaient sacrifiée pour le bonheur du village. Le Ouagadou-bida, de Gâna et de Niane Tamsir, a existé un peu partout en Guinée. Mais reconnaissons également que ces sacrifices humains ne se faisaient pas à grande échelle, tout comme l’esclavage patriarcal. Une fille vierge par an suffisait pour nourrir le génie protecteur de la source d’eau (?)
Il faut attendre les temps et les hommes dits modernes, très « civilisés » pour assister au génocide par des guerres mondiales ou par des fous comme Hitler, Staline, Bokassa ou Sékou Touré.
Pour conquérir, garder, consolider le pouvoir en Guinée et rayonner à travers l’Afrique et le monde, Sékou a accepté le «mouchoir blanc ensorcelé» avec ses conséquences : du sang humain, encore du sang, toujours du sang. Si cette condition est remplie, son détenteur peut compter sur la protection du génie qu’il incarne comme « pharaon », le premier souverain à employer le mouchoir tout blanc, symbole du pouvoir absolu. De même, Sékou sanguinaire, après avoir appris par ses « charlatans » que pour triompher de ses adversaires politiques, il lui faut recueillir dans une calebasse « sans souillure » le sang de sept (7) personnes, fut heureux de constater son succès politique coup après coup, le lendemain de chaque sacrifice humain. Il se convainquit chaque jour davantage de l’opportunité de tuer ses semblables pour pouvoir régner. Décidé de tuer à la moindre indication de ses « sorciers », en définitive, Sékou était devenu plus « charlatan » que ses maîtres. S’il estimait un cadre dangereux pour sa politique, il n’hésitait pas à le liquider et à se servir de certaines parties de son corps inerte comme “médicament” de sa réussite politique.
Hadja N’Gamet Touré, présidente des femmes de Conakry I, morte dans des circonstances douteuses à l’hôpital Ignace Deen, a été, malgré la garde montée sur sa tombe par Mohamed Keita, déterrée et décapitée dans une nuit noire par les sacrificateurs de Sékou. Qui sait si ce n’est pas Sékou Touré qui est encore à la base de la mort de Hadja Mafory Bangoura, la présidente nationale du P.D.G., quand on sait la réponse qu’il a donnée à celui qui lui a annoncé la mort de Hadja Yombo N’Diaye, cette autre responsable féminine du P.D.G. ? « Elle a eu la chance de mourir ». Cette expression a tiqué l’imprudent interlocuteur qui a recueilli, malgré lui, cet avis d’un extrême cynisme sorti droit du coeur diabolique de Sékou Touré.
Mme Fatou Aribot n’a échappé aux griffes acérées du « Stratège » guinéen que par la puissance de Dieu. Liquidée des rangs des dignitaires, Fatou s’attendait à une éventuelle arrestation si le tyran n’était pas tombé.

31. Souvenirs inoubliables

Après les semaines de méditation, d’insomnie, de tension nerveuse, commencent pour le détenu celles de profond sommeil pour reposer l’esprit et le corps que le P.D.G. a gardés en activités permanentes pendant plusieurs années.
La troisième étape est la période des souvenirs : le détenu est résolu à continuer la lutte jusqu’à sa mort ou au jour si peu attendu de sa libération. La première douche que j’ai prise 72 jours après mon arrestation, les premiers rayons du soleil qui frappèrent mes yeux après 6 mois 10 jours de détention, la première fois que j’ai vu d’autres détenus par le petit trou pratiqué sur la porte métallique de ma cellule (c’étaient MM. Portos DialloSaliou CoumbassaElhadj Fofana qui passaient, arrosoirs en main, pour le jardin), le premier contact que j’ai eu avec des hommes autres que géôliers (à l’atelier de tonton Azou où M. Diop Alhassane dirigeait les menus travaux d’entretien des ustensiles de cuisine avec tonton Sory Conde — paix à son âme — et Elhadj Fofana), le jour où Fadama, le chef tueur, me permit de sortir en corvée avec mon groupe, mais « pour quelques minutes seulement pour moi », de crainte mille fois exprimée que je ne « photocopie », selon ses propres termes, le Camp Boiro : «
— Méfiez-vous de cet homme , il est très dangereux. Il parle toutes les langues. Il écrit l’arabe plus vite que le français. Et puis, il a osé insulter le ministre Ismaël. Son nom est allé jusqu’à l’O.N.U.
Le pacte conclu avec certains détenus, tels que Camara David, tous ces événements et bien d’autres encore qui constitueront l’essentiel du second livre en préparation, occupent dans ma mémoire une place de choix, alors que le souvenir que je garde de mon amie Pazo et de ses petits fera l’objet d’un roman spécial.

32. Une nuit pas comme les autres

— Le commissaire Keita m’informe que mon ami Thiam sera arrêté ce soir .
Cette bombe est lâchée par un hôte étranger, un certain Bokoum Nouhoum, dans la famille de Thiam Aguibou, actuel préfet de Fria, dont la vieille mère, la femme et les enfants tombent en syncope, laissant Monsieur Bokoum tout honteux d’avoir été indiscret.
Qu’il est veinard, ce Thiam ! Il ne sera pas arrêté et pour cause ! De passage à l’État-major de la milice, il apprend qu’une marche de fidélité est ordonnée de « la haut ». Rendu à la Présidence, Thiam est chargé de rédiger l’allocution des Forces Armées et, par un hasard heureux, il lit le discours ainsi rédigé, à la place du sergent Koué du camp Samory. Vivement applaudi, Thiam sera sauvé par l’éclat du discours.
— Bon, il faut surseoir à son arrestation, devait ordonner le « Commandant en Chef des forces armées populaires et révolutionnaires », le stratège Président Ahmed Sékou Touré.

33. Le chauvinisme: une tare grave !

L’expérience historique des peuples a pleinement démontré que les transformations sociales et économiques essentielles au nom desquelles s’accomplit une révolution ne peuvent être réalisées que sur la base d’une mise en œuvre effective de tous les acquis de la science et de la technique, lorsque tous les travailleurs du pays les ont organiquement assimilés.
Or, que s’est-il passé en Guinée « socialiste » depuis l’accession de ce pays à l’indépendance ? Peuple analphabète, traumatisé par un parti politique (P.D.G.) dont la structure fonctionnelle engage tout le peuple dans un mouvement infernal où toutes les actions sont destructrices des valeurs morales et humaines les unes que les autres.
L’Éducation ! l’instruction ! la formation scientifique et professionnelle ! Voici des mots dont se gargarisaient les dirigeants du P.D.G. pour tout juste tromper l’opinion sur leurs intentions vraies, à savoir, malmener le peuple de Guinée qui, non content de demander à Dieu un chef parmi ses fils, a exigé nommément Sékou Touré comme s’il était sûr que celui-ci fût bon.
Un prophète a dit : — Demandez à Dieu, mais ne choisissez pas à sa place. C’est lui qui sait ce qu’il vous faut pour être heureux.
Pendant qu’ils élaboraient les plus belles théories sur les avantages de l’enseignement, de la culture de masse, ils préparaient en même temps l’avenir de leurs enfants (pour eux, l’avenir de la Guinée) en les envoyant continuer les études dans des écoles « colonialistes et impérialistes » d’Afrique, d’Europe et d’Amérique.
Nous ne sommes pas systématiquement opposés à la civilisation de masse, mais étant donné ce qui s’est passé en Guinée, la figure hideuse du socialisme Sékou Touréen a suffi pour chasser de tous les coeurs toute velléité « socialisante»
Sékou Touré a si bien prostitué le socialisme que même les pratiques traditionnelles d’entraide dans les travaux cêtres ont vite pris l’allure d’investissement humain, un des mots d’ordre du Parti. Finalement, les paysans aliénèrent toute pratique désintéressée dans leurs rapports interprofessionnels. Cependant, malgré tous les crimes de toutes sortes causés par Sékou Touré, bien des gens, et même des gouvernements de sa valetaille, non seulement regrettent sa mort, le pleurent à chaudes larmes, mais aussi et surtout cherchent à le réhabiliter par tous les moyens. Il n’est pas exclu que des gouvernements, un jour ou l’autre, organisent des symposiums sur la vie de celui qui supprima innocemment beaucoup de vies. Gare donc aux rescapés des tristes camps de concentration, s’ils n’informent pas et n’alertent pas l’opinion autour de l’un des plus grands dictateurs de tous les temps. A ce titre, il faut rendre hommage à l’hebdomadaireLettre d’Afrique, dont nous faisons l’extrait de la lettre no 16/84 du mardi 3 avril 1984, date historique de l’avènement du Comité Militaire de Redressement National en République de Guinée.

Monsieur,
Face aux louanges hypocrites de la presse africaine et internationale et aux larmes de crocodile versées par la plupart des dirigeants africains, à l’occasion du décès d’Ahmed Sékou Touré, le dictateur guinéen, il nous semble indispensable de rappeler quelques vérités historiques.
Que les choses soient bien claires : il n’est pas question de cracher sur la tombe d’un cadavre encore tiède, mais d’éviter simplement que le « fossoyeur de la Guinée » n’apparaisse, aux yeux des jeunes Africains d’aujourd’hui et aux générations de demain, comme un héros authentique.
En réalité, il n’a jamais voulu rompre avec la France. En septembre 1958, il a été pris à son propre piège, croyant qu’avec De Gaulle il pourrait faire monter les enchères, comme il le fit avec les politiciens français de la IVe République, jusqu’en mai 1958. Dans son esprit, faire voter « non » était une simple opération tactique et non pas une rupture définitive avec Paris.
Dès le début des années 1950, petit syndicaliste aux P.T.T. de Dakar, il touchait de l’argent du gouvernement général de l’A.O.F. Il faut reconnaître qu’il ne le gardait pas pour lui personnellement, mais qu’il s’en servait pour s’implanter politiquement en Guinée… Ce qui prouve qu’il était plus malin que l’Administration coloniale à majorité socialiste !
Au sein du R.D.A. (Rassemblement Démocratique Africain), il joua la division et, lors du congrès de Bamako, en octobre 1957, afin d’éviter l’éclatement du parti à la suite de ses accrochages avec le Président Houphouët Boigny, les dirigeants du R.D.A. lui donneront la vice-présidence de leur mouvement. Ce fut le début du drame pour les Guinéens.
En effet, consacré officiellement comme le seul leader guinéen du R.D.A., il se servit alors du P.D.G. (Parti Démocratique de Guinée) pour enraciner définitivement sa mainmise personnelle sur son pays.
Le résultat ne se fit pas attendre : en avril 1958, il déclencha contre ses ennemis politiques et leurs militants (qui étaient relativement nombreux à l’époque), de violentes manifestations.
Il s’agissait déjà d’éliminations pures et simples des adversaires politiques par les miliciens du P.D.G., véritable garde prétorienne de Sékou Touré. Rien qu’à Conakry, il y eut plusieurs milliers de morts ! Les Peuls du Fouta Djallon furent particulièrement visés par les assassins du P.D.G.
Le gouverneur français de la colonie et son administration ainsi que l’armée laissèrent faire sans protester. Il est vrai que l’époque coloniale était terminée, que depuis un an c’était l’autonomie interne grâce à la loi-cadre et qu’à ce titre Sékou Touré était vice-président du gouvernement guinéen, l’ancien gouverneur de la colonie ayant le titre (simplement théorique) de président de ce conseil de gouvernement autonome.
Ces sanglantes éliminations politico-tribales auraient dû ouvrir les yeux des masses africaines, tout au moins en Afrique occidentale.
Il n’en fut rien car, d’une part, Sékou Touré s’arrangea pour minimiser l’ampleur des massacres et, d’autre part l’attention de tout le monde, blancs et noirs, se porta presque aussitôt sur la situation politique en France à la suite des événements du 13 mai à Alger. Une terrible dictature de plus d’un quart de siècle débutait.
Pourtant en 1958, la Guinée était le territoire le plus riche de l’A.O.F. L’avenir de son économie était prometteur. Les ressources étaient nombreuses et variées : café, ananas, banane, bois, diamants, bauxite, fer, etc. Le barrage du Konkouré allait être construit. Le pays était vraiment en pleine expansion. Aujourd’hui, la Guinée n’est pas un des pays les plus pauvres d’Afrique, mais du monde ! Voilà le bilan du « Guide Suprême de la Révolution ».
Il serait trop long d’établir la liste chronologique de toutes les actions politiques anti-africaines qu’il mena avant même l’indépendance de la Guinée. Alors que certains le considèrent comme un des père-fondateurs de l’Afrique moderne, il faut quand même rappeler qu’il joua la « balkanisation » et non pas l’unité africaine, dès les années 1950.
C’est sans doute une des raisons qui expliquent qu’au sein du R.D.A. le Président Houphouët Boigny lui pardonna beaucoup de choses et, qu’ensuite, le chef d’Etat ivoirien tenta sans relâche de le récupérer !
Une seule chose intéressait réellement Sékou Touré : le pouvoir absolu. Dictateur né, il préféra « régner en enfer, plutôt que servir au ciel ». Il était donc logique qu’il soit contre les grandes fédérations politiques et même les petites ententes régionales économiques.
C’est ainsi qu’il bloqua durant de nombreuses années l’organisation des États riverains du Sénégal (O.E.R.S.), jusqu’au moment où le Mali, la Mauritanie et le Sénégal, excédés par l’obstruction systématique de la Guinée, créèrent l’O.M.V.S. (Organisation de Mise en Valeur du Sénégal).
Sékou Touré pratiqua la même politique d’inertie, au sein de l’entente Ghana-Guinée-Mali, au début des années 60. Faisant semblant d’être plein d’admiration pour le Président du Ghana, il était en réalité jaloux du prestige africain in international de Kwamé N’Krumah.
Tous ceux qui étaient à Léopoldville, en juillet, août, septembre 1960, se souviennent de la lutte d’influence acharnée que se livrèrent les deux missions, ghanéenne ou guinéenne, envoyées auprès du Premier Ministre Patrice Lumumba, pour l’aider à mettre sur pied un Etat congolais viable !
A l’origine, une seule mission était prévue, celle du Ghana. Le Président Kwamé N’Krumah lui avait fixé un double objectif politique et administratif.
Sékou Touré, ne pouvant pas s’y opposer, envoya aussitôt à Léopoldville sa propre équipe, avec un seul objectif : prendre en main Patrice Lumumba avant les Ghanéens et par tous les moyens.
On connaît le résultat.
Cette équipe guinéenne politico-idéologique était très cosmopolite. Elle était en principe dirigée par Tibou Tounkara(Guinéen) 11, qui fut ensuite Ministre à Conakry, avant de disparaître au sinistre Camp Boiro. Il y avait Félix Moumié (Camerounais), leader de l’U.P.C. (Union du Peuple Camerounais) qui devait mourir empoisonné, quelques mois plus tard (décembre 1960) à Genève ; Louis Béhazin (Dahoméen), doctrinaire sectaire. Mme Andrée Blouen, métisse centrafricaine, et quelques autres, qui s’agitèrent surtout contre les Ghanéens.
A cette époque, en Guinée même, c’était déjà la déliquescence économique et le début de la longue série des pseudo-complots.
Sékou Touré n’était pas le nationaliste intransigeant, pur et dur, vis-à-vis du colonialisme, de l’impérialisme et du capitalisme occidental, comme sa propagande voulait le faire croire… C’était un « caméléon politique » sans scrupule.
Au début de l’indépendance de la Guinée, ses déclarations fracassantes trompèrent la plupart des dirigeants occidentaux, qui considéraient que l’influence dominante en Guinée était celle de Moscou ! C’était faux ! Sékou Touré, dès 1959, était en rapport avec les Américains et les Canadiens. Avec également les Français, car jusqu’en 1966 il espéra renouer avec Paris ! En réalité, il ouvrit la Guinée, à cette époque, à tout le monde. On pouvait voir à Conakry aussi bien des Chinois que des Égyptiens, des Tchèques que des Allemands, des Français que des Anglais…
Il acceptait n’importe quel appui, du moment que cela lui permettait de consolider son pouvoir personnel. Il cherchait toujours à régner sans partage et il y parvint, car son but final était la création de la Grande Guinée : Guinée-Conakry, Guinée-Bisau et Sierra-Léone.
Il ne faut pas oublier que, dès 1960, Sékou Touré revendiquait le territoire de la Guinée portugaise, sous le prétexte qu’il était une ancienne province de l’empire d’Alpha Yaya Diallo de Labé ! C’est pour cette raison qu’en 1965 le dictateur guinéen n’avait pas hésité à faire arrêter Amilcar Cabral, fondateur du P.A.I.G.C. (Parti Africain de l’Indépendance de la Guinée-Bisau et des Iles du Cap Vert) et tous ses camarades alors présents à Conakry, pour tenter de les obliger à s’engager sur le principe de l’unification future des deux Guinées.
Amilcar Cabral, qui était très intelligent, réussit à convaincre Sékou Touré ce qui n’était pas facile, qu’il n’était pas contre le principe d’une confédération et même, pêtre une fédération, mais qu’il était prématuré d’étudier ce projet avant l’indépendance de la Guinée-Bisau.
Ayant obtenu une relative liberté de manoeuvre en Guinée-Conakry, le leader du P.A.I.G.C. poursuit son action contre les forces portugaises, tout en renforçant son audience interafricaine et internationale.
Au fil des ans, le P.A.I.G.C. devint un mouvement africain de libération, mondialement connu. Amilcar Cabral estima alors qu’il était temps de constituer un gouvernement dans les territoires libérés par le P.A.I.G.C. Ce projet était soutenu par la majorité des membres de l’O.N.U. et de l’O.U.A.
En décembre 1972, le fondateur et Secrétaire général du P.A.I.G.C. annonça donc officiellement la prochaine constitution d’un gouvernement libre. Amilcar Cabral venait de signer son arrêt de mort. Effectivement, quelques semaines après, en janvier 1973, il était assassiné à Conakry, dans les conditions plutôt obscures !
A l’époque, tous les observateurs constatèrent que le périmètre de défense du palais présidentiel de Conakry, dans lequel était située la villa d’Amilcar Cabral, s’était révélé singulièrement perméable pendant la nuit du meurtre, bien qu’il ait été protégé à la fois par des Cubains, des Sierra-Léonais et des Guinéens !
Dans les jours qui suivirent le crime, Sékou Touré tenta de prendre le contrôle du P.A.I.G.C., sous prétexte de procéder à une réorganisation interne, mais en réalité il voulait placer à la tête du Secrétariat général un homme à lui. Il se heurta aux réticences des combattants du P.A.I.G.C. qui se posaient des questions sur les circonstances réelles de la mort d’Amilcar Cabral.
Le frère du défunt, Luis Cabral, n’était pas dupe lui aussi. D’ailleurs, la plupart des dirigeants africains estimèrent que Sékou Touré était loin d’être innocent dans cette affaire, mais la raison d’État joua et personne n’accusa publiquement le dictateur de Conakry.
Celui-ci répandra le bruit qu’une forte opposition existait entre les Noirs de la Guinée-Bisau et les leaders capverdiens du P.A.I.G.C., et qu’elle était la cause de la mort d’Amilcar Cabral.
La leçon ne fut pas oubliée par le nouvel état-major politico-militaire du P.A.I.G.C., qui chercha la meilleure occasion de se dégager de la tutelle de Conakry. La décision de proclamer l’indépendance de la Guinée-Bisau fut prise en septembre 1973 à Alger, lors du sommet des Non-alignés, où l’isolement politique quasi-total de Sékou Touré apparaît au grand jour.
Comme depuis plus de deux ans, le dictateur de Conakry lançait régulièrement des attaques hystériques contre les présidents de Côte-d’Ivoire et du Sénégal, les dirigeants du P.A.I.G.C. ne voulurent pas être associés, même de loin, à cette guerre des grands chefs.
Pour que leur démarquage, vis-à-vis de la Guinée, soit très net, c’est de Dakar qu’ils annoncèrent la naissance de la République de Guinée-Bisau. C’est également à Dakar où se rendit, pour sa première visite officielle à l’étranger, le Ministre des Affaires étrangères du nouvel État. Dans le contexte du moment, ce fut un véritable camouflet pour Sékou Touré…
Toujours à cette époque, de nombreux dirigeants africains considéraient en privé que le Chef d’État guinéen avait presque réussi à vassaliser les autorités de la Sierra-Léone, contrairement aux nationalistes de Guinée-Bisau. Aujourd’hui, on s’aperçoit qu’il n’en est rien. Il est même amusant de constater qu’au moment de la mort de Sékou Touré aux États-Unis, le Président Siaka Stevens de la Sierra-Léone subissait à Londres des examens médicaux de routine, alors qu’il a au moins 84 ans… C’est finalement l’aîné qui a eu raison du cadet.
Autre coïncidence : alors que le corps de l’ancien président guinéen venait d’arriver à Conakry, celui qu’il avait injurié publiquement durant de nombreuses années, le Président Léopold Sédar Senghor était reçu en grande pompe à l’Académie française. A travers lui, c’est le Sénégal et toute l’Afrique qui sont honorés. Il n’y a pas que des despotes… Heureusement !
Toute la presse internationale ayant rappelé que plusieurs milliers de Guinéens avaient été victimes de Sékou Touré, il est inutile d’en reparler. Nous voudrions simplement attirer votre attention sur le fait que toute l’équipe dirigeante de Conakry est solidairement responsable. Tous les Ministres actuels de l’ancien dictateur étaient parfaitement au courant de ce qui se passait en Guinée. Si l’on compare Sékou Touré à Staline, on peut dire alors que son demi-frère Ismaël Touré était Béria et que Béavogui, son premier ministre, était Krouchtchev…
Le timide début de libération du régime guinéen depuis quelques années ne change rien au drame qui s’est déroulé durant plus de 20 ans. Les dizaines de milliers de victimes ne ressusciteront pas. Nous ne sommes soulagés que par cette affirmation de Victor Hugo :
— Les morts sont les invisibles, mais ils ne sont pas les absents.
Romain Rolland renchérit :
— Je n’appelle pas héros ceux qui ont triomphé par la force ou par la pensée ; j’appelle héros ceux qui furent grands par le cœur.
Mais, comme dirait La Rochefoucauld :
— Les hommes ne vivraient pas longtemps en société s’ils n’étaient pas dupes les uns des autres. »

En Guinée, toutes celles et tous ceux qui protestèrent contre le despotisme, l’injustice et l’oppression qui furent exercés par le tyran et son gouvernement béni oui-oui démagogique, méritent la reconnaissance de notre vaillant peuple. Honneur au Président Senghor qui, le premier, a clairement défini Sékou Touré, son règne et sa période, de dictature sanglante, à l’annonce de la mort du président guinéen.

34. Psychose

Qui n’avait pas peur de sa tête en Guinée d’Ahmed Sékou Touré et du P.D.G. tout puissant ? Personne n’osait exprimer sa pensée.

  • Le professeur, reçu en classe par les slogans « A bas l’impérialisme, le fantochisme pour que vive le Président Ahmed Sékou », commence par affirmer aux élèves ou aux étudiants que son cours sera dirigé par la « pensée lumineuse » du « Responsable Suprême de la Révolution » , et que toute vérité qui ne concorderait pas avec les enseignements du père de la nation, grand leader, timonier de la Révolution Africaine et mondiale, est à rejeter littéralement.
  • Un père de famille reniera, non pas par conviction mais par peur, son propre fils, qui n’a pas obtenu sa moyenne en interrogation écrite d’idéologie (questions sur le parti et le leader).
  • Un mari « cocu », montrera de belles dents chaque fois qu’apparaîtront à sa porte les miliciens du Parti venus pour chercher sa femme « responsabilisée » pour les besoins de la cause.
  • Une mère préférera perdre son enfant que de passer pour suspecte aux yeux du P.D.G. Elle ira dénoncer au comité ou P.R.L. (cellule de base du Parti), son enfant « vendu à l’impérialisme », qui lui a écrit une lettre « teinte de néo-colonialisme », parce que venant de l’Europe occidentale ou des États-Unis d’Amérique, de l’Allemagne de l’Ouest ou d’Angleterre, du Sénégal ou d’Abidjan.

Pensez-vous que toutes ces personnes, très chères les unes pour les autres, agissaient ainsi de leur propre chef, et dans le cynique but de faire du mal ? Voyons quelques exemples où l’homme n’est plus maître de ce qu’il fait ou dit :

  1. Au cours d’une assemblée générale des militants de Coyah-centre (ville située à 50 km de Conakry), une vieille personne, prenant la parole dans les « divers » de l’ordre du jour, dit en substance : « Camarades responsables de Coyah ! dites-moi quand nous retournerons au régime colonialiste » moribond, injuste et barbare » car, le « paradis » du P.D.G. est trop « beau » pour ne point former la jeunesse qui doit cependant recevoir une éducation rigoureuse et vigoureuse…
  2. Le Président Ahmed Sékou Touré a prononcé plus de discours que l’assemblée nationale française en trente ans. Il était capable de tenir son auditoire en haleine pendant 6 à 8 heures. C’est ainsi qu’en 1962, lors d’une instance du Parti, réunie à la Permanence Nationale (Cité chemins de fer), le président Sékou Touré, après avoir retenu l’auditoire de 9 h à 15 h, a donné le programme de l’après-midi annonçant la reprise des travaux à 16 h.
    Ceci n’a pas enchanté les délégués en général et les personnes avancées en âge en particulier. Aussi, un délégué, fatigué par l’âge, la faim et le long discours (auquel il n’a rien compris) du Président Sékou Touré, mêlé à la foule en débandade sortant de la salle des Congrès, s’étire après avoir baillé et dit à haute voix « Merde aux longues réunions du P.D.G. … » Aussitôt il se retourne et voitSaïfoulaye Diallo, secrétaire politique du Bureau politique nationale, numéro 2 du Parti, tout prêt de lui. Tenez-vous tranquilles ! c’est un guinéen au « réflexe révolutionnaire ». Ce vieux délégué se ressaisit bien vite et continue à réciter tout l’alphabet français pour se disculper: — Oh ! les longues réunions du P.D.G.K.V.P.T.Z…
    Saïfoulaye Diallo sourit gentillement et donne repos au vieux dont il a constaté l’effarouchement:
    — Allez vous reposer et ne revenez qu’à la clôture des travaux !
  3. Au cours d’une conférence économique au palais de la Présidence, un cadre — M. Fodé Oumar Touré, actuel directeur financier de l’entreprise nationale SO.NA.CAG.— attire l’attention de son directeur général M. Mamadou Cellou Diallo, sur l’état délabré de l’ameublement de la salle du Conseil des ministres, où siège la conférence économique. Le financier Touré insiste pour faire voir au directeur Diallo un oeuf, de je ne sais quelle femelle, qu’il a découvert dans le trou fait par moisissure sur le placard en bois collé a un mur de la grande salle de « souveraineté ». Le directeur Diallo, prudent, dit à son adjoint, et en faisant des gestes répétés de désapprobation : « Je n’ai rien vu, de grâce Touré»…
  4. Nous sommes réunis au Palais du Peuple où le grand « Professeur, docteur honoris causa », Ahmed Sékou Touré doit répondre aux questions des étudiants de l’Institut Polytechnique à la suite du séminaire de formation idéologique que le « Responsable Suprême de la Révolution » se charge de faire à l’intention des étudiants sortant de l’Université guinéenne et des Universités étrangères. Le jeu est bien joué ! pas de questions impertinentes ! toutes les questions sont au préalable posées, étudiées, arrangées dans les « coulisses » à l’Institut Polytechnique, avant d’être portées à l’attention de notre « stratège ». Le Président Sékou Touré donne la parole à l’étudiant porte-parole, appelé « vice-président » du C.A. (Conseil d’Administration). Celui-ci ému, prend la parole pour lire les questions ; mais auparavant l’orateur fait remarquer l’absence des étudiants d’une promotion, en disant : « la promotion Mao sont en campagne »… Des cris dans la salle… Il reprend : « la promotion Mao sont en campagne »… Cette fois-ci, le calme ne fut obtenu que par le « directeur de la troupe artistique » Ahmed Sékou Touré, que les étudiants appelaient “Ane sans tête”…
    Le « Responsable Suprême de la Révolution » sentant l’émotion gagner l’orateur inexpérimenté, donne la parole à M. le Ministre de l’Enseignement Supérieur, Sikhé Camara. Celui-ci, à la tribune, se met à chercher ses lunettes jusqu’à indisposer le chef de l’État qui finit par le renvoyer à sa place.
    Il y a encore une chance, mais la dernière ! En effet, en Guinée d’alors, les Secrétaires d’État et les Ministres relevaient de ceux qu’on peut appeler « Super-Ministres », autrement dit Ministres des Domaines. Si le Ministre de l’Enseignement Supérieur est incapable de lire sans lunettes ; s’il énerve le Chef de l’État, celui-ci a le droit de faire appel à son Super-Ministre.
    Ainsi Sékou Touré donna la parole au 3e et dernier « orateur », au Ministre du Domaine de l’Éducation et de la Culture, Mamadi Keïta. Celui-ci se leva gaillardement, fièrement, arrangea son « col rond chinois » et, magistralement, prit la fameuse feuille de papier contenant les questions préparées par les étudiants.
    Le Super-Ministre plus ému que les précédents orateurs, se fit huer dès l’introduction quand il dit :
    — Camarade Responsable Suprême de la question »… au lieu de… « Camarade Responsable Suprême de la Révolution ».
    A cette erreur, la salle entière fit des oh ! oh ! oh !
    Et, le super-orateur reprit avec force et… avec la mêêtise « Camarade Responsable Suprême de la question » !
    Ah ! oh ! ih ! uh !
    Le Super-Ministre est aussi renvoyé à sa place et… finie cette affaire de magister domine domini, dont on ne parlera plus qu’à l’université ou dans un livre…

Arrêtons-nous à ces cas et tirons la leçon qui s’en dégage :

  1. Tout le monde avait une peur bleue du tyran.
  2. Tout le peuple avait peur de lui parce qu’il n’hésitait pas à tuer n’importe qui et à l’accuser de n’importe quoi.
  3. Chacun évitait par tous les moyens le Camp Boiro, véritable épée de Damoclès sur la tête de chaque guinéen.
  4. Cette triste réalité du passé doit inciter les nouvelles autorités guinéennes à accepter la « contradiction », cette espèce de garde-fou prête à « taper sur la table » du chef de l’Etat pour dire, sans risque d’être inquiétée » Non, je ne suis pas d’accord avec vous
  5. L’exercice de la souveraineté implique :
    1. l’apprentissage et la maîtrise du Pouvoir,
    2. l’apprentissage et la pratique de la Démocratie
    3. l’apprentissage et la jouissance de la Liberté ! …

35. Espoir

Plusieurs fois fut rompue la corde qui retenait le veau du P.D.G. Et le bouvier refît chaque fois le nœud ! Mais toujours fragile demeura l’attache. C’est ce qu’on appelle en Pular :
Silbadhere bouloukountoun !
Alors 26 ans ont vu grandir le veau Il est gros, gras, luisant et beau ! Mûr de l’expérience des années de pénurie Que ne saurait vaincre le taureau en furie ! Et le nœud formé se consolide chaque jour. Les anciens du Fouta Djallon appellent ce phénomène Silbadhere Ngaari Ngondi!
En ce deuxième nœud tous les espoirs du Peuple de Guinée

36. C’était la justice

Commençons par un communiqué : tous les spécialistes des sciences politiques, sociales et humaines, les historiens, écrivains et philosophes de tous les pays du monde, sont instamment priés d’inscrire au centre de leurs activités, chacun en ce qui le concerne, l’étude systématique de la vie et du règne d’Ahmed Sékou Touré, premier Président de la République de Guinée.
Le rendez-vous du donner et du recevoir peut être fixé au 3 janvier 1986, au Colloque de la vérité prévisible au bloc central en « République électrique, de diète et du goudron chaud de Boiro ».
Un avant-goût.
Qui n’avait pas lu ces enseignes au stade du 28 septembre à Conakry : Un seul peuple ! — Un seul leader ! — Un seul parti ! — Une seule Révolution ! Pour dire qu’Ahmed Sékou Touré, le P.D.G., la Révolution guinéenne et le Peuple de Guinée ne font qu’une seule et même réalité indissociable.
De même, l’esprit du mal cultivé et développé en chaque guinéen demeurera aussi longtemps que les « Pédégéistes » de l’itinéraire ensanglanté occuperont les postes de commande dans l’administration guinéenne.
L’on comprendra donc aisément que le tribunal régional de Fria condamne à tort dans le jugement de l’affaire de vol de 60 (soixante) fûts d’huile de moteur, en date du 6 mars 1982, un pauvre planton-magasinier innocent et disculpe les vrais auteurs du forfait, à l’époque, personnes intouchables sur « l’Itinéraire Ensanglanté ».
L’on admettra sans discussion, que de Fria à la Présidence d’alors en passant par la Fonction Publique (où le modeste Sy Mamoudou même a été mêlé à la magouille), toutes les autorités administratives et judiciaires, qui, de crainte de se « mouiller », qui, de se démettre, qui, d’aller en prison, se fussent coalisées contre la justice, en étouffant la vérité par l’arrestation, la condamnation et le licenciement arbitraires du planton-magasinier (qui a commis le péché de naître fils de Guinée, et non enfant de la famille Touré ou de ses alliances).
Mais l’on digérera difficilement qu’un an encore après l’avènement du Comité Militaire de Redressement National, cette victime de l’injustice et de l’arbitraire trouve à tous les niveaux la même résistance à la vérité. Travailleur sérieux, au dossier vierge, embauché le 3 juillet 1957 sous le numéro 150, marié, père de cinq enfants, injustement condamné et licencié de la Société Frigma sans règlements après 25 ans de service effectif, le malheureux planton va de bureau en bureau, crier justice !
Que le Tout-Puissant vienne à son secours et à celui de toutes les victimes de l’arbitraire à travers le monde ! Amen !

37. Qui n’était pas coupable ?

La situation dramatique qu’a connue le Peuple de Guinée porte plusieurs signatures. Chaque élément de la Société guinéenne est plus ou moins responsable de la tragédie que l’ensemble a vécue soit en acteur, soit en spectateur complice (?): les forces publiques et forces de sécurité, les ouvriers, paysans, artisans, artistes, techniciens, intellectuels, industriels, commerçants, notables, jeunes et vieux, filles et femmes, ont tous, à des degrés différents, pris part au drame guinéen.
C’est pourquoi personne n’a le droit de porter la velléité d’être innocent.
Moi-même, en tant qu’élève, puis étudiant et enfin professeur, qu’ai-je concrètement fait pour empêcher, le dictateur de commettre tous ces crimes ? Ai-je levé un jour le petit doigt pour protester publiquement ou par écrit, contre telle ou telle décision impopulaire du Parti ?
Qui a osé porter la contradiction au « Responsable Suprême de la Révolution » ?
Si nous ne l’avons pas fait, c’est parce que nous avions peur de mourir pendus ou d’aller dans un des camps de concentration. Mais est-ce là une excuse valable ? L’esprit de sacrifice, de don de soi-même, n’a-t-il pas animé certains pionniers qui furent victimes de leur témérité ? Ne citons personne ! Mais quand on se souvient de cette anecdote, l’on ne rit pas :
— Où étiez-vous quand Staline sévissait contre notre Peuple ? a dit une voix anonyme dans la salle des Congrès du Parti communiste de l’Union soviétique (PCUS).
— Qui a parlé ? Silence total dans la salle !
— Je répète, qui a parlé ? Silence de cimetière.
— Une dernière fois, qui a parlé ? Aucun murmure même dans la salle.
— Eh bien ! par ton silence, tu t’es répondu toi-même ! La raison qui te fait taire aujourd’hui sans avoir le courage de te faire connaître dans cette salle, c’est la même raison, qui nous a poussés, nous aussi à nous taire hier quand Staline parlait.

38. Requête

Deux cas parmi tant d’autres :

  1. A secourir : MadameFanta Mara, née en 1924, à Saréboido (Préfecture de Koundara), domiciliée au quartier Dar-es-Salam, Conakry II. Elle a été arbitrairement arrêtée et détenue pendant plusieurs années au Camp Boiro, à la suite des événements du 27 août 1977, au marché M’Balia.
    Depuis sa libération, cette femme d’une exceptionnelle bravoure (qui a courageusement supporté toutes les tortures), mène une misérable vie, faite de maladies et de besoins de toutes sortes. Après neuf mois et demi à la maternité de Donka-Conakry, Fanta Mara, loin de recouvrer sa santé, végète dans la misère, ne comptant que sur la solidarité agissante des hommes de bonne volonté. Dieu récompense toutes les actions bonnes !
  2. Banque arabe de développement, Banque mondiale, investisseurs de tous les pays, au secours de la République de Guinée ! Aidez sincèrement ce pays qui saigne depuis 26 ans ; mais l’aide doit être désintéressée pour qu’elle atteigne effectivement son but.
    Aidez à désenclaver une des sous-préfectures qui en ont le plus besoin pour le développement agro-industriel de la zone maritime de la République de Guinée : la sous-préfecture de Tondon. Elle compte 20 000 habitants dans 12 districts, répartis sur environ 800 km2. Située à 154 km au Nord-Est de Conakry, la sous-préfecture de Tondon est reconnue sur le plan national comme la zone agricole par excellence de la République de Guinée. Mieux, les spécialistes de l’économie guinéenne l’appellent « résumé de l’économie nationale », à cause des nombreuses et très importantes potentialités agro-pastorales, minières et énergétiques.
    En effet, le grand barrage hydroélectrique du Konkouré est prévu au lieu-dit Souapiti, situé à 12 km du chef-lieu de la sous-préfecture. Avec Farmoriah, la sous-préfecture de Tondon est une grande productrice de café en Guinée maritime et, sans aucun doute l’une des plus grandes productrices de riz de montagne, d’arachide, de mil, et, où la récolte du miel sauvage, du néré, de l’huile de palme et du palmiste est des plus développées en République de Guinée.
    Prolongement physique et humain du Fouta Djallon (climat foutanien, 25 % de Peuls), la sous-préfecture de Tondon est, comme Téhimélé sa voisine immédiate, une région montagneuse, arrosée par deux grands fleuves, le Konkouré et le Bady et deux grandes rivières, la Konie et la Dogolon. L’influence de l’harmattan est très marquée de novembre à mars, soit cinq mois de fraîcheur que les étrangers qualifient de froid rigoureux. (Il a fait 12 degrés en décembre 1984 à Taïfan, un secteur du district de Yenguissa). Il n’est pas superflu de rappeler un dicton très populaire en Basse-Guinée, précisant que les populations de six sous-préfectures, rivalisant d’ardeur, de labeur et de courage, n’ont jamais faim. Ce sont :
  1. Les Labayaka (sous-préfecture de Tondon)
  2. Les Bennaka (sous-préfecture de Forécariah)
  3. Les Kaninyaka (sous-préfecture de Kindia)
  4. Les Sâmounka (sous-préfecture de Forécariah)
  5. Les Kaback-ka (sous-préfecture de Forécariah)
  6. Les Kakossaka (sous-préfecture de Forécarlah)

Il est donc impensable que l’une de ces populations laborieuses, nanties par la nature, vive malheureuse du fait de son enclavement. Ainsi, toute aide financière, tout secours matériel, destinés à Mme Fanta Mara ou à Tondon, doivent être adressés : au Secrétaire-général des anciens détenus politiques de Conakry III, compte bancaire no 398-42 B.P. 250 Conakry, République de Guinée au Président de l’Association, « Étoile du Labaya » compte banque guinéenne du commerce extérieur no 398-42 B.P. 250 Conakry, République de Guinée.

39. Avis de recherche

Madame Habibatou Barry, employée au service TUC et domiciliée au quartier Matoto, 9e sous-préfecture Conakry III, recherche sa fillette de quatre ans et demi-née au Camp Boiro, où sa mère était en détention arbitraire, pour le pseudo-complot dit de l’aéroport février-mars 1981. En effet, à six mois de sa naissance à Boiro, le bébé de Madame Habibatou Barry a été enlevé par les autorités du Bloc pour une destination jusqu’aujourd’hui inconnue. Nous comptons sur le concours des uns et des autres pour consoler cette femme qui n’a que trop pleurer.
Par ailleurs, fervent admirateur du cycliste-coureur Louison Bobet, je voudrai recevoir de ses nouvelles pour échange de lettres.

40. Dignité

Mes quarante ans d’âge ne m’ont donné l’occasion de constater qu’un seul exemple d’une telle fidélité à soi-même : la célèbre artiste cantatrice, animatrice, traditionnaliste Aïssata Kouyaté de Kindia. Son étoile a « brillamment » brillé les années 40-50 en Guinée. Elle a abandonné les scènes le jour où Sékou Touré a occupé le premier rang de la scène politique guinéenne.
Réfugiée depuis lors dans quelque village de Benna, préfecture de Forécariah, cette brave artiste guinéenne s’est, semble-t-il, reconvertie en paysanne gagnant sa vie, difficilement, d’un métier qui n’est pas le sien : le travail de la terre, imposé à une conservatrice des traditions orales, celle qui fut à l’origine, chargée de transmettre aux générations montantes l’histoire de notre continent à civilisation orale :
—Jamais je ne chanterai les louanges de cet homme qui, par de véhéments propos, vient d’ébranler les bases de la société traditionnelle africaine, avait dit Aïssata Konyaté en 1954.
J’invite Bamboun Kaba et Touré Kandet Oumar (K.O.T.) de la R.T.G. à ordonner des recherches de l’intéressée, tout comme celles de la plupart de nos anciens artistes qui sont morts sans mourir.

41. Conseil d’un musulman

Dieu demande la pondération et la mesure dans tous nos actes. Heureux ou malheureux, joyeux ou tristes, c’est à Sa sainteté qu’Il nous invite à rendre hommage.
Quelle euphorie en Guinée depuis le 3 avril 1984 !
Plus de P.D.G., plus de Sékou Touré. Il y a des Touré à Kankan, à Forécariali et ailleurs. Nous voulons bien des Touré, mais les « Mandiou Touré, les Touré Boundiabaly », les Touré dictateurs, nous n’en voulons plus.
Plus de barrages routiers entre les préfectures, plus de normes, plus de mouchards, plus de murs aux oreilles attentives, plus d’agents secrets.
Liberté d’opinion et d’expression pour tout le monde ! Dieu soit loué ! Mais attention ! si le 3 avril a libéré le peuple de Guinée, il a libéré aussi et en même temps Chaytâne, notre pire ennemi.
Le régime de Sékou Touré ne laissait aucune liberté de pensée ou d’action aux guinéens : pas de libertés politiques ou syndicales, pas de vie privée pour qui que ce soit car Sékou le « grand père du village » est le régulateur de la vie individuelle et collective de tous les Guinéens. Tout le peuple de Guinée était donc ligoté sous Sékou Touré. Les bons citoyens et les mauvais, les bandits, les alcooliques, les marabouts fabricants d’amulettes, les marchands de drogues, les délinquants, tous étaient strictement limités dans leurs activités nuisibles. Il avait interdit l’importation, la vente et l’usage abusif de l’alcool. Même si, dans son fort intérieur, il souhaitait que tout le peuple bût de l’alcool, mais l’opinion retient qu’il était contre l’alcoolisme.
Pendant trente ans il a lancé des grossièretés contre les « voleurs de deniers publics, les trafiquants, les intellectuels tarés, les dirigeants africains qui pillent les richesses de leurs pays pour construire des châteaux en Europe et ailleurs ».
Mais en réalité, qui est voleur, « pilleur » des richesses de son peuple ? C’est bien lui ! Sékou, qui a de nombreux comptes dans les banques étrangères ! N’oublions donc pas que la mort d’un tel homme (en réalité un « superman »), libère beaucoup de choses qu’il importe de canaliser pour éviter l’anarchie.
Remplacer le dictateur par le Colonel Lansana Conté est d’autant plus difficile que le successeur est totalement différent de lui. Conté est un homme ordinaire. Sékou, un surhomme terrible.
Conté aime la liberté, la justice pour tous. Sékou, le pouvoir personnel. Il se proclama, à la place de Dieu, « Responsable Suprême de la Révolution ». Comme qualité, Sékou refusa d’ouvrir la porte de son pays à l’ange Gabriel comme au Satan, qu’il craignait qu’il ne se substituât à lui à la tête de la République de Guinée !
Attention ! Elhadj Conté ! Libère Gabriel, mais enferme Satan !
Les danses dites « Sabar », les danses de nues, les exhibitions de corps nus relèvent d’un comportement pornographique inadmissible dans un pays « musulmano-chrétien ».
La criminalité se développe à une allure effrayante : des enfants se blessent à mort avec des tessons de bouteille, des couteaux et, pire, tout le monde a tendance à afficher une indifférence coupable face à l’être humain qui souffre :
Pour la liberté ! Oui ! Pour la démocratie ! Oui ! Mais pour l’anarchie, le désordre ! Non !
Plus d’hésitation car, comme a dit Victor Hugo : « Le mal qu’on dit de nous est pour notre âme ce que la charrue est pour la terre : il la déchire et la féconde ».

42. Détenu politique avant sa naissance

Beaucoup de femmes en état de grossesse furent arrêtées et incarcérées dans les célèbres camps de concentration. Les unes y avortèrent des suites du mauvais traitement. Les autres accouchèrent dans des conditions que chacun peut imaginer, la vie de la mère et du nouveau-né gravement menacée par les hommes. Mais, sous l’heureuse protection divine, la plupart vécurent. Des nombreux cas que connaît le Camp Boiro, retenons celui de « Petit Dani », né prisonnier, en prison sans numéro d’écrou, sans jugement — du reste comme sa mère et tous les détenus de Boiro. Le petit Dani, après quelques mois de prison passés dans le sein de sa mère, connaîtra plus de 4 ans de détention illégale au sein de ceux et celles qu’il appelait ses « tontons et tanties ». Les souvenirs de tonton Dani sont vivaces dans la mémoire de tous les détenus qui firent de ce garçon intelligent, attentif et prudent, l’objet de leur défoulement. Un jour, Dani va voir Siaka le chef tortionnaire. Écoutons les deux amis :
—Bonjour, tonton capitaine.
— Bonjour Dani.
— Que fais-tu là, tonton capitaine ?
— Je travaille, Dani.
— Mais quel travail fais-tu ?
— Tu ne vois pas Dani, que j’écris.
— Mais si, tonton ! Mais ça, ce n’est pas travailler ça ! Ton travail, il faut libérer les tontons et les tanties ! La prison nous a fatigués maintenant !

Dieu soit loué ! En tuant Sékou toôrè (souffrance, en langue soso), le Tout-Puissant a prouvé éloquemment qu’Il est le seul et unique « suprême ». Et, en le remplaçant par un homme « anti-sang », Il a prouvé une fois de plus qu’Il récompense les patients par le bonheur et la paix, comme Il l’a dit dans le Saint Coran.
Mais ce n’est pas tout ! Vous autres malfaiteurs cachés, rendez mille hommages à la sagesse légendaire de Conté. Sans son appel au calme, au pardon et à la réconciliation nationale, tous, à l’heure-là, vous ne vivriez pas, car le dictateur avait si bien préparé la guerre civile que sa mort, pour prouver qu’il était indispensable à la tête des destinées du peuple de Guinée, aurait plongé ce beau pays dans une mare de sang.
Remercions donc Allah l’Eternel pour nous avoir donné comme chef, non plus un stratège mais un homme ordinaire, ayant les pieds sur terre, la tête sur les épaules, paysan, père de famille, très bon cœur, mais laissant trop de liberté aux malfaiteurs, nouveaux fossoyeurs du peuple de Guinée ! Le Président Conté est assurément un des disciples de Franklin qui disait que « Nous sommes plus utiles par nos vertus que par nos connaissances, car pour le pouvoir, il faut tenir peu d’espace et changer peu de place ».

43. Prophétie

Écoutez parler, dans le sentiment de communion africaine et humaine qui anima l’illustre Blaise Diagne, premier homme d’État africain, né le 13 octobre 1872, qui disait le 11 juillet 1927 : « Un jour viendra où, en pleine maturité, les races noires pourront être maîtresses de leurs destinées ».
Déjà, le 22 décembre 1924, le député-prophète mettait l’Afrique noire en garde, en déclarant :

« Je dis à mes concitoyens des colonies : lorsque vous voyez les communistes tenter de faire croire qu’ils sont vos défenseurs, refusez-vous à cette idée. Ils ne défendent qu’un régime de désordre, qui est le leur. Ce régime de désordre ne pénétrera pas chez nous ».

Malheureusement la leçon n’a pas été comprise par la plupart des dirigeants africains. Ainsi, la triste et douloureuse expérience a été chèrement payée.

44. Dieu s’est toujours révélé

Surtout à ceux qui souffrent intensément, innocemment sans perdre foi en lui, et qui l’adorent quotidiennement, avec le cœur et les faibles ressources dont ils disposent : les malades hospitalisés, les prisonniers de guerre, de droit commun et les détenus politiques, invoquent Dieu, prient Dieu, implorent la clémence de Dieu plus que tout autre croyant non éprouvé. C’est pourquoi Dieu, très bon, très juste, se révèle aussi à ces malheureux plus qu’à tout autre homme dans les conditions normales. En appuyant cette affirmation d’exemples, notre statut d’ancien détenu politique nous oblige à rapporter des témoignages vécus dans les camps de concentration tristement célèbres de la Guinée d’Ahmed Sékou Touré :

Nous sommes au Camp Boiro, au mois de mai 1978. Il y règne une atmosphère de détente due à l’espoir né à la veille de la fête du 14 mai. On pense à la famille, aux amis, aux bons plats de riz à la sauce aux feuilles de papate, au poulet à la « Pèpè soupe » pimentée, sans huile avec force oignon et poivre. Et on pense aux promenades à travers bois en compagnie de sa femme, de sa fiancée ou de sa petite amie (pour celui qui en a !). On se voit assis au bord du Konkouré, du Djoliba, du Milo, de la Mellacorée, du Rio-Pongo ou de la Fatala, regardant par-ci, observant par-là, contemplant les forces de la nature, la puissance de Dieu. Bref, aucun détenu ne vit totalement au Camp à la veille de cette fête, ultime occasion pour les détenus d’espérer d’éventuelles libérations. La moitié de chaque détenu politique passe la nuit du 13 au 14 mai au Camp, alors que l’autre moitié se trouve déjà au sein de la famille.
C’est pourquoi la matinée du 14 mai trouvent toujours les détenus dans un affaissement moral tel, que seule la foi les soutient. Car Sékou Touré, né pour trahir et décevoir, n’a libéré qu’une poignée de détenus, la plupart des « frontaliers » navetanes ramassés comme des palmistes le long de nos frontières.

Nous étions trois à la cellule métallique no 71. Le Commandant Sylla Soriba et moi-même avons été réveillés en sursaut par notre co-cellulier Camara Bissiry, chauffeur de son état :
— Sylla ! Sylla ! réveillez-vous ! Une voix vient de me dire qu’à dix heures ce matin, je serai libéré et, vous autres, ne le serez que plus tard.
Comme il l’a annoncé, à dix heures précises un bus est venu chercher une dizaine de détenus, dont notre prophète Bissiry.
— Cette nuit, une voix m’a annoncé ma libération pour jeudi prochain , nous avait dit Diaby Karamba et ce fut ainsi.
— Dieu m’a informé cette nuit que je ferai 7 mois à Boiro, devait un jour me dire Elhadj Abdourahimy Touré, Secrétaire fédéral de Forécariah, qui a effectivement fait 6 mois 29 jours à Boiro.
— Dieu m’a fait savoir cette nuit que Chérif Nabahniou fera trois ans ici alors que moi, je dois être libéré très prochainement, m’a dit Sylla Tidiane, magistrat, jeune frère de Mohamed, Secrétaire fédéral de Conakry I. Et les choses se passèrent exactement comme annoncées par Sylla.

Mais allons à Kindia rencontrer un détenu politique à qui Dieu a fait des révélations d’une précision extraordinaire. Il s’agit d’Elhadj Oumar Bah de Pita. Arrêté en 1970, il a séjourné dans trois des principaux camps de la mort : Labé 1970 Boiro 1971-1973 Kindia 1973-1975, Boiro 1975, date de sa libération.
Elhadj Oumar Bah est un fervent musulman qui ne croit qu’en Dieu, n’invoque que Lui et ne compte que sur Lui. C’est ainsi qu’une nuit de dimanche à lundi, après avoir fait son chapelet, appelé Dieu le Tout-Puissant au secours des malheureuses victimes de la haine sékoutouréenne, Elhadj Oumar Bah a reçu du Maître des mondes, « l’Eternel éternel », le message suivant : «
— Dis à Mamadou Maz Diallo de la cellule voisine qu’il sera libéré demain matin à dix heures et qu’arrivé à Pita, il y sera encore élu Secrétaire fédéral.
Elhadj Oumar transmit ce message à Maz en précisant qu’il n’y a aucun doute à sa réalisation. C’est pourquoi Elhadj Oumar Bah fit à Maz toutes les commissions nécessaires à sa propre famille à Pita. Comme annoncé par Elhadj Oumar Bah, à dix heures précises, Mamadou Maz Diallo fut libéré et, rendu à Pita, il y devint encore Secrétaire fédéral.
Un autre jour, Elhadj Oumar Bah annonce à un groupe de détenus dont Elhadj Baldé Siradiou, actuel coordinateur des affaires religieuses de Conakry II, qu’ils seront libérés le jeudi à midi. Ce qui fut fait sans erreur !
A la prison civile de Kindia, enfermé dans une grande salle avec plus de cent détenus, dont Elhadj Amadou Laria de Labé 12, Capitaine Thierno, actuel Directeur général de Soprociment, Docteur Diallo vétérinaire. Dieu charge Elhadj Oumar Bah d’annoncer à l’ensemble des détenus du jour qu’ils seront tous libérés. Et, lui, il le sera mardi prochain et rentrera à Labé par avion.
— Sékou Touré mourra avant nous tous et, personnellement, je prendrai part aux obsèques du grand Almamy, le dernier du Fouta Djallon. Après quoi, j’assisterai également à celles de Sékou Touré, devait prédire ElHadj Oumar Bah, qui poursuivit « tous ceux qui nous ont torturés, moins Sékou Touré, seront enfermés ici-même à Kindia, et nous autres, seront totalement réhabilités ».
Les événements s’enchaînent, se tiennent, se produisent.
Le grand Almamy de Mamou meurt. Tout le Fouta s’y retrouve. Les érudits, les sages conservateurs des traditions séculaires du Fouta-Djallon sont là. Toutes les noblesses de cour, toutes les noblesses d’épée de la République de Guinée et, même de l’Ouest Africain, sont représentées à ces grandioses cérémonies.
Sur la terrasse d’une case construite en hauteur apparaît Elhadj Boubacar Barry, gouverneur de Dalaba, fils aîné de l’illustre disparu. Il parcourt des yeux l’assemblée des fidèles musulmans réunis dans la cour royale. Ses yeux s’arrêtent sur un homme qui ne s’attendait pas à un tel honneur, car, il ne se croyait pas sur la liste des hommes saints sur lesquels le Fouta compte. Le gouverneur Barry ne veut pas créer d’incident, surtout un jour de recueillement ! En Peulh prudent, il descend les escaliers et se dirige vers la foule rangée, calme, éplorée, qui emplit la grande cour de l’Almamy. M. Barry ne se promène pas au hasard ! Il sait où il va ! En effet, le voilà à côté de Elhadj Oumar Bah de Pita, qu’il tire par son boubou, signe d’invitation à le suivre. Celui-ci se lève et, tranquillement, suit le gouverneur Barry, qui le conduit dans la chambre où repose le corps de l’illustre disparu :
— Vous avez été choisi pour prendre part au rituel de préparation du corps de notre père pour sa dernière demeure, ainsi s’adressait le gouverneur Barry à Elhadj Oumar Bah, dont une partie des visions nocturnes venait de se concrétiser : « tu participeras aux obsèques de l’Almamy Ibrahima Sory de Mamou ».
Nombreuses sont les personnalités spirituelles qui peuvent attester de l’authenticité de ce que nous venons de dire.
Après cet événement, Elhadj Oumar Bah ne s’attendait qu’au dernier acte du tableau : la mort de Sékou Touré et sa propre participation à ses funérailles comme il le lui avait été prédit dans le rêve à Kindia.
Et voilà que le grand fromager aussi tombe. Sékou Touré est mort et son corps arrivera très prochainement des États-Unis d’Amérique.
Le corps arrive, la veillée funèbre est organisée, les délégations arrivent des quatre coins du monde pour assister à l’enterrement du grand disparu. Elhadj Oumar Bah est aussi arrivé des montagnes du Fouta-Djallon. Il s’est, comme tous les fidèles musulmans de la capitale, rendu à la Grande Mosquée de Conakry, d’où partira le cortège funèbre pour le Mausolée National. Là encore, les choses se passeront comme annoncées par Dieu, il y a onze ans. Soriba Camara, le Ministre des Affaires Islamiques d’alors, aperçoit dans la foule un homme, on dirait qu’il cherche depuis un bon moment :
— Eh ! é ! Elhadj Bah Pita ! venez vite ! vous faites partie des personnalités religieuses chargées de convoyer la dépouille mortelle de notre regretté Président.
Elhadj Oumar Bah vient là aussi, comme à Mamou, s’ajouter à d’autres personnalités pour prendre la « caisse » contenant le corps de Sékou Touré pour le Mausolée National. Les « transporteurs » de la caisse savent qu’ElHadj Oumar Bah était parmi eux, comme ils peuvent témoigner que les Marocains versaient sur eux, durant le parcours, une certaine eau parfumée.
Il ne reste plus que la dernière scène de ce dernier tableau : l’arrestation et l’incarcération de tous les dignitaires à Kindia.
A l’avènement du Comité Militaire de Redressement National, la plupart des Ministres qui nous ont torturés se sont retrouvés en prison à Kindia comme il avait été annoncé onze ans avant par Elhadj Oumar Bah. Décidément, Elhadj Oumar Bah de Pita fait des rêves « infaillibles ». C’est ainsi qu’un jour, en pleine journée, dans une grande salle de la prison civile de Kindia, pendant que ses codétenus se livraient à toutes sortes de jeux, Elhadj Oumar Bah ferme les yeux pour quelques minutes, les ouvre en sursaut en disant à ses camarades :
— Je crois être devenu fou, car je viens de voir Emile Cissé, l’éminent tortionnaire du Comité révolutionnaire de Kindia, ligoté, frappé à sang et jeté dans la cellule no 3, à côté de nous.
Certains camarades ne firent même pas attention à ce que disait le visionnaire, tandis que d’autres le traitèrent effectivement de fou. Ce n’est que douze jours plus tard, jour pour jour, que tout le monde se convainquit de la réalité de la vision d’Elhadj Oumar Bah, en entendant crier dans la cellule no 3, le gouverneur Émile Cisse, membre du Comité révolutionnaire, l’intouchable ami du Président Sékou Touré. L’ensemble des détenus présents dans la salle se jetèrent littéralement sur Elhadj Oumar Bah pour l’embrasser et le féliciter de ses visions justes.
Mais ce n’est pas seulement en prison qu’Elhadj Oumar Bah fait des rêves immanquables ! En effet, c’est à Pita, chez lui, en liberté, qu’en rêve une voix lui dit : « Vois-tu ces troncs d’arbres calcinés ? ils sont au nombre de sept. Ils représentent sept personnes, dont ton ami Mamadou Maz, gouverneur de N’Zérékoré, qui vont être brûlées vives si l’une d’elles ne sacrifie pas pour l’ensemble des effets d’habillement, de la tête aux pieds » (bonnet, complet et chaussures).
Aussitôt, Elhadj Oumar Bah dépêche un jeune homme avec une lettre auprès du gouverneur Maz, à N’Zérékoré. Après lecture du message, Maz qui sait que les visions d’El-Hadj Oumar Bah ne manquent pas, fait immédiatement le nécessaire, avant de s’embarquer à sept, comme par hasard, à bord de l’avion les transportant à Conakry pour une session du Parti. L’avion prendra feu en atterrissant et les sept délégués seront indemnes. Une semaine plus tard, toutes les sept personnes, rescapées de l’accident, se transporteront au domicile d’El-Hadj Oumar Bah, où le Ministre Chérif Sékou, chef de la délégation, prendra la parole pour remercier notre visionnaire qui dit en guise de réponse :
— Ce n’est pas moi car je ne suis et ne sais rien. C’est Dieu, l’Omniscient, qui m’informe quand Son infinie bonté le décide. C’est donc à Sa clémence que tous nous devons rendre hommage ».

Notes et errata (T. S. Bah)
1. Alphonse Gabriel « Al » Capone (1899-1947), surnommé Scarface, était un fameux gangster américain de Chicago. Il dirigea le syndicat du crime spécialisé dans le trafic et la fabrication des boissons alcooliques et dans d’autres activités illégales sous le régime de la Prohibition, dans les années 1920-1930.
2. Tombé en disgrâce après le faux complot Petit Touré, Fodéba perdit le ministère de la Défense nationale en 1966. Il fut dégradé et nommé ministre de l’agriculture. A partir de cette date, il vécut en sursis, jusqu’à son arrestation suivie peu après, d’un simulacre de procès et de son exécution en 1969, dans le faux Complot Kaman-Fodéba.
3. Samori ne régna pas directement sur le Wasulu. Consulter à ce sujet l’oeuvre monumentale de Yves Person et les recherches fouillées deIbrahima Khalil Fofana.
4. Ancien secrétaire du Plan, Sow Mamadou était de Labé et non pas de Dinguiraye. Cousin et ami d’enfance de Saifoulaye, il était lié à Dinguiraye par le mariage, ayant épousé Nima Bah, la soeur aînée de Bâ Mamadou.
5. Malgré les attaques verbales publiques réciproques, Houphouët-Boigny et Sékou Touré ont maintenu une affinité et une complicité profondesOn peut lire à ce sujet l’aveu de Sékou Touré à André Lewin, alors ambassadeur de France en Guinée (1976-1979).
6. Sur la scolarité de Sékou Touré et le rôle de Bocar Maréga, père, lire le témoignage de Mamouna Maréga, l’épouse de Dr. Maréga.
7. En réalité, la France coloniale est un des modèles et l’une des sources profondes de la dictature de Sékou Touré et du PDG. Comme Almamy Fodé Sylla le dit lui-même, à raison, Bernard Cornut-Gentille, gouverneur général de l’Afrique Occidentale Française, qui finança et encouragea l’ascension de Sékou Touré.
8. Le témoignage d’André Lewin est plus précis sur le comportement alimentaire et la vie privée de Sékou Touré. Il contredit ce point sur le tabagisme de l’ancien président.
9. Almamy Fodé Sylla rappelle plus haut que Fodé Mamoudou Touré était un homme de droit, et non un spécialiste des finances. En réalité, Mohamed n’avait nul besoin d’acquérir une compétence professionnelle. Son père avait banni la méritocratie.
10. La tradition du pouvoir et la culture du Mande établissent une nette distinction entre un Faama (seigneur de guerre) et Mansa (roi, empereur par l’héritage). Lire Yves Person. Sékou Touré n’était pas un Mansa. Il était un Fama, parti de rien pour se hisser au sommet. L’histoire de l’humanité fourmille d’exemples de ce type de self-made-men.
11.Un chapitre du livre intitulé First American Ambassador to Guinea donne la version des Etats-Unis, différente mais détaillée, de la politique respective des gouvernements guinéen et américaine durant la crise congolaise de 1960. Lire donc Never A Dull Moment. LaLettre d’Afrique inclut Tibou Tounkara et Béhazin. Il s’agit là d’une erreur. Pis, le document omet Diané Lansana, promu général d’armée pour l’occasion, et chef politique du contingent militaire guinéen, commandé militairement par Capitaine Siradiou Barry, qui fut fusillé en 1971.
12. L’oncle paternel de Saifoulaye Diallo, ancien secrétaire fédéral de Labé.

Chapitre Quatrième
Le futur pouvoir ou le pouvoir futur

45. La succession

Pas de phénomènes isolés ni d’actes gratuits dans le processus du développement des sociétés humaines ; les changements peuvent être brusques ou violents,êtir un caractère de spontanéité mais les faits auxquels ils donnent naissance ne relèvent point du hasard car, dans la vie, tout se tient comme dans un corps humain. Cette vérité dialectique est universelle, et, c’est sur elle que se fondèrent les sociologues américains pour conclure que le règne de Sékou Touré fut terminé en 1964, après la proclamation de sa fameuse loi-cadre du 8 novembre !
Les mêmes sociologues affirmèrent l’existence, à partir de cette époque, d’une véritable course pour la succession de Sékou Touré. Cependant, étant donné la force du parti démocratique de Guinée et la toute puissance de son leader, tous les candidats potentiels à la Présidence de la République se tinrent tranquilles, mais n’échappèrent point pour autant, car, froidement, Sékou les liquida tous, un à un, en les accusant de complots.
Libre de tous côtés, Sékou Touré régna en maître absolu, n’ayant aucun souci de l’avenir, ne prenant aucune disposition pour la vacance du pouvoir, dont il ne rêva jamais jusqu’à quelques mois de sa mort.
Il voulut alors en vain laisser le pouvoir à son fils, mais ne déploya à cette fin aucune énergie digne du grand Sékou, politicien opportuniste. Il savait parfaitement que tous ses compagnons, du parti et du gouvernement, étaient, dans leur totalité absolue, incapables de le remplacer même pour quelques semaines, car il ne s’était, en définitive entouré que de cadres béni-oui-oui, incapables de décision, fourbes et cupides.
C’est cette salade européano-asiatique que Sékou Touré laissa au peuple de Guinée en mourant le 26 mars 1984. Membres du B.P.N. (Bureau Politique National) du Parti Démocratique de Guinée, membres du Comité Central et du Gouvernement, parents, alliés du clan des Touré, épouse et enfant du président défunt, se livrèrent une guerre terrible pour la succession du « grand leader ».

« Comment peut-on concevoir et admettre un Forestier comme président de la République, donc chef des Malinkés ? C’est le « responsable suprême de la Révolution » qui avait fait de toi, mangeur de singe, ce que tu es. Maintenant qu’il ne vit plus, contente-toi du coup de pied que nous allons te donner te renvoyant définitivement dans tes arbres, y vivre avec les chimpanzés ». Signé Ismaël Touré, demi-frère de Sékou Touré, propos injurieux qu’il adressa au Premier ministreBéavogui Lansana, désigné par ses camarades dans les fonctions de président de la République, chargé de liquider les affaires courantes.

« En vérité, si vous êtes incapables de vous entendre, je vous demande alors de me laisser prendre ête. Je pourrais conserver sans tache le pouvoir jusqu’à expiration des 40 jours de deuil, pour le léguer à Mohamed, le plus méritant de vous tous, car, il s’agit d’un héritage laissé par son père ». C’est la proposition-conseil que fit Madame Andrée Touré, épouse éplorée, veuve d’Ahmed Sékou Touré.

Cris, injures, menaces de toutes sortes, coups de main (de source sûre), animèrent et troublèrent l’atmosphère des multiples réunions de la direction nationale du Parti dès le lendemain de la mort du tyran.

Pendant ce temps, le peuple, soucieux de son propre sort après trente ans de dictature d’un parti, dirigé par un dictateur, malheureusement soutenu et encouragé par sa famille et sa tribu, ce peuple martyr de Guinée, prit ses responsabilités historiques en désignant un de ses fils comme successeur du président défunt.

« Le pouvoir au Colonel Lansana Conté ! Conté ! Conté ! Conté ! ».

A l’unisson, le peuple de Guinée a exprimé ce vœu venant directement du cœur. Conté ! Conté !

Partout, dans les garnisons militaires, dans les écoles, dans les marchés, dans les rues, de tous les lieux de rassemblements populaires, un seul nom sur toutes les lèvres : Conté ! Conté !.

Le peuple imposa ainsi le président Lansana Conté en l’obligeant à prendre le pouvoir le 3 avril 1984.

  • Les conditions de création du Comité Militaire de Redressement National
  • les efforts déployés par son président en faveur de l’unité nationale
  • les deux premières tentatives de coup de force de la clique Diarra Traoré
  • le rôle néfaste joué par les nostalgiques de l’ancien régime pour empêcher le fonctionnement correct de la machine administrative pendant les quinze premiers mois de pouvoir militaire
  • les conséquences de ce comportement négatif des cadres et agents de l’État sur l’économie et dans la vie sociale
  • la patience du Chef de l’Etat, le président Lansana Conté
  • le résultat heureux de cette patience
  • les menaces de dénonciation des cadres traîtres à la patrie et les démarches faites par eux pour arrêter les témoignages radiophoniques de l’émission « A vous la parole »
  • la liste des membres du gouvernement Diarra saisie et remise à qui de droit le 26 novembre 1984
  • la découverte et la dénonciation du crapuleux et violent coup de force du 4 juillet 1985, suite des précédents
  • la conception et l’exécution du complot
  • la détermination et l’intervention vigoureuse du peuple de Guinée, notamment de la jeunesse des quartiers de Conakry, avec Boulbinet Lîmâniah, Coléah comme champions de la défense de la liberté la nuit du 4 juillet 1985
  • l’arrestation des traîtres, qui ont utilisé comme cheval de bataille le racisme ou plus exactement le tribalisme
  • l’analyse approfondie du phénomène qui a été encouragé, soutenu et financé par certains pays africains, déconseillé par d’autres alors qu’un troisième groupe (européen cette fois) suggéra aux uns et aux autres de considérer pour le moment Conté comme le meilleur des pires, l’homme de l’armée le plus « présidentiable »
  • le retour triomphal du président Conté de Lomé (Togo)
  • la réception populaire, le meeting d’information, du dimanche 7 juillet 1985 au palais du Peuple à Conakry
  • les leçons de l’histoire en faveur d’un peuple qui est descendu dans les rues exposer sa poitrine nue contre les canons pour dire non à des officiers et hommes de troupe putchistes
  • l’armée fidèle s’alignant derrière le peuple qui combat sans autres armes que la conscience patriotique
  • le bon moral, la bouche pour exprimer ses sentiments de haine contre les traîtres et la certitude de la victoire
  • le plébiscite sans vote d’un président militaire devenu fort et puissant
  • la confiance et le respect que cette attitude imposent de facto aux autres peuples
  • l’espoir du peuple de Guinée après l’assainissement de l’appareil étatique

voilà quelques têtes de chapitres qui seront traitées dans le livre deuxième, car, tous ces faits relèvent désormais de l’histoire, de l’histoire récente bien entendu, mais de l’histoire quand même ! ! !

  • Quels sont les vrais conspirateurs ?
  • Qui devait jouer quel rôle ?
  • Qui a réellement défendu la ville de Conakry, le régime militaire, l’État guinéen, le peuple de Guinée ?
  • Quels résultats donnent les opérations Peuple plus armée, peuple moins armée, armée sans peuple ?

Achetez notre livre « Après les faux, le vrai complot en Guinée », qui vous fera revivre, acte par acte, le premier complot anti -gouvernemental guinéen depuis l’indépendance de cette mystérieuse Guinée.

46. Surprise agréable

La Guinée du 3 avril 1984 a donné une leçon de sagesse à toute l’Afrique. En effet, que les forces armées prennent le pouvoir avec le « chapelet, s’installent sur une peau de prière, tiennent un langage d’imam prêchant un vendredi saint à la grande mosquée du prophète Mahomet, résolvent ou tentent de résoudre tous les problèmes politiques, économiques, sociaux et culturels de la nation par la raison et non par la passion », tout cela a agréablement surpris les observateurs des six continents (n’oubliez pas que Boiro était le 6e continent, même musée, il le demeure quand même).

47. Appel

Aucune société ne peut vivre en paix, en fraternité, en amitié en solidarité si la compréhension n’existe pas entre les éléments qui la constituent. Et cette concorde fraternelle ne s’obtient qu’entre des personnes animées d’un même idéal, de sentiments ou d’objectifs communs, que doit sous-tendre une courageuse, efficace et déterminante action. La société guinéenne, ébranlée dans toutes ses structures le 3 avril 1984 subit une dangereuse mutation dont elle traverse actuellement la phase la plus délicate : la période transitoire.
C’est ainsi que le 26 mars 1985, date anniversaire de la mort de Sékou Touré un groupe de jeunes gens manifesteront leur fidélité à « l’homme du 28 septembre », les étudiants de l’Institut Polytechnique de Conakry tenteront une grève estudiantine de revendication alimentaire quelques mois seulement après l’avènement du Comité Militaire de Redressement National ; les élèves-gendarmes se rebelleront dans leur caserne de Sonfonia ; des « Pédégéistes » tolérés se permettront d’aller se recueillir sur la tombe de Sékou Touré, ce tyran dont les restes mortels ne devraient plus aujourd’hui reposer au Mausolée national ; le Comité Militaire de Redressement National libérera sans les avoir jugés trente des personnes arrêtées après la mort de Sékou Touré ; un de ces illustres libérés, ancien Ministre, Béhanzin du Bénin, dira au cours d’une conférence de presse dans une ville africaine « et la lutte continue ».

Cette expression, qui semble un mot d’ordre retenu par certain groupe, s’entend dans plusieurs salons de la capitale Conakry. La jeunesse de Conakry saccagera le Stade du 28 Septembre, les auto-bus du service TUC, ainsi que les locaux avoisinants, à l’occasion de la visite de l’artiste Alpha Blondy, l’ami des enfants, l’idole des jeunes, qui n’a pas pu donner sa soirée tant attendue à cause de la pluie, alors que les billets étaient déjà vendus, etc.

Mais l’événement politique qui a le plus retenu l’attention des observateurs, est, sans nul doute le « trop tôt prize giving » (distribution des prix), qu’une certaine organisation a fait en décernant au président du CMRN le prix de la liberté et de la justice. Je ne veux point douter de la bonne foi des donneurs de prix, mais je crois avoir le droit de comprendre un acte et de l’apprécier selon mon humble entendement. Sachant donc la force organisationnelle du régime sékoutouréen, qui était fondé sur la corruption, le mensonge, la délation, la terreur et le crime, sachant qu’avoir en prison un Siaka Touré, un Ismaël Touré, un Mohamed Touré, « prince héritier », un Moussa Diakité et tant d’autres, et, avoir dans son « dos », là-bas, très loin, au pays de « l’argent et de la liberté », un N’Fally Sangaré, à l’intérieur de la Guinée, en « liberté excessive », un Mouctar Diallo, un Toumamy Sangaré, un Diao Baldé, tous anciens membres du Bureau Politique National du Parti Démocratique de Guinée (P.D.G.) et dire qu’on est sans crainte, c’est minimiser le danger qu’on gère. C
es éminents prisonniers ou anciens « retenus à Kindia » ne font-ils pas partie des mafias de drogues dans le monde ? N’avait-on pas découvert au domicile de Siaka Touré, bourreau de « l’Itinéraire ensanglanté », des tonnes de drogue, à son arrestation après la mort de Sékou Touré ? Madame Monique Goubet, excusez-moi, mais si vous voulez bien aider la Guinée et les autres pays aussi, donnez, livrez au moins la moitié de ce que vous savez sur ce chapitre de l’introduction et de la vente des drogues en Guinée. Mais ces dignitaires n’étaient pas seulement que des « drogueurs » de nos peuples, pour le savoir interrogez les Francs-maçons, ces hommes qui dirigent la plupart des « intelligences et consciences » universelles ! Capables de renverser les montagnes les plus hautes, ces matières grises, solidaires, organisées, solidement structurées, actives, secrètes, étendues et flexibles, comptent en leur sein, les plus grands de la terre. Sékou Touré, un des chefs de la Loge ouest-africaine est mort, mais les autres membres sont, demeurent et, semblent, plus qu’hier, actifs et déterminés à venger leur chef dont l’histoire, ce juge impartial, vient de ternir pour toujours la mémoire.

  • « Si l’argent fait la loi, nous sommes sûrs de réussir » !
  • « Quel homme exceptionnel, ce Conté-là»
  • «Un militaire qui ne veut point tuer»
  • « Quel humanisme extraordinaire»
  • « Mais ce n’est pas tout » !
  • « Il faut tout de suite le tenir»
  • « Des dollars, nous en avons » !
  • « Mais, ne lui en donnons pas directement ! on ne sait pas quel homme il est » !
  • « Décernez-lui le « prix-piège » d’abord et immédiatement»
  • « Ah ! voilà ! ça a mordu ! il a libéré certains et, plus intéressant, c’est qu’il précise qu’il ne faut point s’attendre à des procès politiques»
  • « Bravo ! Conté… » !

Conclusion

Il est donc prévisible que les autres détenus seront également élargis étant donné qu’ils « sont moins coupables » que certains qui sont en liberté.

Ce n’est pas fini ! La guerre ne fait que commencer ! Il faut tout faire pour qu’il échoue ce CMRN là ! En Europe, aux États-Unis d’Amérique… surtout dans les pays arabes, il faut créer de profonds fossés entre les vrais bailleurs de fonds et la Guinée « anti-Sékou ».

De deux choses l’une :

  1. Obtenir du CMRN la libération des dignitaires de l’ancien régime qui, petit à petit, patiemment, efficacement, mèneront le combat et la lutte en profondeur parce qu’ils seront protégés par le « prix de la liberté et de la justice », contre le nouveau régime.
  2. Au cas contraire, utiliser tous les moyens, notamment la Religion musulmane et les crises dues à la galopante inflation de la monnaie « syli », pour créer le mécontentement populaire, la subversion, le désordre et le laissez-aller à tous les niveaux ; l’appel du CMRN au pardon mal interprété entraînant des manifestations de rancoeur, des troubles intérieurs exploitables contre les nouvelles autorités, etc.

L’on voit qu’aucune des deux démarches n’est en faveur de la stabilité de notre pays…

D’ailleurs, il est facile de se rendre compte que devant la réalité quotidienne, la vie chère sciemment orchestrée par les commerçants qui considèrent les concessions faites par le CMRN comme une faiblesse, la gabegie économico-financière à tous les niveaux, la notion de liberté mal interprétée, les espoirs suscités par l’armée le 3 avril 1984 commencent à se transformer en grave désespoir!

En effet, peut-on redresser en carressant, un peuple trente ans défait par un homme et son système inhumain ? Un homme tordu peut-il redresser d’autres tordus ?
Les tortionnaires en liberté et aux postes de commande sont-ils à l’aise en présence de ceux-là qu’ils ont torturés dans les commissions d’enquête à Conakry (Boiro, Alpha Yaya, siège des fédérations), Faranah, Kankan, Kindia, Labé, N’Zérékoré, Macenta, etc. ?
Peuvent-ils sincèrement collaborer avec le CMRN, alors qu’ils sont nostalgiques du passé.

Voyons ! Sékou Touré a coupé nos forêts pendant trente ans et, chaque année il attendait le mois d’août pour faire semblant de brûler son champ, sachant bien qu’avec les pluies guinéennes de ce mois extrêmement pluvieux, le champ ne pouvait brûler. Ainsi, les forêts sont inutilement détruites, les champs non brûlés, les espaces cultivables ne pouvaient être obtenus et, entre-temps survient la mort inattendue mais très souhaitée de celui qui est responsable de tous ces crimes. Sékou Touré laisse donc tout ce « fatras » en héritage au CMRN.
Écoutez ! Peut-on avancer dans ce « fata-fiti » indescriptible sans casser de branche tordue, ni rompre une liane fossoyeuse, et conduire sans encombre à la terre promise un peuple deux fois martyr ? L’ancien « premier-premier Ministre » Béavogui n’avait-il pas raison d’exprimer l’idée suivante dans son discours d’adieu à son ami : « Tu n’es pas mort, Ahmed Sékou Touré, car tes idées et ton programme ne mourront jamais ! Ils continueront à dominer la réalité politico-économico-sociale de la République de Guinée que tu as faite souveraine, pour la laisser belle et prospère ! nous le jurons !»

Cette Guinée, moulée dans les maisons du Parti faite de délation, de viols, de vols, d’absentéisme, n’est pas facile à redresser ! En effet, devant la persistance bien douloureuse de la Guinée Sékoutouréenne dans celle du CMRN, un ami m’a dit l’autre jour :

— Tu sais Sylla, je regrette l’honnêteté dont j’ai fait montre « hier » sous le régime ancien, car, le contraire m’aurait profité aujourd’hui, comme à tous ces voleurs que le CMRN « souffre » ou tolère, alors qu’ils n’osaient pas jouir du fruit de leur vol en présence de Syli-Sékou, qui était « l’unique porteur de pantalon » en Guinée. Il a fallu beaucoup d’arguments politiques appuyés de citations du Coran et d’Hadith du prophète Mahomet, pour que je réussisse à convaincre mon ami de la justesse de son attitude morale face au bien public. Je lui fis retenir cette vérité éternelle : « un bien mal acquis ne profite jamais ».

Un autre camarade de me poser la question suivante

— Sylla ! Je te connais sincère ! C’est pourquoi je te demande de m’éclairer sur l’avenir de notre pays, compte tenu que certains responsables actuels emboîtent plus ou moins le pas à leurs prédécesseurs ».
— Je dégagerai à l’intention de ce patriote sincère la seule attitude politique que je crois, l’une des meilleures pour conduire ou aider à mener la barque guinéenne :

La justice d’abord, puis la tolérance !

Le Guinéen est croyant, fervent, patient et tolérant. Il a subi Sékou Touré, son régime politique, économique, social et culturel pendant trente ans au moins. Pourquoi se plaindrait-il du CMRN après seulement quatorze mois d’exercice du pouvoir par celui-ci ? Oh ! le peuple, notion vague ! L’homme est impatient ! Parce que sa vie est courte ! Le bonheur à mon enfant… mais à moi d’abord, chargé de préparer ce bonheur futur. Il faut bien manger pour avoir la force de cultiver la terre ! Il faut vivre dans une maison, même une hutte, pour pouvoir construire une villa ou un immeuble ! L’aumône fait partie des prescriptions du Coran ; mais faut-il avoir de quoi offrir pour être concerné par le chapitre ! Ce n’est pas sûr qu’un malheureux ici-bas soit heureux dans l’au-delà, car il ne fera aucune action bonne. Poussons l’analyse plus loin : la situation des nouveaux dirigeants du pays est parfaitement compréhensible, car, propulsés au devant de la scène politique par des événements dont beaucoup ne comprennent pas encore tout le ressort, élevés à des dignités pour lesquelles la plupart d’entre eux n’étaient nullement préparés, l’on comprend aisément que certains aient voulu y faire face en recourant aux mêmes méthodes que ceux dont ils ont occupé les fauteuils. Du reste, comme il arrive souvent que l’élève dépasse son maître, nombreux sont les successeurs des anciens dignitaires qui se conduisent quelquefois de façon scandaleuse, imitant ainsi ceux d’hier avec lesquels, cependant, ils ne devraient avoir absolument rien de commun.

Car, les dignitaires du régime tribal dictatorial défunt étaient des anti-intellectuels bornés et méprisants, qui n’avaient comme plate-forme de leur action que le goût du pouvoir et des avantages qui s’y rattachent.

Après qu’un dirigeant actuel ait violemment renvoyé de son bureau un modeste citoyen, il s’engagea entre nous un petit combat de coq :
— Votre devoir est de recevoir et d’écouter autant que possible tous ceux qui désirent vous voir. Ne rabrouillez pas, ne violentez point. Évitez les expressions « sortez de mon bureau, tu vas voir ».
L’Afrique est un mystère. Vous n’avez pas d’ennemis tant que vous n’êtes rien.

Notre maturité est spécialement africaine. Dire à l’Africain de s’occuper de ses affaires, de ne point se mêler de ce qui ne le regarde pas, c’est porter atteinte à ses traditions millénaires. N’oubliez jamais que l’Afrique est encore largement dominée par la superstition, les croyances occultes, la sorcellerie, le maraboutisme et le fétichisme. Comptez donc avec ces réalités qui nous motivent, nous guident et nous sollicitent à tous moments. Soyez fermes dans la douceur, rigoureux dans la bienveillance. Ayez comme signe extérieur, la modestie, l’abstinence, le dévouement et la sagesse. Avec ces quelques qualités humaines, vous exploiterez judicieusement la chance historique exceptionnelle que vous avez eue de prendre en main les destinées de notre pays après trente ans de dictature.

Il ne suffit pas de renvoyer manu militari dans son village avec interdiction de séjour à Conakry — comme l’a dit le président Conté le 29 juin 1985 — un cadre coupable de malversation. Il faut le mettre à la disposition de la justice, seule habilitée à déterminer la peine encourue par le citoyen dont la faute a été établie dans un dossier judicieusement élaboré et constitué d’éléments d’accusation et de défense. Seul un pays loyal est vraiment vivable !

48. Les dix souhaits

Avant ma mort, je souhaite ardemment :

  1. Lire le Coran manuscrit de Séidina Omar (probablement à Tachkent).
  2. Faire le pèlerinage aux lieux saints de Médine et de la Mecque.
  3. Visiter la tombe de Séidina Aly (à Koufa ?). Najaf (Irak)
  4. Réciter les 114 sourates du Coran.
  5. Construire une mosquée que je dédierai à mon père.
  6. Assister à une messe dite par le Saint-Père en l’Église Saint-Pierre de Rome.
  7. Serrer la main aux trois premiers astronautes américains qui firent l’un des plus brillants allunissages de l’histoire spatiale.
  8. Voir les sept (7) merveilles du monde antique.
  9. Avoir une conversation de vingt à trente minutes avec J.B.D. (France), Rockefeller, Jimmy Carter (U.S.A.), Menahem Begin (Israël),Amadou Ampâté Bâ(Abidjan ou Bamako).
  10. L’achat de ce livre par toutes celles et tous ceux qui sont épris de liberté, de justice et de démocratie en vue de renforcer leur combativité pour définitivement barrer la route à la dictature sanglante et inhumaine dont tous les chefs et tous les régimes portent les germes dangereux.

Soyez vivement remerciés, Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, vous qui aurez l’amabilité et la générosité de m’aider, de quelque manière que ce soit, à réaliser, soit une partie, soit la totalité de ces rêves.

49. Regret

Je regrette amèrement de n’avoir pas eu la chance de voir évoluer les rois Pelé et Mohamed Aly, deux sommités sportives mondiales qui ont fait l’honneur et le bonheur de plus d’un peuple.

50. Objet de chagrin

Je mourrais de chagrin si je devais disparaître de la société humaine sans prendre une part active à l’idéal de liberté, de justice, de démocratie, de paix, de bonheur moral et matériel pour tous, qui m’anima dès ma tendre enfance.

51. Requiem

Oh ! mère chérie !
Pardonne à un fils que tu as brutalement quitté, et qui, rendu orphelin à quatre ans, n’a donc pas pu payer une partie de ses dettes vis-à-vis de toi, car tout enfant est égal à la douleur de sa mère, à la souffrance de son père, et finalement au bonheur de sa mère.
Que ton âme, à côté de celle de ton mari, repose en paix !
Quant à toi Laurent Labour, Dieu d’Abraham, de Jésus et de Mahomet (paix à leurs âmes) ait ton âme au ciel à côté de celles des 313 prophètes élus !

Amen

Les remarques et suggestions faites aux nouvelles autorités guinéennes doivent être considérées comme une manifestation de notre apport à la qualification du nouveau régime et un témoignage rendu à l’option politique définie par le Comité Militaire de Redressement National, en matière de liberté d’expression et de la non-poursuite du citoyen à cause de ses opinions politiques. Terre des hommes ! sois viable pour les hommes ! Haleine de l’homme ne sois plus mortelle pour les hommes ! Peuple de Guinée ! implore Dieu pour toi et pour tous les hommes !

Al Hamdoulillâhi (Louange à Dieu)

  1. Mohamed Kouyate dit

    Ce document est ridicule et laisse transparaître toute la haine de l’auteur qui s’acharne sur le feu Président Sékou Touré qui le transcende à tous les égards. La restitution de notre histoire et l’éducation de nos peuples ne peuvent se faire dans la passion. C’est là une tentative bien maligne de salir un des grands hommes de l’histoire comtemporaine de l’Afrique pour vouloir plaire et se mettre à l’aise. Mais hélas, elle n’aura aucune portée. Ce que vous nous narrez ici laisse entrevoir le mépris et la haine que vous essayez de dénoncer, très maladroitement. Le respect doit pouvoir se mériter. Vous pensez pouvoir plaire à certains qui n’attendent que ce genre de déclaration sur AST. Et ce site n’hésite pas le relayer… Les guinéens sont décidement en total perdition. Il sera difficile de re-bâtir une nation avec des personnes mal intentionnées comme vous qui ne sont même pas capables de se remettre en cause elles-mêmes. C’est triste et regretteable!

  2. malick dit

    Triste pour ma guinee avec toute ses potentialities n’arrive pas a decouler. Qu’Allah pardon CE peuple pour tous ces sangs des inocents.

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