Editions Ernest Leroux. Paris. 1921. 588 pages
Chapitre III
Les Diakanké Qadria de Touba
Le groupement de Touba, fortement atteint depuis 1911, par l’arrestation de son chef Karamoko Sankoun, a été au dix-neuvième siècle la métropole des études islamiques du Fouta. Touba, à la lisière septentrionale du Fouta-Diallon, et Kankan sur le Milo, étaient les deux villes saintes de la Guinée.
Chérif Hamidou
Son fils posthume, Abdoulaye, naquit vers 1830. Avec l’âge, il se para, comme fils de blanc, du titre de Chérif. Ce fut le Chérif Abdoulaye. Il vécut dans le Toro central, à Tchilogne et à Ley-Bosseya, et mourut à Dounga, en 1911.
Il fut enterré à Céde Abbas, où l’on montre son tombeau. Des nombreux enfants qu’il laissa et qui vivent et prospèrent dans le Bosséa, celui qui nous intéresse, Chérif Hamidou, est né en 1864 à Diollol (Matam). Il a fait de bonnes études auprès des marabouts toucouleurs du Fouta Toro, puis alla les compléter et chercher sa voie à Ségou auprès d’Ahmadou Sékou (1885). Vers 1889, quand les Français entrèrent à Ségou, il prit la fuite, et vint chercher fortune dans le Dinguiraye auprès de l’almamy Aguibou. Il y ouvrit une école et fut bientôt par son savoir, et son entregent un des marabouts officiels de la région. Sous Aguibou déjà, et plus complètement sous Maki Tall, il est un des conseillers de l’almamy, un des ulémas en titre du régime. Maki le chargea même, pendant deux ou trois ans, de commander un groupe de villages, mais ce premier essai d’administration ne réussit pas.
A la déposition de Maki Tall (1899), Chérif Hamidou fut utilisé comme cadi et écrivain d’arabe par l’autorité française. Il occupa cette place pendant douze ans et y rendit par ses connaissances juridiques, par sa souplesse affinée et par son intelligence et son expérience des choses locales, des services distingués.
Lors de la réorganisation du Dinguiraye, Chérif Hamidou fut placé à la tête de la province de Loufa (14 décembre 1911). Il exerce toujours ces fonctions et s’acquitte de son service de la façon la plus satisfaisante.
Chérif Hamidou jouit dans tout le Dinguiraye d’un prestige maraboutique considérable, non seulement dans l’élément toucouleur qui le considère comme un des siens, mais encore sur les Foula et les Malinké. Il est aussi très connu dans le Fouta-Diallon oriental.
C’est un lettré arabe et un savant musulman de valeur. Ses fonctions de chef de province lui interdisent aujourd’hui de prêcher et de professer, mais il a toujours de nombreux talibés. Très intelligent, il a compris la nécessité de pouvoir se passer d’intermédiaire avec l’autorité et il s’est mis à l’étude du français, qu’il parle et comprend quelque peu.
Installé à Mansaréna, chef-lieu de Loufa, Chérif Hamidou il est aujourd’hui un homme d’une cinquantaine d’années, lourd et grave, plus Karamoko avec ses lunettes et sa face amène que chef à la toucouleure. Il a de nombreux enfants. Les fils, qui sont tous passés par l’école française, sont: Amadou Chérifou, né vers 1888, intelligent et ouvert, représentant de son père auprès de l’administrateur à Dinguiraye Maki Chérifou, né vers 1895, Khalifa de son père dans l’administration de la province; Aguibou Chérifou, né vers 1899, élève à l’école française de Conakry. Ses filles sont mariées à des cultivateurs et notables toucouleurs de Dinguiraye.
Chérif Hamidou est tidiani de la voie omaria. Il a été affilié par Al-Hadj Saïdou, Toucouleur du Toro (village de Heddi) qui lui-même reçut le wirdd’Al-Hadj Omar à Matam. C’est Al-Hadji Saïdou qui lui a conféré aussi les pouvoirs de moqaddem consécrateur.
Le principal talibé de Chérif Hamidou est Ba Gouraisi (déformation locale de Qorcioni), qui est né vers 1875 à Ségou. Son père, Ousman Tall, était le frère d’Al-Hadj Omar. A l’entrée des Français à Ségou, il prit la fuite et se réfugia à Dinguiraye auprès d’Aguibou. Il se consacra au commerce où il est passé maître. C’est un des dioulas en vogue du Fouta, et de ce fait, encore que son instruction islamique soit à peu près nulle, il a su répandre avec adresse son influence personnelle.
Il a des disciples disséminés dans toute la région.
Les principaux sont: Abidou, né vers 1855 ex-Karamoko, et qui a fermé son école, depuis qu’il a été nommé chef de Marégala (Tamba).
Un petit groupement à Kansato (Bailo).
Un petit groupement à Kalinko (Bailo).
Parmi les disciples qu’il compte dans le Fouta, les plus en vue sont: Alfa Aliou, chef de Niagara (Timbo) et fils du grand Modi Diogo, chef du Teekun Modi Maka ou premier groupe des gens de Timbo. Il a reçu le wird au cours d’un des voyages de Baba dans le Timbo.
Parmi les autres disciples de Chérif Hamidou on peut citer Saidou Paré Sara, Bambara, né vers 1880, cultivateur de Dinguiraye.
Mabi Djeli, Bambara, né vers 1880, cultivateur et griot réputé à Dinguiraye.
Fafa Koita, Bambara, né vers 1878, cultivateur à Dinguiraye.
Soulèye Labbo, Toucouleur, tailleur à Dinguiraye.
Mamadou Kamara, et Fodé Kamara, Malinké, cultivateurs à Santiguia (Loufa).
Billo Djeli, Malinké, chef griot et cultivateur à Semounoko (Loufa).
Tierno Doura Mali, Foula, cultivateur à Tetiko (Loufa).
Chérif Hamidou possède en outre un grand nombre talibés de moindre importance, connus et même inconnus, auxquels il a distribué le wird.
- Alfa Mamadou Thiam. Alfa Mamadou Thiam, chef de province de Tamba, est d’une famille maraboutique qui jouit d’un grand prestige dans le Dinguiraye.
Son arrière grand-père, Tierno Demba, était d’origine wolof, du Diolof même. Il vint dans le Fouta à la fin du dix-huitième siècle et s’installa à Moggo Hayre dans le Damga (Matam). Il y est enterré.
Un de ses fils, Tierno Ahmadou, lui succéda à la tête de son école coranique, et devenu Toucouleur, acquit un certain prestige parmi ce peuple. Il fut enterré à côté de son père.
Ce fut son fils, Tafsirou Aliou, né à Moggo Hayre, vers 1840, qui lui succéda. Il fit ses premières études dans le Fouta Toro, vint les compléter à Saint-Louis où il fut quelque temps planton au Gouvernement du Sénégal, passa quelque temps dans le Moakol (Cayor) auprès de Tafsirou Moktar Diop qui lui enseigna la théologie et le droit, et finalement rentra dans le Fouta Toro, vers 1860. Il le suivit dans la plupart de ses pérégrinations, et s’établit en dernier lieu dans le Dinguiraye, à Tamba. Tafsirou Aliou a fait une carrière maraboutique des plus remarquables.
Il était un des deux disciples à qui Al-Hadj Omar avait donné le pouvoir de conférer son wird dans le Dinguiraye.
Alfa Mamadou Thiam
Alfa Mamadou Thiam a laissé à sa mort, 1902, sur toute cette lisière du Fouta, un grand nombre de disciples, les uns indépendants aujourd’hui et chefs de groupements autonomes, les autres passés sous la direction spirituelle de son fils Mamadou.
Celui-ci est né vers 1865 à Tamba. Il a fait ses premières études avec son père ainsi qu’auprès des marabouts toucouleurs de Dinguiraye, puis a consacré les dix ans de son adolescence à faire le dioula à Conakry. Nommé chef de village de Tamba (1897), il exerça ses fonctions avec beaucoup de zèle, et ne tarda pas à se brouiller avec l’almamy Maki Tall, dont il se souciait peu, sentant que c’était du côté des Français qu’il fallait se tourner.
Révoqué de l’emploi de chef de village de Tamba en 1904, sur la plainte des notables, pour abus de pouvoirs, il fut utilisé aussitôt comme moniteur d’arabe à l’école française. Il y prit tout de suite un ascendant considérable, et y rendit pendant huit ans des services signalés. Il profita de son passage dans notre établissement scolaire pour s’y perfectionner dans la langue française qu’il parle et lit très suffisamment,
En 1908, il faisait un séjour de six mois à Médine et Kayes pour y faire le commerce de chevaux.
Nommé chef de la province de Tamba par arrêté du 14 décembre 1911, il exerce ces fonctions avec dévouement, intelligence et énergie. Il a été nommé par décision du Gouverneur général en date du 23 avril (1916) membre du Conseil consultatif des Affaires musulmanes de l’Afrique occidentale française, et, appelé à ce titre à Dakar, y fait un séjour d’un mois en mai-juin 1916.
Alfa Mamadou Thiam est un lettré arabe des plus remarquables. Il manie très bien la prose et les vers de la langue du Prophète, et soutient facilement une conversation en arabe littéraire. C’est un homme intelligent, cultivé, éclairé. Comme beaucoup d’indigènes, c’est un polyglotte émérite: il parle le malinké, le soussou, le poular et le poul-poullé [fulfulde]. ll a conservé l’usage du ouolof. Son prestige, tant personnel que comme héritier de la baraka de Tafsirou Aliou, est considérable. Si l’exercice de ses fonctions de chef de province l’empêche actuellement de jouer un rôle maraboutique, il ne faut pas perdre de vue qu’il est surtout un pontife de l’Islam.
Il a une bibliothèque musulmane bien fournie, encore qu’un incendie récent lui en ait brûlé la moitié à Dinguiraye.
Il a fait du chef-lieu de sa province Balani-Oumaya, ancien village diallonké, un centre religieux important, y attirant et protégeant les Karamoko, y édifiant une magnifique mosquée qui passe aujourd’hui pour la deuxième du cercle, ne cédant le pas qu’à celle de Dinguiraye même. Ce centre est maintenant visité par des marabouts de la Mauritanie et du Soudan.
Ses fils, encore en bas âge, Ahmadou, né en 1907; Ibrahima né en 1909; Boubakar, né en 1912, suivent les cours d’école française de Dinguiraye; ses filles sont mariée à des notables et commerçants toucouleurs du pays ou même du Sénégal.
Ses frères sont tous des personnalités connues : Youssoufa Thiam, né vers 1875, écrivain d’arabe au cercle de Dinguiraye, puis secrétaire du Tribunal de province, aujourd’hui assesseur à ce tribunal. Modi Mamadou Thiam, de Sabéréfaran, né vers 1860. Tierno Tahirou, Foula du Labé, à Dara-Sokoboli, né vers 1865. Tierno Sabitou (Thabit), Foula, chef de Elleyabhe, son frère Maki Ella, Karamoko et notable.
L’influence de Tafsirou Aliou et de son fils s’est étendue en dehors de Dinguiraye. A signaler notamment dans le Koïn; leurs disciples, Karamoko Mamadou Bobo, Foula Ranhaabhe, né vers 1850, imam de la mosquée de Kona, marabout de quelque renom dans ce centre. Tierno Ibrahima, de la famille Koulounanké, né vers 1875, habitant Wendou Malanga. Il y fit ses premières études, les continue à Timbo, et revenu chez lui fait le maître d’école, le colporteur de caoutchouc, et l’auxiliaire du chef de province. Il a un certain nombre de talibés dans la région, dont Tierno Alimou, Foula, de la famille Seleyanke, né à Mombeya (Ditin) vers 1853, habitant le Marga de Bouroutomo, à Kémaya (Koïn). C’est un lettré, auteur de plusieurs poèmes en l’honneur du Prophète, maître d’école réputé, marabout très considéré. Il a plusieurs talibés dans cette partie du Koin.
- Tidiani Dia. — Tidiani Dia, plus connu sous le nom de Ti Dia, fils d’Ousman Seydou, est le chef de la province de Baïlo. Il est né vers 1867, a fait ses études auprès de ses compatriotes toucouleurs de Dinguiraye, et s’est tout de suite classé comme un musulman fervent et très instruit. Quand l’almamy Aguibou fut appelé au Soudan par le colonel Archinard, il le suivit; on le rencontre plus tard aux côtés de Maritz, luttant contre Samory et ses lieutenants Sori Ba et Baro Madiara. En 1898, il fait le dioula dans le Sahel, sur le fleuve Sénégal et en Sierra-Leone.
La religion conduisit Ti Dia à la notoriété, et celle-ci au commandement d’une province. Lors de la réorganisation du Dinguiraye, il reçut le commandement du Baïlo (janvier 1912) qu’il dirigeait au surplus, « à l’essai » depuis 1909.
Il s’y est parfaitement distingué par son énergie et son intelligence. Il s’y est même acquis une réputation de spécialiste de travaux publics. Ses pistes, ses ponts, ses puits, ses caravansérails sont parfaitement entretenus. Il a poussé ses administrés dans la voie des cultures agricoles et a obtenu de très beaux résultats.
Ti Dia est tidiani omari et se rattache au grand marabout par la lettre d’Ahmadou Chékou à Aguibou. Il a un certain nombre de disciples dans le Dinguiraye, mais surtout dans la province du Baïlo. Depuis qu’il est chef, son caractère maraboutique s’est très effacé, au moins aux yeux des Français. Il reste pourtant intérieurement ce qu’il était, et le reparaîtra, le cas échéant: un marabout très érudit et très considéré.
Sa résidence de Niara Tinkinsan est dotée d’une belle mosquée de chaume, dans le genre classique des mosquées du pays. - Alfa Malian. — Alfa Malian Ba, Toucouleur, vient de mourir, laissant la réputation d’un grand marabout, dont ses enfants n’héritent que partiellement.
Il était né vers 1840, à Matam, et avait suivi, enfant, ses parents qui s’attachaient à la fortune d’Al-Hadj Omar. Il fit de bonnes études à Dinguiraye et à la mort de son père, Tierno Adboulaye, lui succéda comme marabout de l’entourage d’Ahmadou Chékou. Il assista, en cette qualité, au siège de Nioro, puis revint à Dinguiraye, où il fut conseiller de l’almamy Maki Tall. A la suppression de l’ancien état de choses. Alfa Malian fut nommé chef du village de Dinguiraye (1903-1910), puis assesseur du Tribunal de cercle. Son impéritie, jointe à celle des autres chefs locaux, conduisirent l’autorité française à la réorganisation du commandement, et Alfa Malian dut résilier ses fonctions.
Il redevint marabout comme par le passé, et se retira à Mboné (province de la Tamba) où il professa quelque peu, supplée à cause de son grand âge par ses fils et disciples.
Il est mort à Dinguiraye, en septembre 1913, et y a été enterré.
Son fils aîné, Alfa Ba, né en 1875, est relativement lettré et ne jouit que des reflets de la baraka paternelle. Il est chef de Mboné et se consacre surtout aux travaux agricoles.
Ses autres fils, Oumara Ba, Ousman Ba, Mama Foro Ba, sont des cultivateurs notables de Mboné.
Le groupement d’Alfa Malian Ba se rattache au Tidianisme omari par le grand marabout lui-même, qui conféra son wird au jeune homme dans le Fouta Toro, vers 1882.
N’ayant pas reçu les pouvoirs officiels de moqaddem consécrateur, Alfa Malian Ba a toujours quelque peu opéré sous le manteau de la cheminée et ne laisse qu’un petit nombre de talibés.
Les autres marabouts de Dinguiraye sont des personnages de second plan et ne méritent qu’une mention rapide.
Dans le Dinguiraye même:
- Tierno Oumar Thiam, né vers 1868, maître d’école et surtout dioula, lettré intelligent transcripteur de la lettre d’Ahmadou Chékou à Aguibou.
- Tierno Mamadou Abdoul, maître d’école, né vers 1855.
- Ibrahima Hamadou, dit Kankan, parce qu’il a fait un voyage dans cette ville. Il est né en 1840, et prétend avoir reçu le wird d’Al-Hadj Omar lui-même à Hoore, fondé en 1860.
- Doulla Tierno Ciré et son frère Tierno Ciré Baro, maître d’école.
- Ousmani Diallo, lettré et ouvert, né vers 1865.
Tous ces indigènes sont des Toucouleurs d’origine, fils des compagnons d’Al-Hadj Omar, nés et élevés dans le pays, très unis entre eux, formant bloc contre les autres groupements ethniques et, de par leur particularisme, conservant toujours leur langue et leurs coutumes du Fouta Toro.
A ajouter à ces personnages, Alfa Amadou Bodié, Foula originaire de Kolladhe (Ditin), installé depuis soixante ans à Dinguiraye, imam de la mosquée d’Al-Hadj Omar.
Dans le Loufa: à Loufa, Alfa Bakar, de Kansato, né vers 1850, maître d’école; à Bagui, village de Torobbhe, Alfa Mamadou Goulo, dit Mamadou Alfa, originaire de Niéniéméré (Koïn), Alfa Ibrahima Diop, dont le grand-père d’origine wolof, vint à la suite d’Al-Hadj Omar. Alfa Diop a été chef du village. Il est aujourd’hui maître d’école, et fait diriger la classe élémentaire par son fils Boubakar, tandis que lui faisait un petit cours supérieur de Rissala, à trois ou quatre élèves. Boubakar est aujourd’hui moniteur d’arabe à l’école française de Labé.
Dans le Tamba: Alfa Saliou Poullo Fouta, Foula originaire de Timbo, mais né à Dinguiraye vers 1860, maître d’une petite école d’une dizaine d’élèves; Alfa Oumarou Baïlo, Foula, forgeron et maître d’école.
Dans le Baïlo: Tierno Mamadou Sori, né vers 1855, résidant à Niaria Tinkissan. Alfa Mamadou Guiddo, né vers 1868, résidant à Fogo; Alfa Ibrahima Souréga, né vers 1860, à Dar es-Salam; Alfa Bakar Maliki, qui est mort en 1914, laissant plusieurs talibés, et Tierno Sidi Diawo Consolon, né vers 1855 à Kansato; Baba Kalinko, né vers 1870, à Nièrémadia-Kolen (Timbo), fils et disciple de Fodé Lamine Tounkara, Malinké, marabout enseignant à Kalinko. Son père fut un des premiers disciples d’Al-Hadj Omar, qui l’avait nommé chef de Kalinko. Baba est sujet à des crises d’épilepsie et même d’aliénation mentale prolongée. Al-Hadj Mamadou Sokoboli (Tamba) qui est mort en 1913, est signalé ici pour mémoire, car, d’affiliation qadria, son groupement se rattache à Saad Bouh.
IV
Toucouleurs de Dinguiraye et Foula
du Fouta-Diallon.
Toucouleurs et Foula, gens du Fouta Toro et du Fouta-Diallon, ont entre eux les plus grandes affinités:
- liens du sang d’abord, puisque c’est l’origine peule qui constitue leur principal caractère ethnique et que le poular toucouleur et le poulpoullé des Foula ne sont que des dialectes fort rapprochés, entre eux et dérivant du même fond peul;
- lien historique, car le flux et reflux de leurs grands mouvements de migration ont amené les tribus fulbhe des rives du Sénégal aux hauts plateaux de Guinée et réciproquement;
- lien religieux enfin, puisque leur islamisation date de la même époque, a suivi un développement parallèle et a, semble-t-il, fortement et réciproquement réagi sur les deux sociétés.
Il est donc naturel qu’on voie de tout temps les Toucouleurs, cordialement accueillis au Fouta, y prendre une place prépondérante dans le conseil politique des almamys et des chefs et dans l’instruction religieuse du pays.
Il y eut toujours à Timbo, à Labé et au Maci, des Toucouleurs inféodés aux chefs du pays, et leurs plus fidèles agents d’exécution. A Kadé, ils étaient — et ils sont encore — particulièrement influents.’ Hecquard, qui y passait en décembre 1850, raconte les mésaventures qui lui advinrent du fait de Laho Bhoundou, fils du chef de Labé, et insiste sur les bons offices que lui rendirent en cette occasion les Toucouleurs du pays. Leur expérience des affaires des peuples soudanais, leur connaissance et leur rapprochement des Français qui permettaient et facilitaient les relations, leurs qualités d’entregent, d’intelligence pratique et d’énergie firent d’eux les auxiliaires de la politique des almamys du Fouta-Diallon et leurs meilleurs agents d’exécution: ministres, cadis , conseillers , ambassadeurs, etc. Tous les voyageurs qui se sont succédé à Timbo, de Mollien à Noirot, en passant par Hecquard, Lambert et Sanderval, ont constaté et signalent le fait.
Mamadou Bailo, conferencier Toucouleur
L’installation des Toucouleurs à Dinguiraye ne fit qu’accentuer le mouvement. Les missionnaires d’Al-Hadj Omar et de ses successeurs s’installent en karamokos un peu partout, ouvrent des écoles, se posent en pontifes islamiques, se poussent à la cour et en province. « Dans les régions où nous sommes, dit Sanderval en 1880, tous les rois ont auprès d’eux un Toucouleur, chargé des négociations relatives à la guerre, soit qu’il s’agisse de la déclarer, soit qu’il s’agisse de traiter de la paix. »
L’abondante distribution du wird que firent d’abord les missionnaires toucouleurs, puis leurs télamides foula amenèrent peu à peu le Fouta-Diallon dans l’orbite tidiania des omariens de Dinguiraye. Aujourd’hui, sauf quelques groupements sadialiya (chadelia) et qadria, ceux-ci d’ailleurs Diakanké ou Houbbou, la totalité des Foula relève en définitive de la bannière tidiania d’Al-Hadj Omar. On le verra en détail au chapitre cinq, qui traite de ces groupements foula.
Les Foula d’ailleurs étaient fort bien accueillis à Dinguiraye. Ils y étaient même attirés par les maîtres toucouleurs qui voulaient peupler la région. Ceux-ci cherchèrent à y fixer — et ils y parvinrent partiellement — les Foula de Baïlo ou Foula errants, premiers Houbbou, sortes d’outlaw du Fouta, qui, fuyant les exactions ou plus simplement la justice des almamys, gravitaient à la lisière du pays. D’abord dans le Farana, puis dans le Oulada de Kouroussa, ils finirent par camper dans le Dinguiraye occidental, auquel ils donnèrent leur nom, mais fortement métissés de Malinké, peu ou mal islamisés, d’origines sociales les plus diverses et les plus décriées, ils furent toujours méprisés. Samory les pourchassa, et sous sa poussée, ils s’établirent le long du Conseil. Les almamys de Dinguiraye les traitèrent tous avec égards, sauf toutefois Aguibou qui, par ses procédés violents, contraignit une partie d’entre eux à s’échelonner le long du Bafing, où ils sont encore.
En outre, depuis le temps d’Al-Hadj Omar, de tous les points du Fouta, de nombreux petits groupements de Foula ont émigré vers le Dinguiraye. A des intervalles réguliers, de décade en décade environ, des colonies du Pita (Pita, Timbi-Touni, Timbi-Médina, Bomboli), de Ditin (Fougoumba, Dalaba), de Timbo (Kolen), du Koïn sont venues peupler la région du Dinguiraye et notamment la plaine de Tamba Yoro, où tous les villages, Dayabhe, Diawia, Lancinaya, Ouyabhe, Dalaba, Fonfoya, Loufa, dont la création remonte au cours du dix-neuvième siècle, ainsi que Kouroupeng et Illi Mallo dans le Tamba, sont occupés partiellement par des Foula, originaires des provinces susnommées du Fouta-Diallon.
Peu après 1900, on signale encore l’exode du Ditin de plusieurs familles qui viennent créer, au pied nord-ouest des monts Libilamba, à proximité du village de Lémonéko, les deux centres de Nouveau-Fougoumba et Nouveau-Niogo. Ils entrent immédiatement dans l’ordre établi et se rattachent d’eux-mêmes au village malinké de Santiguïa et à son chef Alfa Kamara. Cette migration fut attribuée à ce moment-là aux exactions de l’Alfa de Fougoumba, Ibrahima Kilé.
Depuis cette date, d’autres mouvements se sont produits, qui ont été remarqués par l’autorité française, mieux installée et plus perspicace, et qui ont troublé sa quiétude. On a cru y voir tout de suite les signes d’un malaise politique. Il suffit de connaître le passé pour savoir que l’attirance religieuse, la tradition historique et l’appel de leurs frères déjà installés là-bas et y florissant, expliquaient ces exodes de familles. On peut y ajouter les besoins de pâturages nouveaux, la transhumance des Foula étant en effet fonctions des nécessités de leurs troupeaux, et peut-être enfin et tout simplement ce nomadisme invétéré qui parait être un des caractères fondamentaux de l’âme peule.
Voilà pourquoi, en 1911-1912 encore, trois cents personnes quittaient les régions de Fougoumba, Gobiré et Maci pour se rendre auprès de leurs frères des néo-villages foula du Dinguiraye, à savoir :
- Fougoumba
- Niogo
- Dalaba
- Kébali
- Koumbia
- Koubi
- Dentari
- Ley-Fello, etc.
Voilà pourquoi on peut signaler, chaque année, d’autres et semblables exodes, moins importants il est vrai. Il n’y a là aucune effervescence politique, aucune propagande religieuse.
Les principales personnalités religieuses y sont:
- Mamadou Bobé Gobiré (Ditin), né vers 1844, habitant la Marga de Senaya, dans le Loufa, en relations constantes avec son pays d’origine où il jouit d’ailleurs, comme dans le Loufa, une certaine réputation de sainteté. C’est un disciple tidiani du célèbre marabout Modi Mamadou Gobiré.
- Tierno Mamadou Mansonéya, né vers 1845, originaire de Gobiré, disciple tidiani d’Alfa Ahmadou du Kolladhe et de Modi Issagha, de Daara Timbo, celui-ci disciple direct d’Al-Hadj Omar. Il habite Ouyabhe (province de Dinguiraye) depuis 1906, date où il est revenu trouver ses parents et amis, émigrés avant lui. C’est un marabout lettré et considéré. Son frère Alfa Ousman jouit aussi d’un certain prestige.
- Tierno Talibé Ndouyedio, né à Ndalaho (Pita) vers 1868, disciple tidiani de Modi Mamadou Guirladio, installé à Koya, dans le Missirah, et qui vient d’y mourir en avril 1913. Marabout illettré et de peu d’importance à qui on fit l’honneur, bien à tort, d’attribuer une prédication enflammée pour la guerre sainte. Ses enfants sont cultivateurs dans la région.
- Modi Sori Sibilinké, fils et disciple tidiani de Mamadou Tanou, né vers 1850 à Kankalabé (Ditin) résidant à Koumbia Ley-Fello (province de Dinguiraye). Plus connu sous le nom de Dendembo Ibrahima. c’est un marabout lettré et considéré.
- Alfa Mamadou Timbo Foula, Sediyanke, disciple d’Al-Hadj Omar, mort depuis plusieurs années. Il a laissé plusieurs talibés dans la région notamment; Imourana, né vers 1873, Malinké résidant à Foutou; Alfa Mamadou Kalé, Malinké, impotent, demeurant dans le Tamba, et Tierno Mamadou Ndiaye, d’ascendance wolof.
En dehors de ces grands mouvements de migration de tribus ou d’exode de familles, un certain nombre de personnalités foula sont venues s’établir dans le Dinguiraye toucouleur, Al-Hadj Omar en ramena plusieurs avec lui, et cette génération vient à peine de s’éteindre, un des plus notoires était Issagha Ba, plus connu sous le nom de Issa Ba, avare, rapace, mais remarquablement énergique, un des plus anciens agents d’Aguibou et de Maki Tall. Il exerçait l’autorité en son nom sur les Fulbhe de la région, et commandait en outre le village de Fougoumba du Dinguiraye.
A signaler encore Fodé Fofana, Diallonké originaire de Diégounko (Timbo), né vers 1840, installé depuis 1860 à Mansaréna (Loufa), mais qui se déplace fréquemment dans le Dinguiraye et au dehors. Marabout ambulant et mendiant, peu instruit au surplus, il fait l’école à une dizaine d’élèves.
Notes
1. Dinguiraye est la déformation d’un mot foula qui signifie « tapade » enclos pour les boeufs.
Chapitre V
Les Tidiania Foula
La grande majorité des Foula est aujourd’hui affiliée de près ou de loin au Tidianisme Omari de Dinguiraye. Les antiques voies, soit Qadria que les premiers envahisseurs apportèrent avec eux du Macina, soit Chadelia que propagèrent des marabouts locaux, élèves de l’école de Fez, tendent aujourd’hui à disparaître. Elles ont dû céder le pas, dès 1850, à l’influence d’Al-Hadj Omar.
Installé dans sa principauté de Dinguiraye, taillée dans les domaines des fétichistes, le grand Toucouleur du Fouta Toro attira très vite l’attention des gens du Fouta-Diallon par l’éclat de sa sainteté, de sa science et de sa fortune politique. La communauté de langue et d’origine contribua aussi pour beaucoup évidemment au rapprochement sympathique. Al-Hadj Omar fit d’autre part, vers 1850, un séjour de plusieurs mois à Timbo et y déploya toute la force de sa séduction, de son savoir et de son éloquence. Dès ce moment, les Karamoko Foula vinrent à lui; leurs disciples les suivirent, et quoi qu’en eurent les almamys, qui politiquement et par jalousie se mirent souvent en travers des projets des Toucouleurs de Dinguiraye, au point de nouer alliance avec Samory, ils durent aussi emboîter le pas. Le Fouta Diallon s’est trouvé, dès 1885, inféodé à la voie omarienne. Il l’est toujours.
Nous arrivons donc ici, si l’on peut dire, au coeur même de l’Islam Foula. Dégagé de l’étude des groupements Sadialia en voie de disparition et de l’étude des groupements qadrïa, toujours florissants, mais qui sont un peu un hors d’oeuvre dans la société foula, puisqu’ils sont immigrés et d’origine diakanke; éclairé par l’étude préliminaire du Tidianisme des maîtres de Dinguiraye, I’Islam tidiani du Fouta-Diallon peut être abordé et suivi pas à pas, c’est-à-dire cercle par cercle ou région par région.
Chemin faisant, les petites colonies étrangères de Malinké et de Sarakollé d’obédiences diverses y seront signalées.
A leur place également, il sera fait mention des derniers survivants des Houbbou. L’occasion semble opportune pour présenter ces révoltés politiques et traditionalistes religieux qu’on commence à voir aujourd’hui seulement sous leur vrai jour.
Les Houbbou, groupement tout à fait hétérogène de Qadrïa, qui ont tenu tête inlassablement aux almamys du Fouta, puis à Samory, dans les deux derniers tiers du dix-neuvième siècle, ont aujourd’hui à peu près disparu.
C’est de Tierno Mamadou Diouhé, fils de Modi Karimou, de la famille Nduyebhe (tribu Uururbhe) qu’est parti le mouvement.
Mamadou Diouhé était un Karamoko d’une grande sainteté, habitant entre 1820 et 1840 Timbo, où il avait fait l’éducation d’un grand nombre d’enfants des meilleures familles Foula et notamment celle du fils de l’almamy Abdoul Qadir, Ibrahima Sori, celui-là même qui désirait devenir almamy en 1872, sous le nom d’Ibrahima Donghol Fella. Il était également en très bons termes avec l’almamy Oumarou, qui lui donna sa mère en mariage. Entre 1840 et 1850, il se retira à Lamina, village de la petite misiide de Kolako, dans le diiwal de Fodé Hadji (Timbo) où ses disciples vinrent le retrouver. Sa zaouïa fut bientôt extrêmement florissante; elle devint le refuge des voleurs, des faillis, des esclaves en fuite ou simplement des mécontents du régime, surtout Uururbhe et Ferobbhe, et attira fâcheusement l’attention des Almamys. C’était le premier acte d’une pièce dont le dernier se jouait en 1911. Ils finirent de la même façon: l’Almamy Ibrahima Daara, voyait du plus mauvais oeil ce foyer d’intrigues, marcha contre les dissidents (Houbbou et Foula), et il fut tué, comme deux officiers français étaient tués en mars 1911 en voulant arrêter le chef des Houbbou, à Goumba.
La lutte se poursuivit féroce entre les rebelles, commandés d’abord par le marabout Mamadou Diouhé, puis par son fils Mamadou Abbal, et le pouvoir central de Timbo.
Elle prit bientôt une sorte de caractère religieux. Les Foula passent au Tidianisme des Toucouleurs de Dinguiraye. Les Houbbou restent attachés à la bannière qadria de leurs ancêtres et réclament du secours à Cheikh Sidia Al-Kabir. Déjà Modi Karimou, le père de Mamadou Diouhé, avait été en relations avec les marabouts du Sahel (Trarza et Kounta). Il leur avait rendu de nombreuses visites. Son fils continua la tradition. On cite encore les noms des deux ambassadeurs: Magariou et Tierno Sansi, qui vinrent à plusieurs reprises chercher des subsides et des encouragements auprès du grand pontife des Oulad Biri.
Les Houbbou n’eurent pas le dernier mot. Ils durent reculer devant les perpétuelles attaques des Almamys, évacuèrent le Fodé Hadji, le Baïlo et se réfugièrent dans le Yewrugal et les hauts monts qui l’entourent: province du Fitaba, et partiellement du Houré. Ils vécurent dans une paix relative dans les tours de commandement d’Ibrahima Donghol Fella, soit que cet Almamy eût conservé une certaine amitié pour ses anciens maîtres et condisciples, soit qu’il fût vraiment, comme nous le montrent certains récits du temps, un homme intelligent, ouvert, et jusqu’à un certain point libéral.
Toutefois la résistance se prolongea jusqu’à Samory, qui les fit écraser par son lieutenant Karamoko Bilali.
Des survivants, une partie se réfugia dans le Kébou et tenta de se reconstituer sous la baraka du Ouali de Goumba. Ils eurent la fin malheureuse que l’on sait. Il est curieux de constater comment la duplicité foula sut faire marcher en l’occurrence l’administration française. Il ressort des pièces officielles, établies par ceux-là même qui détruisirent Goumba et dispersèrent les derniers Houbbou que le grand reproche qu’on adressa à ces malheureux fut surtout celui d’être… des Houbbou. Il était dit officiellement aux grands palabres d’avril-mai 1911 : « Nous ne faisons pas la guerre à l’Islam, ni aux marabouts. Nous recherchons seulement les Houbbou qui, de l’avis même des chefs indigènes, des marabouts sérieux et des vieillards sensés, sont néfastes pour une région. » Les almamys ne disaient pas mieux. Les derniers Houbbou ont perdu toute organisation politique et vivent clairsemés et soumis dans les provinces montagneuses du Fitaba et du Houré (Timbo) et du Mali (Labé).
Ils sont restés inféodés au Qaderisme traditionnel des vieux Foula.
Les quatre grandes tribus de la race peule, signalées pour la première fois par M A. Le Chatelier, se trouvent représentées dans le Fouta-Diallon. Il n’est pas de Peul ne se rattache à l’un quelconque de ces quatre groupements comme il n’est pas, même de nos jours, de Juif qui ne connaisse son affiliation à l’une des douze tribus d’lsraël. Il est utile de les donner ici, suivant la conception foula et sans vouloir établir de rapprochement avec les divisions similaires des autres grands groupements Peul de l’Afrique Occidentale:
- Fouta-Toro
- Macina
- Moyen Niger
- Sokoto
- Adamaoua.
Ces renseignements permettent de mieux saisir la filiation des personnalités maraboutiques dont mention est faite au cours du chapitre, avec l’indication de leur origines tribales
Les quatre grandes tribus classiques dés Peul sont au Fouta-Diallon:
Uururbhe | au singulier | Uuruuro |
Diallubhe | — | Dial-Diallo |
Ferobbhe | — | Pereejo |
Dayeebhe | — | Dayeejo |
Les Uururbhe comprennent deux fractions très différentes par la date de l’invasion, les coutumes et la religion:
- les Poulli, qui sont fétichistes ou tout au moins fort peu islamisés, et dont l’invasion a précédé de longtemps, peut-être de plusieurs siècles, l’arrivée de leurs cousins musulmans
- les Foula, qui sont musulmans, et qui, accueillis en amis par les Poulli et les Diallonké, les ont asservis et visent à les islamiser. Ils sont les frères des Foulakounda du Gabou portugais, de la Casamance et de la Gambie et des Fulbhe Diéri du Sénégal.
Les Uururbhe sont dispersés dans tout le Fouta, mais on les trouve principalement dans
- le Cercle de Pita à
- Timbi-Tunni
- Timbi-Madina
- Maci
- Bomboli
- Buruwal-Tappe
- les Boowe du Télimélé
- le Labé, quelques familles, surtout Nduyeebhe, MBalbalbhe et Uyaabhe
- le Tougué et le Mali, des représentants beaucoup plus nombreux
- le cercle de Koumbia des Poulli et Foulakounda
- le Bokeeto de Timbo, quelques familles
- dans la région de Mamou, des fractions de la famille Diawbhe.
Les Diallubhe sont dits aussi, au Fouta-Diallon, Yirlaabhe (au singulier Girlaajo), soit que Yirlaabhe soit synonyme de Diallubhe, soit ou réciproquement que les Yirlaabhe soient une des divisions des Diallubhe et qu’ils constituent les seuls membres de la tribu représentée au Fouta.
Leur zone d’habitat est surtout le Labé avec ses annexes du Tougué et du Mali. Les familles les plus importantes y sont
- les Khalidiyabhe, ou Khaliduyanke
- les Njobboyanke
- les Seleyanke
- les Ngeriyanke
- les Usnuyanke
- les Nyooguyanke.
On trouve encore des Diallubhe dans le Timbi-Madina et le Kébou, du cercle de Pita; et plusieurs familles surtout Timbonke dans la région de Timbo, dans le Kolladhe de Ditin et dans la région de Mamou.
Les Ferobbhe sont relativement peu nombreux au Fouta. Ils sont en tout cas inférieurs en nombre aux trois autres tribus. On les trouve surtout dans le Kébali de Ditin, le Fodé Hadji et le Kolen de Timbo, le Bhouria de Mamou. Ils ont en outre quelques représentants dans le Labé, surtout à Tunturun.
Les Dayeebhe ont fourni les maisons princières de Timbo (Seediyanke) et pontificales de Fougoumba (Seeriyanke). Toujours dans la même région la famille Wolarbhe. En dehors de Timbo-Ditin, ils sont représentés par des Seediyanke à Mamou; des Seeriyabhe à Bomboli, Bantinhel et Buruwal-Tappe du cercle de Pita, et des Wolarbhe un peu dans toutes les provinces du Fouta.
I
Le Labé
- Situation générale. — C’est la tribu Diallubhe, qui constitue la plus grande partie du peuplement du Labé.
Toutes les familles de cette tribu y sont représentées. En dehors de Diallubhe, on y trouve aussi des Uururbhe surtout dans la région de Tougué et quelques Ferobbhe L’ensemble de ces Fulbhe est évalué à 275.000 environ. A ce chiffre, il faut ajouter 13.000 Diakanké et, 5.000 Diallonké
Recensement démographique de 1907-1910
Les premiers fortement islamisés, les seconds beaucoup moins, et enfin 120.000 captifs d’hier en grande majorité bambara et Malinké qui sont, ou fétichistes, ou si faiblement teintés d’Islam qu’on ne le voit guère.
L’ancien Labé était plus vaste que le cercle actuel du même nom. Il comprenait en outre la région de Touba, Koumbia et Kadé, dont l’administration française a fait le cerclé de Koumbia.
Le cercle du Labé se fractionne en trois territoires, dont les résidences chefs-lieux sont:
- Labé
- Mali
- Tougué.
Le siège du cercle est Labé.
Au point de vue religieux, le Labé paraît être le diiwal le plus profondément islamisé de tout le Fouta. Il s’y est épanoui une magnifique efflorescence de mosquées, qui comptent parmi les plus belles du pays, d’écoles coraniques qui sont les plus fréquentées et les plus brillantes, de marabouts qui sont les plus considérés et les meilleurs éducateurs.
C’est en grande partie à quelques saints et lettrés marabouts du Labé que la Voie tidiania omarienne doit son succès dans le Fouta. Inféodés à l’obédience d’Al-Hadj Omar, dès la première heure, ils ont été des disciples fervents et les propagateurs de son wird chez les populations foula partagées entre le Qaderisme ancestral, et le Chadelisme d’importation plus récente.
Il faut citer parmi ces personnalités brillantes dont la trace est constatée non seulement dans le Labé proprement dit et ses anciennes dépendances politiques de Tougué (Koyin) Mali (Yambérin) et Kadé, mais encore dans les régions voisines de Timbo, Ditin, Pita et Télimélé:
- Alfa Oumarou Rafiou, de Dara-Labé
- Le groupement de Koula
- Tierno Doura Sombili
- Tierno Aliou Boubha Ndiyan.
A côté de ces marabouts de grande envergure, et de leurs disciples et élèves. Il y a quelques Karamoko de second plan, qui ont été formés par des marabouts toucouleurs, de passage, ou qui sont allés achever leur éducation auprès de Tierno toucouleurs du Fouta Toro. Un seul paraît quelque peu intéressant: Tierno Abdoul, à Dembahi par Sagalé, de la misiide de Diéri, jadis la plus grande « paroisse » du Labé. Né vers 1850, dans la région de Timbo, appartenant à la famille des Sediyanke, il a été très longtemps suivant (mbatula) de l’Almamy Ibrahima Donhol Fella. Par la suite, il s’est retiré dans le Labé et a tourné au marabout. Il compte des talibés dans le canton, ainsi qu’à Porédaka (Mamou); Timbi-Madina (Pita); Timbo et Boké. Il est l’élève et le disciple d’Al-Hadj Omar Galoya Torodo du fleuve.
En dehors de cette influence prépondérante du Tidianisme, il faut citer:
- le groupement si fervent des Chadelia de Diawia, très florissant sous la direction spirituelle de Tierno Mamadou Chérif
- Plusieurs centres Diakanké, inféodés à leurs congénères de Touba et à leur bannière qadria. Les principaux de ces villages sont: Silla-Kounda, de la même famille, dans la Komba Occidentale, Fétoyembi, village important où on trouve des représentants des quatre grandes familles Cissé, Diawara, Gassama et Diakhabi (Komba orientale) Poro, famille des Diakhabi (Hoore-Dimma).
- Plusieurs centres Sarakollé, dont la plupart réunis dans la haute vallée de la Komba, forment une agglomération très florissante que coupe la limite administrative de Labé et de Mali. A citer dans le Labé:
- Manda-Linsan et à Toukoro (province de la Komba).
- Sarouja, peuplé par la famille Silla, dans la province de Hoore-Dimma;
- Tambalama et Goundiourou, peuplé par les familles Cissé, Kamara, Silla, Touré (Koïta); Kouara par la famille Kamara (Wendou); Diawara, par la famille du même nom (Dembele).
Ces Sarakollé sont le plus généralement qadria et se rattachent par l’ancienne zaouïa de Bagdadia (Fodé Kadialiou) à l’obédience de Cheikh Sidïa Al-Kabir. Ils seront vus vu chapitre six.
Ici comme au Sénégal, et au Soudan, ils sont dioula et colporteurs d’Islam. Mollien avait bien reconnu leurs qualités, en passant en 1818, dans leurs villages de la Komba.
« Ce sont peut-être les nègres les plus intelligents et les plus adroits en affaires de commerce: leur passion pour le trafic est si grande que leurs voisins disent, par dérision, qu’ils aiment mieux acheter un âne pour transporter leurs marchandises que d’avoir une femme dont les dépenses diminueraient leurs revenus. »
- Le Groupement d’Alfa Oumarou Rafiou (Labé). — Alfa Oumarou Rafiou, Poullo des Ferobbhe-Uyanke, était un marabout de valeur qui a vécu et a enseigné à Dara-Labé, au siècle dernier (1800-1885). Il était fils de Modi Salihou, chef de Dara-Labé. Modi Salihou était aussi le père de Diénaba, qui fut la mère d’Alfa Ibrahima, chef du Labé et père d’Alfa Yaya.
Alfa Oumarou Rafiou était ainsi apparenté aux chefs du Labé et mit son influence à leur disposition, en retirant à son tour des bénéfices de tout ordre.
Il a laissé un certain nombre de disciples, tant à Labé même que dans les régions voisines, qui envoyaient leurs enfants suivre ses cours.
Il avait reçu le wird tidiani d’Al-Hadj Omar lui-même, au cours d’un séjour que fit le grand marabout à Diégounko près Timbo où naquit Aguibou, et où Ahmadou Chékou commença à épeler. Modi Salihou qui s’était attaché à la fortune d’Al-Hadj Omar, voulait le suivre par la suite jusqu’à Dinguiraye, mais son fils Oumarou refusa de le suivre, et s’étant retiré à Dara-Labé, sut contraindre son père à le rejoindre.
Parmi les petits groupements tidianes, laissés par Alfa Oumarou Rafiou, on peut citer ceux-ci:
Dans le Labé
- A Labé même,
- Tierno Saliou Dalla, né vers 1847, et Tierno Salimou, son frère, né vers 1885, héritiers de l’influence de leur père, Modi Salihou, dit Mo Salihou. Ils appartiennent à la famille Wolarbhe. Ce sont deux notables influents de Labé, intelligents et ouverts, pourvus d’une bonne instruction islamique. Tierno Saliou était beau-père d’Alfa Yaya. Ils furent quelque temps en correspondance, en fin 1909, quand on crut au retour du chef du Labé. Après l’arrestation d’Alfa Yaya, il se tint coi.
- Dans la province de Wendou, à Simili-Bamba, foulasso de Bantanko, Mamadou Ciré, né vers 1870, fils et disciple de Tierno Abdoulaye Paté, de la famille Uururbhe-MBalbalbhe. C’est un lettré de mérite. Il a des disciples à Tarambali, Dalen, Gadha-Woundou et Simili-Bamba.
- Dans la province de la Komba Occidentale, à Sarékali, Alfa Oumarou, né vers 1855, et Tierno Boubakar, né vers 1870, tous deux maîtres d’école.
- Dans la province de Kassa-Saala: Tierno Soufiana, né vers 1850, maître d’école à Diala.
- Dans la résidence de Tougué:
- à Hoore-Koole, Tierno Aliou Fodéyanké
- à Gongouboun ses deux disciples: Tierno Ousman et Tierno Ibrahima.
- A Gongouboun encore, Tierno Tahirou, de la famille Kulunanke-Sempi, Uururbhe, né à Lampiigel vers 1848,. Il a des talibés dans les villages de Gadha-Woundou, Lampiiguel et Gongouboun, et jouit d’une certaine influence dans tout le Oula.
- Dans le Ditin: Dalaba, Tierno Aliou, maître d’école.
- A Kébali, Tierno Ouri, maître d’école et imam de la belle mosquée de Kébali.
- Dans le cercle de Pita
- province de Bantinhel: à Bantinhel-Tokosere, Karamoko Ibrahima Téli, maître d’école réputé, père d’une nombreuse famille et personnage très riche qui a laissé des talibés dans la province, ainsi que dans le Ditin, tels Tierno Amadou Ndantaari, de Kola;
- Tierno Ibrahima de Dalaba et Tierno Mamadou Sounna (Sanoussi) de Diangolo. Né vers 1820, Karamoko Ibrahima est mort vers 1895; il appartenait à une famille de Toucouleurs installée depuis plus d’un siècle dans le Bantinhel. Son fils aîné, Tierno Mamadou, l’a remplacé.
- Dans le cercle de Mamou, les Karamoko de la province de Boulliwel relèvent en grande partie de l’obédience d’Alfa Rafiou, soit directement, soit par l’intermédiaire d’un vieux marabout local, Alfa Ibrahima Timbonké (Diallubhe). Les principaux de ces maîtres d’école et cultivateurs sont: Tierno Abdoul, imam de la mosquée de Boulliwel, et Tierno Bobo, de Dounki.
- Le groupement de Koula (Labé). — Koula-Mawnde dans la province de la Kassa-Saala (Labé), est un village réputé dans tout le Fouta pour la science de ses marabouts et l’efficacité de leurs amulettes. « Elles sont toutes bonnes à Koula et à Karantagui », dit le Foula du Labé. Dans le domaine des études, c’est, paraît-il, la grammaire arabe, qui est l’objet d’un enseignement de choix à Koula. Cette renommée maraboutique parait remonter à Alfa Oumarou, de la famille des Nyogeyanke (Diallubhe), Karamoko de grande valeur, qui s’est éteint vers 1875. Alfa Oumarou se rattachait au Chadelisme des premiers Foula. II laissa trois fils: Tierno Aliou, Tierno Madiou et Tierno Abdoul Rahimi.
Tierno Aliou a consacré définitivement la réputation des gens de Koula. C’était un marabout très savant, et qui s’était spécialisé dans le mysticisme des diarooje et dans les pratiques de magie. Koula devint un centre important de pèlerinages.
Il mourut en août 1910, laissant ses pouvoirs spirituels à son frère Tierno Madiou; celui-ci, plus effacé, mourut peu après, en janvier 1912, n’ayant pas eu le temps de donner sa mesure.
Le troisième fils de Alfa Oumarou hérita de la baraka paternelle, mais non de son wird. Jusqu’à lui, les gens de Koula sont sadialia. Tierno Abdoul-Rahimi est tidiani. Il fut en effet l’élève et le disciple religieux de Al-Hadji Lamine de Bantinhel. Sous son pontificat, Koula abandonna le Chadelisme et se fait donner le wird de son nouveau marabout.
Né vers 1855 à Koula-Mawnde et y résidant toujours, Tierno Abdou Rahimi est aujourd’hui un grand et maigre vieillard, à la longue barbe blanche, aux grands yeux enfiévrés, à l’air profondément ascétique.
Il vit enfermé dans sa case et n’en sort que le vendredi pour aller présider les prières de la mosquée. Il évite le contact de ses semblables, à l’exemple de son frère aîné, Tierno Aliou, qui refusa un jour de voir l’Almamy de passage à Koula. Abdou Rahimi ne va pas si loin toutefois et se présente à Labé, quand il le faut. Il a continué à Koula la tradition des diarooje, institués par ses prédécesseurs, et les dirige lui-même. On voit que, bien que tidiani, le marabout de Koula a conservé les pratiques sadialia. Tierno Abdoul-Rahimi compte de nombreux disciples.
D’abord son père, Tierno Moktarou, qui, resté sadialia et émigré à Wendou Koula, reçoit ses instructions. Tierno Moktarou, né vers 1865, a été reçu avec les plus grands honneurs par les gens de Wendou qui lui ont construit une belle case, artistement travaillée. Il a ouvert une école coranique et préside les diarooje de Wendou.
Ensuite, les enfants de ses frères aînés ont abandonné la Voie chadelia de leur père pour venir au Tidianisme de leur oncle.
Enfin Abdou-Rahimi compte des talibés dans beaucoup de villages et foulasso du Labé: à Popodara, Tourabouya, Diountou, Buruwal-Kassa, Sempeten, Hooreyabi, Diari et Kissian; dans les foulasso Sambayabhe, Ndantaari, Koragui, Pellel, Billi, Boukari et Pamoyi. Le chef et le marabout le plus influent de Kassian, Modi Billo, né vers 1860, et Tierno Abdoul, né vers 1860, et Tierno Abdoul, né vers 1840, sont ses disciples.
A Douka-Nyogeyabhe, dans la province de la Kassa-Saala, Tierno Daara mérite une mention spéciale. Né vers 1867, il a fait ses études à Dara-Labé, auprès de son oncle le Karamoko fameux, Tierno Mamadou Dondé. Il se fit ensuite affilier au Tidianisme par Abdou Rahimi. C’est un marabout intelligent, assez instruit, exempt de tout fanatisme. Il dirige une école coranique d’une dizaine d’élèves et aide au recensement de son canton.
A signaler encore à Tunturun, dans la province de Hoore-Dimma, Mamadou Bhoye, né vers 1862, et Amadou Tunturun, né vers 1865, de la famille Sansiliyanke (Ferobbhe), chefs des principaux groupements tidiania du canton, Karamoko de valeur, et disciples d’Abdou Rahimi. - Le Groupement de Tierno Doura Sombili (Labé). — Tierno Abdourrahman, du village de Sombili et de la famille khaliduyanke (Diallubhe), plus connu sous le nom de Tierno Doura Sombili, est né au début du siècle dernier et est mort à un âge très avancé, vers 1895. Il avait fait ses premières études dans le Labé, et était allé les compléter à Golléré, dans le Fouta Toro, où il resta vingt ans. Revenu à Sombili, il y fonda une sorte de Zaouïa, où il distribua par lui-même ou par ses fils et grands talibés l’enseignement musulman à de nombreux enfants. Il prit part à de nombreux épisodes de la guerre sainte dirigée par l’Almamy Oumarou contre le Gabou. Il a laissé la réputation d’un saint et d’un savant.
Il a fait l’éducation d’un grand nombre de Karamoko foula de cette partie du Labé, et les a affiliés à sa voie tidiania. Il avait personnellement reçu le wird tidiani de Chekou Mamadou Yéro, grand marabout de Golléré, disciple doublement tidiani de Mouloud Fal, des Ida Ou Ali du Trarza, et d’Al-Hadj Omar, le conquérant toucouleur.
Il exerça, sous la domination d’Alfa Aguibou, chef du diiwal, le commandement de Kinsi jusqu’à sa mort.
Son fils Tierno Mamadou Cellou, plus connu sous le nom de Modi Cellou Kinsi, est né vers 1855. Elève et disciple de son père, il a été un marabout réputé dont la réputation a commencé dans l’entourage d’Alfa Yaya, où il a vécu plusieurs années. Nommé chef de la province du Kinsi, par Alfa Yaya et maintenu par nous en fonctions, il s’y est quelque peu brûlé, et a dû vider la place (1913). Il avait eu toutes sortes de démêlés avec son ancien Manga ou chef de ses captifs, et finit, par une singulière aberration de notre politique démocratique en pays noir, par en être la victime. lI fut condamné à des peines diverses d’emprisonnement et d’amende, puis contraint à une résidence obligatoire d’un an à Yukunkun. Il est redevenu Karamoko et marabout et continue à résider à Péti (Kinsi, Cercle de Koumbia). Ses femmes sont Malinke du Gabou et Foula Khalidiyabhe. Il a de nombreux enfants.
Parmi les nombreux petits-fils de Tierno Doura Sombili deux méritent une mention particulière Modi Aliou, chef du Kinsi et Tierno Abdourahman, tous deux fils de Modi Cellou Kinsi.
- Modi Aliou, né vers 1880, a remplacé son père à la tête du Kinsi lors de la révocation de son père en 1911. C’est un lettré arabe de valeur, beaucoup plus chef politique que marabout.
- Tierno Abdourahman est né, vers 1882, à Sombili. Il a fait de bonnes études islamiques auprès des professeurs laissés par son grand-père, qui est revenu suivre quelques années les cours de l’école française de Labé (1905-19088). Il y est revenu quelques mois, en 1912, pour se perfectionner. Il parle, lit et écrit assez bien le français. Intelligent et ouvert, quoique peu énergique, il paraît acquis aux sympathies françaises. Il est riche de femmes, d’enfants et de captifs.
Tierno Abdourahman a été nommé chef du district de Sombili en mai 1905. Il vécut en assez mauvais termes avec Alfa Alimou, ancien chef du Labé. Celui-ci l’impliqua même dans une affaire de vol pour le faire emprisonner, mais l’intervention de l’Administrateur sauva le jeune homme, qui paraît en avoir gardé une certaine reconnaissance.
Il est assez mal vu par les Karamoko de la région, qui lui reprochent de ne pas suivre les traditions ancestrales et de s’entourer, non de clercs pieux et lettrés, mais de jeunes gens peu recommandables.
Parmi les nombreux Karamoko formés par Tierno Doura Sombili, et chef de petits groupements religieux, on peut citer
- dans le Labé :
- Dans la province de Wendou: à Simili Bamba, Tierno Diouhé, né en 1850, et Oumarou Fadougou, né en 1875.
- Dans la province de Hoore-Komba: à Dalen-Kella, Tierno Moktar; à Karéré (Karantagui) Tierno Ibrahima.
- Dans la province de misiide-Hinde à Satina Tierno Saadou.
- A Sombili, Alfa Salifou, né vers 1844; Modi Abdoul, né vers 1860 et Tierno Ibrahima, né vers 1873.
- A Ndantari, Tierno Aliou, né vers 1850.
- A Toulé, Tierno Amadou, né vers 1860, et Tierno Moktarou, né vers 1880.
- A Buruuji, Tierno Mamadou, né vers 1842.
- Dans la province de Donghora; à Labé, Tierno Mamadou Ngeriyanke.
Cinq entre eux méritent une mention particulière:
- Tierno Moktar, de Dalen (Hoore Komba) né vers 1850, de la famille Seleyanke (Diallubhe) fils de Chékou Saadou, Karamoko réputé et auteur d’ouvrages foula. Tierno Moktar est un marabout instruit et intelligent qui continue à Dalen l’enseignement de son père, et donne entre temps des consultations juridiques. Il est le conseiller attitré du chef de province, Modi Gandou, et se flatte d’avoir été appelé à plusieurs reprises par Alfa Yaya à régler des procès difficiles. Il est le cousin de Tierno Ibrahima Dalen. Il a de nombreux disciples dans la province même à Dalen, et à Tunturun.
- dans la province de misiide-Hinde, les Karamoko Mamadou Bobo, à Lémounel; Mamadou Guirladio à Satina; Mamadou Saïdou,
- à Hansanhere; Modi Hima, de la famille Ranhaabhe, né vers 1845, imam de la mosquée de Popodara, auxiliaire du chef de province, et très influent dans ce gros bourg;
- dans la province de la Kassa-Saala, Tierno Mamoudou à Lélouma
- dans la Donhoraa, Tierno Ousmani, à Koulidara.
- En dehors du Labé,
- dans le Maci de Pita, Tierno Moktar compte plusieurs disciples dont il convient de citer Tierno Moawiatou de misiide-Maci; Souhaïbou de Ndantari; Tierno Bailo et Amadou Baïlo, de Bouma. Il a aussi quelques adeptes à Dinguidabhe, dans le cercle de Koumbia, et Amadou Ouri, à Koumbia même.
- Tierno Ibrahima Kareere, de la famille des Seleyanke (Hoore-Komba) et qui vient de mourir en 1916, jouissait d’un grand prestige dans toute la région. Son fils, Tierno Mamadou Diouhé, né en 1880, maître d’école à Kareere, marcha sur ses traces. Il s’est enfui, en octobre 1912, en Guinée portugaise, et après un séjour d’un an à Toyada, chez le chef Moundiourou, est revenu dans le Labé. Lui ou son père ont plusieurs disciples dans la province même, notamment Mamadou Dian, Karamoko de Ndanta
- dans la province de misiide-Hinde, notamment Mamadou Kalil, maître d’école à Sombili; dans la province de la Dimma, notamment Mamadou Hadi, maître d’école à Nianou-Medina.
- Tierno Mamadou Ngeriyanke, de la tribu Diallubhe est né vers 1850 à Labé. Il y réside toujours, maître d’une école florissante. Il a été président du tribunal de Labé. Il passe pour un grammairien et un juriste de valeur. C’est un caractère droit et honnête.
- Tierno Ibrahima, né vers 1873, de la famille des Khaliduyanke, fait le maître d’école à Sombili en saison sèche, et à Donta en hivernage. Il est le fils et l’élève d’un marabout réputé, Tierno Oussoumani, connu dans le Labé sous le nom de Karamoko de Dombeli. Le frère d’Ibrahima, Oumarou, y exerce aussi les fonctions de maître d’école.
Ibrahima est imam de la mosquée locale. C’est un homme instruit, possédant fort bien l’arabe, et qui compte des disciples dans toute la province de Misiide-Hinde. - Tierno Mamadou Abdoulaye, né vers 1853, chef du district de Lelouma, petit et chétif, mais intelligent et énergique. Nommé chef en 1900, il fut révoqué par Alfa Yaya en 1903, et renommé par les Français en 1905. Il se rattache à Mamadou Lamin Souaré, son huitième ancêtre, qui, dans la tradition familiale vint du Macina au dix-neuvième siècle, avec les invasions peules.
- Tierno Ahmadou est un personnage religieux très écouté dans les assemblées du Labé. Il est fort instruit ès sciences islamiques. Il est apparenté à Tierno Ibrahima Dalen et se rattache au Tidianisme de Tierno Doura Sombili.
- Dans la résidence de Mali, un groupement important de tidiania relève de Tierno Doura. C’est celui de Tinkéta (Yambérin), qui a été formé et instruit par Tierno Bemba, décédé vers 1880 et un des élèves les plus brillants du maître de Sombili.
- En dehors du Labé, on peut citer
- Alfa Amadou né Abdoulaye Foula, de Buruwal-Lahéqui (province de Bantinhel) et Tierno Kaba, de la misiide Bomboli (Pita).
- Alfa Mamadou Gobiire, maître d’une école florissante, dans le Kankalabé, né vers 1860.
- Tierno Younoussa, né vers 1840, à Fougoumba (Ditin).
- Un certain nombre de Karamoko et notables foula du Badiar et du Boowe-Leymaaje, dont les plus en vue sont: Modi Dian, Modi Diogo, et Modi Lamin, nés vers 1850 dans Kinsi, Modi Alseyni, né vers 1870 et Mamadou Diambali, né vers 1850, originaire du Labé et enfin Alfa Ibrahima, qui fut nommé chef de Bhouria (Mamou) par l’Almamy Ahmadou. Alfa Ibrahima avait fait ses études et reçu le wird chez Tierno Doura. Son fils Alfa Mamadou se rattache à la même bannière par Tierno Aliou Boubha Ndiyan de Labé.
- Tierno Aliou Boubha Ndiyan. — Tierno Aliou Bhoubha Ndiyan est né vers 1850, à Labé même; c’est un Foula de la tribu Uururbhe, fraction Nduyeebhe. Tierno Aliou est d’ailleurs l’héritier des chefs de cette fraction. Il a étudié le Coran avec son père Tierno Mamadou, fils de Mamadou; la théologie dogmatique, la grammaire et le droit chez Tierno Bokar Poti, à Labé. Il a complété ses études supérieures près de Labé, chez Tierno Doura Sombili, le marabout tidiani le plus réputé du Labé, à la fin du siècle dernier.
Tierno Aliou est remarquablement instruit ès sciences arabes et islamiques, avait déjà conquis la première place parmi les Karamoko du Labé, vers 1895, sous le règne d’Alfa Yaya. Il était très apprécié par ce chef, qui, utilisant sa science juridique, l’avait peu à peu transformé en grand Cadi du Labé.
Sa réputation n’a fait que s’accroître avec le temps, et lors de la réorganisation judiciaire de l’Afrique Occidentale (novembre 1903), il était tout désigné pour entrer dans les nouveaux cadres. Il fut nommé assesseur du tribunal de Labé par l’arrêté du 30 décembre 1905, et l’est resté jusqu’à 1912, date où il a pris la présidence du Tribunal du Labé. Il est toujours quelque peu, comme jadis, le conseiller islamique des Commandants du Labé.
Si Tierno Aliou donne toute satisfaction dans le domaine judiciaire, où il s’impose à tous par sa science, sa et son prestige, il est moins apprécié comme chef administratif. Il fut d’abord chef du district de Labé-Nduyeebhe de 1901 à fin 1912. Le 1er janvier 1913, il a été nommé chef de la province de la Donhora. Apathique et négligent dans ce service, il n’apporte qu’un soin mitigé au recouvrement de l’impôt et aux multiples détails de l’administration indigène. lI n’a manifestement que peu d’aptitude pour ces fonctions. Elles lui sont maintenues toutefois, car elles l’obligent à rester en contact immédiat avec le poste et permettent d’exercer sur lui une action continuelle.
Tierno Aliou est aujourd’hui un grand et svelte vieillard de soixante-cinq ans, à figure régulière, teint foncé, à la barbiche blanche. Sa figure intelligente et rusée frappe par des yeux malicieux qu’agite un continuel clignement de paupières. Il est quelque peu, dans ses manières le Foula « précieux », type qu’on rencontre souvent chez les Peul de pure origine.
Il a quatre femmes et de nombreux enfants. Parmi ses dix garçons, il convient de citer
- Siradiou, né vers 1880, demeurant à Boubha Ndiyan près de Pilimini, le plus savant des fils d’Aliou et son successeur éventuel
- Mamadou Bano
- Mamadou Lamine, né vers 18?? à Labé, instruit en français et en arabe
- Mamadou
- Chaïkou, né vers 1902, demeurant aussi à Labé.
Parmi sa douzaine de filles, il faut citer
- Ramatou, mariée à Modi Cellou Ouargalan, chef de la misiide Moussa, de Pilimini
- Oumana, mariée à Modi Mamadou Saliou de Manda
- Mariam, femme de Bakar Laria, secrétaire du Tribunal.
Il a de nombreux frères, installés en divers points du Labé:
- Modi Moktar à Donhol, très lettré
- Modi Bakar Diagué-Sannou
- Modi Abdoulaye à Bhoubha Ndiyan
- Mamadou Ouri, à Manda, etc.
Il jouit d’une belle fortune: troupeaux de boeufs, de chevaux, lougans de mil, de riz et de légumes; nombreux captifs-serviteurs; il a des carrés dans les principaux centres de dispersion des Nduyeebhe:
- à Boubha-Ndiyan d’abord, village situé à 30 kilomètres au nord-est de Labé, et qui a donné son nom à Tierno Aliou
- à Manda, à 60 kilomètres à l’ouest du Labé
- à Dongol, près de Labé
- et enfin dans la misiide même de Labé.
Les Nduyeebhe sont groupés en grande majorité dans les régions de Koubia et de Manda.
Tierno Aliou visite assez fréquemment ses foulasso, mais son domicile est en principe à Labé même.
Tierno Aliou a toujours fait preuve de sympathies françaises. Attaché dans sa jeunesse aux bandes du chef du Labé qui opéraient chez les Tenda ou chez les peuplades de la Haute-Casamance et de la Haute-Gambie, grand-cadi du diiwal, pontife écouté par le chef, vénéré par la foule, il avait, c’est indéniable, toute ses sympathies pour l’ancien régime. Il était particulièrement l’ami d’Alfa Yaya et regretta vivement sa chute (1905). Il s’efforça néanmoins de vivre en bons termes avec son successeur, Alfa Alimou, nommé par les Français, se fit donner par lui de nombreux cadeaux et finalement, s’étant brouillé avec lui, contribua fortement à sa chute.
Entre temps, il faisait montre de sa bonne volonté en envoyant son fils aîné, Siradiou, à l’école française. Siradiou devint même moniteur; il le resta fort peu de temps, il est vrai.
Lors du retour d’exil d’Alfa Yaya (fin 1910), Tierno Aliou crut, comme tous les Khalidiyabhe et comme tous leurs partisans, à la prochaine restauration du chef du Labé. Il la désira certainement et en parla avec sympathie, mais prudent et réservé, il fit une campagne beaucoup moins apparente, attira peu l’attention sur lui, et finalement échappa aux mesures rigoureuses qui s’abattirent sur le Ouali de Goumba et sur Karamoko Sankoun.
Ses craintes furent d’ailleurs très vives pendant plusieurs mois, car il avait formé le projet de quitter le Fouta pour aller s’installer d’abord en Guinée portugaise, puis en Haute-Gambie, vers Asseri (Kedougou)
Aujourd’hui, l’apaisement est complètement revenu.
Tierno Aliou a reçu d’abord le wird tidiani du dernier de ses professeurs, Tierno Doura Sombili, et se rattache ainsi à Cheikh Mouloud Fal, et Mohammed El-Hafed des Ida Ou Ali de Mauritanie (Trarza). Par la suite, il se fit confirmer cette initiation par Alfa Oumarou Rafiou de Dara-Labé, et par ce Cheikh se rattache au Tidianisme d’Al-Hadj Omar.
Ses disciples se sont accrus avec le temps et il est devenu lui-même un grand Cheikh tidiani, distribuant à la fois le wird et le pouvoir de le conférer. Il est certainement un des dirigeants de l’esprit public dans le Fouta.
C’est un lettré arabe de toute première valeur. A défaut de la langue vulgaire, il possède assez la langue littéraire pour soutenir une conversation variée. Il a composé deux ouvrages en vers consacrés à la vie et au panégyrique du Prophète:
- Dourrat al-abrar, c’est-à-dire « La perle des gens vertueux»
- Maqalid al-Saadah, fi Madh seyid al-sadah, c’est-à-dire « Les clefs du bonheur, sur la louange du seigneur des Seigneurs ».
Mais c’est surtout comme juriste que sa réputation est consacrée.
Tierno Aliou dirige fréquemment les cérémonies de la prière, le vendredi et les fêtes islamiques, à la grande mosquée de Labé.
C’est à lui que revient le devoir et l’honneur dans les grandes circonstances où les chefs et les notables du Labé sont réunis. C’est lui également qui prend le premier la parole dans les palabres importants. On dit qu’il jeûne quatre mois par an (Redjeb, Moharrem, Chaban, Ramadan) et qu’il se livre souvent à la pieuse pratique de lire le Coran en sept jours. Il fait par piété l’école coranique à un petit nombre d’enfants et des cours de droit, de littérature arabe (Séances de Hariri) et de mystique tidiani à une dizaine d’étudiants. En un mot, il est en passe de devenir le Ouali du Labé.
Quoique étant très peu sorti (un voyage à Kouroussa, quelques promenades dans le Gabou), il jouit d’une considération universelle dans le Fouta Diallon et son influence y rayonne dans tous les groupements tidianias. Il est en relations épistolaires avec les principaux marabouts de la Guinée. S’il ne connaît pas personnellement les grands chefs religieux du Sénégal et du Soudan, il en a entendu parler et ceux-ci le connaissent également de réputation.
L’influence de Tierno Aliou est considérable.
Les différentes familles Nduyeebhe de la tribu peule des Uururbhe sont toutes soumises à son obédience religieuse et à son autorité de chef de maison.
Dans le seul Labé, il y a plusieurs centaines de Karamoko qui ont passé dans leur jeune âge par ses mains, ont reçu de lui le wird tidiani, et le transmettent en son nom à leur jeune Karanden 3. Ce sont en général les Karamoko les plus instruits. Tierno Aliou paraît avoir visé à sortir quelque peu des méthodes pédagogiques routinières des Foula et à donner à ses élèves des rudiments arabes. Cette influence du marabout date de loin. Alfa Alimou disait, dans sa prison, en 1909, que s’il avait su se conserver les sympathies du marabout par de plus riches cadeaux, il serait encore le chef du Labé.
Les principaux personnages, tous plus ou moins maîtres d’école, chefs de petits groupements relevant de l’obédience tidiania de Tierno Aliou Boubha Ndiyan, et ayant été pour la plupart ses élèves, sont:
- Dans le Labé.
- Province de la Komba
- à Manda Fulbhe, Mamadou Ouri, né vers 1855.
- A Linsan Sarakollé, Fodé Ma Gassiré, né vers 1858.
- Province de la Komba occidentale:
- à Bassania, Tierno Saadou, né vers 1855.
- A Tinédima, Mamadou Salifou, né vers 1855.
- Province de la Komba orientale:
- à Toumti, Tierno Ougaïlou né vers 1855.
- A Kinsi, Mamadou Baïlo, né vers 1873, et Tierno Amadou, né vers 1840.
- A Boubha Ndiyan, Tierno Abdoulaye, né vers 1870. C’est le grand frère de Tierno Aliou et un marabout lettré et fort considéré; après avoir effectué quelques voyages commerciaux dans le Fouta, il est devenu Karamoko sédentaire.
- A Koubi-Bullehi, Seïdi, né vers 1870.
- Province de la Dimma: à Sourouma, Tierno Bhuri Sourou, né vers 1904. A Niakaya, Samba Sourou, né vers 1850.
- Province de la Ousséguélé; à Dena, Tierno Abdoulaye, né vers 1844.
- Province de Hoore-Dimma:
- A Bibéli, Oumarou Ibrahima, né vers 1850.
- A Gadha-Tunni, Mamadou Siré, né vers 1850. A Tunturun, Mamadou Dian, né vers 1850.
- Province de la Kiyoma:
- à Sannou, Tierno Abdoulaye, né vers 1845, et Tierno Ismaïla, famille Diloyanke, né vers 1871. Tierno Ismaïla habitant le village de Ley-Yaali, est un disciple de Karamoko Alfa de Kaalan, aujourd’hui décédé, lequel avait reçu l’affiliation tidiani de Tierno Aliou. Depuis la mort de Modi Hamidou, grand marabout du Sannou et disciple aussi de Tierno Aliou, Tierno Ismaïla est considéré comme le Karamoko le plus instruit de la province. Il dirige à côté de son école coranique, une dizaine de jeunes gens qui veulent se perfectionner dans la théologie et la grammaire. Intrigant et ambitieux, il a pris l’office d’écrivain pour le recensement et l’impôt du Sannou, et sert de conseiller au chef de la province. Il est riche de femmes, d’enfants, de serviteurs et de troupeaux de boeufs.
- Province de la Donhora:
- à Saala Nduyeebhe, Mamadou Moktarou, né vers 1850.
- A Boleya, Karamoko Alfa, né vers 1845.
- A Donhol, Mamadou Moktar, frère cadet du Cheikh, très instruit, né vers 1884.
- A Labé, Tierno Saliou Bolaaro, né vers 1850. Celui-ci est un marabout fort instruit.
- Province de la Dombélé:
- A Tarambali, Tierno Amirou et Tierno Mamadou Saliou, nés vers 1850.
- A Kaalan, Mamadou Kali, né vers 1860; Mamadou Alfa, né vers 1855; Mamadou Yero, né vers 1872 et Mamadou Salif, né vers 1875.
- Province de Sempeten:
- à Hansanhere, Tierno Aliou, né vers 1850.
- Province de Dara-Labé
- à Dara-Labé, Tierno Koulabiou, né vers 1855.
- A Dara-Kettyun, Tierno Oumarou, né vers 1872, marabout lettré.
- Province de la Kolla:
- à Souloundé, Tierno Ibrahima Nduyeedio, né vers 1876, instruit et aisé. Il aspire à jouer un rôle plus politique que religieux. Depuis le règne de Modi Aguibou, il assiste le chef de Koubia dans les opérations du recensement et de l’administration. Il lui sert en outre de secrétaire d’arabe.
- Province de la Komba
- Dans la résidence de Ditin — Tierno Abou Derdari, maître d’école réputé à Dalaba. Né vers 1855, il appartient la tribu Uururbhe, famille Ludaabhe.
- Dans la résidence de Timbo. — Tierno Ibrahima Diallo, connu sous le nom de Karamoko Dalen. Ibrahima Boubakar, à Téré, né vers 1888.
- Dans le cercle de Mamou. — Brahima Sori So, né vers 1888, chef du village de Kankou-Saréa. Il possède une instruction islamique et arabe très développée, acquise auprès de son père, Modi Bakar, et d’un Karamoko de Téliko, Alfa Issaka. Il a reçu le wird d’un missionnaire de Tierno Aliou, de passage dans la région, Tierno Mamadou Ouri.
- Dans le cercle de Koumbia. — Résidence de Koumbia même, à Salli Karamoko, Amadou Bano, né vers 1840, élève de Tierno Aliou, à Labé, et qui y a pris le wird à la fin de ses études. Bano jouit d’une certaine influence à Salli, où sa famille exerce le commandement depuis trois générations. Il a succédé lui-même à son père Tierno Souleymana comme chef du village. Il a été membre du tribunal de province de Touba, jusqu’à la suppression de cette juridiction.
II
Région de Tougué (Labé).
- Généralités. —La région de Tougué, qui constitue la résidence administrative du même nom, et qui entre dans la composition du cercle de Labé, comprend aujourd’hui les deux grandes provinces du Koyin et de la Kolle
La province du Koyin n’est pas autre chose. que l’ancien diiwal du même nom; constitué aux temps héroïques de Karamoko Alfa par la valeur de Tierno Saliou Balla des Kulunanke-Balla, qui installé à Koyin-Fella faisait conversions et razzias, chez ses voisins dialonké fétichistes, et devint rapidement un centre d’attraction pour ses frères. Un de ses meilleurs lieutenants lui succéda, Tierno Ousman, des Kulunanke-Sempi. Les deux familles rivales, facteurs inévitables de l’organisation peule, étaient ainsi constituées. Modi Yaya, fils de Tierno Saliou Balla, succéda à Ousman, et il en a été ainsi jusqu’à nos jours.
Ce diiwal comprenait cinq sous-diiwe:
- Koyin-Fellah, administré directement par le chef du diiwal
- Fogo
- Tunkuruma
- Sumpura
- Bani.
La province est administrée depuis 1905 par Alfa Ammarou, descendant des anciens chefs, les Lambhe diiwal Koyin. Cette famille de Kulunanke s’est d’ailleurs franchement rallié à l’autorité française, ce qui a permis d’utiliser la plupart de ses membres dans le commandement indigène. On peut citer parmi les cousins du chef du diiwal :
- Alfa Oumarou, chef de Siguira-Mawnde
- Alfa Bailo, chef de Tougué
- Boubakar, chef de Tangali
- Mamadou Bailo, chef de Gadha-Koole et secrétaire du tribunal de Tougué.
Un certain nombre d’autres se sont consacrés à la carrière maraboutique et s’y sont acquis une belle réputation, tel Mamadou Ouri, frère d’Alfa Ammarou, que M. A. Le Chatelier 1 signalait déjà en 1888 comme un docteur de renom. Il est mort en 1914.
La province de Koole constituait jadis sous le nom de Gadha-Koole une dépendance de Koyin, plus vaste, mais beaucoup moins peuplée que lui. Elle en a été détachée, le 15 janvier 1912, et confiée sous le nom de Koole et avec son autonomie à Amadou Baïlo
Toute cette région de Tougué, passée dans le Dar el-Islam par la conquête et le prosélytisme, s’est franchement islamisée, pendant les deux siècles de domination foula, encore que de nombre de Diallonké aient conservé dans leurs nouvelles croyances des rites et des pratiques du fétichisme traditionnel. On peut citer en outre trois groupements diallonké qui ne se sont pas laissés entamer par l’Islam:
- Ganfata
- Kimbéli
- Pandié-Dèye
Trois centres d’attraction religieuse existaient dans le Koyin:
- Koyin-Ndantari, la capitale, dont l’influence s’étendait dans tout le diiwal. La misiide de Koyin se peuplait les vendredis des gens accourus des points divers du pays.
- Tunkuruma, centre d’attraction du Koyin occidental
- Sumpura, dans le Koyin oriental.
La proximité du Dinguiraye a apporté au Koyin un renouveau de vie religieuse, à l’époque d’Al-Hadj Omar, et cette ferveur s’est en partie maintenue jusqu’à nos jours par la piété et la prédication de plusieurs marabouts foula, disciples du grand conquérant tidiani, ou inféodés à sa voie par ses successeurs de Dinguiraye. Le plus en vueKoin de ces personnages est Tierno Alimou, de Koyin, car par son affiliation, il se rattache au toucouleur Tierno Boubou, de Gali. En outre, beaucoup de jeunes Karamoko de Tougué n’hésitent pas à aller chercher à Dinguiraye, éloigné de deux ou trois jours de marche seulement, un complément d’études islamiques et un wird d’autant plus pur qu’il se rattache de plus près au fondateur de la voie.
Le plus notoire de ces marabouts, mort ces temps derniers seulement, est Amadou Dondé, du Koubia Une centaine des Karamoko de la région ont reçu le wird et la formation cléricale de ce disciple immédiat d’Al-Hadj Omar.
Après lui, vient le Sékou de Koyin Fello.
D’autres dépendent directement de marabouts toucouleurs, installés à Dinguiraye et qui furent leurs maîtres, notamment Tafsirou Aliou et son fils Alfa Mamadou Thiam, chef de la province de Tamba.
Mais il y a lieu de signaler ici l’influence acquise par un de ces Toucouleurs, Tierno Mamoudou Birita, venu s’installer dans la Kolle et récemment décédé. Il a laissé plusieurs disciples, notamment :
- Tierno Aliou, de la tribu Uururbhe, né vers 1855, résidant au foulasso Dioumbouta, Karamoko aisé et considéré
- Tierno Abdoulaye, de la famille Laliyanke, né vers 1865, résidant à Diambese-Laliya, où il fait le maître d’école
- Tierno Aliou, de la famille Djimeyanke, né vers 1863, résidant à Bodi (Sokoma), notable et Karamoko.
- D’autres se rattachent à la bannière omarienne par les grands marabouts du Labé, Alfa Oumarou Rafiou et Tierno Aliou Boubha Ndiyan.
D’autres enfin, mais en très petit nombre, et habitant surtout Parawi sont Sadiouliya, fils spirituels de la Zaouïa du Ouali de Diawia.
Les centres maraboutiques les plus importants du pays sont: la misiide de Koyin même, et Kona. Dans cette dernière ville, un marabout d’une certaine envergure, Tierno Falilou, mort vers 1895, y a laissé un souvenir encore vivace Il a distribué successivement, et probablement simultanément, les wird sadialia, tidiania, qadria. Son fils Ibrahima, paralytique, est sans influence; mais plusieurs de ses disciples sont réputés Karamoko de valeur, tels Tierno Alhamdou, à Buruwal, et Karamoko Bobo, à Kona. Ce dernier, marabout instruit, a composé divers opuscules dont l’un, le « Djannat al-Mouridin », est un petit poème loyaliste, remarquable par ses qualités littéraires et ses excellents sentiments.
On rencontre en outre dans le Tougué quelques groupements diakanké, fortement attachés à la voie qadria. Ces colonies diakanké seraient, d’après leur tradition, venus des Diakhaba (Macina), en même temps que les premières migrations peules, ou tout au moins peu après. Elles se seraient prudemment abstenues de toutes luttes avec les indigènes Diallonké, et auraient eu la sagesse de ne pas s’entre-déchirer, comme le faisaient les Foula à peine vainqueurs. Marabouts cultivateurs et commerçants, ils se consacrèrent à l’éducation des enfants et à l’établissement de leurs fortunes. Aussi les trois villages de Balagan (Koole) de Kéléla et de Kessébé (Koyin), qui constituent les trois centres les plus importants des Diakanké du Tougué, comptent-ils parmi les plus riches et les plus florissants.
La population n’en est d’ailleurs que plus difficile à manier, même pour ses propres chefs. Ce petit monde de Karamoko, prétentieux dans leur vanité de lettrés, est assez indocile.
Les plus notoires sont:
- Tierno Youssoufou, né à Kessébé vers 1863, de la famille Kounta, aujourd’hui à Balagan. Il est le disciple de Karamoko Adiata, de Touba. Peu lettré, il fait surtout le rebouteux.
- Tierno Ouri, à Fatako, né vers 1863, maître d’école, disciple de Tierno Abdoul de Touba. Ces Karamoko relèvent de près ou de loin de Qoutoubo, le grand marabout Diakanké de Touba.
Quelques-uns, toutefois, se sont laissés inféoder au Tidianisme ambiant. A citer notamment: Fodé Youssoufou, de Kessébé, né vers 1844, élève et disciple de Karamoko Alfa Souma, de Labé, un des premiers talibés d’Al-Hadj Omar. Fodé Youssoufou, de la famille Diabi possède plusieurs disciples à Kessébé et jouit d’une certaine influence par suite de ses liens de parenté avec le chef du village.
- Tierno Amadou Dondé. — Tierno Amadou, de la famille peule Guirladio-Nyoguyanke, est la personnalité maraboutique la plus notoire de la région de Tougué, pendant ce dernier quart de siècle. Il était né vers 1830, dans le Koyin, avait fait de fortes études auprès des marabouts locaux et se trouvait petit Karamoko à Diamiou (Koyin), lors du passage dans le pays d’Al-Hadj Omar (vers 1855). Le grand marabout lui conféra lui-même le wird tidiani, faveur qui produisit un double effet:
- elle transforma moralement le nouveau disciple et le tourna vers un ascétisme aigu et une piété débordante
- elle lui assura dans toute la région une grande popularité.
Dès lors uniquement consacré aux choses saintes, il se voua à l’enseignement. Pendant plus de cinquante ans, il inculque les notions coraniques aux jeunes karanden 3 [élèves] de sa province, et à nombre d’enfants des provinces voisines. Il a ainsi formé la plupart des Karamoko actuels du Koyin et de la Koole.
Il fit à plusieurs reprises des voyages et des séjours à Dinguiraye et y épousa une fille de l’almamy Aguibou Tall. Il en eu un enfant, Aguibou, qui habite Dinguiraye et fait le dioula dans tout le Fouta.
Il est mort en 1908, au village de Dondé (près de Koubia), qu’il avait créé, et dont le nom est resté attaché au sien, suivant la coutume locale. Dondé a été peuplée par des migrations de gens de Douka, près de Popodara (Labé) qui se trouvaient à l’étroit dans leur village, et qui furent incités par Tierno Amadou, leur contribule, à venir se grouper autour de lui.
Les principaux de ces disciples, notables et Karamoko, répandus dans la région de Tougué, et directeurs spirituels de petits groupements tidianes sont:
- A Wendou Malanga (Koyin), Tierno Nasirou des Diallubhe-Kokoladé, né vers 1864, d’abord qadria, puis rallié aux Tidianias par un marabout de la région, Alfa Amadou Balafo, qui est lui-même un disciple fervent d’Amadou Dondé. Il est l’imam de la grande mosquée de Koyin-Ndantari, et exerce dans cette ancienne capitale religieuse du pays une grande influence. C’est un marabout lettré, et pour ses fidèles, un saint véritable. Quant à Alfa Amadou Balafoya, il a formé plusieurs autres Karamoko du district de Sokoma, notamment Mamadou Ouri et Ouri Seele de Solokoura, et Tierno Amadou, de Malipan.
- A Tunkuruma (Koyin, district de Sokoma), Tierno Malal Seele, des Seeleyabhe, né vers 1846, et son maître, Tierno Tassilimou, récemment décédé, tous deux Karamoko en vedette du groupement du Tunkuruma.
- A Touné (Koole, province de la Tené) Tierno Ibrahima, né vers 1865, et son maître Tierno Amadou Diouldé, de Niariga.
- A Hoore-Koole (Koole), Alfa Ibrahima Diogo, des Diobé, né vers 1868, chef du village, et son maître Tierno Souleyman (de Hoore-Koole).
- A Dambi (Koole-Wulenko), Tierno Amadou Gassé, des Uururbhe, né vers 1851.
- A Sumpura (Koole), Alfa Amadou, né vers 1860, Karamoko d’une école d’une dizaine d’élèves, et Alfa Oumarou, né vers 1850.
- A Bouroumba (Koole), Mamadou Biré, né vers 1860, maître d’école.
- A Nieniéméré (Koole-Hoore-Kookun), véritable fief de Tierno Amadou Dondé, tous les Karamoko ont reçu son wird. Les principaux sont : Mamadou Héra, Tierno Mamadou et Tierno Abdoulaye.
- A Diforé (Koole-Hoore-Kookun), Tierno Abdoul, de la famille Timbonke, né vers 1859, son disciple Tierno Souleyman de Hoore-Koole et son fils Alfa Oumarou, de Koukoutamba-Kolen (Timbo).
- A Taibïata (Koole-Wulaa), Mamadou Alfa Bito, son disciple Tierno Amadou et Tierno Ibrahima, tous maîtres d’école.
- A Tougué même, Tierno Haadi, des Ferobbhe, du hameau Néréboum, né vers 1848 cultivateur aisé, qui dirige l’école coranique la plus fréquentée de Tougué.
En dehors du Tougué, à Diawia du Dinguiraye, Tierno Ismaïla, né vers 1846, maître d’école.
- Sékou Yaya. — Sékou Yaya, dit le Sékou de Koyin-Fella, est né dans cette misiide vers 1859 et y réside encore. Il appartient à la famille Kulunanke-Balla, qui a exercé le commandement du diiwal. Un accident de jeunesse l’a rendu borgne.
Il a fait ses premières études à Koyin-Fello avec son père Mamadou Billo, puis les a continuées dans les centres intellectuels les plus réputés du Fouta : Dinguiraye, Bodié (Kolladhe, de Ditin), Balafoya (Koyin de Tougué). Après avoir, comme un bon musulman, fait campagne contre les infidèles du Gabou portugais, aux côtés d’Alfa Ibrahima, chef du Labé, il revint s’installer à Koyin-misiide, et y exerça t tout dr suite une influence considérable en rapport avec sa fortune, sa science et ses relations de parenté avec les chefs du pays. Il est en effet un cousin d’Alfa Oumarou, chef du Koyin, et l’oncle d’Amadou Bailo, chef de la Koole.
Sekou Yaya est un des marabouts les plus lettrés de la région; il possède une excellente bibliothèque touchant aux sciences islamiques.
Il est actuellement premier assesseur du tribunal de cercle, et rend en cette qualité par son intelligence, son. savoir et ses facultés d’adaptation, de précieux services à l’administration.
Il a reçu le wird tidiani de son grand-oncle, Tierno Abdoulaye Balima, qui était un des premiers disciples foula d’Al-Hadj Omar.
III
Région de Mali. (Labé).
- Généralités. — Les plateaux du Mali, d’où émergent les monts de Tangué, renferment les plus hautes altitudes du Fouta-Diallon. Au nord et au nord-ouest, la chute est brusque, et le Foute boisé montagneux et fleuri se termine en quelques heures d’étape et sans transition dans l’arrière pays sénégalais sec, sablonneux et plat.
La résidence comprend cinq provinces importantes:
- Yambérin
- Mali
- Woora
- Sabé
- Sangalan
Elles se partagent les neuf dixièmes du territoire et de la population. En dehors de ces provinces, on compte quelques villages indépendants dont les principaux sont:
- Dougoutounni
- Madina-Salambandé
- Pellal
Aux Foula de la tribu Diallubhe, et quelque peu de la tribu Uururbhe, qui peuplent le Mali, il faut ajouter plusieurs colonies diakanké (Médina-Kouta) et Sarakollé (Badougonla). Il y a en outre surtout dans la province de Sangalan, de nombreux autochtones diallonké, demeurés fétichistes. Ce sont ceux-là mêmes que signalait Mollien en 1818 :
« Le fanatisme des sectateurs de Mahomet a obligé les hommes qu’il poursuivait à y chercher (dans les montagnes du Niokolo et du Dandeya) un asile. Des Diallonké qui n’ont pas encore renoncé ouvertement au fétichisme, s’y sont retirés et ont conservé la liberté de ne pas penser comme leurs maîtres. »
Les Foula du Mali sont très attachés à l’Islam et se partagent entre la bannière tidiania d’Al-Hadj Omar, le Chadelisme d’importation, et le Qaderisme de leurs ancêtres. Mais aucune personnalité religieuse n’a su s’imposer jusqu’ici et la poussière de Karamoko, dispersés dans les vallées adjacentes au bassin de la Dimma ou Haute-Gambie ou dans ces contreforts du Fouta, les derniers et les plus élevés, ne présente que l’intérêt relatif d’une sèche nomenclature.
De rares noms paraissent retentir quelque peu l’attention: Tierno Sadou et Tierno Macina
Le groupement de Tidiania le plus en vue est celui de Tinkéta, dérivé de l’obédience de Tierno Doura Sombili, et celui de Tierno Mamoudou. Celui-ci, né à Bouroudji vers 1854, Poullo Ngeriyanke, cousin du chef de Leysaare (Labé) vient de mourir en octobre 1915. Il avait commencé ses études dans le Bas-Fouta Toro et avait reçu le wird qadria de Cheikh Sidïa. Venu les compléter chez Tierno Hamidou, de Gollére, il ne tarda pas à passer sous sa bannière tidiania. Revenu dans le Fouta-Diallon, il professa le Coran et les rudiments des sciences islamiques à Toulel, jusqu’en 1910, date à laquelle il fut nommé chef de ce centre, sur la proposition des notables. Ses sympathies religieuses pour Al-Hadji Kébé, dont on verra plus loin (Ditin) les aventures, et qu’il cacha pendant plusieurs mois, faillirent lui attirer des malheurs. Il est remplacé aujourd’hui à la tête de son groupement de talibés par son fils aîné Abdoul-Qadiri, né vers 1890.
Les Sadialia de misiide-Yambérin relèvent de Diawia (Labé)
A côté des groupements de Foula tidiania, qadria et sadoulia, le village de Médida-Kouta (la nouvelle Médina), peuplé de Diakanké qadria, fils spirituel de Cheikh Sidïa Al-Kabir, est réputé depuis plusieurs générations comme un centre islamique important. Il est étudié à sa place naturelle, au mémoire qui traite de l’influence des Cheikhs maures. Médina-Kouta renferme au surplus quelques Baidanes, prétendus chorfa, qui se sont installés là depuis un demi-siècle et y professent le Coran et la cryptographie.
Le centre sarakollé le plus important est Badougoula, dans la haute vallée de la Komba, proche de Linsan et de Manda, qui dépendent du Labé. Ces Sarakollé se rattachent aussi à la voie qadria de Cheikh Sidïa Al-Kabir, mais par l’intermédiaire de la Zaouïa de Fodé Kadialiou, à Bagdadïa.
Les écoles coraniques fleurissent sur le territoire du Mali. On peut en évaluer le nombre à 150 environ, dans la plupart desquelles on n’enseigne que le Coran et qui ne comprennent guère que 4, 6 ou 8 élèves. Les centres intellectuels les plus réputés sont:
- Bara
- Bhoundou
- Ayndé
- Samantou
- Gaya
- Koumba
- Mali
- Yandi
- Fina
- Nadhel
- Pellal
- Medina-Kouta
- Bandani
- et surtout Yambérin.
- Tierno Sadou. Tierno Sadou, des Diallubhe Iloyaabhe, a été un savant réputé de Hoore Liti. Il a formé de nombreux Karamoko qui subsistent encore aujourd’hui dans le Yambérin, sans toutefois que tous aient pris son wird qadria. Il est mort vers 1900.
A citer parmi ses élèves: Tierno Ibrahima Kindi, des Iloyaabhe, et parmi ses disciples Mamadou Alfa, tous des Karamoko instruits et considérés de Hoore Liti. - Tierno Macina. Tierno Abdoulaye était un Pullo né en 1840 et originaire de Hamdallaye, dans le Macina nigérien, ce qui lui a voulu son surnom de Tierno Macina. Il vint dans le Fouta vers 1870. Il s’installa d’abord à Kérouané, chez Alfa Oumarou Danjian, puis à Médina-Kouta, et enfin à Dali Hoore-Wendou. Son prosélytisme lui attira un certain nombre de disciples auxquels il conféra le wird qadria des Kounta. C’est chez eux, en effet, qu’il avait terminé ses études entre 1860 et 1865. Au début du siècle, il forma le projet de retourner dans le Macina et partit à petites journées, accompagné de quelques talibés de choix. La petite troupe dut faire un séjour prolongé à Sigon, dans le Yambérin, à cause de la maladie de son chef. Elle en profita pour y faire un prosélytisme efficace. On repartit, mais Tierno Macina ne tarda pas à retomber malade et expira au village de Kolobia, dans le district de Koussan (Bakel).
Ses principaux disciples se trouvent à Paré, dernier village foula d’où gens et bêtes dévalent, à toute vitesse, des hauts plateaux du Fouta dans les basses plaines du Niokolo. A citer: Tierno Amadou, né en 1875, et Tierno Salam né vers 1878, petits Karamoko sans grande envergure. On en trouve encore à Kérouané, Medina-Kouta et Sigon. Tierno Macina a laissé la réputation d’un savant et d’un maître émérite et beaucoup de Foula du Mali et des régions environnantes ont fait, sans prendre son affiliation, des stages d’études chez lui.
IV
Cercle de Koumbia
- Généralités. — La dénomination administrative de cercle de Koumbia comprend les territoires, géographiquement divers, et les éléments ethniques mêlés, qui s’étendent entre les derniers contreforts du Fouta Occidental et la frontière portugaise.
Il se fractionne en trois résidences administratives :
- Koumbia, village Tyapi, sis au centre de la province principale du Boowe Ley-maayo, et peuplé de Foula et Diakanké musulmans (200.000 environ), de Mandingues, à peine teintés d’Islam (16.000 environ) et d’un millier de Foulakounda et Tenda fétichistes.
Dans la résidence de Koumbia, inaugurée le 1er janvier 1913 et aujourd’hui chef-lieu du cercle, se trouve le groupement diakanké de Touba et dépendances. Le poste administratif, qui existait à Touba, a été supprimé en 1913. Il comprenait les deux provinces du Binani et du Kinsi.
Il s’y trouve encore l’ancienne résidence de Ndama peuplé de Foula musulmans. - Kadé, ancien chef-lieu du cercle, qui porta de 1906 à 1913, le nom de Kadé-Touba. La résidence de Kadé est peuplée de :
- 4.000 Foula musulmans
- 1.500 Tyapi
- 500 Mandingues, teintés d’Islam
- 1.500 Foulakounda
- un millier de Badiaranké fétichistes.
Le poste même de Kadé est situé au centre d’un petit groupement de Foulakounda et Tyapi mêlés, mais le territoire est formé surtout par les provinces du Badiar (Foula, Foulakounda et Badiaranké) et du Koli (Tyapi, Foula, Gabouké, Malinké).
- Youkounkoun, résidence des pays Coniagui et Bassari fétichistes. On y trouve aussi quelques îlots de Tenda fétichistes ou Tenda Dounka.
L’élément musulman n’y est représenté que par quelques Dioula, d’origine sarakollé ou malinké, immigrants ou de passage, et par quelques Tenda Boéni ou Tenda habillés, dont la zone d’habitat s’étend sur les rives de la Haute-Koulountou ou rivière Grey (affluent de la Gambie). En s’islamisant, les Tenda prennent l’usage des habits. Ils deviennent Boéni, laissant l’affiliation de Dounka (nom du petit fourreau à verge qui constitue le seul vêtement des Tenda) à leurs frères fétichistes.
L’ancien poste militaire de Boussourah dans la province du même nom a été supprimé.
En résumé, toute cette région qui s’étend à l’ouest du Fouta-Diallon jusqu’à la frontière portugaise et qui est bornée au nord par l’élément Foula-Kounda fétichiste, de Casamance, et au sud par les peuples Tenda, Landouman et Baga, également fétichistes, n’est islamisée que très partiellement:
- islamisation partielle dans l’espace: le Nord, Coniagui Bassari, et certains îlots du Centre et du Sud, Foula kounda, Tyapi, étant fétichistes;
- islamisation partielle dans la qualité: les Mandingues et même les Foula et les Diakanké ayant conservé un grand nombre de leurs rites coutumiers et pratiques traditionnelles.
Trois centres de rayonnement islamiques très importants se détachent avec netteté dans le cercle de Koumbia:
- Touba
- Ndama
- Kadé
Touba, centre des Qadria diakanké, et Ndama, Zaouïa déchue du Chadelisme de Tierno Ibrahima, ont fait l’objet d’une étude antérieure.
Kadé a dû à sa qualité de deuxième capitale de l’ancien diiwal du Labé, et de résidence favorite d’Alfa Yaya, de se voir transformer de petit village tyapi en un groupement de plusieurs agglomérations musulmanes, dont les principales sont :
- Foula-Mori, où était le carré d’Alfa Yaya
- Galle-Kadé
- Goubambelé
Aux Foula islamisés, mais assez tièdes, qui formaient les bandes des chefs du Labé ct de Kadé, sont venus se joindre des marabouts Torobbhe, Tidianïa émigrés du Fouta-Toro et de Dinguiraye, résidu de la dispersion toucouleure, marabouts aventuriers en quête d’un casuel et d’une situation confortable.
Le premier et principal d’entre eux fut Tierno Ciré qui conféra le wird tidiania à Alfa Yaya et fut de longues années, son conseiller et son secrétaire. Il était né dans le Fouta-Toro vers 1800, avait suivi la fortune d’Al-Hadj Omar et, après un séjour de quelque durée à Dinguiraye était venu s’installer à Kadé, de là son influence s’étendait au-delà des limites de la province et rayonnait sur la plus grande partie des islamisés de la Guinée Portugaise et de la Casamance. Il est mort à Kadé, vers 1908.
Il a laissé plusieurs disciples, notables, Karamoko et marabouts de Kadé; tels Ali Sankolla qui, est mort en 1909; Tierno Modesa, Foula né vers 1872, à Coubambélé; Tierno Yaya et Tierno Diedié, Foula, nés vers 1875, à Foula-Mori.
Les autres principaux marabouts toucouleurs de Kadé sont : Tafsirou Baba, Tafsirou Malik ou Tierno Malik et Al-Hadj Mamoudou et enfin Alfa Mamadou Baba Li, né dans le cercle de Matam, à Doumga Bouro Alfa, et domicilié à Kadé depuis le temps d’Alfa Yaya, ancien assesseur du Tribunal de province, aujourd’hui maître d’école et fabricant d’amulettes.
Il reste à signaler dans l’élément islamisé de Kade quelques Karamoko foula, relevant de leurs congénères du Labé, et un petit groupement de Diakanké qadria relevant de l’obédience de Touba.
Parmi les Karamoko foula, le plus en vedette est Tierno Moktar, auquel on accole le nom de son village natal Labé-Dheppere [Labe-la-Plate], né vers 1860, il a fait ses études auprès de Tierno Mamadou et Modi Aliou, marabouts réputés de Labé-Dheppere, et a reçu le wird tidiani du premier.
Dans le Badiar, de Kadé, les Karamoko, en général originaires du Fouta, relèvent de l’obédience de Tierno Aliou Bhoubha Ndiyan ou de Tierno Doura Sombili.
Les écoles coraniques fleurissent à Touba et dans les colonies diakanké; dans le Kinsi et le Binani, dans le Boowe-Ley-maayo, dans le Ndama, à Kadé enfin.
- Tafsirou-Baba. — Baba Mamadou, dit Tafsirou Baba, est né vers 1860, dans le cercle de Matam (Fouta-Toro). Il est donc d’origine toucouleure. Il fit ses premières études auprès de son père, Tierno Mamadou Sanoun, puis les compléta auprès des grands Cheikhs toucouleurs du Fouta-Toro. Vers 1885, il vint chercher fortune dans le Fouta-Diallon, et ne tarda pas à lier son sort aux ambitions d’Alfa Yaya. Il s’installa, dès lors, vers 1890, à Kadé, qu’il n’a pas quitté depuis, et fut pour le chef du diiwal un conseiller islamique éclairé et un juge tout dévoué. La confiance d’Alfa Yaya pour son marabout fut telle, qu’il lui confia l’éducation et l’instruction de son fils Modi Aguibou, l’hôte actuel du Port-Etienne.
L’occupation française ne modifia en rien ses sentiments.
Son attitude fut toujours correcte et loyaliste, même aux mauvais jours de 1905 et de 1911 où les Français faisaient disparaître Alfa Yaya de la scène politique. Il resta néanmoins fidèle à son ancien protecteur, et aujourd’hui encore ne cache pas qu’il lui a conservé un souvenir d’affection.
Il passa à ce moment au service des Français, fut secrétaire, puis assesseur, au Tribunal de province et enfin assesseur au Tribunal de cercle. Il s’y est rendu fort utile par son excellente instruction, par sa connaissance des coutumes locales, par son esprit de justice et d’intégrité et enfin par son adaptation intelligente à la présence des Français et aux nécessités de la situation nouvelle.
Tafsirou Baba n’a pris aucune part aux événements de 1911. Il s’est au contraire activement employé à l’apaisement des esprits, a enrayé nombre d’exodes en Guinée portugaise et a ramené des dissidents; très populaire et très aimé à Foula-Mori, il a été présenté par les indigènes de ce village comme chef local, et nommé à ce commandement par l’autorité française. Ses fonctions, son âge, sa santé ébranlée l’ont contraint à fermer l’école coranique, où il distribuait les rudiments d’Islam et quelque peu l’enseignement supérieur. Il donne néanmoins, à l’occasion, des consultations scientifiques aux lettrés de la région.
Tafsirou Baba a reçu le wird tidiani de Seïdou Rahim. marabout toucouleur de Sédho, disciple d’Al-Hadj Omar. - Tierno Malik. — Tierno Malik Kane est né vers 1865 dans le Kabada (cercle de la moyenne Casamance). Son père faisait partie de ces petits groupements immigrés que la diaspora toucouleure a amené dans le Saloum, la moyenne Gambie et le Kabada casamançais. Il fit ses études chez les principaux marabouts du Bas-Sénégal (Saloum, Niani, Cayor) et notamment à la Zaouïa d’Al-Hadj Malik Si, de Tivaouane. Vers 1890, il vint chercher fortune, comme beaucoup de ses congénères, dans le Fouta-Diallon, il se fixa auprès d’Alfa Yaya qui l’employa d’abord à Kadé, après la disparition d’Alfa Yaya et de son fils de l’horizon politique (début 1911), et y ouvrit une école, qui fut bientôt florissante.
Peu après, Tierno Malik qui, malgré ses sympathies pour les Khalidiyabhe, avait toujours eu vis-à-vis des Français une attitude correcte était nommé assesseur et secrétaire près le Tribunal de Kadé.
C’est aujourd’hui un marabout considéré, maître d’école et cultivateur, installé en principe à Kadé, mais qui passe de longs mois en Guinée portugaise, à Bapata.
Il a reçu le wird tidiani d’Al-Hadj Malik Si, de Tivaouane, et se rattache ainsi aux deux branches du Tidianisme de l’Ouest africain: omarien et alaoui.
Il a plusieurs talibés, en général Karamoko, dans la région de Kadé. - Al-Hadj Mamoudou. — Al-Hadji Mamoudou, fils de Tierno Saidou, est né à Sédho, dans le Bhoundou, vers 1835. Il fit ses études dans son pays, puis dans le Fouta-Toro , et vint les compléter à Dinguiraye, la florissante capitale toucouleure vers 1860. Venu dans le Fouta-Diallon vers 1880, il habita longtemps Koumbia, puis se fixa auprès des chefs de Kadé, prit sur leur esprit une grande influence et fut utilisé par eux dans diverses missions dans le Fouta et en Guinée portugaise. Il vivait dans l’entourage même d’Alfa Yaya, et l’accompagna dans la plupart de ses voyages.
Entre temps, ayant acquis une certaine fortune, il fit le pèlerinage de la Mecque (vers 1890).
Al-Hadji Mamoudou se rattache au Tidianisme Omari par Tierno Saïdou, talibé du grand marabout et qui a vécu dans le Bhoundou, dans la deuxième partie du siècle dernier. Al-Hadji a conféré le wird tidiani à plusieurs personnes du Kadé et dirige encore aujourd’hui à Foula-Mori, malgré son grand âge, une école coranique florissante, doublée d’une section d’enseignement supérieur.
V
Région de Pita
- Généralités. — La région de Pita qui forme avec la résidence de Télimélé le cercle de Pita, comprend sept provinces foula:
- Timbi-Tunni
- Timbi-Medina
- Maci
- Bantinhel
- Bomboli
- Buruwal-Tappe
- Sokili-Foula
Ces provinces sont peuplés par des représentants de toutes les tribus fulbhe, mais surtout par les tribus Diallubhe et Uururbhe. Elle comprend en outre un district soussou: Sokili-Soussou.
Très attachée à l’Islam, elle est inféodée à peu près complètement au Tidianisme Omari. Elle a vu naître et fleurir de très importantes personnalités maraboutiques: Tierno Dayeejo, et Tierno Maroufou, au siècle dernier: Tierno Moawiatou Maci et Alfa Ibrahima en ces temps-ci, qui ont été des professeurs renommés, entre les mains desquels plusieurs milliers de Karamoko ont passé. Ils ont été en outre des directeurs de consciences et des pôles d’Islam très écoutés. Comme ces grands marabouts se rattachaient au grand pontife toucouleur de Dinguiraye, soit directement soit par l’intermédiaire de ses disciples immédiats, ils ont distribué son wird tidiania dans toute la région.
En dehors du rayonnement de ces marabouts en vedette et de leurs affiliés, on ne trouve plus guère que de la poussière de Karamoko, dépendant des Cheikhs voisins du Labé.
Il reste à signaler l’influence que le Ouali de Goumba voisin avait acquise, dans ce dernier quart de siècle, parmi les populations islamisées du Timbi et du Maci. Un certain nombre d’individus avait embrassé son Chadelisme, et les derniers Houbbou de la région étaient allés se réfugier à la misiide. Les événements de 1911 ont ramené ces transfuges au tidianisme. Il y a pourtant encore quelques Sadialiya irréductibles, petites communautés que la persécution a trouvées fidèles, qui se rattachent tant bien que mal à la Zaouïa de Tierno Mamadou Chérif Diawia, ou aux membres épars de la Zaouïa de Ndama, victime elle-même de son exubérance mystique et des craintes d’une administration qui entend fixer les règles du soufisme musulman.
Les centres islamiques les plus réputés soit par la ferveur et l’abondance des fidèles, soit par le nombre et l’excellence des écoles coraniques sont:
- Maci
- Péti
- Hakkunde Miti
- Kokoulo
- les deux Bantinhel et surtout Bantinhel-Tokosere
- Bomboli
- Buruwal Tappe
- Timbi-Tunni
- Diongassi
- Médina
- Médina Tokosere
- Laba
- Tierno Moawiatou (Pita). — Tierno Moawiatou, fils de Karamoko Mamadou Saliou, de la famille peule des Surgayanke (tribu Uururbhe), est né vers 1832, dans le Maci, à la misiide même, Maci. Il a fait ses premières études auprès de son père, qui jouissait de la réputation d’un marabout lettré et qui, ayant traduit le Coran en poul-poule [Pular], l’enseignait aussi à ses élèves, conjointement avec le texte arabe.
Le jeune Moawiatou commença aussi la théologie, à l’école de son père, dans les ouvrages de Sanoussi et de Maqaari. Après quoi, il s’en alla compléter sou instruction supérieure auprès des docteurs en renom du Fouta: Karamoko Bakel, marabout sarakollé ambulant; Tierno Amadou Dondé, dans le Labé; Tierno Mostafa Kolen, à Sombili; Karamoko HérIko, à Timbo.
C’est par ce dernier, Tierno Hamidou de Hériko (Timbo), qu’il se fit initier à la Voie tidiania et, quelque temps après, confirmer dans les pouvoirs de moqaddem consécrateur.
Revenu dans le Maci, il y ouvrit une école coranique, qui fut bientôt très florissante, et ne tarda pas à y annexer une école supérieure. Il n’est plus guère sorti depuis cette date; on signale seulement un voyage en Guinée portugaise, ces dernières années, à la recherche de son fils aîné, Tierno Saliou, qui s’y était installé et n’en voulait plus revenir.
Ce professorat interrompu de soixante ans lui donne un aspect tout particulier; il s’étend abondamment en explications sur les moindres propositions qu’il avance; il émaille sa conversation de citations, de versets et de fables; il l’égaye même de petits chants arabes, ce qui donne aux entretiens qu’on a avec lui une allure tout à fait réjouissante. Il ne faudrait pas croire pour si peu qu’il soit ridicule. Ses disciples sont en adoration devant ses faits et gestes; et au surplus, ce sont là des libertés qu’autorise son grand âge, qu’explique sa longue vie de pédagogue et qu’on souhaiterait rencontrer plus souvent chez ses interlocuteurs foula, toujours si méfiants et si fermés.
Chaikou Moawiatou possède une bonne instruction arabe et s’exprime avec assez de facilité dans la langue littéraire. Sa bibliothèque est assez bien garnie; elle ne présente d’ailleurs que les ouvrages classiques du droit, de la théorie et de la littérature arabes.
Il connaît fort bien les principaux Cheikhs du Sénégal et de la Mauritanie, Sidïa, Saad Bouh, Hadj Malik, Amadou Bamba, reçoit leurs envoyés et entretient à l’occasion, avec eux, une petite correspondance.
Son grand âge ne lui permet plus de professer aujourd’hui d’une façon régulière. Il est suppléé par quelques uns de ses nombreux fils: Alfa Salihou, né vers 1860; Diakariaou, né vers 1885; Boussouriou, né vers 1878; Badamassiou, né vers 1875; Souaibou, né vers 1875; Moktarou, né vers 1877; Modi Dian, né vers 1880; Billo, né vers 1882; Modi Moulay, né vers 1885; Gandou, né vers 1885; Mamadou Al-Khali et Souragata, nés vers 1890, etc.
Le plus intéressant paraît être l’aîné, Alfa Salihou, intelligent, instruit, et qui cherche dans le commerce un supplément de ressources. Il a été quelque temps, jadis, par suite des bonnes relations de son père avec l’almamy Ahmadou, suivant d’Alfa Oumarou, fils de l’Almamy et aujourd’hui chef de la province de Timbo.
Lui-même fait à l’occasion le mufti et le docteur de la loi. Il donne avec bonne grâce les consultations juridiques ou théologiques que viennent lui demander les Karamoko du voisinage.
Sa fortune passe pour être considérable.
Tierno Moawiatou parait animé de sentiments loyalistes vis-à-vis des Français. On lui a reproché, comme d’ailleurs à tous les marabouts foula, d’avoir entretenu d’excellentes relations avec le Ouali de Goumba. Il ne pouvait en être autrement, et le Ouali a été pour nous-mêmes notre meilleur ami et auxiliaire, jusqu’au revirement subit de notre politique.
En tout cas, lors des opérations de la colonne de police dans la Fouta, en avril-mai 1911, Tierno Moawiatou fut un des rares Karamoko à ne pas prendre la fuite. Il reçut à la misiide de Maci, avec sa courtoisie peule, administrateurs et officiers, ne témoigna nullement de son effroi, examina avec intérêt les canons et obus, assista aux tirs, se fit donner des explications.
Dans les palabres qui suivirent, il parla au nom des populations, excusa leurs craintes, reconnut que l’autorité des Français s’exerçant régulièrement, ne pouvait être mise en doute et qu’au surplus Allah avait recommandé l’obéissance aux maîtres du moment.
Ces paroles, prononcées devant une grande foule, ainsi que l’attitude tout à fait correcte dont le marabout fit montre par la suite, contribuèrent puissamment à l’apaisement.
C’est donc avec peine que l’on voit, quelque temps après, ce vieillard de quatre-vingts ans, condamné à 50 francs d’amende pour ne pas avoir répondu à la convocation du juge d’instruction à Conakry. Il y avait certainement d’autres moyens de recueillir sa déposition, si tant que cette déposition fût susceptible d’apporter quelque lumière dans l’affaire de Goumba. En tout cas, la pénalité était de trop. Ce ne sont pas de telles sanctions, piqûres d’épingle inutiles, qu’on prend contre des marabouts de l’envergure du Karamoko de Maci.
Chaikou Moawiatou jouit d’une influence considérable dans le Maci, où on le considère comme un ouali, un prophète, un homme de Dieu. C’est le saint par excellence de la province. On le nomme même généralement « Tierno Maci ». Il a été un grand éducateur populaire. Il a formé coraniquement et a affilié à sa Voie tidiania plus de deux cents Karamoko, répandus à l’heure actuelle, surtout dans les régions de Pita et de Télimélé, mais aussi dans les cercles voisins de Mamou, Timbo-Ditin et Koumbia. Ils y donnent l’instruction catéchistique et les rudiments d’Islam à 1.500 enfants environ. C’est dire que tous les indigènes du Fouta occidental, Foula et Diallonké, ont pour lui une grande vénération.
Il importe de citer les principaux de ces disciples qui ont souvent acquis eux-mêmes par leur enseignement ou leurs vertus un prestige local et dont plusieurs sont des personnages d’importance, chefs religieux de groupements tidiania.
- Dans le cercle de Pita, Province du Maci même:
- A la misiide de Maci, foulasoo de Hoore Boowal, Tierno Mamadou, né vers 1858, qui, outre des fidèles locaux, compte quelques talibés à Sarouja, dans la province de Kébali (Ditin).
- A Ndantari Mamadou Alfa, né vers 1855.
- A Tiéhel, Mamadou Saliou, né vers 1872.
- A Hakkunde Mitti Kokoulo, Yéro Bailo, né vers 1870.
- A Ley Tangan, Alfa Mamadou, né vers 1867.
- A Maci, Alfa Eliassa, né vers 1870, assesseur du Tribunal de province de Timbi-Madina; Modi Bhoye, né vers 1865, qui a traduit le Coran en poul-poullé [Pular]; Alfa-Bakar, né vers 1870, et Modi Mamadou, né vers 1775, tous deux assesseurs du Tribunal de province et Amadou Tari, né vers 1873.
- A Donhol, Attaoullahi, né vers 1875, et son maître Alfa Bakar, né vers 1865.
- A Tyewloy enfin, Tierno Gando, né vers 1850, et qui jouit dans toute la province d’une grande vénération.
- Dans la province de Buruwal-Tappe:
- A Ley Guilé, Alfa Abdoulaye, né vers 1845.
- A Buruwal Allaybhe, Alfa Oumarou, né vers 1868, et son maître Alfa Boubakar, né vers 1860; Mamadou Sellou, né vers 1888, et son maître Bakar Bolaro, né vers 1865.
- A Buruwal-Tappe, Abdoulaye Radiagui, né vers 1865.
- A Bendougou, Karamoko Ibrahima, né vers 1860.
- Dans la province de Timbi-Médina:
- A Madina-Tokosere, Amadou Bobo, né vers 1865, et son maître Tierno Ibrahima Bemba, né vers 1855, de la famille Dialloyanke (Yirlaabhe), celui-ci personnage important, qui vient de mourir en 1912.
- Dans la province de Bantinhel:
- A Handé, Mamadou Malal, né vers 1868, et son disciple Amadou Diogo, né vers 1888.
- A Buruwal-Hollaande, Oumarou, né vers 1855.
- A Donhol, Sadikou, né vers 1865.
- Dans la province de Bomboli:
- A Gongore, Alfa Amadou Tidiani, né vers 1850.
- A Bomboli, Ahmadou Béla, né vers 1875.
- Dans la province de Timbi-Tunni:
- A la misiide même de Timbi-Tunni, Alfa Mamadou Diongassi, né vers 1875, marabout réputé appartenant à la famille Njobboyanke (Yirlabhe), assesseur du Tribunal de province, et ses deux disciples Tierno Mahadiou, président du Tribunal, et Tierno Souleyman, assesseur au même tribunal.
- A Dalan, Karamoko Ibrahima, né vers 1855.
Dans la région de Télimélé, province de Touroukoun:
- A Boukarella, Amadou Moktar, né vers 1860, à Singuéléma; d’abord initié au Qaderisme par son père Alfa Yaqouba, il est passé au Tidianisme de Tierno Moawiatou. C’est à la suite des événements de Goumba, où il fut mêlé assez activement, qu’il a opéré cette conversion. Jadis fervent des diarooje, il les a suspendues ces dernières années et cherche à les rétablir en douceur. Amadou Moktar jouit d’une grande influence dans le Kebou.
- Dans le cercle de Koumbia, on rencontre un certain nombre de petits maîtres d’école ou individualités sans importance se réclamant de la voie de Moawiatou.
- Dans la résidence de Ditin (cercle de Timbo):
- A Kankalabé: Tierno Bakar, lettré des plus distingués et maître d’une école florissante de 76 élèves.
- Dans le Boodye: Karamoko Abdourahman Boodye, maître d’école.
- A Diangolo, Salli Abdoul, muezzin de la mosquée du village, et maître d’école.
- A Ndantari-Hodho (Kala), Tierno Amadou, né vers 1866, qui a fait ses premières études auprès de Tierno Laminou de Bantinhel, puis les a complétées auprès du Tierno Maci, qui lui a donné le wird. Depuis quelque temps, il assure, sur la demande des notables de Kala, le service cultuel de la grande mosquée de Kala.
- Alfa Ibrahima (Pita). — Alfa Ibrahima, dit Modi Sori, Karamoko, né vers 1845 à Kalilamban, dans la misiide de Donghol-Ubbere, province de Timbi-Tunni (Tribu Uururbhe). Il a fait ses premières études auprès de son père Mamadou Sanoussi, et est allé les compléter par la suite auprès des docteurs en renom du Fouta, notamment auprès de Tierno Ouri, de Popodara (Labé).
Rentré chez lui, il ouvrit une école, et continua à s’instruire, tout en correspondant avec les principaux Karamoko de la région. Son école est toujours florissante: il une trentaine d’élèves, dont vingt apprennent le Coran sous la direction d’un de ses talibés, et les autres étudient les rudiments du droit et de la théologie islamique sous sa propre direction. Il est fort instruit de tout ce qui touche aux sciences islamiques de l’instruction arabe, et en possède bien la langue.
C’est un homme riche et très considéré, certainement le marabout le plus en vue de la province de Timbi-Tunni, et après Tierno Maci, le Karamoko le plus respecté de la région de Pita. Chef de la misiide de Donhol-Ubbere, et cousin germain de Tierno Oumar Silla, chef de province, il entretient les meilleures relations avec tous les chefs du voisinage. Il venait jadis faire régulièrement sa cour, chaque année, aux Almamys du Fouta et ceux-ci profitaient de son séjour à Timbo pour lui faire trancher des cas épineux [de justice]. Depuis plusieurs années, il n’est plus sorti de sa province.
L’attitude d’Alfa Ibrahima vis-à-vis des Français a toujours été des plus correctes. Il est noté tranquille, obéissant et plein de bonne volonté. Sa conduite à la suite des événements de Goumba a été digne de louanges. Il s’est employé de lui-même à ramener le calme dans le pays, et a été, peu après, employé avec succès par l’administration dans sa tâche d’apaisement.
Parmi les nombreux talibés que le Karamoko de Donhol-Ubbere compte dans la région de Pita, il faut citer les suivants, qui sont des chefs de petits groupements religieux, et pour la plupart maîtres d’écoles:
- Dans la province de Timbi-Tunni:
- à Pita, Tierno Diaïla, né vers 1895, Karamoko Doulla (surnom équivalent de Abdoulaye) né vers 1850, et Karamoko Bhoye, né vers 1845.
- A Diongassi, Karamoko Fodé, né vers 1860, Karamoko Mamadou Lamine
- A Timbi-Tunni même, Karamoko Ousmana, né vers 1860. A Dionberé, Alfa Ibrahima Diabere Yare, né vers 1875, et Mamadou Bakar Siadi, né vers 1860.
- Dans le Maci à Pété, Karamoko Souleymana, né vers 1875.
- Dans la province de Bantinhel: à Bantinhel-Mawnde, Tierno Ismaila, né vers 1870; son disciple Mamadou Billo, né vers 1872; Tierno Amadou Sana, né vers 1850 et Alibou, né vers 1855.
- Dans la région de Télimélé, province de Mamou: à Yambérin, Karamoko Mamadou, né vers 1872, un des marabouts les plus influents de la province. Originaire de Timbi-Tunni, il a quitté son pays pour venir s’installer dans le Monoma. Il avait séjourné plusieurs années dans le Koyin, suivant les leçons de son maître Abdoulaye Bademba, qu’il accompagna par la suite à Conakry. A Hollaande, Karamoko Amadou Tiawlo, né vers 1864 et son disciple Baba Amadou Samsouna, né vers 1883, tous maîtres d’écoles.
Alfa Ibrahima Karamoko se rattache par son wird personnel à la chaîne des Tidiania algériens. Il a, en effet, été affilié à la voie par un « Chérif » du Touat, de passage dans les Timbi, il y a une cinquantaine d’années, Amadou Moktarou, disciple de Hamidou Ibnou Lamin. Ce Hamidou comptait parmi les Télamides du Cheikh Mokhtar, l’Alaoui, qui par Ali Harazin, se rattachait au fondateur de l’ordre.
Par ses pouvoirs de Cheikh consécrateur (Moqaddem) il appartient au contraire à la chaîne d’Alfa Oumarou Rafiou, de Labé, et par ce marabout à Al-Hadj Omar lui-même.
- Les talibés de Tierno Dayeejo (Pita). — Tierno Dayeejo, de Timbi-Tunni (Pita), fut un des disciples les plus réputés d’Al-Hadj Omar dans le Fouta. Il était né vers 1850 et appartenait à la tribu Dayeebhe. Après avoir passé quelque temps à Dinguiraye, où il reçut le wird et les pouvoirs de moqaddem, il revint dans les Timbi, y ouvrit une école, et affilia un grand nombre de Foula à la voie omarienne. Il fut réputé le plus grand et le plus savant marabout de son temps. Il est mort vers 1880. Il a laissé plusieurs enfants qui n’ont hérité ni de sa science, ni de son prestige.
Parmi les disciples qu’il a formés, plusieurs sont devenus à leur tour des Cheikhs de renom et ont fait école. Il faut citer: - Tierno Maroufou (Pita).—Tierno Maroufou était un Foula que l’éclat des succès guerriers et le prestige religieux d’Al-Hadj Omar attirèrent à Dinguiraye vers 1850. Il y reçut un complément d’instruction islamique et le wird tidiani.
Rentré dans le Timbi-Médina, il y professa de longues années, et mourut vers 1880.
Son fils, Alfa Oumarou, installé à Niali (Timbi-Madina) le remplaça; il est mort, il y a quelques années, laissant un petit nombre de talibés. Les deux principaux groupements sont
- Karamoko Ibrahima Bemba, de la famille Diakanké, à Madina-Tokosere (Timbi-Madina) mort en 1912, laissant dans la région des talibés dont les plus connus sont Tierno Ismaila, Karamoko Alfa, né vers 1858, Amadou Bobo, né vers 1865.
- Tierno Mahadiou, de Timbi-Tunni, dont les principaux talibés maîtres d’écoles, sont Alfa Oumarou, né vers 1855, à Ninkan et Mamadou Alfa, né vers 1870, à Buruure (Timbi-Madina). Tierno Mahadiou de la famille Seriyanke (Dayeebhe), né vers 1840 à Parawi (Timbo), et qui vient de mourir à Malouko (Timbo). Instruit, âgé, pourvu d’une grande aisance, il était très respecté, dans la région de Timbo. Il dirigeait une école assez fréquentée; il a laissé plusieurs fils, dont son fils aîné, Modi Amadou, né vers 1885, maître d’école, et Tierno Ahmadou, de Harounaya (Kaba), d’origine toucouleure.
- Dans le Labé, Tierno Mamadou, de la famille Njobboyanke (Yirlabhe), à Labé-Dheppere (Labé), maître d’école réputé qui compte une centaine de disciples, tous plus ou moins Karamoko dans le Labé, le Pita et le Timbo. Lui-même est mort vers 1900. Les principaux de ses disciples sont:
- Alfa Abdoulaye Buruwal, né vers 1860, à Buruwal-Baya (Timbo) de la famille Sediyanke, très lettré, chef de son village, ancien assesseur du tribunal de province de Timbo, aujourd’hui assesseur du Tribunal de cercle. Il a fait ses études successivement auprès de son père Modi Abdoul Qadiri, puis chez Tierno Ibrahima fils de Karamoko Ouri et disciple de Tierno Mamadou, puis chez Karamoko Dalen.
- Tierno Abdou Rahimi de Koula-Mawnde (Labé), et Tierno Hadi, de Taïbata (Tougué); Tierno Lamin, né 1860, imam de la mosquée de Madina-Tokosere (Pita), Alfa Amadou Bouka, Tierno Bhoye, et Tierno Souleyman Laba (Pita); Tierno Ibrahima et son fils, Alfa Oumarou, né vers 1860, Mamadi Yéro, né vers 1876, et Tierno Ibrahima Hindi, né vers 1865, de Bantinhel (Pita), Modi Paté, né vers 1845 et Tierno Amadou, né vers 1850, à Bomboli (cercle de Pita).
- Province de Hériko, au village de Komadantan Tierno Mamadou Aliou, né vers 1858, de la famille Yirlaabhe. Il possède des talibés dans toute la province, et notamment à la misiide Hériko, à Mangakouloum, au foulasoo Dogué, au foulasoo Kouradante, au foulasso Donhel, et à Ley Ndantaari. Désireux de prendre la place du chef de province, il suscita contre lui des plaintes injustifiées, qui lui valurent une condamnation à un mois d’emprisonnement.
- Province de la Kassa-Saala, à Diari, Tierno Ibrahima, né vers 1850, de la famille des Ngeriyanke (Yirlabhe), imam de la mosquée de Diari. Il dirige une école coranique florissante, et compte de nombreux talibés dans la province, où on le considère comme un éducateur de choix et comme un saint marabout. Ses principaux disciples sont à Diari même, à Gadha-Diase, à Gete, à Hollaande et à Hoore-Tyangii.
- celui de Mali, dirigé par le Karamoko Mamadou Bobo, né vers 1870, dont l’école coranique est très fréquentée;
- Celui de Hoore-Wendu (région de Télimélé), dont le chef est Mamadou Mango, né vers 1867, maître d’école. Sur la foi des accusations des chefs Soussou de Kébou, on a reproché à ce Karamoko une attitude anti-française, lors des événements de Goumba. Sa conduite est, en tout cas irréprochable depuis cette date.
VI
Région de Télimélé.
- Généralités. — La région de Télimélé a été inféodée en grande partie à l’obédience du Ouali de Goumba. La plupart des marabouts locaux (province de Télimélé, du Mamou, de Hoore-Wendu, de Konsotami, du Kébou, etc.), se réclamaient directement de son Tidianisme ou de son Chadelisme et en observaient les pratiques. Ils assistaient d’ailleurs, à dates fixes, sur ou sans convocation, aux cérémonies présidées par le Ouali, à la misiide.
La tension aiguë qui se fait sentir dans nos relations avec le Ouali, entre 1909 et 1911, échauffe les têtes exaltées de
ces fils de Houbbou. Certains d’entre eux ont pris nettement part à la lutte finale. Les autres se tinrent prudemment dans l’ombre complice. Tous ont conservé un assez mauvais esprit, que l’on sent fermé et hostile, et qui ne se modifiera pas avant quelques années.
A la suite de ces événements, ces fidèles des pratiques mystiques de Goumba n’ont plus osé en observer ouvertement les règles, ni porter le nom de leur maître. Ils ont passé soit au Tidianisme déjà connu et pratiqué à la misiide, soit au Qaderisme, qui, comme on le sait, est la voie-mère du Chadelisme. Cette conversion paraît fictive et uniquement destinée à attendre des jours meilleurs. Quelques-uns pourtant sembleraient l’avoir fait sincèrement, car ils se sont inféodés aux Diakanke, de Touba.
D’autres enfin, plus méfiants encore, ne veulent pas prendre parti et déclarent, chose rare chez les noirs, être sans wird. Ce sont tous d’anciens Chadelia, ce qui explique leur silence.
On peut citer parmi les principaux chefs de petits groupements:
- A Kafima, province de Singuéléma, Abdoulaye Boïba, né vers 1835, petit-fils du Karamoko Kolo, originaire du Haci, et fils du Karamoko Kalidou. Tous les trois ont pris part aux nombreuses luttes des Foula contre les infidèles noirs. Abdoulaye notamment a fait les campagnes du Gabou, du Kanada et du Baléya. Très écouté à Kéfima, il n’hésita à provoquer une sédition en 1911, parce que le chef de district voulait l’empêcher de construire une mosquée sans autorisation. Il a été condamné pour ces faits à un an de prison par le tribunal de Pita.
Parmi sa douzaine de fils, l’aîné, Amadou Silla, né vers 1875, est le plus notoire. Il l’a suivi dans sa rébellion et a été condamné à la même peine,
Cette famille est riche, et influente dans le Singuéléma.
Elle fait le commerce de bétail avec Kindia et Conakry. - A Konsotami, Tierno Alseyni, né vers 1852, neveu de Tierno Oumarou, chef de Timbi-Tunni. C’est un Karamoko influent de sa province; il dirige une école coranique de dix élèves.
- A Hollaande, les deux frères Tierno Ousoumane, né vers 1860, et Amadou Ouri, né vers 1868, tous deux maîtres d’école.
L ‘émotion, consécutive aux incidents de Goumba, semble toucher à sa fin dans la région de Télimélé. Les personnages qui avaient été interdits de séjour en 1911 rentrent, les uns après les autres, et assagis, dans leurs villages. Les derniers voient leur peine expirer à la fin de 1919.
Quant aux dissidents, une généreuse politique les a ramenés dans le Télimélé, dès 1913. Leur situation en Guinée portugaise était des plus précaires, et ils ne demandaient qu’à revenir, pourvu qu’on leur assurât l’impunité. Quand la leçon de l’exil fut jugée suffisante, on leur fit connaitre, en janvier 1913, qu’ils pouvaient individuellement demander l’aman et que ces demandes seraient examinées avec bienveillance. Dès février 1913, tous rentraient, même ceux dont la demande n’avait pas été accueillie.
En dehors des Sadialia, des Qadria et des autres musulmans sans affiliation, on rencontre dans la région de Télimélé beaucoup d’individualités relevant de la voie classique chez les Foula, des Tidiania.
Beaucoup relèvent des marabouts voisins de Pita, ou de Labé, déjà étudiés: Alfa Ibrahima de Kalilamban, Tierno Moawiatou de Maci, Tierno Maroufou, etc.
Quelques-uns, comme Modi Abdoul Karimou, de Téliko, Karamoko lettré et influent, ont reçu le wird de marabouts toucouleurs de passage.
Les autres sont des Karamoko de villages, sans grande considération, tels Karimou, de Songue Kourou; Bakari, de Balifotou; Tierno Aliou et Ousman Tanou, de Bambaya; Karamoko Ndane et Karamoko Mamadou, de Télimélé; Tierno Ibrahima Touppe, de Santou.
Une seule personnalité locale importante se dégage; Tierno Diouhe, de Guémé; elle est ci-après l’objet d’une notice.
Les centres plus spécialement musulmans de la région sont: Télimélé, Monoma, Singuéléma, Santou, Bambaya, célèbres par leurs écoles maraboutiques, et enfin Démokoulima. Démokoulima était un centre commercial important, situé sur la grande route caravanière du siècle dernier, de la côte à Pita-Labé, Goumba et Timbo. L’afflux des dioula et la présence d’un florissant quartier malinké en firent le théâtre d’un perpétuel apostolat islamique. Elle est aujourd’hui partiellement déchue et, à côté d’éléments disparates et turbulents, on y trouve un important noyau de Diallonké. Elle a pourtant conservé le prestige d’une ville religieuse et lettrée.
L’Islam semble stationnaire dans la région de Télimélé. On n y constate aucun progrès dans l’élément captif resté souvent fétichiste. L’exaltation religieuse croissante que M. A. Le Chatelier signalait, en 1888, dans les provinces de Konsotami et de Bambaya et qui était due aux émissaires omariens de la génération précédente, paraît graduellement s’estomper. Quant à l’instruction religieuse, elle semblerait plutôt en régression. Le nombre des écoles coraniques n’a pas augmenté depuis plusieurs années, et les chiffres des élèves, si l’on peut s’en rapporter aux statistiques, tendraient à diminuer.
- Tierno Diouhé (Télimélé). — Tierno Diouhe 2 est né à Guémé, province de Boowe-Gueme, résidence de Télimélé (Pita), vers 1845. Il y est mort à la fin de 1914.
C’était un marabout fort lettré, très riche en bétail, et qui jouissait dans la région de Télimélé d’une influence considérable. Sa réputation avait même débordé le pays, et il était très vénéré dans le Labé et dans le Rio Nunez et le Rio Pongo. Il était le conseiller officiel du chef de la province, Alfa Saliou.
Il avait toujours été un chaud partisan d’Alfa Yaya; aussi, lors des événements qui amenèrent la chute définitive de ce dernier en 1910-1911, se compromit-il si ouvertement qu’il attira sur lui fâcheusement l’attention de l’Administration. Il fut poursuivi pour escroqueries et condamné par le tribunal de province de Télimélé à un an de prison et cinq ans d’interdiction de séjour. Il les a passés à Conakry sans incident, et a bénéficié d’une mesure de clémence. Ces agissements l’avaient fait représenter comme fanatique et hostile à la cause française.
Tierno Diouhe a été jusqu’à la dernière heure un maître d’école recherché. Il présidait régulièrement les cérémonies religieuses de la misiide de Guemé.
Il avait été initié à la Voie qadria par le marabout Tierno Aliou, de Médina-Ley-Mayo (Boowe).
Tierno Diouhé a laissé de nombreux disciples dans la résidence de Télimélé et dans la région côtière correspondante. Depuis la condamnation de leur maître, plusieurs d’entre eux d’ailleurs n’osent plus se réclamer de son affiliation.
Les plus importants d’entre eux sont:
- Mamadou Baïlo, à Guémé, né vers 1878, fils d’Alfa Dioudiouba, et frère d’Alfa Saliou, chef de la province. C’est un homme riche et très connu dans la Basse-Guinée. Il a pris part aux expéditions d’Alfa Yaya contre les Soussou et les Nalou. Il a remplacé son maître comme imam des diarooje de Guémé, et conseiller du chef de province.
- Alfa Mamadou Ouri, né vers 1852, frère du précédent. Ancien chef de guerre d’Alfa Ibrahima et d’Alfa Yaya du Labé, il fut mis par eux à la tête de la province de Boowe-Guémé, mais dut être révoqué, en 1906, à cause de ses multiples exactions. Il a été condamné, en octobre 1906, à un an de prison et à cinq ans d’interdiction de séjour pour menaces à un agent de poste et opposition à l’autorité française. Après avoir été en résidence obligatoire à Conakry, il vient de rentrer, ces temps derniers, à Télimélé.
- Alfa Mamadou Sadio, dit Bona-Kuudhe, id est « malfaisant », né vers 1864, à Goulgoul, province de Télimélé. Il est de la famille Yirlaabhe. Il avait pris part jadis à toutes les expéditions contre les infidèles et s’était acquis une réputation de chef, qui lui valut en 1906 de remplacer Alfa Mamadou Goki comme chef de district de Télimélé.
Son hostilité, lors des événements de Goumba, le fit révoquer (juillet 1911) et envoyer en résidence obligatoire à Siguiri. Il nc tarda pas à s’évader, et, revenu et caché à Télimélé, se signala par une campagne active contre son remplaçant, Mamadou Sarafou. Surpris, une nuit de novembre 1911, près de Goul-Goul, il tenta de frapper à coups de sabre les gardes qui l’arrêtaient. Bona-Kuudhe a été condamné pour ces faits à quatre ans de prison et dix ans d’interdiction de séjour. Il est actuellement à Dixin, près de Conakry, en résidence obligatoire.
VII
Timbo.
- Généralités. —La région de Timbo est aujourd’hui peuplée par des représentants des quatre tribus peules: Diallubhe (Yirlaabhe); Ferobbhe, dans le Fodé Hadji, Uururbhe, dans le Bokeeto, et surtout Dayeebhe. C’est cette dernière tribu qui constitue par ses familles Seeriyanke, Seediyanke et Wolarbhe, le fond même de la population.
A côté de l’élément Foula vivent quelques groupements d’origine diallonké.
Les uns et les autres sont entièrement islamisés, et attachés, comme la grande majorité des habitants du Fouta-Diallon, à la bannière tidianïa d’Al-Hadj Omar.
Deux grands noms émergent, qui ont été les pasteurs, les éducateurs et les directeurs de conscience de la foule islamisée de la région de Timbo, dans la deuxième moitié du dix-neuvième siècle: Tierno Hamidou de Heeriko, et Tierno Mostafa de Kolen. Ils sont disparus aujourd’hui; et on ne trouve plus dans la résidence qu’un nom islamique de grande envergure: Karamoko Dalen.
En dehors de ces trois chefs de groupements, on rencontre dans la région de Timbo, un certain nombre de petits Karamoko et notables relevant de l’obédience des cheikhs tidiania des cercles voisins, et notamment Tierno Doura Sombili et Tierno Aliou Bhoubha Ndiyan, de Labé. Les Cheikhs toucouleurs de Dinguiraye y comptent aussi des adeptes, surtout dans les familles des almamys.
Enfin, en dehors de ces obédiences foula, il n’y a guère à signaler qu’une personnalité notoire d’origine toucouleure, se rattachant à Al-Hadj Omar par un Chékou Mamadou, disciple du grand conquérant, et mort récemment dans le Fouta Toro. C’est Tierno Mamadou Baïlo, né à Diaba (Saldé), vers 1870, et qui débuta dans l’entourage accueillant d’Alfa Yaya. D’abord petit karamoko ambulant, il a parcouru en cette qualité la plus grande partie du Fouta méridional (Timbo, Ditin, Mamou) et s’y est fait une réputation de savant. Il s’est élevé peu à peu à la dignité de conférencier et ne professe plus que pour les Karamoko ou pour les notables. Installé pour quelques mois dans un centre intellectuel, il donne des leçons de littérature, de grammaire aux lettrés du lieu. C’est ainsi que pour Timbo il a parfait l’éducation de Karamoko Dalen et celle d’Alfa Oumarou, chef de la ville fils de l’Almamy Ahmadou, alors que ces deux personnages étaient à Conakry. Dans les dernières années, il a étendu les champs de ses opérations à la Basse-Guinée (Kindia, Conakry et Mellacorée).
Il passe pour un marabout pédant et orgueilleux de sa science, et cette vanité déplacée lui a valu des désagréments. C’est lui qui répondait un jour à un inspecteur qui, le rencontrant dans un village du Timbo, lui demandait son nom: « Fils d’Adam ». Il affecte d’ailleurs de fuir tout contact avec les Français.
Il est marié avec Soufa, la veuve de Tierno Hassana, chef de Sankarela, et avec Souadou, soeur du chef de Timbo, et a ainsi pris pied dans la société foula; depuis 1912, il paraît se circonscrire à la Guinée portugaise. Son centre d’opérations est auprès d’Abdou Ndiaye, chef des partisans utilisés par les Portugais. Il en sort quelquefois pourtant pour faire des apparitions dans le Fouta-Diallon ou dans son village natal de Diaba (Sallé).
La région de Timbo renferme un fort contingent de Malinké, surtout répartis dans les provinces du Kolen et du Houré.
Dans le Kolen, les principaux villages Malinké sont : Foniekonko, Tanouya, Finala, Toguin, Barondoko, Babila, Ndiré, Kérouané, Diawaréla, Koukoutamba, Tarankola, Madéla, Boubé et Fela. Finala et Koukoutamba sont renommés comme des centres intellectuels islamiques. D’autres ont une population mixte où dominent les Malinké, tels Diegounko, Bambara Ali, Kimpako Kourou, Sansen et Garankela, qui est un village de cordonniers. Les nécessités du commandement imposèrent, en 1912, le partage de la province en deux cantons: Kolen Foula, dont Alfa Oumarou Diddi fut fait chef, et Kolen Malinké, dont le commandement fut donné à Ibrahima Bolaro.
Alfa Oumarou Diddi, des Dayeebhe-Wolarbhe, est né vers 1862 et relève du Tidianisme omari par les cheikhs de Dinguiraye.
Ibrahima Bolaro est aussi un Foula, mais agréé par les Malinké dont il est parent par les femmes. Il put exercer son commandement jusqu’à sa mort (1914), date où, de nouveau, la province de Kolen a recouvré son unité sous l’autorité d’Alfa Bagou, frère de l’Almamy Bokar Biro. Un grand nombre de Malinké ont émigré vers le Dinguiraye à la suite de cette mesure.
Au point de vue religieux, les Malinké du Kolen se signalent par leur attachement au Qaderisme. Ils relèvent des obédiences les plus diverses: Diakanké de Touba, et surtout Malinké de l’ouest (Dar es Salam de Kindia) et de l’est (Kouroussa et Kankan). Les plus en vue sont dans le village de Fodé Laminaya: Alfa Ibrahima, dont le grand-père Fodé Lamina est le créateur du village, et Tierno Al-Kali, tous deux maîtres d’école, cultivateurs et notables.
Un certain nombre sont sans wird, ce qui est interprété comme une marque de tiédeur religieuse chez ce groupe.
Quelques-uns sont enfin tidianes, notamment Alfa Hadi Bodia, né vers 1855, oncle maternel et conseiller de l’Almamy Bokar Biro. Il jouit d’une réputation de sorcier et de jeteur de sorts émérite. Tierno Siré, né vers 1850, maître d’une école florissante. Alfa Ibrahima Kané, à Saare-Boowal (Saïn) dont le grand-père, Al-Hadji Kané, fut un des compagnons d’Al-Hadj Omar.
Le Houré est aussi peuplé en grande partie de Malinké. Kaba, le chef-lieu de la province, est un village purement malinké. Comme tous leurs congénères, ces indigènes sont surtout qadria. Leurs principaux marabouts, résidant à Kaba même, sont: Alfa Mansaré, né vers 1860, maîtres d’école, et disciples des Karamoko de la génération précédente: Alfa Oumarou de Kaba, et Alfa Ousman de Dalaba.
Il reste à donner une mention au Fitaba, qui est le refuge des derniers Houbbou. Foula appartenant surtout à la tribu Uururbhe du Labé, et dans cette tribu, principalement à la famille Nduyeebhe, leur dissidence politique les a conduits au séparatisme religieux. Ils sont tous qadria et les principaux marabouts d’aujourd’hui se rattachent, par leurs maîtres de la génération précédente, à Abbal et à son maître, le fameux disciple de Cheikh Sidia Al-Kabir.
Ces notables Karamoko sont:
- A Bokeeto, Tierno Hassana Diouhé, né vers 1835. C’est un homme riche et considéré
- Alfa Kaba, né vers 1878, disciple de Tierno Sayo Kaba;
- Alfa Mamadou Kollé, de la famille Diallubhe-Yirlabhe et originaire du Kébou, né vers 1860, disciple de son père Tierno Aliou Kollé et neveu du chef du Fitaba.
- A Bombotaré, Ahmidou Haoudi, né à Dinguiraye vers 1862, cultivateur aisé.
Les chefs du Fitaba ont été des personnages imprégnés de maraboutisme. Le plus grand de tous, Karamoko Tidia, mêlé aux luttes de Samory, est mort en 1907. Il a été remplacé par Tierno Moktar son cousin. A la suite de cette nomination, le frère de Tidia, Abbal Kaba, dit Karamoko Abbal Diakité, a quitté le Fitaba et s’est retiré à Hamdalaye dans le Timbo. Abbal fait exception à la règle du Qaderisme des Houbbou. Il a pris part à toutes les luttes des Toucouleurs contre Samory, et reçu le wird tidiani d’Ahmadou Chékou, à Ségou, et fait prisonnier par le terrible potentat malinké, a été incorporé dans ses sofas. Il fait aujourd’hui pour vivre le cultivateur, et le petit Karamoko.
Il est intéressant de signaler en passant que Timbo est la création de Karamoko Alfa, le grand marabout légendaire du début du dix-huitième siècle, le promoteur de l’islamisation du Fouta. Auparavant, il y avait à cet endroit un petit village poulli du nom de Gongowi. Karamoko vint s’y établir, obtint la permission du chef local, Dian Yéro d’établir d’abord une petite mosquée ngeru, puis dix ans plus tard, d’y construire une mosquée en chaume. Quand, les Poulli et Diallonké furent vaincus, il prit lui-même le commandement du pays et en fit le siège de l’une des nouvelles divisions administratives, à forme musulmane, la misiide de Timbo.
- Tierno Hamidou Hériko. — Tierno Hamidou, fils d’un marabout de valeur, Alfa Mamadou Dioudia, fils lui-même de l’Almamy du Fouta, Bakar-Zikrou, était de la famille Sediyanke (tribu Dayeebhe). Il était né vers 1823, et mourut, vers 1903, à Hériko, où il avait toujours habité.
Il fit ses premières études chez son père, et reçut le wird tidiani, à l’âge de sept ans seulement, de la main même d’Al-Hadj Omar. Celui-ci de passage à Timbo, conféra l’affiliation à sa voie à un grand nombre de Foula. Alfa Mamadou Dioudia était venu le chercher pour son compte, et avait amené avec lui son jeune fils Hamidou, Al-Hadj Omar sut discerner dans cet enfant, que personne ne regardait, un grand marabout de l’avenir, et tint à honneur de lui conférer le wird.
Hamidou poursuivit par la suite ses études chez les grands marabouts du Labé.
Il entretint les meilleures relations avec les Almamys de Timbo, qui étaient d’ailleurs ses cousins peu éloignés.
Il fut un homme très charitable, qui distribua de son vivant tout son bien aux pauvres. C’était un savant de première valeur et un grand marabout.
Tierno Hamidou Hériko a laissé de nombreux disciples, qui ont essaimé à leur tour et formé des Karamoko dans plusieurs régions foula; Pita, Ditin, Mamou, Labé.
Les plus importants, généralement maîtres d’école et chefs de petits groupements, sont: - Tierno Mostafa Kolen. — Tierno Mostafa, qui a pris de sa province le surnom de Kolen, appartient à la famille Wolarbhe de la tribu Dayeebhe. Né vers 130, il est mort vers 1830, et avait habité toute sa vie aux villages de Ndantari et de Fitakoto. ll fit ses études chez Tierno Doura Sombili, qui lui conféra le wird tidiani et le retint, de longues anées, comme professeur à sa Zaouïa. Revenu dans le Kolen, il y ouvrit une école et fut bientôt un maître renommé dans toute la région.
Il entretenait les meilleures relations avec les différents almamys de Timbo: Ahmadou, Ibrahima Donghol Fella, et Bokar Biro. Il leur rendait souvent visite à Timbo, et ceux-ci profitaient de son passage pour lui soumettre les procès délicats.
Il a laissé de nombreux enfants, dont aucun n’a hérité de sa science et de son prestige.
A sa mort (vers 1906), il fut remplacé par son disciple, Alfa Ibrahima Niagamala, qui est mort vers 1908, laissant la primauté spirituelle du Kolen à Karamoko Badara, neveu maternel et disciple de Tierno Mostafa, né vers 1860, et habitant Hériko-Diomal. Intelligent, instruit, cultivateur aisé il a été secrétaire du Tribunal de province de Kolen, avant la suppression de cette juridiction.
Tierno Mostafa Kolen a formé de nombreuses générations de Karamoko et de notables. Le Ouali de Maci, Tierno Moawiatou, notamment, se glorifie d’avoir été son élève.
Il a laissé en outre de nombreux disciples de sa Voie. Les plus importants sont: - Karamoko Dalen. — Tierno Ibrahima Diallo, plus connu sous le nom de Karamoko Dalen, est né en 1871 à Satina, dans la misiide du même nom (Labé). Il appartient à la famille aristocratique des Seeleyanke-Yirlaabhe. Il est fils de Modi Mamoudou, fils de Talhatou, fils de Modi Karimou, fils de Mamoudou Yéro, fils de Boubakar. Yéro avait épousé Aïssata, fille du grand Alfa, chef et créateur du Labé, Alfa Mamadou Cellou. Boubakar était fils de Souaré, fils lui-même de Diankanka, l’ancêtre qui vint le premier du Macina dans le Fouta, et fut le père de tous les Seeleyanke locaux.
Karamoko Dalen a fait ses études complètes auprès de Tierno Aliou Bhoubha Ndiyan, à Labé, et en a reçu le wird tidiani, se rattachant ainsi à la fois au double courant tidiani des pays noirs: Ida Ou Ali par Mouloud Fal, et omarien. Il a conservé pour son maître la plus grande vénération.
Vers 1894, plein de projets ambitieux et se rendant compte qu’il avait intêrét, pour les réaliser, à quitter le Labé pour un centre d’opérations plus important, il vint à Timbo, y ouvrit une école coranique, et prit place dans l’entourage de l’Almamy Boubakar Biro, premier du nom. Les intrigues et les profits de ce makhzen Peul lui souriaient tout à fait. Malheureusement il touchait à son déclin. Dès 1896, l’almamy, en lutte contre les Français et abandonné par la plupart des siens, est battu et tué.
Tierno Ibrahima sut traverser cette phase dangereuse.
Bien mieux, il comprit, dès le premier jour, les transformations politiques qui s’annonçaient. Ce n’était plus Timbo qui était la capitale de la Guinée; c’était Conakry où résidait l’autorité française.
Il avait une égale sympathie pour l’Almamy du Fouta ou pour le Gouverneur de la Guinée, pour l’émir des Musulmans ou pour le chef des Chrétiens, la réduction de toutes les opérations se faisant toujours au même dénominateur; celui de ses intérêts.
Attaché depuis la mort de Boubakar Biro à la fortune de Modi Aliou, son frère, que, pour des raisons politiques, on internait quelque temps à Conakry, il déclara vouloir rester fidèle jusqu’au bout à son suzerain et vint résider avec lui. Il était là dans les meilleures conditions pour approcher les autorités françaises.
Au cours de nombreux entretiens que le Gouverneur Ballay eut avec ces Foula qu’il voulait apprivoiser, Tierno Ibrahima sut se faire valoir, et ne tarda pas à devenir son agent de renseignements et son secrétaire d’arabe. Il est avéré que de 1897 à 1900, il a rendu, à Conakry, des services notoires.
En 1900, l’administrateur Maclaud, qui montait à Timbo pour prendre le commandement du pays, l’emmena avec lui. De 1900 à 1905, Karamoko Dalen rendit à Timbo, dans une situation mal définie, mais officielle, les meilleurs offices pour l’installation pacifique de notre domination dans le Fouta.
Entre temps, il s’attachait d’abord à l’almamy nommé par les Français, Baba Alimou, fils de l’almamy Sori Yilili, puis à la mort de Baba (1906), à son frère et successeur Bokar Biro, deuxième de nom.
Bakar Biro II était un illettré. Karamoko Dalen lui inculqua à la fois rudiments d’arabe, instruction islamique, wird tidiani, et notions de français, et devint très vite son éminence grise. De 1906 à 1912, le sort qui voulait faire goûter aux Foula de Timbo les dernières douceurs de l’ancien régime leur octroya le commandement de l’almamy Bokar Biro II et de son vizir et conseiller, Karamoko Dalen.
Pour comble de bonheur, la surveillance française paraît avoir fait quelque peu défaut. Bref, il y eut une telle pléthore de brigandages, crimes et pillages, qu’on dut se résigner à supprimer, en 1922, la charge d’almamy et diviser le commandement dans la région de Timbo.
Karamoko Dalen y perdit ses fonctions lucratives de secrétaire tout-puissant du Tribunal. Il fut néanmoins conservé au siège du cercle comme écrivain d’arabe
Il exerce toujours ces fonctions et, bien employé, se rend parfaitement utile, en dehors des travaux d’ordre administratif (vaccinations, recensements, etc.), par son abondante et sûre documentation locale, par son intelligence souple et avisée, par son dévouement, d’autant plus entier qu’il cadre pour l’heure avec ses rêves et ses intérêts.
Karamoko Dalen n’a pas manqué d’être soupçonné de complicité dans le prétendu complot islamique de Guinée de 1910. Il entretenait, c’est certain, et il ne le nie pas, de cordiales relations avec le pontife de Goumba; il était même, pourrait on dire, en coquetterie avec lui, car le Ouali était un homme puissant, riche, considéré, dont l’amitié pouvait servir un jeune ambitieux. Et c’est là sûrement toute la participation de Tierno Ibrahima à l’effervescence de Goumba. Mis au courant des soupçons qui pesaient sur lui, il demanda spontanément à se disculper auprès du Gouverneur, vint à Conakry, fut reçu par le chef de la Colonie, et, comme le publicain, s’en retourna justifié. Les événements de 1911 l’ont désolé, et il ne cache pas qu’à son avis le diable a brouillé les choses.
Karamoko Dalen est proposé aujourd’hui pour occuper la charge de conseiller islamique du Gouvernement français dans la Commission Interministérielle des Affaires musulmanes. Il est hors de doute qu’il y réussira parfaitement.
Karamoko Dalen est universellement connu dans le Fouta-Diallon, où il passe pour un des marabouts les plus instruits et pour le représentant le plus autorisé de l’Islam foula. A ce titre, il y jouit d’une grande considération. Mais ce n’est pas à dire qu’il y ait une influence réelle. Il n’a jamais poussé ses efforts dans la voie de l’apostolat militant, ni dans le sens d’une constitution de groupement religieux. Il a peu distribué d’affiliations tidianes; il n’a donc que quelques talibés directs et inféodés à sa direction spirituelle. Il parait surtout avoir visé à atteindre une haute situation politique, en restant dans le sillage des chefs du pays.
Rien n’indique au surplus que, s’il ne l’atteignait pas, il perdrait son temps et ses efforts à poursuivre ce but. Il a toute l’étoffe qu’il faut pour faire un parfait marabout, chef de groupement et directeur d’âmes.
Son influence est localisée surtout, à l’heure actuelle, sur l’aristocratie et sur la famille des almamys foula.
Il a employé avec succès ses efforts à seconder l’habile politique de certains commandants de cercle, en décidant plusieurs fils, petits-fils et neveux d’almamys du Fouta des anciens temps à contracter des engagements aux tirailleurs. A citer par exemple Abdoulaye Bari, fils du chef de Timbo; Bassirou Bari, neveu, et Mamadou Cellou, fils du chef de la Kaba; Aliou Diallo, son propre frère. La première conséquence est de débarrasser le pays des jeunes déclassés, intrigants, ambitieux, oisifs et réfractaires à toute idée de travail, agricole ou commercial. L’éducation militaire sera le meilleur dressage pour ces jeunes gens qui ont les qualités de leurs défauts: intelligence, aptitude au commandement, facilité d’assimilation, opiniâtreté sans bornes, quand leurs ambitions sont en jeu.
C’est une force à capter. Le régiment sans doute les formera virilement; et peut-être pourrons nous plus tard puiser, dans ce contingent d’anciens soldats, des chefs, de race authentique. En deuxième lieu, ces engagements ont constitué pour l’aristocratie foula l’exemple le plus salutaire.
D’autres engagements ont suivi, et il semble qu’on est ici sur le chemin d’un succès que, malgré tous ses efforts, l’Administration algérienne n’a pas pu obtenir, à savoir le recrutement des cadres militaires dans l’aristocratie indigéne locale.
Ils ont été suivis, et veillés, sont devenus rapidement caporaux au peloton de Dakar, et sous-officiers sur la ligne de feu. Ils ont fait brillamment leur devoir en Artois, en Champagne, aux Dardanelles et au Cameroun. Plusieurs sont tombés : tels Abdoulaye Bari, Aliou Diallo, frère de Karamoko Dalen, etc. De la plupart on est sans nouvelles depuis plus d’un an.
En dehors de son élève et de son ami, l’almamy Bokar Biro II, il n’y a guère à citer, parmi les talibés de Karamoko Dalen que:
- Cercle de Pita. —
- Dans la province de Bomboli :
- A Gongore, Tierno Sanoussi, né vers 1882, quelque peu lettré.
- A Tyehel, Tierno Mamoudou, né vers 1850. Il a formé un disciple, Tierno Mamadou de Dalaba, né vers 1865, qui a joué un certain rôle lors des événements de Goumba, en servant d’intermédiaire entre les chefs de Dalaba, de Kala et du Maci. Il a été professeur du Cheikh de Fougoumba, Alfa Ousman.
- Dans la province de Bomboli :
- Résidence de Ditin (Timbo). —
- A Fougoumba même, foulasso de Kouro : Tierno Oumarou Bella, savant de valeur, né vers 1870.
- A Kaba, Alfa Issaga, Alfa Bou Bakar Koyineré, et Alfa Oumarou Diambrouya.
Alfa Issaga, né vers 1848, fils de Tierno Hamidou, habite Kala. C’est un marabout lettré, qui a fait ses études chez les disciples de Tierno Dayeejo, de Timbi-Tunni : Karamoko Bokar Dokol, et Karamoko Mamadou Yéro. Il était en excellentes relations avec le Ouali de Goumba, mais n’a donné lieu à aucun sujet de plainte, lors des événements de 1911. Il jouit d’une grande considération sur le plateau. Il appartient, comme la plupart des gens de Kala, à la famille Ludaabhe, de la tribu Uururbhe.
- Cercle de Mamou. —
- A Douné (Ballay), Mamadou Sanoussi, né vers 1845, dans le Labé, et qui a habité longtemps le canton de Boulliwel. Karamoko riche et influent de ce canton, Mamadou Sanoussi était un grand admirateur du Ouali de Goumba; on dit même qu’il fut son représentant dans les districts de Boulliwel et de Bilima (Mamou), de Diaguissa et de Hoore-Dyoli (Ditin). Son fils s’installa même quelque temps à Diaguissa, et y ouvrit une école où il déclara professer les doctrines du Ouali.
Pratiquement, ce vieux marabout, à peu près aveugle, ne prit aucune part aux événements de Goumba et a eu une attitude très correcte. Il est en bons termes avec l’almamy Oumarou Bademba, et parait très considéré dans tout le Fouta méridional.
Il avait fait ses premières études chez Tierno Talhatou à Longouré. Il les compléta par la suite, chez Tierno Hériko et en reçut le wird en le quittant. - A Sankarella (Niellebhe), Modi Ousman Bela, mort ces dernières années, et qui a laissé la réputation d’un saint marabout et d’un maître remarquable. Parmi ses talibés, maîtres d’école aujourd’hui, il faut citer: à Sankarella même, Tierno Abdoulaye, fils d’Ismaila, né vers 1875, et à Fougoumba, Modi Saliou, né vers 1865. Modi Ousmane Bella avait fait ses études et reçut une première fois le wird chez un marabout local, Tierno Aliou Moloko.
- A Boulliwel, Tierno Idi (diminutif de Idrissa) maître d’école considéré, dont les principaux talibés, Tierno Mamadou Sazaliou et Tierno Sanoussi, sont allés ouvrir une école à Diangolo, dans le Ditin,
- A Daara, Alfa Issiaka, fils d’Amadou Billo, né vers 1830, et qui a fait ses études chez Tierno Ibrahim Kapéré et Tierno Aliou Dongo, de Labé. Il appartient à la famille Seediyanke (tribu Dayeebhe.)
- A Douné (Ballay), Mamadou Sanoussi, né vers 1845, dans le Labé, et qui a habité longtemps le canton de Boulliwel. Karamoko riche et influent de ce canton, Mamadou Sanoussi était un grand admirateur du Ouali de Goumba; on dit même qu’il fut son représentant dans les districts de Boulliwel et de Bilima (Mamou), de Diaguissa et de Hoore-Dyoli (Ditin). Son fils s’installa même quelque temps à Diaguissa, et y ouvrit une école où il déclara professer les doctrines du Ouali.
- Cercle de Labé. Résidence de Tougué. — A Wulenko (Koole), Tierno Hamidou, né vers 1860, et qui a fait la plus grande partie de ses études à Timbo. C’est un Karamoko de valeur.
- Dans le Timbo même parmi la foule des petits Karamoko qui se réclament actuellement de son initiation, un seul nom émerge: Al-Hadj Abdoulaye, né vers 1855. Pleins de zèle, quoique sans ressources, Abdoulaye, son frère aîné Ibrahima et Tierno Abdoulaye du Koyin partirent, vers 1875, à pied, de Timbo pour faire le pèlerinage de la Mecque. Leurs pérégrinations les amenèrent la ville sainte par Kouroussa, Kankan, Diaka, Bandiagara, Liptako, Saye, Sokoto, Kano, le Bornu et Koukaoua, Fitiri, le Ouadaï, le Tama, le Darfour, le Kordofan, Khartoum, Berbéra et Souakim. Ils s’embarquèrent là pour Djedda, et après avoir visité la Mecque et Medine, revinrent à Alexandrie, d’où ils rentrèrent à Conakry par la voie de mer. Le voyage avait duré dix ans. Tierno Abdoulaye était mort à la Mecque et Tierno Ibrahim mourut le lendemain de son arrivée à Timbo. Al-Hadji Abdoulaye, sur qui son difficile pèlerinage a jeté un lustre, fait le maître d’école à Hériko et entre temps effectue des voyages commerciaux à Sierra-Leone. Il compte plusieurs talibés dans la région, dont le plus en vue est Alfa Oumarou, à Hériko même.
- Dans le Kolen (Timbo): Mamadou Modi Ouri, mort il y a quelques années et qui fut un marabout réputé. il laissé à son tour plusieurs talibés, notamment Mamadou Charifou Dini, né vers 1863, tous deux maîtres d’école.
- A Timbo même, à la Marga Fello et à la Marga Dinkili les deux fils de Karamoko Ouri, marabout influent en son temps; Alfa Boubakar, né vers 1860, et Tierno Ousmane, né vers 1867. Ils sont d’origine toucouleure, leur père est né à Boumba dans le Lao. Tierno Ousmane, ami et familier de l’almamy Alfaya Oumarou Bademba, se signale par de perpétuelles intrigues contre l’almamy Soriya, Bokar Biro qui est son chef de province.
- Dans le Koyin (Tougué): à Kémaya, Alfa Ibrahima, né vers 1863, de la tribu Dayeebhe. Il compte des talibés à Bandougou et Kounta. A Sabéré. Abdoulaye Foula, né vers 1872, et son père décédé, Alfa Ibrahim, de la famille Seriyanke, chef de village, Karamoko sympathique. Abdoulaye Foula rend des services au chef de province comme secrétaire du Tribunal et à l’administration. Alfa Oumarou, né vers 1856, de la famille Seeleyanke, imam de la mosquée de Niagaran-Fello.
- Alfa Mamadou Nafadié (Téré), de la famille Nduyeebhe (tribu Uururbhe), né vers 1875, maître d’une petite école de six élèves
- Alfa Oumarou Bagou, fils de l’Almamy Sori Yilili, né dans les personnalités soriya, à Timbo; Karamoko Bhoye, fils de Tierno Ibrahima, Toucouleurs installés à Timbo depuis plusieurs générations
- Mamadou Telli, des Khaliduyanke, fils de Modi Bakar, de Sombili. Jadis représentant, à Koumbia, du chef du Kinsi, il y est aujourd’hui secrétaire du tribunal de province;
- Modi Maka, fils de Modi Yahia, fils d’Alfa Ibrahima Diogo, ex-grand vizir des derniers almamys du Fouta. Modi Maka est représentant à Timbo de son oncle Alfa Aliou, chef de Niagara;
- Tierno Amadou Boto-Mangii, chef du groupe des Yirlaabhe (Teekun Tierno Amadou) de Timbo, et son fils Alfa Bakar;
- Tierno Mostafa, de Ley-Seere, près de Timbo, commerçant et maître d’une école florissante de quinze à vingt élèves;
- Alfa Ibrahima de Nafadié, cousin de l’almamy Bokar Biro, chef de village (Téré);
- Mamadou Alfade Dalen (Labé), habitant Timbo, maître d’école
- Tierno Nouhou Démouko, chef du Teekun de Tierno Malal à Timbo, décédé ces temps derniers;
- Modi Mamadou des Yirlaabhe, suivant d’Alfa Oumarou, chef de Timbo;
- Tierno Ousmani, de Kémouya (Mamou), chef de groupe et suivant de Modi Sori, fils de l’almamy Oumarou Bademba;
- Modi Sori Singa, de Kolo, cousin de l’almamy Bokar Biro
- Tierno Amadou Kassa, de Kolen, maître d’une école florissante de vingt élèves.
En outre, les cours actuels de Karamoko Dalen sont suivis à Timbo par une élite, et réputés pour leur science et leur solidité.
Karamoko Dalen
Karamoko Dalen est aujourd’hui un homme de quarante-trois ans, de race peule à peu près pure, d’une constitution délicate, au maintien réservé, attentif, discret, parfaitement poli. Son instruction arabe est vraiment développée : il a étudié à peu près tous les ouvrages de la civilisation classique, et vise à se tenir tant bien que mal au courant de l’évolution moderne des faits contemporains qui agitent l’Islam. Il passe pour être un docteur musulman des plus remarquables.
Cachet de Karamoko Dalen
Il a appris tout seul les rudiments du français, s’y est perfectionné en suivant les cours d’adultes de l’école de Timbo, et continue à le travailler avec ardeur. Il s’exprime très suffisamment, tant en français qu’en arabe littéraire.
Il possède une certaine fortune: deux chevaux, plusieurs troupeaux de boeufs, dont un notamment à Sokotoro, qui comprend une centaine de têtes; des lougans, des serviteurs.
En vue du pèlerinage à la Mecque, il s’était constitué en 1914-1914 un dépôt de plusieurs milliers de francs à la Banque de l’AOF, à Conakry. La guerre [mondiale 1914-1918] survenant, il a eu une utilisation plus pratique de son dépôt de fonds, et l’a transformé en bons et obligations de la Défense nationale. C’est double profit : pécuniaire et moral.
VIII
Région de Ditin.
- Généralités. — La région de Ditin est peuplée par des représentants des quatre tribus peules: Dayeebhe (famille Seriyanke de Fougoumba); Ferobbhe (dans le Keebali), Diallubhe (dans le Kolladhe), Uururbhe (Dalaba et Kaala), et profondément islamisée et très pratiquante. En totalisant le nombre de tous les Karamoko, importants ou non, qui font peu ou prou l’école coranique, on arrive pour cette seule résidence à plus de cent écoles et à cinq ou six cents élèves environ.
Fougoumba, l’ancienne métropole religieuse du Fouta, ne se signale pas particulièrement par une plus grande intensité de vie spirituelle. Alfa Ousman, chef de la province, en est aussi le marabout le plus en vue.
C’est l’ancien diiwal du Kolladhe, aujourd’hui divisé en les quatre provinces de Kankalabé, Gali, Boodye et Mombeya, qui paraît être le centre de rayonnement religieux le plus actif de la région. Elles comprennent ensemble une cinquantaine d’écoles coraniques et plus de cinq cents jeunes karanden 3. On y rencontre presque autant de fillettes que de garçons, et en plusieurs points les études sont poussées assez sérieusement jusqu’au droit et à la théologie.
Cette vie religieuse paraît avoir eu pour origine la présence et les exemples des deux très grands marabouts, à Seefuure, dans la province de Boodye: Tierno Maadiou et son fils Hadji Bademba.L’importance islamique de Seefuure était déjà constatée par Hecquard en 1850.
« Seefuure est célèbre dans le pays par le nombre et l’excellence de ses écoles , et, quoiqu’il ne soit pas la résidence du chef de Kolladhe, c’est de la mosquée de Seefuure que dépendent toutes celles de la province. »
Le voyageur signale l’hospitalité que lui donne Tierno Moësi (Tierno Maadiou). Les quatre mosquées du chef-lieu de chaque province et, en plus, celle de Seefuure, comptent parmi les plus belles et les plus fréquentées du Fouta.
La province de Diangolo est réputée aussi par l’abondance et le savoir de ses marabouts. Il est avéré que c’est elle qui, avec ses trente écoles et ses deux cents élèves, vient pour l’enseignement coranique en tête des provinces du Ditin.
Il reste à signaler l’influence des Karamoko de Kala dans plusieurs villages du Mamou, et notamment à Bounaya.
L’ensemble de la population de Ditin est tidiani, de la Voie omarienne; ces affiliations relèvent de trois courants :
- Le courant de Fougoumba actuellement représenté par leur chef Alfa Ousman, à Fougoumba même; et par Hadji Mamadou Alimou à Niorgo près Ketiguia
- Le courant de Karamoko Koulabiou de Kaala
- Le courant de Tierno Ibrahima Gali, dans le Kollaadhe
En dehors de ces centres de rayonnement, on rencontre un certain nombre de marabouts et petits groupements locaux, relevant d’obédiences étrangères au cercle, tels Alfa Oumarou Rafiou, Tierno Doura Sombili, Tierno Aliou Bhoubha Ndiyan de Labé ; Tierno Moawiatou de Pita.
Trois groupements malinké sont à signaler: Botobofel, Kourou malinké, et Dalato. Ils sont affiliés partie au Tidianisme omari, partie et surtout au Qaderisme Diakanké de Touba Les personnages les plus en vue sont: Alfa Ibrahima, chef du village de Walato depuis 1898. C’est un qadria, riche de femmes, d’enfants et de bœufs; Tierno Lassarïou (Al-Achari), né vers 1860, chef de Kourou Malinké, relativement instruit, très respecté de l’élément malinké. C’est un Qadria de l’obédience d’Al-Hadji Bademba.
Un certain nombre de notables musulmans sont sans affiliations, chose assez rare en pays noir. Ils professent que la chose n’est pas indispensable. Le wird est considéré comme un supplément d’Islam, inutile au commun des fidèles, et ce sont surtout les Karamoko, maîtres d’école, qui se font initier à l’une des branches du Tidianisme local. Le plus en vue de ces personnages non affiliés à une confrérie religieuse, et même fort peu pratiquants, puisqu’ils boivent de l’alcool et négligent facilement le salam, est Alfa Mamadou Paran, chef de la province de Diangolo. Né à Fougoumba vers 1879, de la famille des Seriyanke, actif, intelligent, énergique, il a rendu des services éminents, dont l’arrestation des assassins de Bastié; malgré sa tiédeur islamique, il lui arrive encore d’être la dupe des marabouts foula. A citer encore Alfa Ousman, chef de la province de Keebali, né vers 1850 et nommé jadis par l’almamy Ahmadou.
Un centre musulman important est celui du village sarakollé de Baliboko (province de Keebali) qui participe, comme tous les groupements de cette race, d’une exaltation religieuse parfois inquiétante. Village commercial important, dont la création remonte à plus d’un siècle et qui a toujours été signalé comme un centre d’affaires, Baliboko reçoit périodiquement des marabouts du pays d’origine (Bakel), qui viennent réchauffer le zèle de leurs frères; et cette effervescence mystique se fait toujours quelque peu sentir, dans l’élément foula voisin.
La dernière de ces crises religieuses remonte à 1910-1914 et est due au Karamoko Al-Hadji Kébé. Né à Bakel vers 1855, d’où son surnom de Karamoko Bakel, ce Sarakollé quitta le Bhoundou pour venir s’installer à Saint-Louis, où il resta une dizaine d’années. Il n’alla chercher fortune dans le Fouta-Diallon que vers 19044. On l’appelait Al-Hadji en l’honneur de son grand-père qui portait ce nom, mais lui-même n’avait pas fait le pèlerinage. Il s’appelait en réalité Oumarou et avait reçu ce nom en l’honneur d’Al-Hadj Omar, de passage à Bakel, l’année même de sa naissance. Il resta quelque temps chez Alfa Yaya, chef du Labé, puis chez Tierno Oumarou, chef de Timbi Tunni. Il leur servit de chapelain et de conseiller, et mit à leur disposition toutes les ressources de la science islamique et de la magie foula. On attribue notamment à ses sortilèges l’heureuse et longue présence de Tierno Oumarou à la tête de l’importante province de Timbi-Tunni, en dépit, disent les indigènes, de ses malversations connues et malgré les perpétuelles transformations et les découpages administratif des Français.
Vers 1906, Al-Hadji Kébé étendit le champ de ses opérations au Ditin.
A cette époque, Mamadou Paran, simple mbatula (suivant de chef, courtisan), habitait Barkiwel pour servir de courrier entre le poste et le chef de Fougoumba, Alfa Ibrahima Kilé. En cet homme, vigoureux à l’heure actuelle encore, et remarquable par une vivacité juvénile, rare chez les Fulbhe de tout âge, Karamoko Bakel sut discerner l’intelligence, l’énergie et la volonté d’arriver à une situation. Il demanda un cadeau à Mamadou Paran en échange de ses sortilèges. L’autre n’hésita pas à lui donner une vache. C’était l’unique bien de la mère du mbatula La vieille femme, qui habitait une case de Fougoumba, pleura beaucoup, mais les Foula pensent que ce don fut l’origine de la fortune du chef actuel de Diangolo.
C’est à ce moment en effet que Karamoko Bakel munit Mamadou Paran de la petite tabala miraculeuse qu’on peut voir sous le lit du chef, et du cadenas-fétiche, également célèbre dans le pays. Les deux hommes lièrent partie, et peu après Mamadou Paran fut nommé chef de Diangolo. Par la suite, à diverses reprises, il fit agrandir sa province, et c’est aux maraboutages du puissant Al-Hadji Kébé que furent attribués tous ses bonheurs et par le bénéficiaire et par les autres Foula, associés, rivaux ou victimes.
A la nomination de Mamadou Paran à Diangolo, Karamoko Bakel quitta Ditin pour retourner à Timbi, d’où, après quelques mois, il vint se fixer à Baloboko, près de Diangolo .
Mamadou Paran ne craignait pas de dire que toute force lui venait d’Al-Hadji Kébé et proclamait qu’il était, grâce au marabout, le seul chef que nous ne puissions atteindre.
Sa reconnaissance égale sa foi. Quand Al-Hadji vient à Diangolo visiter l’ancien mbatula, c’est toujours un cadeau d’un cheval d’un cheval ou de deux boeufs qu’il reçoit.
L’impôt personnel de 1913 ayant été fixé, d’une manière imprévue, à un taux qui n’était ni 3 francs, ni 4 francs,
Mamadou Paran, qui avait perçu la capitation à raison de 4 francs, se trouva, son versement à l’agence opéré, avec un reliquat de plusieurs milliers de francs entre les mains.
De cette somme, Karamoko Bakel eut la moitié; l’interprète du poste, un quart; et, modestement, le chef garda pour lui le dernier quart.
Al-Hadji Kébé fut bientôt très considéré à Balibok où il fut porté d’office à la présidence de la prière. Ses agissements, ses propos tendancieux, ses prônes enflammés, ses quêtes arbitraires finirent par créer une certaine effervescence locale. Traduit devant le tribunal de Ditin, il fut condamné à dix mois d’emprisonnement et à dix ans d’interdiction de séjour. Reconduit à Bakel, à l’expiration de sa peine, il vint presque aussitôt à Dakar, pour demander à être envoyé en possession de ses biens restés dans le Fouta. Il est mort à Dakar à la fin de 1914.
Il reste .à signaler que c’est la région de Ditin qui a fourni la plus grande partie de ces émigrants qu’on a vus installés dans le Dinguiraye et particulièrement dans la province de Loufa. Les causes et diverses contingences de cette émigration, plus proprement religieuse, économique et traditionnelle que politique, ont été étudiées au chapitre de Dinguiraye.
B. Alfa Ousman de Fougoumba. — Alfa Ousman, dit aussi Alfa Oussouman, chef et pontife de Fougoumba, a fait l’objet d’une notice antérieure.
Son influence religieuse personnelle doit être signalée ici. Elle est minime d’ailleurs et ne répond pas à ce qu’on attendait du chef de la capitale religieuse et de la famille des Lévites du Fouta. Mais, comme il a été dit, l’influence et l’action du Fougoumba étaient plus politiques que spirituelles.
Alfa Oussouman a étudié le Coran auprès de Tierno Mamadou, maître réputé de Dalaba, et conseiller de Tierno Hamidiata, chef de Kaala. Ses études n’ont guère été poussées plus loin .
Un grand nombre de frères, cousins et neveux d’Alfa Oussouman, domiciliés à Fougoumba même, sont soumis à son obédience. Ils n’ont pas d’autre prestige que d’appartenir à la famille des chefs du diiwal. Ce sont des notables de la misiide actuelle.
En dehors de ses parents, Alfa Oussouman compte divers talibés, dont le plus notoire est Tierno Mamadou Sarrari, de Fello-Pori, dans la province de Diangolo. De la famille des Uururbhe-Dokalbhe, il est né vers 1840 à Fello-Pori, où il fit ses premières études, et les a complétées à Fougoumba. Après avoir dirigé, toute sa vie, une école coranique de quinze à vingt élèves, il vient, fatigué par son grand âge de se retirer.
AIfa Ousman a reçu le wird tidiani de son maîtreTierno Mamadou Dalaba, et se rattache par lui à Al-Hadj Omar.
C. Karamoko Koulabiou. — Karamoko Koulabiou, de la famille Dokalbhe (Uururbhe), était né vers 1830; il a toujours vécu à Hinde-Kaala, près de Ditin. Il fut un grand marabout, renommé par sa science et sa piété; la plupart des générations des Fougoumba ont passé par son école, et notamment Alfa Ibrahima, chef de Fougoumba, fusillé en 1900. Il était un des notables les plus en vue de la région et prenait la parole au couronnement des almamys a Fougoumba. Lors des événements de 1900, il faillit payer de sa vie sa renommée et ses relations avec les chefs incriminés; poursuivi, il se réfugia dans les montagnes et vécut caché pendant plusieurs mois. Il finit par rentrer en grâce sans autre incident. Il est mort vers 1903, à Ditin.
Il a laissé de nombreux talibés dans toute la région et notamment dans les provinces de Fougoumba et de Keebali. Parmi les personnalités les plus notoires, il convient de citer ceux de Keebali :
A la misiide même, Tierno Diallo, président du Tribunal de Ditin; Tierno Ibrahima Mbouro et Tierno Aliou Kébali, maîtres d’école.
- Al-Hadji Mamadou Alimou. — Mamadou Alimou, de la famille des Seriyanke, cousin éloigné d’Ousman et fils de Modi Abdoulaye, est né vers 1872. Il a fait ses études à Fougoumba auprès de son père et de son grand-père maternel, Karamoko Alfa, qui fut pendant quarante ans imam de la mosquée de Fougoumba et dont la réputation de savant était grande. Il vint compléter ses études au Sénégal, notamment dans le Fouta Toro, puis se livra au commerce des kolas entre le Sénégal et la Guinée en vue d’amasser des fonds pour un pèlerinage à la Mecque.
Pendant son séjour au Sénégal, il a connu la plupart des marabouts en vedette, et notamment Amadou Bamba, qui lui aurait confirmé le wird tidiani, déjà reçu précédemment chez les maîtres du Fouta Toro
Il a effectué ce pèlerinage en 1912, par la voie de mer, et, à son retour s’est fixé, définitivement à Nioro, près de Kétiguia où il fait le grand propriétaire agricole. Il passe pour être le meilleur cultivateur de la région.
Il distribue volontiers le wird tidiani autour de lui, dans le but de se constituer un groupement religieux. Il a déjà un nombre relativement élevé de disciples dans la région de Ditin-Timbo.
Un seul mérite une mention spéciale: à Fougoumba, Tierno Sanoussi, né vers 1842 à Nioro-Simpia, imam de la grande mosquée de Fougoumba, où il a succédé à Karamoko Alfa. Tierno Sanoussi jouit d’une grande considération dans tout le cercle. Il a formé de nombreux talibés, dont les plus remarquables sont les Karamoko lettrés Alfa Salifou et Tierno Mamadou Salifou, nés vers 1860; à Fougoumba encore, Mamadou Bhoye et Tierno Ibrahima Modi Makka, nés vers 1865, membres de la famille des chefs de province, personnages notoires.
Dans le Labé, Karamoko Diogo, qui a joui quelque temps d’une certaine vogue, à la fin du siècle dernier, et a formé des talibés, dont les uns continuent sa tradition sur place, et les autres sont allés s’installer dans la région de Pita. - Tierno Ibrahima Gali. Tierno Ibrahima, qui a pris l’appellation de Odieye Ngel ou de Gali, du nom de son village ou de sa province, était né vers 1825, et est mort vers 1900. Il était le cadi officiel de l’Almaray Ibrahima Sori Daara. Il a laissé la réputation d’un grand savant, maintes fois consulté par les almamys de Timbo dans les contestations difficiles .
Il avait reçu le wird tidiani de son pèreTierno Boubou, Toucouleur né dans le Fouta Toro, et installé jeune dans le Gali, après un passage à Dinguiraye, où il reçut le wird d’Al-Hadj Omar.
Tierno Ibrahima a laissé plusieurs enfants, dont le plus important est Tierno Mamadou, maître d’école à Mombeya.
La plupart des Karamoko du Kolladhe, et spécialement du canton de Gali, relèvent de l’obédience de Tierno Ibrahima et ont été formés par lui. Les principaux sont:
- A la misiide même de Gali: Modi Ibrahima; Tierno Boubakar; Tierno Mamadou Lamin, de la famille Demboubhe, imam de la grande mosquée, tous maîtres d’école.
- A Mombeya: Tierno Oumarou, maître d’école, disciple du Karamoko Mamadou, fils de Tierno Gali.
- A Boodye: Tierno Mayéré, maître d’une école florissante, d’une dizaine d’élèves.
- A Kankalabé: Alfa Amadou; Karamoko Abdourahmane et son fils Tierno Aliou Kankalabé, le plus important des maîtres d’école du canton de Kankalabé. Tierno Mamadou, né vers 1865, chef de Gobiré, intelligent, énergique, dévoué. Il a quelques talibés personnels dans la région, notamment Alfa Oumarou, chef du district de Timbo, et fils de l’Almamy Amadou.
- Dans le Ketiguia, à Kulle-Poore, Tierno Oumarou, maître d’école.
En dehors du Ditin, Tierno Ibrahima Gali possède quelques talibés. Les plus notoires sont:
- A Alfaya, dans le cercle du Mamou: Alfa Ibrahima Uuruuro, né vers 1850, Karamoko et imam de la mosquée de Nobé
- A Korboya (Résidence de Tougué, province de Beeli) Tierno Ahmadou, né vers 1840 et Tierno Fodé, né vers 1855. Dans la même résidence, à Koyin et Kollangui, Tierno Alimou, fils de Ma Samba, de la famille Seeleyanke, originaire de Mombeya (Ditin). Il est le père d’Alfa Mamadou, chef de cette ville. Ce marabout est l’un des Karamoko les plus instruits et les plus considérés de la région. Il y compte de nombreux élèves et disciples, auxquels il confère le wird tidiani, reçu de son père Abassi, qui le tenait de son père, Ma Samba. Celui-ci avait été un des premiers et plus fidèles talibés de Tierno Boubou précité, missionnaire d’Al-Hadj Omar et père de Tierno Ibrahima Gali. Il a composé plusieurs petits poèmes et opuscules, qui ne se recommandent pas toujours d’ailleurs par la perfection du rythme ou l’élégance littéraire. Le plus connu est une « qacida » en l’honneur du Prophète.
IX
Région de Mamou.
- Généralités —Le cercle de Mamou, ainsi désigné du nom de la rivière qui le traverse, avant d’aller se joindre à la Kaba pour former la petite Scarcie, est peuplé, comme les autres régions du Fouta, de Foula et de Diallonké. Les Foula appartiennent aux trois tribus Dayebhe (famille Sediyanke), Diallubhe-Yirlabhe (famille Timbonke) et Uururbhe (famille Diawbhe). Toutefois, territoire de transaction entre le Niger et la côte, il a vu augmenter sa population de nombreux représentants de la race Malinké des hautes vallées du Niger et du Milo. Ces trois éléments ethniques sont tous musulmans.
Le cercle est donc entièrement islamisé, à trois exceptions près:
- quelques centaines de Limban, de race Mandé, sur la frontière sierra-léonaise, qui sont restés fidèles à leurs croyances fétichistes
- le canton de Kokouniya, peuplé de Soussou autochtones et d’immigrants foula, et où les Soussou résistent fortement au prosélytisme des Foula
- la province de Billima, où un certain nombre de Poulli, dits Hirnaange (de l’ouest), islamisés par les Peuls de la deuxième invasion, ont conservé un grand nombre de leurs pratiques fétichistes. Il semblerait même que, depuis une vingtaine d’années que nous [les Français] occupons le pays et qu’ils échappent ainsi à l’inquisition des Karamoko, censeurs de foi, ils aient tendance à revenir à leurs rites coutumiers.
Il n’y a aucun marabout de grande envergure dans la région.
On peut citer à Daara, Alfa Oumarou, qui n’est d’ailleurs qu’un Karamoko de second ordre , et Tierno Siré de Porédaka, des Diallubhe Timbonké, né vers 1840, assez influent dans cette misiide où il compte divers talibés dont les plus remarquables : sont Tierno Abaasi, Tierno Haadi et Tierno Bakar. En dehors d’eux, l’ensemble des petits marabouts, maîtres d’école ou non, d’Alfaya, Daara, Billima, Boulliwel, Téliko, Nounkolo, Bhouria, célèbre et par le magnifique oranger planté devant la mosquée et qui serait le père de tous les orangers du Fouta, et par le tombeau de Tierno Samba, maître d’école du grand Karamoko Alfa; Bounaya, Porédaka, qui sont les centres islamiques les plus réputés de la région, relèvent des personnalités religieuses en vedette des cercles voisins: Tierno Aliou Bhoubha Ndiyan et Alfa Oumarou Rafiou de Labé;
Tierno Hamidou Hériko, de Timbo; Alfa Ousman, de Fougoumba; Tierno Moawiatou, de Maci. Le fils de l’Almamy Oumarou Bademba, Modi Sori, chef de la province de Mamou, personnage aussi peu maraboutique que possible, quoique Alfaya, a toutefois reçu le wird tidiani d’un karamoko de Timbo, Al-Hadji Ibrahima, de Hériko, qui s’était fait affilier à cette Voie, à la Mecque, lors de son passage vers 1897, et dont le frère, Al-Hadji Abdoulaye, est toujours à Hériko. Il fait donner à ses enfants, Boubakar, né vers 1899, et Mamadou Dian, né vers 1906, une éducation plus franco-foula qu’arabe, et se réserve de les initier à son Tidianisme.
Si les Karamoko sont tous pourvus d’une affiliation tidiania, se rattachant à la voie d’Al-Hadj Omar, un bon nombre de notables se dispensent de recevoir le wird d’une confrérie officielle. Ils se contentent d’appartenir à un petit groupe de fidèles, sous la présidence d’un marabout pieux, savant, et détenteur d’une baraka reconnue. Ils s’en rapportent entièrement à lui pour tous les rites, touchant à la vie mystique. Agrégés à une société spirituelle, affiliés à un groupement qui est en somme une véritable confrérie, sans le nom et sans le wird, ils déclarent n’avoir nullement besoin d’une initiation au Tidianisme des Foula ou au Qaderisme des Malinké.
Le plus important de ces musulmans indépendants parait être Mamadou Salimou, de la Marga de Soumbalako-Tokosere (Gongowi); né vers 1845, fils de Tierno Moussa, il appartient à la descendance de l’Ardo Mama Samba, qui a fondé le village de Sumbalako, et a laissé à tous les siens une forte empreinte d’Islam. Mamadou Salimou a fait ses études, faibles d’ailleurs, chez son père, puis chez Tierno Abdoul, puis chez Tierno Lamarana de Boubouya (Bantinhel) au groupe duquel il est affilié; il a favorisé en 1911 la fuite de son maître compromis dans les événements de Goumba. Très intrigant, il cherche à créer des difficultés au chef de province pour conquérir une importance politique. Il fait normalement le karamoko et, à l’occasion, le sorcier-magicien. Plusieurs de ses maraboutages sont connus. Il sacrifia un boeuf, lors de la fuite de son maître et se livra sur les quartiers de viande à des conjurations qui furent efficaces, puisque Tierno Lamarana put échapper aux poursuites . Ses sortilèges pour arrêter une épizootie qui sévissait sur le troupeau d’un indigène de Mamou, eurent moins de succès; il découvrit bien la cause du mal, qui était un petit diablotin nommé Sogolo, qui piquait, la nuit, les bœufs, à la suite de quoi ils mouraient, mais il ne trouva pas le remède et les boeufs périrent en très grand nombre.
Les écoles coraniques sont nombreuses et comptent une moyenne de 2 à 10 élèves. Les plus suivies sont celles de Tierno Souleyman, à Bhouriya, qui compte une vingtaine d’élèves; celle d’Alfa Guilladio, à Daara, et celle de Karamoko Makka, à Téliko.
La petite colonie de Sarakollé, qui vit à Alfaya, sous la direction spirituelle d’Alfa Hamadou Soukouna, mérite une mention particulière par l’ardeur de sa piété. Son chef, Alfa Sankouna, fils de Modi Kabou, fils d’Ibrahima, est né vers 1850. Il prétend se rattacher aux Qadria de Birou (Walata) par la chaîne suivante, que lui a transmise Alfa Ibrahima, de Goundiourou (Bhoundou), où il à fait ses études: Alfa Ibrahima, Alfa Bakari, Fodé Yara Makka, Mamadou Mostafa, Oualiou Eddine, de Birou.
Il reste à signaler enfin l’absence d’une mosquée à Mamou. Cette ville, jadis bourgade de second plan, aujourd’hui centre commercial important par le fait de notre occupation et de sa situation sur la voie ferrée, à mi-chemin de Conakry et du Niger, a grandi dans des proportions considérables. Les Foula n’y sont plus qu’une minorité Dans cette population hétéroclite, tous les éléments ethniques de la Guinée, et même du Soudan méridional, sont représentés.
Les musulmans de l’extérieur n’y manquent pas: Sarakollé, Toucouleurs et Ouolofs du Sénégal, Maures du Sahara, et surtout Syriens qui atteignirent vers 1910 le nombre de 500, dont un bon tiers des fils du Prophète. Quoique le plus nombreux, le plus riche et le plus considéré, l’élément musulman, absorbé par ses affaires et sans unité spirituelle, n’a pas encore trouvé le temps ni les moyens d’édifier une mosquée, et Mamou reste une ville de négoce, que sanctifient seules les prières individuelles de misikun, diaka et oratoires privés.
On ne peut, à propos de Mamou, ne pas parler de la question syrienne, encore que le coefficient d’influence islamique de cet élément oriental paraisse bien minime. Les deux modestes colporteurs de 1906 étaient devenus
25 | en | 1908 |
50 | en | 1909 |
400 | en fin | 1910 |
Le chemin de fer avait fait du nouveau centre une annexe de Bit Chebab, de Beyrouth. Femmes et enfants y grouillaient, vêtus à l’orientale; les boutiques s’alignaient et exposaient leurs devantures comme des bazars de certains quartiers de Beyrouth, et les collines de Mamou n’entendaient plus que les accents nasillards de cet arabe syrien que répètent les échos du Liban. Les roses de Jericho elles-mêmes, de contact peu farouche, fleurissaient dans les végétations tropicales et sur les rives verdoyantes de la rivière Mamou, et ouvraient aux volages époux foula des horizons nouveaux.
En 1912, on en comptait 800 qui avaient apporté avec eux toutes leurs querelles de Syrie et qui les réglaient à coups de couteau dans la rue. Leur âpreté commerciale bien connue et leur interconcurrence acharnée n’étaient pas faites pour adoucir les choses.
Depuis cette date, la population syrienne de Mamou s’est réduite dans de notables proportions. La plupart de ses éléments ont marché avec le chemin de fer et sont aujourd’hui à Kouroussa. Quelques uns se sont dispersés dans le Fouta: Labé, Pita, Ditin, Timbo, et même dans certains coins reculés, tel celui de Bokeeto, dans le Fitaba, qui se maria à l’indigène, fit salam à la mosquée et voulut jouer au marabout, en prenant la présidence de la prière de vendredi. Mais comme il fumait la pipe, il fut écarté de cet office. Dégoûté, il est revenu à Timbo, où il fait le boucher et ne pratique plus. En revanche, il boit de l’alcool et fume sa pipe. Il ne reste guère à Mamou plus de 200 Syriens, à l’heure actuelle.
Ils sont en partie musulmans et en partie catholiques. Les musulmans ne font pas montre de beaucoup de ferveur religieuse, et on ne saurait les accuser de chercher à faire du prosélytisme; mais musulmans comme catholiques s’entendent comme larrons en foire pour attirer le chaland à la faveur de leurs origines orientales et de leur bagout arabico-islamique. Ils vendent des ouvrages arabes, ainsi que des gravures et chromos divers représentant le Sultan, le cheval Bouraq, les villes de la Mecque et de Médine, etc.
- Alfa Oumarou. — Alfa Oumarou, fils de Tierno Abdoulaye, de la famille Nyogeyanke (tribu Diallubhe-Yirlabhe), est né à Daara (Mamou) vers 1850. Il a fait ses premières études auprès de son père, puis les a complétées chez Modi Saliou, de Dara-Labé, Tierno Ibrahima Bantinhel (Pita).
C’est ce dernier qui lui a donné le wird tidiani, et il le tenait lui-même d’Alfa Oumarou, fils d’Alfa Salifou, de Labé, un des disciples d’Al-Hadj Omar.
Alfa Oumarou n’est pas très lettré et s’exprime difficilement en arabe littéraire. Mais il a une bonne réputation de maître, et son école jusqu’à ces derniers temps comprenait en permanence une trentaine d’élèves. Ce nombre s’est réduit de moitié aujourd’hui. Ses relations avec l’autorité française ont toujours été correctes.
Il jouit d’une grande réputation de vertu dans toute la province de Daara, et est avantageusement connu dans la région de Mamou.
Il y compte un certain nombre de disciples, en général Karamoko et cultivateurs comme lui, ou notables de leur village, et qui sont pour la plupart ses anciens karanden 3.
Jadis, quand la prière du vendredi se faisait solennellement à la misiide de Timbo et que de 20 kilomètres à la ronde les Foula accouraient pour y assister, le contingent des notables de Daara y prenait régulièrement part, sous la conduite d’Alfa Oumarou. Aujourd’hui, la décentralisation, même religieuse, s’est effectuée; les gens assistent à la prière solennelle des vendredis et des fêtes à leur mosquée locale, et pour Daara c’est Alfa Guilladio qui préside à cette cérémonie.
Notes
1. M. A. Le Chatelier, l’Islam dans l’Afrique Occidentale, p. 307.
2. « Diouhé » exclamation de surprise que poussent les Foula, en apprenant qu’un homme, resté longtemps sans enfant, vient d’en avoir un.
3. Karanden, mot maninka formé de Karan=lire et de Den= enfant.
Chapitre VI
L’Influence Maure
De tout temps, le Fouta-Diallon a été un centre d’attraction pour les Maures. En parcourant les relations des voyageurs français et anglais qui depuis Houghton (1791) ont visité le pays, on y découvre déjà la trace d’aventuriers maures, rencontrés par eux au hasard de leurs pérégrinations et qui tous, sous un couvert ou sous un autre, se livrent au commerce des amulettes et à l’exploitation de leur baraka de prétendus Chorfa. Quelques-uns s’installaient à demeure et ouvraient une école coranique.
Le 1er janvier 1851, Hecquard trouvait à Madina Boowe une femme maure de Tichit, très blanche, se disant fille de chérif, et qui avait été abandonnée dans le village par son frère ou son mari.
Quelque temps après, il rencontrait un autre Maure à Fougoumba, et pour éviter de s’en faire un ennemi irréductible, il était contraint de faire le jeu du fourbe. Celui-ci en effet prit dans les mains du voyageur une Bible, écrite en français, et se mit à réciter des versets de Coran, comme s’il les lisait dans le texte français, priant Hecquard’ à voix basse et en arabe, de ne pas le démentir. Cette ruse consacrait aussitôt sa science aux yeux des Foula émerveillés, et lui permettait de vendre au plus haut prix ses amulettes.
Trente ans plus tard, en octobre 1881, la mission Noirot en trouvait un autre à Médina-Kouta. Noirot le décrit ainsi. « Nous recevons la visite d’un personnage étrange, se disant chérif, natif de Bagdad. Ce saint homme, établit dans la ville depuis quelque temps, prêche le Coran et tient école. Il parait que les gris-gris qu’il confectionne sont payés très cher et lui rapportent beaucoup. »
Le succès d’un Maure, nécessairement chérif, est toujours assuré en pays noir. Il est arrivé pourtant que les almamys de Timbo et les grands chefs de diiwe, mieux à même d’enquêter, ou de par leurs fonctions plus portés à la méfiance, ont identifié certains des prétendus Chorfa qui pillaient pieusement le pays et les ont fait mettre mort, ou tout au moins fustiger jusqu’au sang. La tradition signale plusieurs de ces exécutions dans le demi-siècle qui a précédé notre occupation. Et Hecquard séjournant à Timbo en 1851 eut l’occasion de voir démasquer par l’Almamy Oumarou un Pullo du Fouta-Toro, qui se faisait passer pour un chérif des Darmankour-lda Ou Al-Hadj. Par son intervention et non sans peine, la condamnation mort fut commuée en une correction à coups de garcette. On voit donc que l’autorité française est tout à fait dans la tradition, quand elle enquête sur l’origine de ces Chorfa blancs, ambulants et quêtants, et qu’en cas d’imposture ou indigènes aux fins de répression.
I
Colonies Maures
C’est à partir de 1900, époque où le bruit se répandit dans les pays maures de la bordure soudanaise que les régions du Fouta et des rivières du sud étaient pacifiées par les Français, que les aventuriers des tribus sahariennes vinrent sous le couvert maraboutique, et en nombre croissant, chercher fortune en pays noir.
Les uns comme Mahfoud Younous, etc., s’établirent en Casamance; d’autres en Guinée portugaise, française ou
anglaise.
D’autres enfin, séduits par la douceur du climat foutanien, s’installèrent sur les plateaux du Labé. L’accueil hospitalier des Foula et le prestige que leur qualité de Maures devenus inévitablement chérifs leur assurait en pays noir, les engagèrent à s’y fixer définitivement. Ils y épousèrent les femmes du pays, attirèrent quelques-uns de leurs faméliques cousins du Sahara, et en vertu de leur titre de blancs, représentants d’un Islam supérieur, tinrent boutique de gris-gris et de sortilèges. Quelques-uns faisaient en outre du commerce, et tous plus ou moins des cultures vivrières. Cette présence de Maures au milieu des Peul ne parait avoir apporté à ces derniers quelque avantage. Ces blancs se sont tout de suite accommodés de la vie facile du noir et n’ont montré aux naturels le chemin d’aucun progrès social ou économique.
L’exode qui les maintenait groupés et en relations avec leurs pays d’origine parait avoir cessé: aussitôt ces colonies tendent-elles à se fondre dans la masse de la population foula. Il n’en restera, dans une génération ou deux que le souvenir des origines « chérifiennes » de certaines familles peules et de beaux arbres généalogiques, plongeant authentiquement leurs racines en Ali et Fatima, fille du Prophète.
On peut distinguer deux colonies maures, toutes deux vivant dans le Labé: celle de Koubia et celle de Koula
Celle de Koubia (province de la Koila) rattache son origine à Abd Er-Rahman.
Abd Er-Rahman, de la fraction maure des Tagounant (Trarza), était venu dans le Labé vers 1900, en quête d’aventures. Il s’installa à Koubia, y ouvrit un petit commerce, s’adonna quelque peu à la culture et s’y maria. Lorsqu’il mourut, en 1912, à peine agé de trente-six ans, mais en paraissant cinquante, il laissait, tant de la femme maure amenée avec lui que de deux Peules prises sur place de nombreux enfants.
Abd Er-Rahman jouissait dans la région d’un certain prestige religieux. C’est ce qui engagea des Maures de passage à se fixer auprès de lui. Il a laissé plusieurs talibés locaux, notamment Fodé Youssoufou, né vers 1869, imam de la mosquée de Kéléta, à qui il conféra le wird qadria. Fodé Youssoufou dirige une des plus importantes écoles coraniques de la résidence Tougué.
Les plus notables d’entre les Maures fixés à Koubia aujourd’hui Chérif Sidi Mohammed Ould Mokhtar, des Oulad Bou Sba marocains. Jeune encore, il vint faire ses études à Smara, chez Ma al-Ainin, puis descendit vers la Mauritanie par la traînée des Oulad Bou Sba, répandus le long de la côte. A Touizikt, il fit la connaissance d’Abd Er Rahman précité. Venu le rejoindre dans le Labé vers 1906, il s’installa à ses côtes, comme commerçant et cultivateur, puis de ce point, rayonna dans toute la région, recueillant des boeufs et du grain, sous prétexte d’aumônes, exerçant la médecine et vendant au choix amulettes ou gris-gris.
Chérif Sidi Mohammed fut expulsé du Labé, à la suite de discours tendancieux. Il y est revenu par la suite et s’est cantonné à Koubia dans une attitude plus prudente.
Mohammed Ahmed, né à Nama, vers 1860. Il a fait ses études chez Saad Bouh, puis, par le Gabou et Kadé, est arrivé à Niagantou, où il habite le foulasso Médina depuis 1916. Il a épousé Mariama, fille de Modi Abdoul, ancien chef de Niagantou. Il est surtout cultivateur. Il vient, le vendredi, à la mosquée de Linsan-Foulbé, assiste aux palabres et y dirige parfois la prière.
Mohammed Ould Mokhtar, des Oulad Diman, né vers 1875; à Koubia depuis 1905. Il y fait le cultivateur.
Sidi Bayati Ould Moulay Hassan, né vers 1870, chef de famille laissée par un Marocain, Moulay Hassan, qui vécut quelques années dans le Labé, et y mourut vers 1885. Ses enfants sont devenus de véritables Peuls et ignorent complètement l’arabe.
La colonie de Koula a été créée par des Maures du Sahel originaires de la tribu des Oulad Bou Hijjar : Chérif Mokhtar et Amadou Haidara.
Chérif Mokhtar s’est installé à Koula, vers 1903. Il acquit rapidement une grande influence dans la région, et par ses nombreuses tournées l’étendit aux Timbi et Gabou portugais. En 1910, il ramenait de la Guinée voisine les fils des chefs de Dandoum et de Koyada pour leur donner une éducation islamique. La crainte qu’il inspirait aux indigènes les avait toujours empêchés de porter plainte contre lui. L’autorité du cercle finit pourtant par apprendre ses agissements: l’enquête démontra qu’il terrorisait les chefs et les gens de Koula, en les menaçant des châtiments éternels et de catastrophes épouvantables, en leur imposant des gris-gris tout-puissants avec lesquels il leur faisait faire ses volontés et même ses fantaisies. C’est ainsi qu’il s’était fait construire des cases d’une parfaite architecture, dont au surplus les Foula auraient pu, pour leur bien, emprunter le modèle; elles étaient meublées de lits et de sièges sculptés, de fenêtres très finement ouvragées, de moucharabich de fort bon goût, de portes en bois plaquées de colonnes, d’arcs et chapiteaux, de vérandas qui démontraient les goûts artistiques du maître et les talents naturels des artisans foula, quand ils sont vigoureusement commandés et intelligemment dressés; il faisait en outre cultiver ses lougans par le peuple, à certains jours qu’il fixait lui-même; il contraignait les notables à lui prêter leurs captifs qu’il employait à ses travaux agricoles ou en courses commerciales, etc.
Le tribunal de province de Labé a mis bon ordre à ces agissements, enfin dévoilés par les chefs des familles de Koula-Tokosere, par quatre ans de prison, cinq ans d’interdiction de séjour et 500 fr. de dommages-intérêts envers les habitants de Koula (1911). Sorti de prison, il est venu faire du commerce à Conakry.
Chérif Mokhtar fut rejoint vers 1900 par son neveu Ahmed (Amadou Haïdara) né à Tichit, celui-ci fit ses études à Oualata auprès de son oncle, puis commença à son tour son exode. Il vit successivement Nioro, Siguiri, vécut dans le Labé quelques années, séjourna à Kankan, puis à Kissidougou et finalement s’est établi à Kollangel, dans le Koyin (Tougué). Il y a fait le commerçant, le cultivateur, et quelque peu le marchand d’amulettes. ll reste à signaler pour mémoire la famille de Chérif Ibrahima à Popako (cercle de Koubia) et Sidi Ahmed de Kollangui (Tougué).
Chérif Ibrahima, originaire du Houz de Marrakech s’établit vers 1880 à Touba, à la suite de diverses pérégrinations, dans le Labé et le Kadé; il transporta, successivement ses pénates à Toubandé et Woora et s’installa définitivement à Popako, dans la province dc Kinsi, vers 1890.
Cultivateur et commerçant, il ne tarda pas à devenir un notable de la région, épousa plusieurs femmes peules et laissa à sa mort, en 1905, de nombreux enfants. Son frère, Mohammed, dit Mama Salli, était venu le rejoindre, il y a une vingtaine d’années. Marié aussi dans le pays, il fut un commerçant notable. Devenu presque aveugle et boiteux, il s’est retiré des affaires. Leurs enfants se fondent parmi leurs congénères peuls. Leur instruction arabe, leurs moeurs, leur teint clair ne les en différencient en rien. Ils conserveront de cette origine marocaine la seule tradition d’être des Haidara (Chorfa).
Sidi Ahmed Ould Mokhtar appartient à la tribu des Ida Ou Ali, de l’Adrar, et est né à Chinguetti, vers 1885. Le désir de pousser ses études l’amena à Saint-Louis, où il fut accepté comme commis et élève par le commerçant marocain Moulay Ahmed Bou Chaleb. Après deux ans d’études et de travail auprès de son maître; soit à Saint (Louis, soit à Dakar, et après en avoir reçu le wird qadria, il s’en vint à Conakry, puis alla chercher fortune dans le Fouta. Après quelques pérégrinations dans le Labé, il s’installa à Koïn Ndantari, auprès du chef de province Alfa Oumarou vers 1900. ll y a ouvert un commerce qui parait assez florissant et nécessite de fréquents déplacements sur Labé. Il entretient les meilleures relations avec Alfa Oumarou, et parait exercer quelque influence sur son esprit.
Il est à peine besoin de dire que tous ces marabouts maures ne sont affiliés à aucune confrérie spéciale, mais prétendent posséder tous la plénitude des baraka et des wird. Ils délivrent donc, au choix des impétrants, des initiations qadria ou tidiania des Voies de Saad Bouh, d’Al-Hadj Omar ou des Chadelia du Hodh.
Sidi Ahmed a épousé des femmes peules et en a de nombreux enfants.
II
L’Influence des Cheikhs Sahariens.
- Saad Bouh est connu dans le Fouta-Diallon. Ses fils et ses disciples ont fait d’ailleurs quelques fugitives apparitions, ces dernières années. Un de ses neveux, Mohammed Fadel, fils de Hadrami, du Hodh 1. Il y fit en particulier une tournée pastorale, vers 1908, et y laissa, tant chez les almamys de Timbo que chez Tierno Atigou, à Kindia, et que chez le Ouali de Goumba où il séjourna plusieurs jours, la réputation d’un « parfait Chérif », d’un Chérif sans reproche et sans suspicion, « d’un Chérif qui possédait vraiment le nom de Dieu ».
On peut citer, parmi les petits groupements qadria relevant de l’obédience de Saad Bouh:
- Dans le Labé
- à Kompanya (province de Donhora), celui de Tierno Malik, né vers 1860, fils et disciple de Diakaria, qui avait reçu le wird de Tierno Abdoul Torodo, missionnaire de Saad Bouh, de passage dans le Labé vers 1880.
- A Linsan (province de la Komba), Marafou, né vers 1855, d’origine sarakollé, disciple de Fodé Hamadou de Bathurst. Celui-ci avait reçu le wird de Saad Bouh, au cours d’un voyage du Cheikh en Gambie. Maroufou est imam de la mosquée de Linsan-Sarakollé. C’est un Karamoko impotent et de peu de valeur.
- Dans la résidence de Tougué
- à Tougué même, où il est en résidence obligatoire, le Diakanké Sékou Mamadou Konté, de Késsébé (Kollé). Né vers 1870, il fit ses premières études avec son père Kounsania Konté (id est: celui dont la tête n’est pas rasée), puis les continua à Médina Kouta, centre diakanké, auprès du groupement de Fodé Lamin, élève et disciple de Saad Bouh, et périodiquement visité par ses missionnaires. Il alla enfin les compléter auprès de Saad Bouh lui-même, et passa plusieurs années dans ses campements, entre Khroufa et Nouakchott.
A son retour, il parcourut le Sénégal et la Guinée, chercha le grand chef auprès duquel il édifierait sa fortune. Il crut l’avoir trouvé à Hérémakono (Farana) en la personne de Kémokho Bilali, l’ex-lieutenant de Samory. Il reconnut son erreur vers 1904, vint s’installer quelque temps dans le Koyin, et finalement prit pied dans l’entourage d’Alfa Alimou, chef du Labé. Le zèle apparent qu’il déploya au service de son maître devait lui être nuisible, car il attira sur lui l’attention de l’autorité du Labé; lors de la disgrâce et de l’arrestation d’Alfa Alimou. Sékou Konta subit son infortune et fut envoyé en résidence obligatoire à Tougué (mai 1909).
Il y est toujours et vit des ressources que lui procure l’école coranique qu’il a ouverte. Son influence locale dans l’élément foula est nulle, encore qu’il vienne de donner sa fille en mariage au chef Mamadou Baïlo.
C’est toutefois un lettré des plus distingués, en qui l’on reconnaît l’éducation des Cheikhs maures, et ce savoir lui vaut une certaine considération dans la région.
- à Tougué même, où il est en résidence obligatoire, le Diakanké Sékou Mamadou Konté, de Késsébé (Kollé). Né vers 1870, il fit ses premières études avec son père Kounsania Konté (id est: celui dont la tête n’est pas rasée), puis les continua à Médina Kouta, centre diakanké, auprès du groupement de Fodé Lamin, élève et disciple de Saad Bouh, et périodiquement visité par ses missionnaires. Il alla enfin les compléter auprès de Saad Bouh lui-même, et passa plusieurs années dans ses campements, entre Khroufa et Nouakchott.
- Dans le Ditin, Al-Hadji Bademba Séfouré, Pullo. Abdoulaye Bademba, fils de Madiou, descendait de captifs.
Madiou, savant renommé du milieu du dix-neuvième siècle, avait sorti la famille de l’ornière et par les hautes fonctions de cadi qu’il exerça successivement à la cour de l’almamy Oumarou et de celle de l’almamy Ibrahima Daara, à Timbo, s’introduisit dans l’aristocratie Uururbhe. Hecquard passant à Séfouré, en 1851, le vit et en reçut une généreuse hospitalité. « Tierno Moësi, comme il l’appelle, était renommé dans tout le Fouta-Diallon pour sa piété et son savoir. » Il habitait Sefouré,dans le Kollaadhe de Ditin.
Abdoulaye, son fils, était né vers 1835, à Séfouré. Il fit ses premières études auprès de son père, les continue auprès de Tierno Hamidou de Gollere (Fouta Toro), y épousa une femme toucouleure qu’il devait ramener dans le Fouta-Diallon, et alla achever son éducation à Saint-Louis. Il resta vingt ans à Saint-Louis, professant et spéculant, et assisté de son disciple et ami Al-Hadji Amadou, Toucouleur de Dinguiraye. Leur but était le pelerinage à la Mecque.
Ils confiaient leurs économies successives à une femme Diallonké, maîtresse d’école renommée à Saint-Louis. Quand ils crurent avoir ramassé la somme nécessaire, ils la demandèrent à leur amie, mais celle-ci eut le bon esprit de mourir sur ces entrefaites, et on s’aperçut qu’elle avait dissipé les dépôts qu’on lui avait confiés.
Il fallut recommencer, et après plusieurs années de labeur, la somme, étant de nouveau acquise, les deux marabouts gagnèrent la Mecque (1890).
A leur retour, le maître et le disciple se séparèrent.
Hadji Bademba revint au Fouta et, après une visite aux Amamys de Timbo, vint s’installer à Séfouré où il ouvrit une école et conféra des affiliations qadria. Il s’était fait en effet initié à cette Voie, lors de son séjour à Saint-Louis, par Saad Bouh lui-même, et en avait reçu les pouvoirs de moqaddem.
Hadji Bademba a laissé ainsi de nombreux talibés dans la région. Il est mort vers 1905, et a été enterré à Séfouré.
Les petits groupements relevant de son obédience et méritant d’être signalés sont : - Dans la région de Pita, Alfa Oumarou de Bomboli, né vers 1855; Tierno Al-Gassimou, de Bantinhel-Tokosere, né vers 1870; Amadou Ouri, à la missidi de Maci, né vers 1874; Tierno Sanoussi, et Modi Ouri, de Buruwal Tappe, né vers 1870; Mamadu Gando, de Wambere Ley (Buruwal Tappe) né vers 1855.
- Dans la région de Ditin, province de Bodié: Tierno Ibrahima Diawleko et son père Karamoko Alfa. Dans le Gali: à Kénené, Tierno Souleyman, maître d’une école florissante. A Niogo, Tierno Ibrahima Ngilla. A Kourou-Malinké, Tierno Ibrahima Diabi.
- Dans la région de Timbo, Alfa Amadou Ouri, de Bambiko province de Niagara, né vers 1865, à Koléa (Hériko), il habite au foulasso de Mori Fatandè. Il a fait ses études chez Tierno Hamidou Hériko et a reçu le wird tidiania, puis, chose inouïe, il a abandonné cette Voie et s’est fait affilier au Qaderisme de Hadji Bademba. C’est le seul cas de cette espéce qui soit cité dans le monde foula. Alors que rien en effet n’interdit aux Qadria d’abandonner leur Voie pour se faire conférer le wird d’un autre ordre, les Tidiania particularistes exigent la fidélité absolue à la confrérie. Le voeu y est perpétuel,
Les principaux talibés d’Alfa Amadou Ouri, tous maîtres d’école, sont: Tierno Saïdou à Koleya ; Tierno Issa, à Gongoore, Tierno Alimou à Bambiko, et Alfa Amadou à Sebali, dans le Satadougou. - Dans le Dinguiraye, Al-Hadj Amadou, Toucouleur d’origine, né vers 1860, à Sokoboli (Dinguiraye).
Al-Hadji Amadou, connu aussi sous le nom de Mostata, vient de mourir (fin 1914) à Sokoboli (province de la Tamba) où il était domicilié depuis longtemps.
Il était d’origine toucouleure. Son grand-père, qui habitait Doulounaye Doubbhe, dans le cercle de Matam (Fouta-Toro) faisait partie des bandes d’Al-Hadj Omar et s’établit à Dinguiraye. Sa famille l’y rejoignit par la suite. Son père, Saidou Hellou, vécut notable et commerçant, à Dinguiraye, puis dans la Tamba, où il s’installa finalement à Sokoboli.
C’est là que naquit Mamadou vers 1860. Il fit ses premières études à Sokoboli, sous la direction de son oncle Bappa Yoro et de son frère Mokhtar, puis à Dinguiraye, et enfin alla les compléter chez les marabouts du Soudan et du Hodh. De là, il alla à Saint-Louis, y rencontra Bademba Sefouré, avec qui il se lia; ils firent ensemble le voyage de la Mecque.
A son retour du pelerinage, il s’arrête à Dakar et alla passer plusieurs mois auprés du cheikh Saud Bouh, dans le Trarza. Il y compléta ses études et en reçut le wird tidiania; se séparant ainsi de son maître, Bademba Sefouré, qui était qadri.
Al-Hadji Amadou s’installa dès lors à Dinguiraye, et y ouvrit une école coranique. Entre temps, il faisait le dioula et le cultivateur. Ses perégrinations commerciales l’amenèrent dans tout le Fouta et notamment à Timbo, où il était l’objet d’une certainc considération, et à Séfouré, où s’était retiré son ancien maitre, Al-Hadji Bademba, dont il épousa la fille Binta.
Fixé définitivement à Sokoboli, au milieu d’une petite colonie de Fodoyabé, il résolut de constituer un groupement religieux; il ouvrit une école coranique, attira à lui un grand nombre de talibés, recueillit notamment des gens de Goumba en fuite et des dissidents de confessions voisines, activa la propagande religieuse en faisant de l’opposition aux chefs administratifs, et même édifia une mosquée sans autorisation, ce qui, sur le rapport de son frère Tierno Hadji, chef du village de Dara-Sokoboli, lui valut une peine disciplinaire de quinze jours d’emprisonnement. La mosquée fut détruite, par ordre supérieur, en 1911. Entretemps il mettait résolument ses talibés aux travaux agricoles et constitua à Sokoboli une belle plantation de kolatiers.
Il mourut malheureusement en laissant son oeuvre inachevée. Il a été enterré à Sokoboli. Ses enfants, qui n’ont ni son instruction ni son prestige, se sont cantonnés dans leur métierde cultivateur; leur influence est restreinte.
Al-Hadji Mamadou a laissé un certain nombre de talibés dispersés soit dans le Dinguiraye, soit à la lisière sud-orientale du Fouta.
Les principaux chefs du groupement sont: Tierno Aliou et Mamadou Toro, Fulbhe, à Sokoboli Tierno Hamidou de Balani-Oumaya.
Un petit groupement assez compact à Wonson Bandiaya, dont les personnalités en vue sont: Tierno Amadou Sintiou né vers 187o et Tierno Amadou Houn, né vers 1887, maîtres d’école du village.
Hors du Dinguiraye, ses principaux disciples, chefs de groupements tidiania, sont :
- Dans le Tougué, à Kollangel (Koyin) Tierno Adama, né vers 1875, de la famille Kokolobhe. Ce maître d’école, aisé et quelque peu lettré, penche vers l’ascétisme. Il est considéré à Kollangui.
- A Timbo, Abou Horeira, qui a fait le voeu de solitude et vit enfermé depuis onze ans dans la mosquée de Timbo. Il a distribué son wird à plusieurs Foula de la région, et notamment à Alfa Mamadou Paté, chef du district de Saïn (Timbo).
- 2. C’est Cheikh Sidia qui, parmi les Cheikhs maures, jouit de la considération la plus remarquable dans le Fouta-Diallon.
Cette considération est localisée aux seuls groupement diakanké de Touba et colonies, de Bagdadïa et de Médina-Kouta; mais elle y est très vivace.
Celui de Touba dérive de l’affiliation que Cheikh Sidïa Al-Kabir conféra à Karamoko Qoutoubo, et de l’affiliation que son petit-fils, Cheikh Sidïa Baba, a conférée, en 1909, à Karamoko Sankoun (fils de Qoutoubo).
Celui de Bagdadïa (Fodé Kadialiou) et celui de Médina-Kouta font l’objet des notices ci-après. - Fodé Kadialiou, de son nom islamique Mohammed Al-Razali, était Diakanké, de la famille des Gassama. Son grand-père, Karamoko Ousmani Kaba, était originaire du Boundou-Diakhaba. Il vint, vers 1825, s’établir à Dounkita, dans le Koyin, avec son jeune fils, Mamadou Diahabi.
Ce Mamadou Diahabi fut un grand marabout et a laissé une réputation de savant dans la région, où on l’appelait le Karamoko de Dounkita.
Il eut une nombreuse postérité. Ses principaux fils sont par ordre chronologique : Kadialou, Ibrahima, Bekkaï, Baraki,Mostafa, Qoutoubo, Maroufou, et Sidïa.
Kadialiou était né vers 1850, à Dounkita. Il fit ses premières études auprès de son père, puis alla les compléter vers 1880, auprès de Cheikh Sidïa, qui lui conféra le wird qadria, ou plutôt qui le lui renouvela, car Kadialiou l’avait déjà reçcu de son père et par lui se rattachait à la bannière du Cheikh Abdd El-Latif, des Kounta. Cheikh Sidïa lui conféra aussi le pouvoir de moqaddem.
A son retour de Mauritanie, Kadialiou résolut de s’installer pour son compte, et plein de piété envers le fondateur de son ordre, Abd-El-Qader le Djilani, enterré à Bagdad, il fonda, vers 1885, non loin des sources de la Kounda, le village de Bardadïa (ou Bagadadïa). L’emplacement était dans la tradition des grandes zaouïas islamiques : lieu désertique de la province de Missirah, point très éloigné de toutes autorités administratives, se trouvant à l’intersection des limites des cercles de Dinguiraye, Tougué et Satadougou, sur la frontière même des deux colonies de Guinée et du Soudan; et dans la zone de dégradation de l’Islam, à la bordure des Diallonké fétichistes, de conversion relativement facile. Fodé Kadialiou, instruit, pieux, adroit, eut tout de suite un succès considérable. De nombreux enfants de la région, toucouleurs, foula, et surtout dinkanke, sarakollé et malinké, vinrent suivre les cours qu’il professait lui-même ou faisait professer par ses frères. Il distribua le wird qadria à nombre de Karamoko et notables de la région. Il construisit sa grande mosquée de Bagadadïa, en 1894-1895, et fut, dix ans, le marabout le plus reputé des confins du Koyin et du Dinguiraye.
Tous ses frères relevaient de son obédience, sauf Bekkaï, qui avait été affilic au Qaderisme par Karamoko Sankoun, de Touba.
Sa richesse, son éloignement, sa renommée de grand marabout devaient lui être funestes La visite qu’il fit en
1904, à la suite d’Alfa Abd Er-Rahman, chef du Koyin, au Gouverneur genéral Roume de passage à Timbo, ne le sauva pas des foudres de l’administration.
Mis en suspicion, sur les rapports des chefs Foula avec lesquels, malgré sa souplesse Diakanke, il ne sut pas s’entendre, tracassé, invité à regagner son lieu d’origine, il finit par reprendre le chemin du Diakhaba (1905). Accompagné d’une suite de 400 personnes, il erra dans le cercle de Satadougou, tenta une installation à Fellahounda, pres de Ouontofo, puis s’en vint dans la province de Bamdougou (Bafoulabé) et finalement s’arrêta à Nanifara. Il commençait sur le champ l’édification d’un nouveau village et d’une mosquée. Il y mourut sur ces entrefaites (16 février 1906). Ses frères, ses nombreux enfants, et un grand nombre de ses talibés l’avaient accompagné dans son exode. Ils sont encore dans le cercle de Bafoulabé, au village familial de Maradina, adonnés à la culture et à l’élevage. Ils font peu parler d’eux. Ils avaient essayé de convertir le chef de canton de Bandougou, ainsi que les indigènes placés sous son autorité, mais n’y ont pas réussi. Leurs écoles sont florissantes, mais paraissent réservées aux enfants de leur seul groupement
Le chef du village, Sidia Diabi, s’est refugié en1914, à Samaya, en Gambie anglaise, faisant dire qu’il abandonnait parents et biens.
Un autre frère de Fodé Kadialiou, Ibrahima, est mort vers 1910, à son retour de pèlerinage à la Mecque. Un troisième, Mostafa Diabi, marabout vagabond, a été puni disciplinairement pour avoir erré et quêté sans autorisation. On l’a rencontré plusieurs fois en Guinée.
Un certain nombre de Karamoko Foula des provinces de Koyin, Labé proprement dit et Kollaadhe de Ditin, sont restés attachés au Qaderisme de ce rameau diakanké. Les plus importants, chefs de petits groupements religieux, sont :
- Karamoko Mamadou Bobo, né à Laggii vers 1850, résidant à la misiide de Tiankun-Kouné, dans le Koyin (Tougué). C’est un Diakanké, de la famille d’origine maure de Bakayakho. C’est un lettré des plus distingués, ouvert, sympathique, et dont la plume facile se répand en prose et en vers sur tous les sujets. Tout événement sensationnel a sa qacida, et tout nouveau commandant de cercle ou passager a son épître. Lui explique-t-on une fable de La Fontaine, il y répond par une traduction libre en vers arabes. Il a composé divers ouvrages dont les plus importants sont un recueil de cantiques en l’honneur du Prophète, destinés à encoùrager les enfants à l’étude, et une apologie de son maître spirituel, Fodé Kadialiou, intitulé Djounnat al-mouridin, c’est-à-dire « Le Bouclier des mourides ».
- Karamoko Bobo a plusieurs talibés à Karatogo et Kouné. Il jouit d’une très grande considération dans cette partie du Koyin, non seulement dans les groupements diakanké, mais même chez les Foula.
- Fodé Moussa Daramé, Sarakollé de Badougoula, dans le canton de Sigon (Résidence de Mali). Né vers 1860, il appartient à ce groupement florissant de Sarakollé, de la vallée de la Komba, qui comprend les quatre villages de :
- Manda
- Linsan
- Badougoula
- Konkoro.
Son père, Madiou, était un des plus riches commerçants et agriculteurs de Konkoro : lorsque ce village fut brûlé par Aguibou, fils de l’Almamy Bokar Biro au cours d’une de ses expéditions, où les fils et neveux d’Almamy montraient à bon compte leur valeur guerrière, il dut évacuer Konkoro, et se réfugier à Badougoula.
Fodé Moussa fit ses études sur place, auprès de son père et du maître Modi Ba. Il les acheva auprès de Fodé Kadialiou, qui lui donna le wird.
A cette date, il se livra au commerce et parcourut tout le pays de Kita à la côte. Il séjourna plusieurs années à Kita et à Kindia. Là, il se rapprocha du Ouali, et vécut en très bons termes avec lui.
Il devait finalement regagner les groupement sarakollé de la Koumba, et après avoir vécu quelque temps à Linsan, où il fut imam de la mosquée, il s’est établi définitivement à Badougoula; c’est-un des notables les plus considérés de ce groupement, et le maître d’une école florissante d’une vingtaine d’élèves, dont plusieurs ont achevé le Coran et pratiquent la Rissala.
- Médina-Kouta. Medina-Kouta (la nouvelle Médine) est un village diakanke de la résidence de Mali, qui jouit depuis un demi-siècle de la réputation de centre islamique. Il est peuplé principalement par la famille Cissé.
C’est à un grand marabout qui a vécu dans la deuxième moitié du dix-neuvième siècle et qui est mort vers 1890, Ousmani-Kaba, qu’est dû ce développement religieux. Ousmani Kaba était un Diakanké, originaire de Boundou. Au cours de ses voyages, il vint dans le Trarza et y fit ses études sous la direction du grand Cheikh Sidïa . Il en reçut aussi le wird qadria. Après maintes pérégrinations, il se fixa à Médina-Kouta et attira à lui tous ces dialianké du pays. Il devait finir ses jours dans le Pakao (Casamance), vers 1890
A son départ de Médina-Kouta, il laissait la direction spirituelle du groupement à son fils et disciple, Al-Khali Kaba, qui avait fait ses études chez les marabouts de Touba. Celui-ci vient à son tour de quitter la ville, ces dernières années, et de se retirer dans le Niani.
Le père et le fils ont laissé de nombreux disciples dans la région, pères spirituels à leur tour de talibés. Les plus imprtants sont: - On trouve enfin dispersés dans le Fouta des individualités, notables, maître d’école, relevant de l’obédience de marabouts maures de passage qu’ils ont hébergés quelque temps et dont ils ont reçu le wird. Ces individualités Foula ne sont pas assez versées dans la connaissance des tribus et confréries maures pour avoir pu identifier leurs auteurs. Les renseignement qu’ils fournissent sur eux sont donc incomplets.
Dans le Labé, province de la Kassa-Salla, à Diari, Tierno Mamadou, né vers 1875, disciple qadria de Cheikh Amadou Guiddo, missionnaire maure de Tombouctou, de passage dans le Fouta ces dernières années. Tierno Mamadou est un Karamoko peu instruit, qui dirige une école coranique d’une dizaine d’élèves.
- Karamoko Alfa Oumarou Diakanké, mort ces dernières années, et qui a laissé la réputation d’un savant et d’un saint,
- Fodé Galoko, Diakanké, né à Touba-Bakoni (Yambérin) vers 1840, disciple de Fodé Ousmani, Karamoko quelque peu instruit, qui compte un certain nombre de talibés, dont le plus important est Bakari Kora, né à Missira (Mali), maître d’école aussi.
- Fodé Souaré, Diakanké de la famille Gassama, né vers 1860, à Sabéré Baloni; il a fait ses études à Touba, auprès de Karamoko Sanoussi. Il est parti en Gambie anglaise, en 1914, et n’en est plus revenu.
- Chekou Oumarou Tandian, Diakanké, maître d’école réputé, dont le principal disciple est un Karamoko Sarakollé de Manda (province de la Komba, dans le Labé), Fodé Mamadou, né vers 1867, imam à la mosquée locale; ce fodé compte à son tour des talibés à Timbo, et dans le Rio Pongo.
- Diguiba Kora, né vers 1880, à Kérouané; Bintou Hadi, né vers 1860, à Missira, de la famille des Tandian-Kounda; Fodé Sékou, né vers 187o, à Sabéré Bakoni, de la famille Daramé, tous trois petits Karamoko locaux.
Notes
1. Cf. Etudes sur l’Islam maure: Les Fadelïa, par Paul Marty.
Chapitre VII
La Doctrine et le Culte
I
Croyances dogmatiques
Les doctrines qui suivent sont tirées de l’enseignement et du prêche des Karamoko et marabouts qui font le prône du vendredi et le catéchisme des autres jours dans les mosquées et écoles Foula du Fouta-Diallon ou Toucouleurs du Dinguiraye, soit que je les y ai entendues moi-même, soit que pour plus de discrétion la traduction m’en ait été faite, à la suite de la prière. Ce sont donc les doctrines et croyances répandues par le petit clergé local et orthodoxe et communément admises par le peuple.
Allah est Un, Maître Suprême, Tout Puissant, Invisible dans Sa Personne, Visible dans Sa création et Prouvé par elle. On Le reconnaît à Son « travail » : la terre, les montagnes, les marigots, les arbres, etc. Il est très Grand. Celui qui se croit très grand est tout petit à côté de Lui. Il gagne toujours, mais sans fatigue. Il dit aux créatures: « C’est Moi qui donne tout. De vous Je n’ai besoin nul. Je veux seulement que vous Me reconnaissiez pour votre Seigneur. »
C’est Lui qui a imposé le travail aux hommes, à cause de la faute commise par leur père Adam dans le Paradis terrestre; mais au Ciel, on ne travaille plus.
Il ne mange pas, ne dort pas, ne cultive pas. Il a tout sans avoir besoin de cultiver. Il n’est pas marié, et n’a pas d’enfants. Il n’a pas de place fixe; Il est partout.
Le Prophète est le grand marabout envoyé par Allah pour annoncer la bonne nouvelle aux hommes, c’est-à-dire pour leur faire remise du Coran et leur apprendre le salam. C’est de lui qu’Allah a dit « Celui qui est avec lui est avec Moi, et celui qui est contre lui est contre Moi. »
Le Coran est la parole divine, transmise par l’ange Gabriel à Mohamed et que celui-ci répétait, après la révélation, à ses disciples, qui en prenaient note sous sa dictée).
Le Prophète a prononcé de lui-même un grand nombre de prescriptions, et « beaucoup de paroles ». Elles ont été rapportées par les traditionalistes.
Mohamed ne vécut pas d’accord avec les gens de la Mecque. Cette inimité des Mecquois était l’œuvre du Cheytan qui voulait ainsi faire obstacle à la mission prophétique. Ils mirent le Prophète dans une case et Satan se chargea lui-même de le garder; mais l’homme de Dieu mit de la terre dans les oreilles du diable. Celui-ci s’endormit et n’entendit rien. Mohamed put s’enfuir et cette année fut comptée comme première de l’Hégire.
Le Prophète mourut empoisonné par un Juif, qui est une sorte de Chrétien, dix ans plus tard. Il avait soixante-trois ans, et depuis lors, c’est presque un gage de salut de mourir à cet âge.
Le Nabi Mohammed est l’objet de la plus grande vénération au Fouta. Son culte est pratiqué avec ferveur, et ses louanges sont chantées tous les vendredis. De nombreux poèmes composés en son honneur par les Karamoko, circulent dans les milieux intellectuels. Le Ouali de Goumba, remerciant Tierno Atigou de Kindia de ses attentions, lui écrivait « Tu as pour tes amis le coeur du Prophète pour ses compagnons. »
Croyances eschatologiques.
Dès la première minute du décès, l’ange de la mort interroge l’âme qu’il vient de ravir :
— « Connais-tu Allah ? Connais-tu le Nabi ? As-tu fait salam? etc. »
Et le fidèle doit répondre;
— « Dieu est un, le Nabi est son prophète; Ibrahima est mon père; le Paradis mon séjour, etc.; j’ai fait salam. »
L’espérance entre dès lors dans son coeur; et tandis que l’ange se retire, il commence, en attendant le jugement dernier, une vie de calme et de tranquillité dans son tombeau élargi, illuminé, transformé en séjour de joie.
S’il n’a pas bien répondu, les souffrances commencent aussitôt. Le tombeau se resserre, oppresse l’âme de l’infidèle, il est frappé et fortement tenaillé.
La fin du monde arrive: une première sonnerie du clairon angélique éclate et tout ce qui est vivant sur la terre meurt . Une deuxième et tous ressuscitent. Les tombeaux s’ouvrent, les âmes accourent au lieu du rassemblement, et attendent dans l’angoisse l’arrivée de Dieu. Mais celui-ci ne parait pas. Alors grands palabres. « Nous sommes fatigués d’attendre », disent les fidèles. Le conseil des prophètes se réunit et décide que l’un d’entre eux ira implorer la miséricorde de Dieu, mais tous se récusent successivement, se jugeant indignes de cette sainte mission: Adam, à cause de sa faute du Paradis terrestre; Noé, à cause de son accès d’ivresse; Moussa, parce qu’il a tué un homme en Egypte; Idrissa, parce qu’il est tombé à la mer (?); Issa (Jésus) parce qu’il a honte de paraître devant Dieu, depuis que les Chrétiens ont voulu le faire passer pour son fils. Mohammed finit consentir à cette démarche. A vrai dire, il est le seul qui soit sûr d’aboutir. Il demande grâce pour les vrais croyants d’abord; et Dieu accorde. Il va plus loin: il prie pour tous les hommes de bonne volonté; et Dieu se laisse apitoyer. Mais il exige d’abord le jugement.
Il apparaît aussitôt au rassemblement et on prépare la double épreuve que doit subir l’humanité; la balance, le pont.
La balance est apportée: on pèse le bien et le mal de chaque homme. Celui dont le plateau du bien l’emporte est sauvé. Quand les plateaux s’égalisent, le Karamoko de l’intéressé intervient, implore le Nabi; sur les prières de celui-ci, Dieu se laisse fléchir.
Un pont tortueux et étroit (Sirate) est construit sur une mer de feu. Les Ouali passent les premiers, suivis par leurs talibés et leurs amis; les autres suivent; les méchants tombent dans le feu. Les moutons qu’on a tués à la Tabaski se changeront ce jour-là en chevaux sûrs et vigoureux, sur lesquels on pourra passer le pont sans crainte. Celui qui en aura beaucoup pourra même en prêter à ses amis et disciples.
Le ciel (firdous, diannatou) est un grand pays fait de fumée, où l’on boit, mange et dort tout le temps. Jamais de travail, même pour porter les mets à la bouche. Ils viennent s’y placer d’eux-mêmes. Quatre grandes rivières de lait, de miel, de vin et d’eau pure (d’eau distillée, dit même un Karamoko plus affiné), coulent dans le Paradis et sont à la disposition des élus. Les femmes abondent. Chaque fidèle « gagne » des milliers de femmes, toujours vierges; on ne se fatigue jamais à les connaître, et leur contact n’apporte jamais de maladie. On croîtra sans cesse en force et en vigueur au Paradis, alors que sur la terre chaque jour amène son petit coefficient de décrépitude.
L’enfer (Diahanamiou) est un lieu de souffrances inexprimables et probablement éternelles. Le corps brûle dans un feu ardent, et quand il est sur le point d’être consommé, il renaît tout à coup de ses cendres. Le damné travaille sans arrêt. Il a faim et soif. Ni la mort, ni le retour sur la terre aux fins de repentir et de rachat ne sont accordés à celui qui les demande. Les infidèles qui ont touché de prés à l’lslam et ne se sont pas convertis sont destinés à l’Enfer,
L’Arafou est un petit village, une station intermédiaire entre les grands villages du Ciel et de l’Enfer. Elle est destinée aux enfants musulmans qui n’ont pas encore fait salam, ainsi qu’aux Chrétiens ou aux Juifs, dont la conduite envers les musulmans a été correcte, et aux infidèles qui n’ont jamais vu de marabout et dont la vie fut droite suivant la morale naturelle. L’Arafou, où on vit sans douleur, mais avec le regret des joies du ciel, disparaîtra après le jugement dernier, quand Dieu le jugera utile. Les habitants se partageront entre le ciel et l’enfer.
L’Imam est le commandeur des croyants dans chaque pays. Il y a un Almamy du Maroc, un Almamy d’Egypte, un Almamy de Istanbul. Il n’y a plus d’Almamy en Guinée depuis la suppression de la charge par les Français tant à Timbo qu’à Dinguiraye. L’Almamy des Toucouleurs, Al-Hadj Omar, puis son fils Ahmadou Chékou, a été aussi supprimé au Soudan. Il n’y a pas de chef de la communauté musulmane. Le grand Chérif de la Mecque est le plus grand pontife. Ses instructions doivent être reçues avec piété, mais interprétées d’après les contingences locales et appliquées dans les mêmes conditions.
Le Mahdi est un grand marabout qui viendra à la fin du monde pour faire entendre la parole de l’Islam au monde entier. Il sera Arabe et chérif, donc blanc. Tous les prétendus Mahdi de couleur noire sont des imposteurs. Ce sera un grand savant; il aura bouleversé tout le monde, avant d’arriver dans le Fouta. Venu de la Mecque et Médine, il y retournera pour combattre l’Antémahdi sur le point de s’emparer des deux villes saintes.
L’Antémahdi, venu immédiatement avant lui, sera un homme grand et gros, borgne, aux pieds plats, monté sur un âne qui peut faire en un jour l’étape ordinaire accomplie par un bon marcheur en un mois. Il sera vaincu et tué par le Mahdi
Issa apparaîtra alors pour apporter la bonne parole à tous les Chrétiens, ses enfants, et les convertir à l’Islam. Il rencontrera le Mahdi, lui rendra hommage, et la fin de leur entrevue sera la fin du monde.
Donc, résume un Karamoko, la mission du Mahdi est tout à fait sérieuse; et tout individu qui se proclame madiou doit immédiatement être arrêté et mis à mort, s’il ne confesse son erreur et son imposture.
En réalité, les lettrés n’ignorent pas que le Mahdi doit instaurer le règne d’Allah sur la terre, même au détriment des Chrétiens. Certains même fixent la date de son apparition, et Alfa Ibrahima Fougoumba avait l’audace, en 1897, à Timbo, au milieu d’un palabre avec les autorités françaises, de la prédire pour un nombre d’années égal à celui des grains qu’il comptait sur son chapelet. Et il s’arrêtait à cinquante. L’humiliation des Foula vaincus pouvait se bercer de cette espérance.
Quant à la foule et aux petits Karamoko, ils confondent facilement « madiou » et « massihou dadialou », et attribuent à l’un les qualités et caractère de l’autre et réciproquement.
II
La Prière (Voir aussi Fii Julde)
La prière, le Salam comme on dit vulgairement, le « julde » ou « juldugii » comme disent les Foula, est le critérium du vrai musulman. Faire salam, c’est se distinguer du païen, même si on n’est pas un parfait musulman de croyances et de pratiques, c’est entrer et être admis dans la communauté des fils du Prophète.
La prière est une prescription divine apportée par l’ange Gabriel, et transmise aux hommes par Mohammed, à la suite d’une révélation. Le premier ordre de l’ange comportait d’abord cinquante prières journalières, et Mohammed allait s’appliquer bravement à les effectuer, quand au cours d’une entrevue mystique avec le Nabi Moussa, il en fut dissuadé par celui-ci. Moise lui fit remarquer qu’il était trop faible et qu’il ne pourrait tenir sa parole. Il lui conseilla de revoir l’ange et de lui demander une réduction. C’est ce que fit le Prophète. Le fait se renouvela plusieurs fois et, de réduction en réduction, le chiffre tomba à cinq prières par jour.
Le Nabi Moise trouvait que c’était trop encore, mais à ce coup, le Prophète déclara qu’il aurait honte de recommander une nouvelle démarche, et qu’il s’en tiendrait là.
C’est ainsi que les cinq prières journalières ont été fixées dans l’lslam.
Par la même occasion, Allah fixa l’orientation en révélant au Prophète: « Je suis partout, mais j’habite spécialement dans ma case de prédilection de la Mecque. Quand tu prieras, en quelque lieu que tu sois, tourne-toi vers moi. » Depuis cet ordre, les musulmans doivent se tourner vers la Mecque pour prier.
Les Foula qui, en leur qualité de pasteurs, vivant au grand air, ont des connaissances pratiques d’astronomie, sont fort adroits pour découvrir la bonne direction de l’Est. Les groupes des [étoiles] Pléiades (en poul-poullé « Dattiouki ») leur sert pour fixer leur orientation. On ne trouve pas chez eux ces erreurs de 90° auxquelles sont sujets les Malinké de la haute Guinée et surtout les Soussou de la côte. Au surplus, le Karamoko Foula dit que la chose est relativement peu importante, et que lors qu’on est perdu dans la brousse, derrière ses boeufs, et qu’on n’a pas pu repérer sa position, il suffit de se placer dans la direction approximative de l’Est.
Les cinq prières journalières portent les noms suivants :
Foula et Toucouleurs | Diakanké de Touba et dépendances | |
Prière de l’aurore | Julde Subaha | Néyatou Sokhoma |
Prière du midi | Julde Fanaa | Sallifana |
Prière de la mi-soirée | Julde Alansaraa | Khansara |
Prière du crépuscule | Julde Futuroo | Fitiri |
Prière du soir | Julde Geeyhe | Sakhafou |
La prière doit être précédée des ablutions. Les ablutions se font avec l’eau en principe. Toutefois, quand il n’y a pas d’eau, quand on est malade, etc., on peut les faire avec du sable ou de la terre, ou même les simuler simplement. Il est à remarquer que, malgré que l’eau abonde dans le Fouta, où ruissellent partout rivières et cascades, les ablutions se font rarement avec de l’eau. On voit des caravanes entières de Foula campées sur les bords d’un marigot limpide, se frotter pieusement les mains, les bras et la figure avec un peu de sable, où plus simplement avec rien du tout, à deux pas de l’eau; la tolérance est entrée dans les moeurs. Il faut reconnaître au surplus qu’ils font bien la chose et qu’à cinquante mètres de là on croirait qu’ils s’inondent d’eau. Sanderval, dont les observations ne manquent pas de justesse, remarquait le fait:
Rien de curieux comme l’ablution mimée de ces musulmans à l’heure du salam. Ils se frottent les mains, les bras jusqu’aux coudes, la barbiche, le cou, les oreilles, comme s’ils étaient à la fontaine. D’eau, pas une goutte, mais les gestes sont d’une exactitude si parfaite qu’on croit la voir ruisseler tout le temps.
On doit, aussitôt après, se recueillir un moment, se mettre devant Dieu dans la position d’un captif devant son maître souverain, et commencer la prière.
Elle consiste dans la récitation coranique d’un certain nombre de formules et dans l’accomplissement d’un certain nombre de gestes.
Il n’y a rien de spécial à signaler sur ce point dans le Fouta-Diallon. Ce sont les mêmes attitudes, les mêmes litanies, les mêmes versets du Coran que partout ailleurs.
La prière coranique finie, il est bon d’y ajouter une prière surérogatoire qui porte le nom arabo-pular de « baqiyatou salihatou », c’est-à-dire « pieux complément ».
Il consiste en 100 invocations, se décomposant en:
33 | Sub’han Allah | Dieu soit béni ! |
33 | Al-Hamdu lillah | Louange à Dieu ! |
33 | Allah Akbaru | Dieu est le plus grand ! |
1 | La ilah ill’Allah, Muhammadu Rasul’Allah | Il n’y a pas d’autre divinité qu’Allah et Muhammadu est son Prophète! |
Aussitôt après les prières de l’aube et de la mi-soirée, les affiliés à la voie tidiania récitent les litanies de leur wird spécial.
Les Qadriyanke doivent les réciter en principe après chacune des cinq prières, mais ils sont autorisés à les couper par des conversations, des rires, l’absorption de nourriture.
Les Sadialiyanke les récitent, comme les Tidiani, après les prières de l’aube et de la mi-soirée.
En outre, les pieux Tidianianke se lèvent la nuit, après un premier somme pour réciter 20, 50 ou 100 fois, même plus, les litanies de leur ordre. Cette récitation supplémentaire a le don de purifier le coeur des fautes passées et de raffermir la volonté dans sa résolution de ne plus pécher.
Il n’y a guère qu’un petit nombre de pieux karamoko qui récitent régulièrement les cinq prières, leur complément, et les litanies de la voie. La majorité du peuple foula ne récite guère que deux prières par jour; celle du matin, qui n’est pas dite d’ailleurs à l’aurore, mais au lever de l’intéressé, et surtout celle du crépuscule, qu’on fait facilement en commun. Les Toucouleurs du Dinguiraye paraissent avoir plus de ferveur. Quant aux pasteurs foula (Fulbhe buruure) de la brousse, aux serviteurs, paysans et ex-captifs diallonké, malinke et bambara, il est avéré qu’ils ne pratiquent pas le salam, quand ils sont livrés à eux-mêmes. Seule la présence du maître, du patron, d’un pieux personnage les contraint, par respect humain, à faire leur prière ou tout au moins un semblant de prière.
Il n’y a pas de lieu fixe pour la prière. Le fidèle peut la faire en tout endroit qui lui est agréable, pourvu que cet endroit soit propre. Il suffit de nettoyer un coin du sol de toute immondice, urine ou fumier (excréments humains’ et canins, crottes de volailles). La bouse des bovin et des ovins, le crottin du cheval et de l’âne, tous animaux herbivores, ne sont pas considérés comme des choses immondes, mais il vaut mieux toutefois en débarrasser le sol. Il n’est pas question ici des mosquées, petits sanctuaires et lieux de prières. Ils font l’objet d’un articulet infra.
L’assiduité dans la prière est considéré universellement comme une vertu. Il faut remarquer toutefois que les Foula n’apprécient pas une trop grande piété chez les enfants.
Ils disent qu’un enfant trop fervent meurt jeune, et c’est pourquoi ils refrènent les penchants à l’oraison chez les jeunes natures trop mystiques. Les Toucouleurs, toujours plus pratiquants, n’ont pas adopté ce curieux usage, et estiment qu’il ne faut jamais enrayer ces pieuses dispositions de l’âme enfantine. L’âge canonique pour le commencement du salam est sept ans.
Le chapelet (« kurus » toucouleur, « jikuruwol » foula, ce dernier mot d’origine arabe) est dans toutes les mains au Fouta-Diallon. C’est le chapelet ordinaire à cent grains (fait par les artisans locaux du bois du bani, du tyelèn , ou du tyimme, et plus souvent encore, acheté dans des boutiques, et d’importation européenne. Quelques pieux Karamoko ont d’interminables chapelets à mille grains, dont ils se ceignent volontiers, comme un franciscain. C’est sur le chapelet qu’on récite les cent litanies qui constituent le « baqi calihatou » ou « complément de la prière». On l’égrène encore en récitant les multiples invocations, connues dans l’Islam, chacun suivant sa dévotion.
III
Le jeûne (Voir aussi Fii Korka)
Le jeûne est dit d’une façon générale « Hoorugol » ou « Korka ». Le jeune du Ramadan est dit « Sumayee » chez les Foula; le mois en a gardé le nom.
On ne peut nier qu’il soit observé avec régularité, au moins dans l’élément libre, foula et toucouleur. On ne mange, ni ne boit, ni ne fume, ni ne touche à une femme pendant tout ce mois de Sumayee (Ramadan), de la première aube au crépuscule. Certains se permettent bien de priser et même de chiquer, mais les Karamoko le défendent.
Le Ramadan a son origine dans une prescription divine donnée à Mohammed.
« Chaque année, tu feras le carême un mois. »
Le jeûne est obligatoire pour les hommes à partir de dix huit ans, pour les femmes après l’établissement certain des règles. Toutefois on commence à s’entraîner deux ou trois ans avant. Dès les premiers signes de la puberté, il est de bon ton de faire quelques jours de jeûne, pendant le Ramadan.
Il y a un certain nombre de licences: les enfants vieillards, les malades, les voyageurs, les femmes enceintes, les nourrices en bénéficient. La règle est que quiconque doit le jeûne et ne le fait pas, doit le faire par la suite, et l’obstacle disparaissant, un nombre de jours de jeûne égal à celui qu’il n’a pas observé. C’est le cas du malade, du voyageur, de la femme enceinte ou nourrice. Si la chose est impossible (vieillard, homme maladif, etc.), on doit la racheter par une aumône ou une pieuse libéralité.
Une licence moins canonique est celle que s’accordent les gens du commun, le petit repas du matin « suguli », qu’on fait, non pas à la dernière heure de la nuit, mais au lever du soleil et avant de sortir de la case, alors que le jour a déjà paru.
Certains ne peuvent pas résister à la tentation de voir leurs femmes pendant le jour. Ils doivent se racheter par la distribution d’une aumône de 60 kilos de maïs, de riz, ou de fonio. Ils doivent en outre un jour de continence à la fin du Sumayee.
Le jeûne est prescrit par Allah, mais il n’est pas ordonné, même au prix de violences. On ne doit donc pas frapper ou contraindre de quelque manière que ce soit, le captif ou le visiteur qui n’observe pas le jeûne. Il faut simplement attirer son intention sur cette négligence de la loi divine. Le mois de Sumayee amène avec lui une recrudescence sensible de ferveur islamique dans le Fouta-Diallon. Les prières sont faites plus régulièrement, les réunions à la mosquée plus nombreuses; les prêches plus abondants et plus suivis. On partage le Coran en trente fractions, et chaque jour on s’assemble chez le chef ou au « jarrudu » [ jangirdu, c’est-à-dire case de lecture ] et on assiste à la lecture d’une fraction. Les gens, fatigués par le jeûne, prennent des airs d’ascète, et semblent se renfermer dans une plus grande défiance que jamais vis-à-vis du Blanc.
En dehors du carême canonique de Sumayee, il est d’usage dans le monde maraboutique des Foula, ainsi que chez les Toucouleurs de Dinguiraye, de pratiquer des jeûnes surérogatoires dans le courant de l’année C’est ainsi que le jeûne de Achoura, et le jeûne du jour de chaque décade de chaque mois (soit le 1er, le 11 et le 21) sont recommandés. Les vieux et saints ascètes jeûnent Redjeb, Chaban, Ramadan et 10 jours de Choual. Ce sont les jours de jeûne « gatté », auxquels Allah a promis des bénédictions spéciales. En outre, en cas de faute grave dont le coupable repentant recherche l’expiation le Karamoko, directeur de conscience, impose un jeûne de un, deux ou plusieurs jours.
IV
La Zakka (Voir Fii Zakka)
La zakka ou l’aumône légale, est dite au Fouta-Diallon « diakka », « zakka » et « farilla » déformations évidentes de l’arabe « zaka » et « fardh ». Elle est dite « assaka » chez les Toucouleurs de Dinguiraye.
Elle consiste en principe dans le prélèvement du dixième sur les cultures (riz, mil, maïs, fonio…), du trentième ou du quarantième sur le croît des bovins, suivant que ce croît est mâle ou femelle; sur les bénéfices réalisés dans le trafic du numéraire commercial. A Dinguiraye, cette contribution sur les cultures vivrières peut être plus forte quand les lougans ont été arrosés ; elle doit être du cinquième. Les Foula s’en tiennent toujours au dixième. En revanche, les cultures maraîchères, ainsi que les arachides, le caoutchouc, etc., ne sont pas imposés. Il est vrai que tout n’est pas perdu, puisque le bénéfice réalisé par la vente de ces produits devra acquitter une « zakka » du quarantième.
Il n’y a pas de zakka sur les chevaux et les ânes, ni sur les captifs.
Tel est le principe de la zakka des Foula. Il s’en faut qu’il fût intégralement appliqué, même sous l’ancien régime des Almamys. Il était quand même partiellement observé. Les chefs et Karamoko intéressés y veillaient au nom de la religion et de leurs greniers.
Les contributions de basse extraction et notamment les Fulbhe Buruure (Pulli) devaient verser leur zakka au chef de village. Les Foula libres, notables, la versaient à qui leur semblait bon, en général à leurs Karamoko. Le chef de groupe, « teekun », de province ou de diwal centralisait la zakka de son territoire. La totalité en était versée théoriquement à l’Almamy, et pratiquement était déposée dans les divers greniers officiels, soit de Timbo, soit des capitales des diiwe, soit des chefs-lieux de misiide. Depuis le contribuable qui n’avait versé qu’une partie de cette dîme religieuse, jusqu’aux dépositaires qui en usaient souvent pour leurs besoins personnels, la dilapidation était générale.
Aujourd’hui la zakka a à peu près disparu ou plutôt tend à fusionner avec la sadaqa ou aumône ordinaire. Les fidèles ne demandent pas mieux que d’exercer la charité sans y être contraints par un taux déterminé, et les représentants de l’autorité des infidèles ne peuvent plus réclamer le versement de cette dîme religieuse. Ils ne l’osent même pas car l’administration française, distinguant mal entre ces contributions d’origine islamique et les cadeaux semi-volontaires par lesquels tout bon Foula cherche à se concilier les bonnes grâces de son chef de district, sévit durement et indistinctement contre ces sortes de transactions. Au surplus, elle-même s’étant substituée au pouvoir des Almamys, perçoit pour son propre compte un impôt, d’origine plus laïque, sinon de taux plus élevé, et ne tient nullement à voir ses prélèvements, non toujours faciles, se doubler d’un deuxième drainage pécuniaire, même religieux.
Les fidèles, qui entendent exécuter quand même ce commandement islamique, opèrent ainsi. Lors de la récolte du mil, du mais, du fonio ou du riz, et après l’égrènement on mesure les tas par calebasse, et on met de côté chaque dixième calebasse. C’est cette dîme qui est distribuée sans retard aux pauvres, aux malades, aux Karamoko. Pour le mil, on peut aussi opérer avant l’égrènement et par gerbes.
Chaque dixième gerbe est mise à part. La malice foula dit que les gens préfèrent cette deuxième méthode, car elle permet d’affecter au tas de la dîme les plus vilaines gerbes. On a tenté, dans quelques cercles et à certaines époques, d’utiliser cette coutume de la farilla pour la constitution de greniers de réserve. L’opération n’a pas réussi, par suite de la défiance des Foula tant vis-à-vis d’eux-mêmes que vis-à-vis de l’autorité peu orthodoxe qui préconisait cette mesure; par suite aussi de l’hostilité sourde des Karamoko qui préfèrent voir venir à eux les dons et en disposer sans contrôle.
Voici à titre de renseignement les statistiques de la farilla du fonio pour la misiide du Labé:
1908 | 1909 | |
Kubiya | 43 paniers | 20 paniers |
Bossara | 5 | 20 |
Busuraa | 14 | 6 |
Sonhessa | 9 | 9 |
Fafaya | 10 | 10 |
Bassara | 4 | 3 |
Sulunde | 10 | 6 |
Pour la zakka du croit, on fait le décompte des petits au fur et à mesure de leur naissance, et chaque trentième ou, chaque quarantième génisse, âgée de deux ans, chaque quarantième ovin, âgé d’un an, est réservé. On le donne à un de ses parents sans fortune pour lui permettre de se marier ou de s’acheter des vêtements, à un voyageur pour qu’il puisse continuer sa route, à un Karamoko pour qu’il s’achète des livres ou fasse pèlerinage de piété ou étude.
V
Le pèlerinage (Voir Fii Hajju)
Le pèlerinage aux lieux saints de l’Islam, « hajju » hadiou n’est qu’une pratique surérogatoire. Trois raisons se sont opposées, aux yeux des Foula, à ce que cette réglée soit pour eux impérative :
- l’éloignement de leur pays, l’absence de routes et de sécurité, les maladies contagieuses qui sévissent perpétuellement en Orient
- la nécessité de capitaux considérables, et cette condition leur fait défaut
- la nécessité d’une excellente santé, et ils sont malades, dès qu’ils sortent de leurs montagnes.
On compte donc sur les doigts les « Hadji » du Fouta-Diallon. J’en ai repéré trois:
- Hadji Abdoulaye Hériko dans la Kaba (Timbo)
- Hadji Mamadou Alimou, de Nioge Pellun (Ditin)
- Hadji Ibrahima, de Leluma (Labé).
Il n’y en a certainement pas cinq au total.
Dinguiraye n’en possédait qu’un: Al-Hadji Amadou de Sokoboli; il est mort en 1904. Il n’y a pas eu un seul départ depuis 1912.
Les lettrés discutent gravement sur le point de savoir si un personnage fortuné ne peut pas faire faire le pèlerinage par un tiers, en lui en fournissant les moyens. La bénédiction retomberait ainsi sur les deux individus, et Dieu seul en quelle en serait la proportion. La majorité penche pour la réponse affirmative.
Le pèlerinage conserve tout de même son attrait. Dès qu’un individu a pris la résolution de l’effectuer, il sollicite l’autorité de ses parents et particulièrement de sa mère. Si celle-ci fait défaut, il ne partira pas; sa pieuse pérégrination serait sans valeur. Il vise ensuite à ramasser des capitaux qu’on estime à 2.000 francs environ. Il vend ses boeufs, fait le dioula, va travailler pendant plusieurs années dans un comptoir européen, et finalement complète la somme par des quêtes auprès de ses proches et amis. Chacun tient à lui donner quelque chose, lui demandant en revanche de prier pour lui aux lieux saints. Cette période préparatoire dure plusieurs années.
Le pèlerinage n’est réglé en Afrique Occidentale, et par conséquent dans le Fouta Guinéen, par aucune prescription administrative. Pratiquement le candidat pèlerin fait sa demande au commandant de cercle, comme il la faisait jadis à l’Almamy; celui-ci lui faisait un cadeau, tiré ordinairement des greniers de zakka, et la coutume ne se perd as, puisque certains administrateurs, pleins d’admiration pour cette ardeur religieuse qui arrache le Foula à ses montagnes, lui octroient quelques subsides.
Le Commandant de cercle transmet les renseignements nécessaires (état-civil, moralité, facultés pécuniaires, etc.) au Gouverneur de la Guinée. Si le principe du pèlerinage a été admis cette année-là par le Gouverneur général (et il l’est a priori quand aucune raison d’épidémie ou de guerre ne s’y oppose), le Gouverneur accorde l’autorisation.
Le pèlerinage est considéré à peu près comme une condamnation capitale. Le pèlerin prend ses dispositions testamentaires, distribue son bien, paye ses dettes, se réconcilie avec ses ennemis, fait une retraite, « un pèlerin pour la Mecque est un homme mort » dit une maxime foula. C’est évidemment une tradition du siècle dernier où on avait peu de chances de revenir d’un voyage de dix ans, après avoir fait deux fois la traversée de l’Afrique à pied.
Aujourd’hui les risques sont insignifiants, mais on ne le sait pas.
Le départ a lieu dès la fin du Ramadan, dans la semaine qui suit la célébration de la rupture du jeûne. Quelquefois on part un mois ou six semaines plus tôt, et l’on fait Sumayee à Tanger ou en Egypte.
Le pèlerin est libre dans le choix de sa route. Jadis on prenait la route de terre par Dinguiraye, Ségou et Bandiagara, ce qui permettait de faire, en passant, visite aux centres toucouleurs et aux chefs du Tidianisme omari, puis on piquait vers l’Est par le Haoussa, l’Adamaoua, le Ouadaï, le Darfour et le Soudan égyptien. On traversait la mer Rouge d’une rive à l’autre, et on débarquait à Djedda.
Maintenant, on vient simplement à Conakry pour s’embarquer pour Dakar là on se joint aux pèlerins sénégalais plus avertis, mieux au courant des usages européens, et on part en bande.
L’ihram, ou boubou sans couture, dont le port est nécessaire à la validité canonique de la visite aux lieux saints est revêtu dès que le navire double la presqu’île du Sinaï. L’ihram foula ne se compose ordinairement que d’une vaste pièce d’étoffe, dont on s’enveloppe, suivant les règles prescrites par les auteurs.
Dès l’arrivée à Djedda, on se met entre les mains d’un motawwar, guide du pèlerinage, qui, pour une somme déterminée, conduit le pèlerin jusqu’à la Mecque, et lui fait accomplir toutes les obligations rituelles. Ce serait un nommé Abd Al-Ouahid, Arabe de la Mecque, qui est chargé officiellement de recevoir, héberger et surveiller les pèlerins noirs de l’Afrique Occidentale.
De la Mecque à Médine, il y a au moins dix jours de route par terre, dangereux pour tous à cause des pillages Bédouins, mais particulièrement pénibles pour un noir, en qui les Arabes voient presque toujours un captif présent, passé ou futur; de plus le mode de locomotion par chameau et sans eau n’est pas familier au Foula. Les pèlerins ne parlent pas de cette route avec sympathie. Plusieurs l’ont fait en felouque de Djedda à Yambo.
Le pèlerinage lui-même laisse dans l’ensemble un excellent souvenir à ses auteurs Ils y retrempent leur foi, sont heureux de boire aux sources même de l’Islam à côté de plusieurs centaines de mille de leurs frères, représentant la communauté des vrais croyants, et puisent dans la fierté de l’avoir effectué un réconfort spirituel et des avantages matériels. Ils n’omettent pourtant pas d’en signaler les déboires; injures et pilleries des Bédouins, et surtout vols de toutes natures dont leur confiance ou leur crédulité est victime à la Mecque et à Médine. Pour sauvegarder l’honneur des villes saintes, ils affirment d’ailleurs que les citadins sont étrangers à ces rapines et que les coupables sont les aventuriers qu’attirent là la foule des pèlerins et les occasions de mal faire. Les Turcs leur produisent peu d’effet. Ils voient en eux des sortes de fonctionnaires européens, à peine musulmans, et des militaires chargés de défendre les lieux saints. L’escorte turque leur semble toutefois une bonne chose.
Le pèlerin est l’objet d’une grande considération dans le Fouta-Diallon. Encore faut-il qu’il soit revenu, car Al-Hadji Mamadou Alimou se plaignait, dès son retour, qu’on aurait profité de son absence pour lui voler son troupeau de boeufs confié à un voisin. Il est vrai qu’il était absent depuis dix ans. Le pèlerin tient boutique de pieux objets: eau de Zemzem, livres, roseau à écrire, terre sacrée, chapelets, pagnes qui ont touché la Kaaba, bagues, etc. Ils montrent, moyennant paiement, de pieuses images représentant les sandales du Prophète, ou son cheval Bouraq, qu’on peut à la rigueur trouver dans les boutiques des Syriens locaux, mais qui ont le mérite de sortir des galeries du temple de la Mecque. Certains prétendent même posséder des poils de la chevelure ou de la barbe du Prophète, soit que leur bonne foi ait été surprise en Orient, soit qu’ils soient simplement de mauvaise foi. Mais on comprend qu’il y a là un excellent et lucratif filon.
Il faut remarquer d’ailleurs que leur pieux trafic dure des années, et qu’ils arrivent ainsi à vendre des quantités invraisemblables d’eau de Zemzem ou de sable de l’enceinte sacrée, ce qui laisse supposer que ces matières viennent simplement du marigot voisin ou d’une dune locale; mais le pavillon de Hadji couvre la marchandise.
VI
La Guerre Sainte
Le jihadi des Foula (déformation du Djihad arabe) est « la bataille des vrais croyants, contre les fétichistes voisins qui, informés des lumières de la religion d’Allah, refusent de les accepter ». La guerre sainte doit être précédée des efforts du prosélytisme. Il faut éclairer l’infidèle, lui mettre, de cent façons sous les yeux, cette vérité que le Coran proclama « évidente » en maints endroits. Quand le païen refuse de se rendre à cette évidence, c’est qu’il est finalement de mauvaise foi, et la guerre est légitime, qui le convertira de vive force ou le réduira en captivité.
La guerre sainte ne pouvait être conduite que par l’Almamy de Timbo, l’Almamy de Dinguiraye ou le chef du Diiwal du Labé: toutes les incursions des chefs locaux contre leurs voisins infidèles, même si elles étaient animées de pieuses intentions n’étaient pas « jihadi ». C’étaient des « goubali », des « courses ». La guerre sainte n’est pas envisagée ici contre les Chrétiens. Les Karamoko s’en défendent, peut-être bien par déférence ou par crainte, mais aussi en s’appuyant sur des raisons canoniques, qui, à l’occasion, pourraient servir à notre politique: « Les Chrétiens, disent-ils, sont des gens du Livre, puisqu’ils ont l’Evangile. Ils croient en Dieu, font leur salam, ont eu les premiers prophètes, ont reçu la première révélation, n’épousent pas la mère et la fille ensemble, ne mangent pas de charogne, etc. » Au surplus, le prestige du blanc est indéniable, et il est constant que le noir islamisé n’a pas à notre égard l’hostilité de son coreligionnaire de l’Afrique du Nord ou d’Orient.
On ajoutera comme dernier argument que la tradition de la guerre sainte aux Chrétiens ne s’est jamais établie dans le Fouta-Diallon. Les relations furent purement commerciales pendant les deux derniers siècles, puis l’occupation politique est survenue assez brusquement par un jeu de traités de protectorat et d’intrusion aimable, qui n’a pas laissé place à la lutte armée. Le tempérament du Foula est d’ailleurs peu belliqueux.
Les Karamoko qui pratiquent la mystique et font profession de soufisme expliquent que le jihadi n’est autre chose que le « habhude hoore mun », c’est-à-dire, pour parler comme les mystiques chrétiens, « le combat intérieur ». La vraie guerre sainte est celle qui, par le jeûne, les veilles, les macérations, les pratiques pieuses, détruit les mauvais penchants de l’homme, purifie et rapproche de station en station l’âme fidèle de la béatitude céleste et de l’extase divine. Tout combat à main armée est, au même titre que toutes les choses terrestres, pure illusion. On peut le voir par l’exemple des Almamys de Timbo qui, sous prétexte de jihadi, ne cherchaient qu’à affaiblir les chefs de diiwe à piller leurs voisins fétichistes. On le voit encore par l’exemple d’Al-Hadj Omar qui, bien parti, finit par se transformer en un sultan ambitieux, qui n’hésita pas à batailler contre ses frères en Allah, les Fulbhe du Macina et d’ailleurs. La vraie guerre sainte est la lutte quotidienne contre le désir humain, et la vraie victoire est l’anéantissement en Dieu par l’extase.
VII
Les Mosquées, Sanctuaires et Lieux de prière
Il y a diverses sortes de mosquées:
- Le « jaamiu » ou « hippunde », ou « juuloore-juma » en poul-poullé; [Pular] le « juma » à Dinguiraye (de l’arabe Djâma) qui est la mosquée paroissiale ou cathédrale. C’est là que les fidèles doivent, en principe au moins, venir faire prière en commun, le vendredi.
Sa construction exige certaines conditions: d’abord l’autorisation de l’Almamy, et depuis sa disparition, autorisation du Commandant de cercle. Les indigènes admettent très bien que l’autorité laïque soit juge de l’opportunité de la construction d’une mosquée-cathédrale, car il ne faut pas que les édifices de ce genre soient trop répandus, et que leur rivalité vienne jeter le trouble et la zizanie dans la population d’une ville. Il ne peut donc y avoir qu’une jaamiu dans un centre ou dans une misiide. Le « jaamiu » doit se composer d’une chambre carrée bâtie en terre et mortier. La hauteur est fixée entre 7 et 10 coudées, soit de 3 m. 50 à 5 mètres. La longueur du côté n’est pas déterminée canoniquement: on la fixe d’après le chiffre éventuel des fidèles. La mosquée de Dinguiraye a 10 mètres de côté; les mosquées de Timbo, de Fougoumba, et Labé sont un peu moins larges.
Un immense dôme de chaume enveloppe et cache la chambre carrée. Il vient reposer jusqu’à terre, ou peu s’en faut, constituant ainsi une belle galerie intérieure qui cour tout autour de la chambre. Ce dôme est quelquefois d’une seule pièce (Pita, Timbo); quelquefois composé de volants de chaume, s’étageant les uns dans les autres comme les volants d’une jupe de femme et surplombés d’une sorte de coupole en chaume également ( Labé, Dinguiraye).
Le « jaamiu » est construit après entente entre les notables du village, réunis par le chef et les Karamoko. La décision est prise à la suite de plusieurs palabres animés, et après que l’imam a été désigné. C’est lui qui exerce la surveillance canonique sur l’édification matérielle. Le chef du village embauche un maître-constructeur qui dirigera ou fera lui-même le travail. Les matériaux sont apportés par les fidèles. Chacun doit y participer pour sa part et dans la mesure de ses moyens: la règle est formelle. Les ex-captifs: Malinké, Bambara, Diallonké, apportent les matériaux de poids; poutres, planches, poteaux, pierres, terre. Les Foula, moins robustes, apportent les cordes, les gerbes de paille. Les femmes apportent l’eau, et les vieillards et les enfants pétrissent le mortier. Il n’y a en somme que l’architecte-constructeur et ses aides dont le travail doit être rémunéré. Aucun salaire ne doit être versé. Le chef leur donne trois ou quatre bœufs, à l’issue de la construction, et leur assure leur nourriture pendant toute sa durée. Les notables d’ailleurs ont à honneur de participer à ces dépenses, et offrent souvent des calebasses de riz ou de mil et des kolas aux travailleurs.
L’inauguration de la mosquée s’accompagne, comme les diverses phases de sa construction, de bruyants tam-tams et de sacrifices de bœufs, dont la chair est distribuée à tout le village. Il n’y a pas de consécration religieuse spéciale.
La réfection d’une mosquée détruite ou tombant en ruine s’effectue dans les mêmes conditions, et il est tout à fait plaisant de voir les notables et graves Foula, ennemis jurés de tout travail servile, apporter à pied d’œuvre dans une attitude tout à fait sacerdotale leur petite gerbe de brindilles de paille. Chaque notable doit égorger au moins un boeuf en cet honneur.
C’est, en général, dans le premier trimestre de l’année, quand les graminées « tinté » abondent dans les champs, et que les travaux agricoles sont suspendus, qu’on procède à , construction ou à la réfection des mosquées.
Depuis notre occupation, une sensible décentralisation religieuse se fait sentir, et les mosquées « jaamiu » s’élèvent en plus grand nombre. Jadis les Almamys et chefs de diiwe ne toléraient pas cette autonomie. Le jaamiu se trouvait au centre politique de la misiide et celle-ci, véritable « paroisse » du moyen Age ou « diocèse » de l’époque gallo-romaine, était la cellule administrative du Fouta-Diallon. Elle ne devait renfermer en principe qu’une seule mosquée-cathédrale, et c’était une obligation autant religieuse que civile de venir y assister à l’office du vendredi et d’y recevoir, avec la bonne parole de l’imam, les prescriptions du pouvoir temporel.
Les principales mosquées du Fouta, renommées par leur architecture, leur ancienneté et leur fréquentation, sont :- dans le Labé proprement dit, où l’on compte près de 200 mosquées.
- dans le Mali-Kollangii
- Mali
- Misiide-Yamberin
- Toulel
- Samantan
- Kérouané
- Paré
- dans le Koole
- Misiide-Koyin
- Kona
- Kollangii Fello
- Kune
- Kirfi
- Sumpura Hoore-Koole
- dans le territoire de Koumbia
- Gileeji
- Dara-Boowe
- Medina-Boowe
- Bouli
- Kinsi
- Kambora
- Gunguru
- Touba
- Busuraa
- Bendané
- Medina Badiar
- Oulangui
- Kaade
- Kirimane
- Samba-Pullo
- Gumbanbel
- Daara
- dans le Timbi-Tunni
- Timbi-Tunni
- Sintalli
- Burkadia
- Pita
- Kahel
- Kalilamban
- dans le Timbi-Medina
- Timbi-Madina
- Sonke
- Sentu
- Longuewi
- Teliko
- Sodio
- Fanta
- dans le Bomboli
- Bomboli
- Bambeto
- Gongore-Heerire
- dans Buruwal-Tappe
Buruwal-Tappe
- Lémélé-Wambéré,
- Bendugu
- dans le Bantinhel
- Bantinhel qui, dans la région de Pita, passe avec ses vastes dimensions, sa grande cour, ses beaux orangers pour la plus belle mosquée du Fouta
- Bantinhel-Tokosere
- Meli-Kansa
- Kokulo
- Misiide-Hinde
- dans le Maasi
- Sukili
- Tyehel
- Peti
- Bouma
- Ndantari
- Donhol
- Demukolima
- dans la région de Télimélé
- Kebo
- Kassa
- Hoore-Weendu
- Beli
- Turukun
- Nyalal -Kendo
- Sempeti
- Bullere
- Konsotami
- Bambaya
- Les quatre mosquées si connues du district du Kollaadhe:
- Kankalabe
- Booje
- Mombeya
- Gali
- ainsi que celles de
- Kebaali
- Kalaba
- Dalab
- Seefure. Mollien remarquait déjà, le 15 mars 1818, la mosquée de Seefure.
- Fougoumba, celle-ci célèbre, comme il a été dit, par sa qualité de métropole religieuse du Fouta, où étaient consacrés les Almamys (Ditin).
A Timbo, il n’y eut d’abord et pendant dix ans que le modeste « ngeru » de Karamoko Alfa. On en montre encore aujourd’hui les pierres dans l’enceinte extérieure de la mosquée. Maître du pays. il fit édifier en 1160 de l’Hégire, la belle mosquée que l’on voit aujourd’hui et qui a d’ailleurs été restaurée de fond en comble, au moins une douzaine de fois, par suite d’incendies ou d’accidents dc vétusté.
A la mosquée de Timbo, il faut ajouter dans la région, celles de
- Heeriko
- Sokotoro
- Niagara
- Saarebowal
- Lambu-rufuga
- Diolake
- Kukutamba
- Heeriko-Jumel
- Kaba
- Bokeeto
Dans le territoire de Mamou
- Daara
- Bulliwel
- Alfaya
- Sumbalako
- Telikoo
- Nonkolo
- Bhuriya
- Sori-Jaawoya
- Sankarelaa
La mosquée de Dinguiraye ou « mosquée d’Al-Hadj Omar » comme on l’appelle dans toute la Haute-Guinée, compte parmi les plus belles du Fouta. Elle a été construite en 1850 sur les ordres du grand conquérant par son maître-architecte, Samba Ndiaye, Ouolof, qui l’accompagna toute sa vie. Vers 1862, elle brûlait presque tout entière, et fut reconstruite sur le même modèle. Un autre incendie l’a fortement endommagée vers 1904; elle a été réparée facilement.
Elle compte à la circonférence une cinquantaine de mètres. La hauteur de la chambre de prière est de 5 mètres; la hauteur totale au centre de l’édifice est de 15 à 16 mètres.
A l’intérieur de la chambre, quatre rangées de quatre piliers, plus un gros pilier central, soutiennent l’édifice. Dix portes percent la muraille: une du côté de l’Est, et trois sur chacun des trois autres côtés.
Après la mosquée de Dinguiraye viennent, par ordre d’ancienneté, les mosquées de
- Diawia
- Totiko
- Hansanhere-Donhelbhe
- Balani-Umaya
- Dubbhel
- Kansato
- Lufa
- Kamba-Maasi
- Fogo
- Niaria
- Jobori
- Le « Tippere » ou « togorure », ou « misikun » (diminutif de « misiide ») est la mosquée ordinaire du petit village foula. Elle est tirée à plus d’un millier d’exemplaires dans le Fouta-Diallon. Le Dinguiraye en compte plus d’une centaine. Rien ne la différencie des cases-paillotes communes. Tippere veut dire: qui n’a pas de plafond et d’angle bâtis.
- Le ngeru est le maqam des maures. C’est un emplacement de quelques mètres carrés, entouré de grosses pierres ou de madriers, quelquefois de branchages ou de petits paquets fichés en terre. Souvent une enceinte d’orangers forment au ngeru un cadre parfumé et pittoresque. Le sol est tapissé de cailloutis ou de gravier, beaucoup plus rarement de sable.
On remarque quelquefois un grand poteau au milieu du ngeru. C’est simplement le pilier central de la future case qu’on a projeté d’élever au-dessus du ngeru et qui doit la transformer en misikun; mais la construction se fait attendre, et le mât reste planté sans objet et pourrit sur place.
Tout hameau foula, toucouleur, diallonké, diakanke qu’il soit foulasso, marga, roundé ou gallé, a son ngeru. C’est là que se réunissent, à la tombée de la nuit, pour la prière en commun la demi-douzaine de notables qui composent l’élément patriarcal du petit groupement. Beaucoup de carrés même ont leur ngeru où les membres de la famille se réunissent pour prier, manger et palabrer. Il y en a plusieurs milliers dans le Fouta-Diallon. - Il reste enfin à signaler le petit oratoire familial, si ce mot n’est pas trop prétentieux, et qui consiste en un fer cheval d’un à deux mètres d’ouverture. La périphérie est faite d’une douzaine de grosses pierres, l’intérieur est tapissé de petits cailloux. C’est le juurlirkun où le chef d’une famille vient faire son salam, aux heures où il ne veut pas aller à l’oratoire commun.
On rencontre aussi de ces petits juurlirkoy et même des ngeruuji, le long des pistes fréquentées, auprès d’un marigot, sous un bel acajou, ou au passage d’un col, en un mot, un point précis, où une halte paraît s’imposer dans l’étape On en rencontre aussi à la porte des chefs, sorte d’antichambre où les visiteurs attendent en priant et devisant. Les ngeruuji furent édifiés par la piété, soit d’un pèlerin, soit simplement du Karamoko du village voisin et servent au salam des caravanes et des dioula. Quelquefois c’est un simple lieu de repos, où on entre avec piété, mais sans acte de dévotion. Ce sont là en somme les seuls sanctuaires, et, comme on le voit, simples oratoires, du Fouta-Diallon.
Le culte extérieur des saints n’y est pas en honneur. On n’y retrouve aucune de ces abondantes manifestations d’anthropolâtrie qui fleurissent en Berbérie.
A citer toutefois une manifestation cultuelle de ce genre sur la route de Dinguiraye à Tamba, à 2 kilomètres de Dinguiraye . Al-Hadj Omar partant en guerre contre les fétichistes y fit une halte sous l’ombrage d’un petit arbre-savon, « gobi ». L’arbre a crû, il est entouré aujourd’hui d’une enceinte de pierres, à laquelle les passants ajoutent petit caillou, une branche ou quelques feuilles. Il est bon aussi de s’y arrêter quelques minutes. La baraka du grand marabout est toujours là et pénètre le visiteur.
Quant aux tas de pierres qu’on rencontre sur les routes dans le Fouta-Diallon, ils ne paraissent pas renfermer une portée religieuse. C’étaient les haltes classiques des chefs et des Almamys, et pour perpétuer la tradition, les gens s’y reposent volontiers encore.
Une curieuse coutume est celle qui assimilait le salam de l’armée, en marche ou en station, à celui fait dans une mosquée. L’Almamy lui-même, entouré de ses chapelains, présidait à la prière de toutes les troupes au milieu du camp, et pour une fois ce souverain politique recouvrait ses antiques pouvoirs sacerdotaux. C’était le prêtre-roi d’Israël.
Il n’y a pas d’autres mosquées dans le Fouta, notamment pas de mosquées de pisé ou de banco, comme on en trouve tant dans le Soudan et jusqu’au pied du Fouta. Mollien dit en avoir vu une à Mali le 3 avril 1818. Elle n’existe plus et on n’en a pas gardé le souvenir.
Les accessoires et mobilier cultuels sont des plus simples; le « mihrab » ou niche-panneau qui devient ici simplement le « mihrabu ». Il indique, comme on sait, la direction de l’est et c’est devant lui que vient se placer l’imam pour dire la prière. Il est creusé ou plaqué sur le mur de la mosquée-cathédrale, « jaamiu ». Dans le misikun, il consiste simplement en deux piquets perpendiculaires, plantés dans la paroi de chaume et au pied desquels est étendue une petite natte.
Dans le ngeru, on le remarque à une légère rotondité de celui des quatre côtés qui regarde l’Orient. Dans le juurlirkun, c’est naturellement la convexité du fer à cheval, tourné vers l’est qui est le mihrabu.
La « chaire » ou gangunal consiste en une petite estrade d’un mètre carré de surface et de 0 m. 80 de hauteur. C’est sur cette sorte de table que vient se placer l’imam du « jaamiu » pour prononcer sa pieuse allocution. ll n’y a pas de gangunal dans le misikun, le ngeru et le juurlirkun; aucune décoration intérieure ne vient relever la nudité des murs du jaamiu. La stricte règle islamique est ici observée. Quant aux misikoy, leurs parois de chaume ne se prêtent pas à l’ornementation. A peine » voit-on une petite lampe fumeuse, et, les soirs d’oraison quelques chandelles de cire locale apportées par les fidèles eux-mêmes.
A l’extérieur des mosquées jaamiu et misikoy s’élève un petit minaret (sarro) d’où le muezzin (salli) appelle les fidèles à la prière. C’est également une estrade sans prétention, sorte de mirador découvert, et la plupart du temps sans garde-fou, à laquelle on accède par une échelle ou par un petit escalier de bois. Sa hauteur varie de 1 à 3 mètres. A Dinguiraye, il est plus perfectionné et consiste en une petite bâtisse sur la terrasse de laquelle grimpe le salli.
Le sol des mosquées est ordinairement garni de nattes. Les vieilles femmes qui, ici comme en tout pays noir, remplissent le rôle de sacristain, relèvent les nattes, balayent le sol, déroulent à nouveau les nattes, changent l’eau des ablutions dans les vasques et canaris. Elles brûlent des plantes parfumées, telles le urde et le hammont. Elles y ajoutent quelquefois un peu de benjoin ou d’encens. Tous les deux mois, elles blanchissent à la chaux l’intérieur des murs.
A côté de la mosquée, et généralement dans son enceinte, quelquefois pourtant au dehors, s’élèvent deux ou trois petites cases appelées jaarirdu ou jarrdu ou jangirdu. C’est une annexe du temple, l’équivalent des salles de pieuses réunions et de patronages. On se réunit là avant et après l’office, pour palabrer sur les événements jour, pour recevoir les communications laïques de l’imam ou du chef, pour entendre la récitation du Coran, pour y faire en commun la lecture d’un passage des hadith ou des « Dalaïl al-khaïrat ». C’est dans ces cases que les Sadialiyanke chantent leurs jaaroje dans la nuit du jeudi au vendredi. Le marabout de passage y donne ses conférences religieuses et le Karamoko du cru vient y faire quelquefois le coranique.
Il n’y a pas de vêtements sacerdotaux; il est toutefois recommandé à l’imam d’endosser le vendredi un boubou blanc immaculé, et à Dinguiraye, si possible, une chéchia entourée d’un turban blanc.
Le personnel des mosquées foula est réduit. Il n’y a guère que l’imam qui soit quelque peu titularisé dans ses fonctions. C’est l’Almamy misiide. Il est élu, à la majorité des voix, par les notables qu’a réunis le chef du village.
C’est un homme savant, pieux, et, si faire se peut, de bonne mine et d’extérieur agréable. Il doit être pris, autant que possible, dans la même famille: à Timbo, les Diolake, etc.; à Labe, les Seleyanke… Il ne reçoit pas de rétribution fixe, mais les fidèles se font un devoir de lui apporter quelques présents aux grandes fêtes : calebasses de mil où de maïs, quartiers de viande, etc. Jadis les Almamys de Timbo et de Dinguiraye, ainsi que les chefs de diiwe devaient donner, par une sorte d’obligation traditionnelle quelques charges de grain et deux ou trois boeufs à l’Almamy misiide de leur paroisse, aux deux grandes fêtes de Sumayee et de Donkin.
C’était une sorte de casuel, ou plutôt de prébende, à leur aumônier.
Quand un marabout de quelque renom est de passage dans la localité, les fidèles viennent lui demander de présider à la prière et de faire le prône; l’Almamy misiide lui cède volontiers la place et le voyageur dirige l’office jour-là.
Jadis, quand tous les chefs de diiwe étaient réunis par l’Almamy, à Timbo, c’était le chef de la prière de Labé qui devait présider à la prière de la mosquée de Timbo devant tous ces chefs assemblés, sauf toutefois les vendredi. Ces jour-là, c’était le Karamoko de l’Almamy qui reprenait ses droits.
Le « Salli » qui est le muezzin des mosquées arabes n’est pas spécialisé dans ses fonctions. Cet office est rempli par toutes les personnes du village qui y sont poussées par leur piété. Il y a toujours au moins une demi-douzaine de Salli par « jaamiu » ou « misikun ». La plupart des « ngeruuji » ont un salli, encore qu’il n’y ait pas de minaret. Il vient se placer à droite du ngeru et monte sur une grosse pierre. Le Salli ne reçoit pas non plus de rétribution fixe; on lui donne pourtant quelques cadeaux. Il est autorisé par la coutume à faire des quêtes après la prière.
Il ne reste plus à nommer dans le personnel des mosquées que les vieilles femmes déjà citées qui balaient et nettoient l’édifice. Il n’y a ni professeurs, ni lecteurs.
Il n’est pas inutile de signaler ici ces pieux ascètes qui vivent de longues années et quelquefois toute leur existence, à l’ombre de certaines grandes mosquées du Fouta. Ce sont de vrais moines contemplatifs, dont la vie est tout entière consacrée à Allah et détachée des choses de ce monde. Quelques-uns ont fait voeu de ne jamais sortir de l’ombre de Ia mosquée ou même des murs intérieurs du sanctuaire. On peut citer pour ce dernier cas l’ascète de Timbo, qui en est devenu aveugle. Ces moines jouissent de la plus grande considération religieuse, et leurs rares paroles sont accueillies avec une entière soumission. Certains ont eu des révélations, que personne n’a mises en doute. A ce titre, ils méritent une surveillance particulière. Un temps de troubles, des agitateurs politico-religieux ne manqueraient pas de les utiliser, même à leur insu, comme de précieux facteurs de guerre sainte.
Les fidèles de la mosquée se composent des seuls hommes de la localité. Les enfants n’y sont pas admis, à cause de leur dissipation. Les adolescents eux-mêmes n’y pénètrent qu’à 18 ou 20 ans, deux ou trois ans après qu’ils ont commencé à jeûner ou qu’ils ont été circoncis.
Les femmes n’y doivent pas paraître. La défense du Prophète est formelle, car leur contact est dangereux et détournent les hommes de leur ferveur. Qu’elles fassent salam chez elles. Seules les vieilles femmes sont admises. Encore ne doivent-elles pas pénétrer dans l’édifice, mais se tiennent-elles groupées dans les galeries extérieures, ou encore dans les petites cases, « jarrudhi ».
Le musulman voyageur participe aux prières communes sans avoir à justifier de son identité.
Le fétichiste qui se permettrait de se mêler au salam, à moins que ce ne fût dans une louable intention et par une pieuse attirance, doit être chassé et battu.
On peut faire salam, c’est-à-dire réciter les prières rituelles à la mosquée, tous les jours et aux cinq moments canoniques. Pratiquement, toutefois, il n’y à guère que la prière du crépuscule et assez souvent celle du matin, qui soient suivies à la mosquée. Celle du matin, « subaka » passe pour être la plus fertile en bénédictions, probablement parce qu’elle exige l’effort, toujours dur pour un Foula, de se lever de grand matin.
Pendant l’hivernage, à cause des pluies qui tombent la nuit et transforment les rues en marécages, on a coutume de réunir en une fois les prières du crépuscule et du soir.
Dans ce cas, le Salli ne monte pas sur le minaret, mais sur le toit intérieur de la mosquée jaamiu. A son appel, on reconnaît qu’il a changé de place et qu’il y aura jonction de prières. Les deux prières sont récitées, l’une après l’autre, après un petit intermède, consacré à l’appel fait à voix basse par le Salli et pour la forme, puisque l’assistance est déjà là.
Pour le Tippere, le Salli vient, dans le même cas de jonction de prières, simplement lancer son appel de l’intérieur de l’édifice.
La prescription de l’assistance à l’office du sallifana (mi- journée) du vendredi est beaucoup plus rigoureuse. Quand il y a un « jaamiu » dans la localité, les fidèles sont tenu d’y venir, sous peine d’une faute, dont la gravité n’est d’ailleurs pas évaluée.
La prière est précédée de l’appel par le Salli. C’est l’idzân classique. Il est toujours récité en arabe au Fouta-Diallon, chez les Foula comme chez les Toucouleurs et les Diallonké.
Voici sa teneur:
Allah Akbar (deux fois sur le ton le plus élevé).
Dieu est le plus grand
Achhad an laa ill-Allah il’Allah (deux fois à voix basse)
je témoigne qu’il n’y a pas d’autre divinité qu’Allah
Achhad an’ Mohammed rassoul Allah (deux fois à voix basse)
je témoigne que Mohammed est le Prophète de Dieu
Les deux mêmes invocations sur le ton le plus élevé
Hayya ilat’ss-salat (deux fois sur le ton le plus élevé)
venez à la prière
Hayy ila’l-falah (deux fois sur le ton le plus élevé)
venez au bonheur
Allaahu Akbar (deux fois sur le ton le plus élevé)
Allah est le plus grand
Laa ilah ill-Allah
il n’y a pas d’autre divinité qu’Allah
L’appel est identique pour tous les jours et pour toutes les prières de la journée, sauf à la prière du subaka, où le salli intercale entre le « Venez au bonheur » et le « Dieu est le plus grand » cette invitation à secouer la torpeur des paresseux:
As Salatou khaïrun min an-naoumi
la prière est meilleure que le sommeil
A l’aube naissante, de foulasso en foulasso, les voix des Salli se font écho, proclamant la grandeur de Dieu, appelant les fidèles à la prière; et cette gamme de voix proches et lointaines, troublant seules le silence de la nuit, et où l’on sent parfois un accent de vraie foi, est pleine d’émotion pour l’infidèle chrétien. Mais les Foula pelotonnés dans leurs boubous et couvertures savourent la tiédeur de leurs cases bien closes, n’accordent qu’une pensée somnolente à l’appel du salli et attendent pour paraître au jour que le soleil ait dissipé avec le brouillard, les tardives fraîcheurs matinales. René Caillié remarquait déjà, en 1827, que le marabout chez lequel il logeait l’emmenait au temple à trois heures du matin pour rendre grâce au Seigneur.
« Nous nous trouvions seuls à la mosquée, quoiqu’il s’épuisât à appeler les fidèles. »
Répondant à l’appel du Salli, les gens arrivent, font leurs ablutions, si la chose n’a pas été déjà faite chez eux et se placent dans la mosquée. Le vendredi, à la sallifana, un appel supplémentaire et solennel est fait par trois salli qui montent sur le minaret et crient l’idzân, chacun à son tour, aux échos de l’horizon. Aussitôt descendus, l’office commence. L’Almamy entre toujours par une porte latérale, sise dans le mihrabu, ou tout à côté. Les jours de semaine, il commence immédiatement la prière. Le vendredi, il monte sur l’estrade, saisit son bâton qui lui sert tant à se maintenir, sans choir, sur le minuscule et raboteux tablier de bois, qu’à se conformer aux instructions du Prophète et commence le prône ou khutubatu.
Le prône porte sur des sujets ordinaires de morale et de catéchisme islamiques. Il dure de 5 à 20 minutes. Le moyenne est d’un quart d’heure; au Fouta-Diallon, il est toujours dit en arabe par l’imam, et traduit par lui-même phrase par phrase, en la langue populaire: toucouleur à Dinguiraye, diakanke à Touba et dépendances; poul-poullé [Pular] partout ailleurs. Chacun prétend d’ailleurs avoir le monopole de cette traduction sacrée et trouve que les autres n’ont pas le droit d’en faire autant.
Il est débité en général de l’abondance du cœur. Toutefois l’imam qui ne se sent pas sûr de lui, prend soin d’apporter son papier tout préparé, ou même se munit tout simplement d’une sorte de sermonnaire ad hoc dont il lit et traduit un passage approprié. Aussitôt après, il descend de sa chaire, et récite une dernière fois, sur le ton ordinaire, l’appel à la prière: c’est une façon de laisser arriver les retardataires et d’inviter les gens présents au recueillement. Il finit par ces mots:
Qad qamat as-salatu
voici que la prière est commencée
Puis il se place devant le mihrabu et récite la prière rituelle, la même ici qu’ailleurs.
Il n’y a pas d’invocation spéciale en l’honneur de l’Almamy ou du Khalife. On n’a même pas souvenance, à Timbo, pas plus qu’à Dinguiraye, qu’il n’y en ait jamais eu. En cas de guerre pourtant, on disait une petite prière pour le succès des armées foula. On récitait, par exemple, trois fois de suite la Fatiha après la prière. A cet effet, l’Almamy ou le chef de diwal envoyait une vache dans les principales mosquées du Fouta, et les Karamoko intéressés faisaient le nécessaire. La guerre européenne [1914-1918] a provoqué sur quelques points de pareilles manifestations de loyalisme envers la France.
On voit dans le Journal de René Caillié que, le 27 mai 1827, à Kambaya, au sortir de la mosquée, le marabout donna lecture d’une lettre-circulaire qu’un courrier de Timbo venait d’apporter et dans laquelle était annoncée la déposition de l’Almamy Yaya et son remplacement par l’Almamy Boubakar qui « se déclarait protecteur de l’Islamisme ». Le chef fit une prière et des voeux pour le règne ; du nouvel Almamy.
La cérémonie terminée, l’imam se retire par la petite porte et les fidèles se dispersent. Les plus pieux vont encore réciter quelques louanges en l’honneur du Prophète ou lire un passage du Çahil dans la jarrudu. Quand le chef politique ou l’imam ont une recommandation d’ordre temporel à faire aux fidèles, ils profitent de leur réunion pour la leur faire entendre au jaarirdu, qu’il s’agisse de routes, d’impôts, du recrutement, de la construction d’une mosquée, de l’aide à apporter à un Karamoko, etc.
Le sallifana du vendredi, à la mosquée jaamiu, est de moitié plus court que les prières des autres jours. Il ne comporte que deux récitations au lieu de quatre. On en donne deux raisons:
- la première est d’origine prophétique Mohammed dirigeant la prière, un vendredi, à la Mecque, fut abandonné par ses fidèles qui, apprenant qu’une caravane de grain venait d’arriver, s’empressèrent d’aller faire leurs achats. Plein de pitié pour la faiblesse humaine, il déclara que ce jour-là, la prière serait réduite de moitié.
- La deuxième et purement locale. On trouve que l’office, précédé de la khutubatu, est trop long, et qu’il y a lieu de l’amputer de deux récitations.
En dehors des jaamiu, la prière du sallifana doit être complète.
VIII
Les fêtes religieuses.
Les fêtes islamiques sont célébrées en grande pompe au Fouta-Diallon, surtout la fête de la rupture du jeûne, « Julde-Sumayee » et la fête du sacrifice, « Julde-Donkin ». L’achoura, « Jombente », est moins important. Le mouloud qui n’a même pas de nom spécial, l’est encore moins.
- Julde-Suumayee des Foula, Julde-Korka des Toucouleurs de Dinguiraye est la fête par laquelle les Musulmans célèbrent la fin du Ramadan (Aïd Saghir). On s’y prépare huit jours à l’avance par la réparation, le lavage et la reteinture de ses vêtements, par l’acquisition de boubous neufs, par le nettoyage des cases et des rues du village, notamment de celles qui conduisent à la mosquée, par l’astiquage des bijoux et des armes. A Dinguiraye, les femmes préparent le henné, « pouddhi » dont elles s’enduisent les mains jusqu’au poignet, les pieds jusqu’à la cheville. Dans le Fouta-Diallon, les Foula ignorent l’usage du henné.
Le dernier jour du Sumayee, on procède à des cérémonies purificatoires au marigot voisin. Le matin de la fête, on revêt ses beaux habits ; on se coupe et se nettoie les ongles; on répand sur son corps les plus forts parfums, indigènes ou européens.
Les réjouissances publiques ont commencé, dès l’apparition de la lune. L’astre est salué par des coups de fusil, et par un tam-tam assourdissant. Aussitôt, on y répond de tous les villages. Dans les régions où la population est quelque peu dense et les villages nombreux, ce spectacle est tout à fait impressionnant.
Le tam-tam et les danses durent toute la nuit dans les villages sarakollé et malinké du Fouta, toucouleurs de Dinguiraye. Les Foula libres qui réprouvent la danse, se contentent des accents du « tabala ». Des calebasses de lait caillé et de miel mélangés, auxquels on a ajouté un parfum de farine de riz, circulent parmi les groupes.
Au matin, on se prépare pour le grand salam où tout le monde, même les femmes et les enfants, seront admis. La tabala résonne sans arrêt. On se rend, en dehors du village, dans un endroit débroussaillé et convenablement aménagé. L’imam dirige la prière à laquelle tous participent avec foi. On doit rentrer par un autre chemin. Les Foula appliquent ainsi à la lettre la tradition prophétique qui prescrivait aux premiers croyants de faire la prière hors de la mosquée, pour n’y être pas surpris par les infidèles, et de varier les chemins pour faire croire à un important cortège de peuple. Toutefois, s’il pleut, on se rend à la mosquée.
Le tam-tam et les réjouissances durent toute la journée. On se rend visite, on se congratule. L’afflux des gens des environs à la misiide centrale provoque une animation considérable. A Dinguiraye, les enfants vont de maison en maison, quêtant de menus cadeaux: kolas, sous, pagnes, mouchoirs, poules, et souhaitant aux gens de voir une nouvelle fête. Ils chantent en l’honneur des généreux donateurs: « Lambhe, lembe yo, lembe lembe dale mayo reo, c’est-à-dire « Donnez, donnez pour notre maître, comme donnent les gens du nord de la rizière. » Ce qui semblerait indiquer que cette coutume a été importée du Fouta-Toro, et par suite des pays maures. Dans le Fouta, ces processions d’enfants n’ont pas lieu pour le Julde Suumayee, ni pour Julde-Donkin. On ne les trouve que pour Achoura [Julde-Jombente]. A Timbo toutefois, elles ont lieu le 27 du mois de Suumayee, avant la fête même du jeûne. Les enfants chantent devant chaque carré :
Yaa Allaahu, Yaa Rahmanu, salli alaa Mouhammadina
« O Dieu, ô miséricordieux, bénis notre Mohammed. »
Ils sont partagés en groupes, et chacun parcourt son quartier. Les avares reçoivent des bordées d’injures:
Soro Yam maayo | Nous nous sommes promenés pour rien |
Soro Yamma | Soro Yamma |
Pullo mo okkataa | Pullo qui ne nous donne rien |
Soro Yamma | Soro Yamma |
Yo yaadu e lewru ndun | Passe, comme est passé le mois de Ramadan |
Soro Yamma | Soro Yamma |
De grands festins terminent la fête. La tradition veut que tout le monde y participe et dans une proportion déterminée. Le chef de famille aisée doit faire des distributions de grain, aux pauvres et aux Karamoko, à raison de 2 kilogrammes pour chacun des siens, même les enfants à la mamelle. C’est le « muudo », dont l’origine est vraisemblablement le « moudd » arabe, ou mesure de grain, usité en Mauritanie et ailleurs. Le « muudo » est obligatoire, mais rien n’interdit de faire en dehors de ce don religieux, des aumônes plus considérables, et c’est ce que pratiquement se fait.
- Julde-Donkin des Foula, Julde-Taske des Toucouleurs de Dinguiraye, est la plus grande fête du Fouta-Diallon. C’est la fête connue des sacrifices, « Layya ».
Les préparatifs sont identiques à ceux du Julde Suumayee, mais commencent plus tôt. Dès le 1er du mois de Donkin (12e mois lunaire), on se met aux nettoyages, lavages et fourbissages; on prépare le kohol pour les yeux. Les Karamoko et gens pieux font jeûne le huitième jour, en l’honneur d’Arafatou, localité voisine de la Mecque où se déroulent, ce jour-là, des cérémonies classiques dans l’lslam.
Le deuxième jour, qui est le jour de la fête, tous les propriétaires de moutons sont tenus de faire jeûne jusqu’au meurtre [immolation] de la bête. Celui qui n’a pas de mouton n’y est pas tenu.
Le mouton, acheté plusieurs mois à l’avance et soigneusement engraissé, doit avoir de un à trois ans. Pour être parfait, il doit être mâle, et pourvu de belles cornes. A défaut, on se contentera d’un bélier sans cornes, puis d’une brebis, puis d’un bouc bien encorné, et enfin d’une simple chèvre. La plupart des Fulbhe Buruure, qui n’ont que des troupeaux de bovins, égorgent, comme bête sacrificielle, un taureau, un bœuf, ou enfin une vache
Dès l’aurore, la tabala résonne, et les coups de fusil éclatent. De huit heures à dix heures, un grand salam réunit les fidèles, en dehors de la ville, et dans les mêmes conditions que le salam du Julde-Suumayee. Chacun a apporté son mouton, le sunna, comme l’appellent les Foula, le layya (dérivation probable de dhayya) comme disent les Toucouleurs et aussi les Foula. Il a été soigneusement lavé au savon, et fait jeune depuis la veille au soir. Quelquefois, surtout à Dinguiraye, on lui a trempé les sabots dans le henné. Souvent aussi, on le fait boire un peu d’eau avant de l’égorger.
Dès que le salam est fini, un coup de tabala avertit que l’imam sacrificateur se prépare; un deuxième coup que la bête est égorgée. Aussitôt, chacun tranche le cou de son mouton. Dans beaucoup de villages foula, les gens n’apportent pas leur mouton au salam, C’est le fait de l’imam seul. Rentrés chez eux, ils égorgent leur bête, chacun dans leur carré.
A Timbo, c’était l’Almamy et dans les misiide, capitales des diiwe, c’étaient les chefs de diwal, qui devaient égorger la bête les premiers. L’imam de la mosquée n’opérait sur sa bête qu’en second lieu. Cette tradition s’est encore conservée, et c’est le chef politique de Timbo, Labé, Fougoumba, Maasi, etc., qui donne par son exemple le signal des sacrifices. Les femmes, chefs de famille, à qui il est interdit de verser le sang, laissent cette charge à un membre de la famille ou à un ami. Elles doivent mettre la main soit sur l’épaule du sacrificateur soit même lui tenir vigoureusement l’avant-bras pendant l’opération. Le couteau n’est l’objet d’aucun rite spécial; le sang est abandonné à terre, et ne donne lieu à aucune pratique. Les chiens qui mangent le sang de la « sunna », de Julde-Donkin, deviennent enragés.
On rentre au village par un autre chemin que celui par lequel on est venu, toujours en vertu de la tradition précitée.
Dés que le mouton est dépecé et partagé, on fait griller le foie et on le donne au chef de famille. C’est par ce premier aliment qu’il doit rompre le jeûne. Les quartiers de viande sont mangés par toute la famille, et on en distribue aux miséreux qui n’ont pas pu tuer de mouton. A Dinguiraye, le sang, mêlé à l’eau, est utilisé comme médicament pour les maux d’oreille. Partout, la tête et les pieds sont gardés pour l’Achoura. La peau est nettoyée, tannée et apprêtée, et devient le « salli-gourou » des Toucouleurs, le « juldugii » des Foula, c’est-à-dire la peau de la prière.
Les festins commencent, et durent plusieurs jours. Le mouton ou son succédané n’est que la bête sacrificielle, la victime pascale, celle par laquelle tous les musulmans doivent commencer. Mais en dehors du mouton, on égorge plusieurs boeufs, on fait d’innombrables calebasses de riz, de mil, de maïs, et de fonio; on se gorge de lait frais, de lait caillé et de beurre.
La fête ne dure qu’un jour en principe, mais souvent se répercute pendant plusieurs jours. Le tam-tam résonne; les gens se font visite et se complimentent; les réconciliations se produisent sous l’empire des bons sentiments qui dominent ou par la pieuse pression des amis.
A Dinguiraye, les enfants, à l’instar de ce qui se passe dans beaucoup de régions de l’Afrique du Nord, et même dans certains pays chrétiens, passent dans les maisons, quêtant de menus cadeaux, bénissent les donateurs et leur souhaitent un autre Julde-Donkin, injuriant ceux qui les repoussent, ou ne se montrent pas assez généreux. Dans le Fouta, les enfants des familles aisées réunissent chez eux leurs petits camarades; on leur sert des calebasses spéciales. - Achoura, Julde-Jombente ou fête de l’année nouvelle, est le Jombente foula, le Harran des Toucouleurs.
Elle entraîne pour les pieux Karamoko un jeûne d’un de deux ou de trois jours (le jour même, la veille et le lendemain). Le commun ne jeûne que le jour même de la fête, et même souvent pas du tout.
L’Achoura s’accompagne de toute une série de rites symboliques, destinés à amener la prospérité dans l’année nouvelle. Grands festins de nuits d’abord, la veille et le soir de la fête. Il faut manger abondamment, aller même au delà du rassasiement, et il faut manger de tout: viande, lait frais et caillé, grains de toute nature, fruits, légumes, etc. Cette pratique doit provoquer une abondance de victuailles dans le courant de l’année. Il faut se laver le corps à plusieurs reprises et très soigneusement: cette cérémonie purificatoire doit préserver des maladies. Il faut s’enduire les cils et les sourcils de kohol, pour éviter le mal aux yeux. Il faut se rogner soigneusement les ongles des pieds et des mains; on se débarrasse ainsi de toute souillure passée et on acquiert des forces pour ne plus retomber dans le péché. On fait venir les petits orphelins, on leur frotte doucement la tête avec la paume de la main et on leur fait de petits cadeaux; on éloigne ainsi la colère divine et on s’attire sa miséricorde spéciale. Il faut enfin faire visite aux Karamoko les plus réputés et leur demander leur bénédiction; il convient même — chose remarquable — de faire un pèlerinage au tombeau d’un saint marabout et de prier pour lui. Il priera en revanche pour son fidèle et obtiendra que Dieu répande sur lui ses faveurs. Enfin dans les régions où il y a des chevaux, et notamment à Dinguiraye, il est bon de faire une promenade montée, à travers les champs et les rues des villages. Cette pieuse pérégrination doit faire descendre les bénédictions divines non seulement sur les lieux parcourus, mais encore sur le cheval et le cavalier
Enfin, au cours du festin, le soir de l’Achoura, on fait bouillir la tête et les pieds du mouton de Julde-Donkin, et chacun doit venir manger une petite parcelle de viande.
Aux enfants, et aux pauvres qui n’ont pas égorgé de mouton, on fait boire un peu de bouillon. Ce rite relie l’année nouvelle à l’année écoulée et attire sur la première les bénédictions du sacrifice de Donkin. Il sert aussi à faire faire la Pâque à ceux qui étaient en voyage ou malades au jour de Donkin et qui n’ont pas pu prendre part au sacrifice commun.
Dès que la nuit est complètement tombée, les enfants se promènent dans les rues du village allant de carré en carré et demandent de petits cadeaux. - Mouloud, fête de la naissance du Prophète, connu sous son nom arabe de « Maouloud », n’est pas célébrée par le peuple. C’est une fête purement cléricale qui entraîne pour les plus pieux d’entre les Karamoko un jour de jeûne et des prières surérogatoires, surtout nocturnes.
Chapitre VIII
L’enseignement musulman
I
Les marabouts
Le Fouta-Diallon est couvert d’écoles maraboutiques « dudhe », au singulier « dudhal ». Il n’est pas de village, si humble soit-il, qui n’ait son petit Karamoko enseignant.
L’unité de maître est la règle. A part une douzaine de centre religieux importants, sortes de zaouïa, où, sous la direction du chef de la confrérie, enseignent deux à quatre professeurs, l’école maraboutique n’a qu’un seul maître, même quand la clientèle scolaire s’élève à quarante ou cinquante élèves. Dans ce cas, il se fait aider par les plus grands, qui lui servent de moniteurs.
Le Karamoko est en général de la même souche ethnique que les gens du village. Les parents aiment peu confier leurs enfants à un maître d’origine étrangère. D’ailleurs la diversité des langues [en Guinée], encore que le poul-poullé [Pular] soit plus ou moins parlé par tous, est une source trop grande de difficultés, quand Karamoko et élèves sont d’origines différentes. Il n’y a que les Toucouleurs, soit de Dinguiraye, soit de Fouta-Toro, qui jouissent un peu partout d’une excellente réputation de maîtres. Ainsi les Karamoko sont-ils généralement Foula dans le Fouta-Diallon, Malinké et Sarakollé dans les colonies et villages de ces races, Toucouleurs et Malinké dans le Dinguiraye, Diakanké à Touba et dépendances. Les Diallonké superficiellement islamisés n’ont pas de maîtres de leur race. Ils envoient leurs enfants à l’école Foula ou Malinké.
A la différence de ce qu’on voit dans le Sénégal, et surtout en Mauritanie, il n’y a pas de femmes à la tête des dudhe du Fouta-Diallon. Le Karamoko est toujours un homme, encore que sa clientèle comprenne la plupart du temps des fillettes.
Il n’y a pas lieu de s’étendre sur l’affiliation religieuse des Karamoko. Le détail en a été étudié dans les chapitres précédents. Il suffit de constater que les Foula sont en grande majorité Tidiania, à la suite du prosélytisme des Toucouleurs de Dinguiraye. C’est l’action de ces Karamoko, séduits par les prédications d’Al-Hadj Omar et de ses missionnaires, qui a tidianisé leurs élèves et leur entourage et tout le Fouta. Un petit nombre de Karamoko Foula (Diawia dans le Labé, divers autres du Yamberin, du Binani, du Ndama, de Pita), sont restés attachés au Chadelisme de leurs ancêtres. Les Malinké sont à peu près tous Qadria, ainsi que les Diakanké. Les Karamoko Sarakollé se partagent entre le Qaderisme des Cheikhs Maures et le Tidianisme des maîtres du Dinguiraye.
Le Karamoko est généralement cultivateur C’est la profession qui lui permet le plus facilement d’enseigner et en même temps de tirer parti de ses élèves. Quelques-uns sont imam de mosquée, Salli (muezzin). Peu sont dioula. Aucun n’occupe de fonctions publiques (chef de province ou de village, juges de tribunal). La tradition actuelle est que ces fonctions sont incompatibles avec l’enseignement coranique. Quand une révocation ou toute autre cause leur fait des loisirs, ils rouvrent aussitôt leur école.
La plus grande partie des Karamoko se livrent à l’industrie et au commerce des amulettes et gris-gris traditionnels; certaines gens y trouvent des ressources appréciables.
Tout marabout enseignant a une petite bibliothèque. Aucune variété.
- Le Coran sous deux ou trois éditions différentes, et souvent manuscrites.
- Un ouvrage ou deux de droit: Rissala, Tohfa, Lakhdari ou « Précis »
- Un ouvrage ou deux de mystique ou de théologie, tel le petit Solèymi (Soleymi Bobo), le Rimabou d’Al-Hadj Omar
- Des compositions en poul-poullé [Pular].
- Un ouvrage ou deux de piété, surtout le Dalaïl al-Khairat.
Les catalogues des deux plus importantes bibliothèques arabes des marabouts du Fouta sont donnés en annexe.
On trouve en outre des numéros dépareillés de journaux ou de revues arabes du Maroc ou d’Orient; ainsi que des ouvrages périodiques de propagande du Gouvernement général de Dakar. Très souvent, des fragments en copie manuscrite de recueils d’amulettes et de recettes magiques. Quelquefois des portions de Bibles protestantes, éditées à Londres ou à Boston, et émanant des pasteurs sierra-leonais. Il y a fort peu d’ouvrages modernes.
L’art de l’écriture arabe est peu pratiqué chez les Fouta Diallonké. Les caractères sont lourds, épais chez les uns, grêles et irréguliers, comme l’écriture arabe d’un Européen, chez les autres. La science calligraphique est loin d’être aussi florissante que chez les Maures.
Le don de feuilles de papier a longtemps été considéré comme un cadeau des plus précieux. Nous voyons les divers explorateurs du Fouta s’en munir avec soin avant leur départ, et ne les sortir en cours de route que dans les grandes occasions. Aujourd’hui encore c’est faire un cadeau utile et distingué à un Karamoko que de lui offrir quelques feuilles de papier blanc.
La capacité professionnelle de l’ensemble des Karamoko est des plus sommaires, la plupart n’ont appris que le Coran est un peu de droit ou de théologie ou d’exégèse. Un petit nombre va jusqu’à la grammaire Quelques rares personnalités bien douées, après vingt ans de scolarité, arrivent à posséder un petit bagage littéraire, suffisant pour comprendre ou se faire comprendre ou pour écrire un poème plus ou moins défectueux en l’honneur du Prophète.
Quant à la valeur morale des Karamoko foula, elle parait mériter un jugement sévère. Ces lettrés constituent une société pharisaïque qui a toujours visée à faire l’opinion et qui la fait en réalité. Ils ont toujours à la bouche les prescriptions divines et y rappellent sans cesse leurs auditeurs, mais ils ne les appliquent eux-mêmes que très extérieurement. Leurs pratiques cultuelles, jeûne, prière, aumônes peuvent être parfaites rituellement, mais on ne voit guère qu’ils suivent « en esprit et en vérité » les commandements de la morale islamique, souvent noble et épurée. Leur ostentation est loin d’être de la vertu, et leurs desseins sont très souvent intéressés, pécuniairement, ou dans la voie des ambitions politiques. Le marabout Foula, ambitieux comme tous ceux de sa race, ne cherche à atteindre, par la voie cléricale, qu’à une certaine notoriété; après quoi il s’imposera, comme chef à l’attention de l’autorité, n’hésitant pas à déclarer d’ailleurs, pour calmer les inquiétudes possibles du commandement, « qu’étant désormais chef, il ne marchera plus dans la voie des Karamoko, mais dans celle des chefs ».
II
Les élèves
Le nombre des écoles coraniques est difficile à évaluer; il est en perpétuelle évolution. Peut-être a-t-il quelque peu régressé ces dernières années, surtout dans les provinces qui étaient jadis les plus florissantes: le Labé, Touba, le Dinguiraye.
Le nombre moyen des élèves (Karanden) parait avoir aussi diminué tant dans les zaouïa d’enseignement supérieur que dans les écoles maraboutiques de village. La moyenne de l’école de village parait être de cinq à six élèves. Beaucoup n’en comprennent que trois ou quatre, qui sont les enfants de Karamoko lui-même et ceux d’un voisin. Les écoles de dix, vingt, trente élèves sont assez communes.
La principale des raisons données par les Karamoko et gens d’expérience à cette diminution de la clientèle scolaire est l’émancipation des captifs par la France. Il s’est produit un appauvrissement général dans les familles aisées, foule, diakanké ou toucouleures, qui toutes envoyaient leurs enfants à l’école. Aussi beaucoup d’entre elles doivent-elles faire travailler leurs enfants soit aux champs, soit à la garde des troupeaux, soit à la cueillette du caoutchouc. Il en résulte qu’un certain nombre ne fréquente plus le « dudhal » et que plusieurs autres arrêtent leurs études, dès qu’ils sont en possession d’une fraction convenable du Coran.
Comme contrepartie, il faut signaler que les captifs qui, autrefois se désintéressaient de l’instruction, s’enrichissent aujourd’hui et, copiant leurs maîtres d’hier, envoient leurs enfants à l’école.
L’ouverture des écoles françaises a enlevé aussi une partie de la clientèle scolaire des Karamoko, principalement la meilleure. Les chefs d’hier, les ambitieux d’aujourd’hui comprennent que le savoir des Européens et l’usage de la langue française sont absolument nécessaires pour arriver, se maintenir en place et faire ses affaires tout seul avec les autorités françaises. Aussi abrègent-ils les études coraniques de leurs enfants pour leur faire suivre les cours de l’école française. Beaucoup suivent eux-mêmes les cours d’adultes et quelques-uns n’hésitent pas, dans l’espoir d’être un jour nommés chefs, à faire des stages comme moniteurs. On est frappé en parcourant le Fouta-Diallon. après d’autres régions du Sénégal, de la Guinée même, ou du Soudan, de voir combien le français est répandu dans l’élément aristocratique indigène. Il n’y a guère d’ailleurs que celui-là, vu le faible nombre de nos écoles, qui jusqu’ici a profité de leur enseignement.
Au surplus le succès des écoles françaises du Fouta a été celui des maîtres qui professaient. Certains, à Timbo et à Labé, qui s’étaient adonnés à l’étude de la langue et des moeurs du pays et pénétraient ainsi l’âme indigène, ont su attirer à eux les enfants des familles les plus réfractaires et ont fait une excellente besogne scolaire et politique.
Les fillettes sont très nombreuses dans les écoles coraniques du Fouta. Elles composent le tiers et quelquefois la moitié des karanden. Il est d’usage en effet dans toutes les familles aisées de les y envoyer un an, et souvent deux ou trois ans, pour apprendre la Fatiha et les sourates de la fin du Livre, et s’instruire dans le mécanisme de la prière. Cet usage tend à se répandre. René Caillié remarquait déjà, en 1827, que
« l’éducation de filles était très négligée. Dès qu’elles connaissent les premiers versets du Coran, on les trouve assez instruites. »
Quant aux garçons, ils s’en vont à peu près tous, à l’âge de sept ans, à l’école, et y restent au moins trois à quatre ans.
La coéducation est générale; les filles sont groupées dans un coin et les garçons dans l’autre, et tout à côté. A égalité de scolarité, la fillette soutient très bien la comparaison, au point de vue des progrès intellectuels, avec ses petits camarades de l’autre sexe.
Dans les centres, ordinairement les chefs-lieu de cercles, où existe une école française, les élèves sont ordinairement des karanden des marabouts voisins. Les enfants font précéder et suivre les cours de l’établissement français de petites stations chez leur Karamoko.
Il y a peu de temps encore, il n’en était pas ainsi. Le Gouvernement de la Guinée avait créé dans chaque escale une place de moniteur arabe confiée à un Karamoko intelligent. Les cours étaient combinés de façon à permettre aux enfants de faire leurs études dans les deux langues. De
- sept heures et demie à dix heures, école française
- dix heures à onze et demie, école arabe
- deux heures à quatre heures, école française
- quatre heures à cinq heures et demie, école arabe
L’expérience ne fut pas sans succès et les indigènes y prenaient goût. Ils devenaient même plus forts en arabe qu’en français et se perfectionnaient dans le Coran, le Borhan, la Rissala et le Miyara, avant d’avoir pénétré les secrets du système métrique. Le moniteur calquait d’ailleurs ses leçons sur les leçons de l’instituteur, et profitait de ses bons conseils. On en était arrivé à avoir dans tout le Fouta des sortes de petites médersas, où l’arabe florissait aux dépens de l’instruction moderne. Il est démontré aujourd’hui que cette fusion des deux écoles se fait la plupart du temps au détriment de l’école française. Au surplus, nous n’avons pas à travailler à l’extension de la langue arabe et de la religion du Prophète. C’est pourquoi la dissociation a été opérée, et la plus entière liberté laissée aux parents et aux enfants. On veille seulement à ce que les écoles maraboutiques, qui fleurissent dans le voisinage de l’établissement français, lui fournissent, autant que possible, quelques élèves.
Il semble que le Karamoko Foula, Toucouleur ou Diakanké s’intéresse, plus qu’on ne le fait ordinairement en pays noir, à l’avenir de ses karanden. Il les suit de près, même en dehors de l’école. Il entretient leurs parents de leur travail et de leurs capacités intellectuelles. Il conseille de pousser ou d’arrêter les études.
III
L’école
- L’installation matérielle. — L’école du Fouta-Diallon est l’école du grand air. Elle ne comporte aucun bâtiment, aucun local. Elle se tient en temps normal au milieu du galle, entre les cases; en saison d’hivernage, sous la véranda de la case du maître.
On trouve même quelquefois l’école ambulante. Le marabout voyage avec ses karanden et leur fait la classe aux haltes et stations.
Le matériel scolaire est rudimentaire. La planchette d’abord, alluwal (de l’arabe al-louha) de forme rectangulaire, avec quelques petites moulures au sommet et qu’on a acheté pour 0,50 ou 1 franc chez le forgeron. Elle est souvent composée de deux petites planches jointées, et reliées solidement au sommet par un petit anneau de cuivre. La planche est taillée en effet dans le bois vert. Avec le temps, il se dessèche et les fibres ont tendance à se dissocier.
Ces planchettes sont tirées d’arbres connus: endhamma, munnirke, belende, koyli.
Le calame classique est tiré des roseaux ou des bambous des marigots, et surtout des innombrables graminées qui poussent un peu partout.
Il y a deux sortes d’encre (ndaha), faites toutes deux avec des produits locaux.
- La première est faite avec le « boori » ou fruit de l’arbre « womboudi ». On fait cuire ces fruits pendant plusieurs heures, et on ajoute ensuite dans la marmite un morceau de fer (hache, pioche, etc.) et du tabac. On laisse cuire encore un certain temps et on expose le tout plusieurs jours au soleil.
- L’autre sorte d’encre se fait avec l’écorce de l’arbre kahi-boodye. Elle se prépare de la même façon, mais au lieu d’un morceau de fer, on y met les scories du creuset du forgeron. Ce sont les karanden eux-mêmes qui font leur encre ou se taillent leurs calames (roseaux servant de plume à écrire) sous la surveillance du maître. L’encre européenne est inconnue dans les écoles maraboutiques.
Pour laver la planchette, et lui donner un beau lustre blanchâtre, on se sert du fruit de l’arbre nyennye. Quand il a bien séché au soleil, on l’utilise comme éponge après l’avoir trempé dans l’eau.
- Répartition du temps. — Il y a trois séances de travail par jour.
- le matin, de bonne heure, du lever du soleil en général jusqu’à huit heures. Les Karanden sont plus matinaux que leurs parents ou que leurs Karamoko même. Ils arrivent individuellement, prennent en silence leur planchette sous la véranda, et se mettent à chanter leur leçon. Il est à croire que ce bourdonnement ne trouble pas le sommeil du maître car il ne sort pas avant sept heures de sa case. Son apparition n’est d’ailleurs saluée par aucune manifestation de politesse.
De huit heures à midi, on va travailler au lougan du maître. A midi, repas, jeux et sieste. - De deux à quatre heures, nouvelle séance de travail. A quatre heures, les karanden s’égaillent dans la brousse pour ramasser du bois, du chaume, les produits végétaux nécessaires à leur encre, à leurs plumes, etc. Cette promenade parait être surtout une récréation destinée à couper la soirée trop longue. De plus, elle permet de rassembler les matériaux pour l’éclairage, et par conséquent le travail de nuit.
- De six heures et demie à huit heures, après quoi sur l’ordre du maître qui dit: « Il suffit », on remet les planchettes en tas à leur place accoutumée, sous la véranda; et chacun rentre chez soi.
Les petits Karanden ne sont pas sans dissipation. Le peu de surveillance qu’exerce sur eux leur maître les incite à jouer et à deviser ; et ils ne s’en privent pas, Aussi a-t-il été inutile de prévoir des recréations pour couper le temps de l’étude. Ils s’amusent même en présence du maître, mais non sans précaution, comme des gamins espiègles: « Si tu vois un karanden faire le faraud, dit le proverbe, c’est qu’il est derrière le Karamoko. »
Il y a deux jours de repos par semaine: le jeudi et le vendredi. La coutume diffère sur ce point de la coutume maure et sénégalaise, où le repos va de la mi-mercredi à la mi-vendredi. Le jeudi est donné en souvenir du congé que le Prophète donna aux enfants de la Mecque, en l’honneur de son gendre Ali, qui rentrait triomphant. Le vendredi est un jour férié, où on ne doit pas travailler et où par conséquent le maître ne peut enseigner. Le jeudi est pour les enfants, le vendredi pour le Karamoko.
Les périodes de vacances diffèrent complètement des vacances sénégalaises maures ou arabo-berbères. Il y a deux périodes annuelles (gurte):
- Le mois de Choual ou deuxième mois de l’année lunaire tout entier
- La deuxième décade (du 10 au 20) et quelquefois la troisième aussi (du 20 au 30) du mois de Hidja ou douzième mois de l’année.
Les Karamoko recommandent aux enfants de travailler quelque peu pendant les vacances. Les grands karanden doivent lire chaque jour quelques sourates. Les petits emportent leur planche pour la repasser
Les saisons de forts travaux agricoles amènent aussi une forte diminution dans l’ardeur intellectuelle. Les labeurs assez pénibles des lougans: labour, ensemencements, sarclage, moisson, que les enfants doivent effectuer dans les champs de leur Karamoko, ne leur permettent de rentrer que le soir au village. Aussi, à cette heure, n’ont-ils aucune envie de s’attarder à leur planchette. et le maître leur en fait grâce. Souvent aussi, surtout quand les lougans sont quelque peu éloignés, ils vont passer les cinq jours serviles au dehors, et ne rentrent que le vendredi soir au village. Dans ce cas, le Karamoko leur fait emporter leur planchette, afin de l’étudier quelque peu aux heures de la sieste.
Le régime ordinaire est l’externat. Les enfants rentrent chez eux après les heures de classe. Souvent toutefois, surtout pour les plus grands, ils logent en commun dans une case du gallé du maître et sous sa surveillance. Leur nourriture leur est envoyée par leurs familles et ils mangent ensemble.
Pour les enfants, dont les familles habitent des foulasoo éloignés, cette règle est générale. Les enfants ont alors au village un correspondant alimentaire, qui doit leur envoyer régulièrement, matin et soir, leur petite calebasse de maïs ou de fonio, et qui est défrayé de ses dépenses par les parents. Le Karamoko n’a pas à intervenir.
Les fêtes scolaires sont déterminées par l’arrivée des étudiants à certains points de la connaissance du texte coranique. Elles sont au nombre de six, et on les verra en détail, plus loin, à propos de l’enseignement. Elles sont marquées chaque fois, par des réjouissances culinaires. Les parents envoient au Karamoko, qui les partage avec les enfants, des calebasses de plus en plus abondantes de maïs, de mil ou de fonio. Ils y joignent d’abord une poule, puis un cabri, ensuite un mouton, à la fin, un ou plusieurs boeufs.
Le décorum foula empêche que ces réjouissances soient accompagnées des tam-tams et manifestations bruyantes, qui sont la joie des autres pays noirs. Mais il y a des processions, des échanges de cadeaux, des congratulations, et tous les boubous et pagnes neufs, sortis de leurs coffres et parés d’ornements, témoignent de ces lauriers scolaires.
- L’enseignement. — Le but général de l’école foula est d’apprendre aux Karanden les textes élémentaires du Coran. L’école supérieure visera à leur enseigner les rudiments de l’exégèse et du droit, en un mot à leur faire comprendre en foula, ce qu’enfants ils ont appris par coeur en arabe et sans le saisir.
Entre temps, le Karamoko les initie aux rites de la prière coranique, du zikr des confréries, de la récitation du chapelet, etc., faisant une oeuvre de catéchisme pratique, dont les autres marabouts noirs ne comprennent même pas l’utilité.
La pédagogie de l’enseignement s’établit ainsi :
Jangugol | Lecture |
Windugol | Ecriture |
Firugol | Explication du Coran en Pular, ou exégèse pratique |
Fennyu | Etudes supérieures |
- Jangugol, ou premier cycle de l’enseignement, a pour but d’apprendre aux enfants à lire l’arabe. Il comprend trois parties:
- le Ba (dit à Dinguiraye limto) ou connaissance de l’alphabet
- le Sigi (dit à Dinguiraye hiddio) ou prononciation et épellation
- le Findituru ou rendingol (dit à Dinguiraye taro assemblage des lettres, des sons, et des mots; et lecture.
Le Karamoko commence par tracer sur la planchette de l’enfant le premier mot du Coran bismi « Au nom de » et il lui apprend à chanter, en décomposant les lettres
- ba sin-nyiiyhe miimu ra, c’est-à-dire « le ba, puis le sine qui a des dents, puis le mim qui ressemble au ra»
Cette méthode rappelle tout à fait celle de Lancelot à Port-Royal, et le Jardin des racines grecques: Onos « l’âne qui si bien chante ».
Il continue avec le deuxième mot: « Allah », soit Alif, lam, lam, ha-pibho.
Et ainsi de suite, pour toute la Fatiha, puis pour les dernières sourates du Coran, en les remontant à l’envers jusqu’à Waylun li Kulli (Sourate IV, Hamza).
A ce moment, on considère que le Ba est fini. Toutes les lettres de l’alphabet ont été passées en revue dans leurs diverses positions; elles sont connues.
On revient au début de la Fatiha pour la prononciation proprement dite et l’épellation (Sigi) et on opère sur la même fraction du Coran.
On revient enfin, une troisième fois, sur les mêmes textes pour la lecture proprement dite, et les combinaisons de lettres et de phrases.
Le Jangugol est alors fini, et on fait la première fête scolaire.
Désormais, on va poursuivre sans interruption l’étude du Coran, en le remontant à rebours, suivant la coutume, et en le partageant en six fractions, suivies d’une fête, et qui sont:
- Du début à la sourate IV, Hamza
- De celle-ci à la sourate LLXXII, Al-Malk
- De celle-ci à la sourate Yaasin
- De celle-ci à la sourate Mariama
- De celle-ci à la sourate IX, Tuuba
- De celle-ci à la sourate II, de la Vache
- On n’attend pas la fin du Jangugol pour apprendre les rudiments de l’écriture, ou Windugol.
Le Karamoko invite les karanden au maniement du calame (roseau d’écriture) et leur fait copier un texte, qu’il a écrit lui-même en tête de la planchette. Quand ils sont entraînés à cet exercice, il leur remet une édition du Coran, et leur en fait transcrire chaque jour une fraction. Cet usage du livre chez les Foula s’écarte nettement de la coutume maure où on ne donne un Coran à l’enfant que lorsqu’il en connaît par cœur les sourates. Il est ainsi contraint de les apprendre. Chez les Foula au contraire, I’opinion des maîtres est unanime pour constater que la connaissance mnémonique du Coran a considérablement baissé depuis un quart de siècle et qu’il faut en attribuer les causes à la diffusion dans le pays des Coran à bon marché, à cet usage d’en pourvoir tous les enfants au début de leur éducation, et à l’idée, qui s’est répandue, qu’il était inutile de ressasser indéfiniment le Coran, puisqu’on pouvait l’avoir finalement pour 3 fr. 50 chez le traitant voisin. - Le Jangugol et le Windugol ont mené l’enfant jusqu’à la circoncision. La plus grande partie des karanden n’arrive pas d’ailleurs à l’expiration de ces deux cycles. Ils s’en vont, dès qu’ils sont « Dursubhe » (au singulier « Dursudho »), c’est-à-dire en quelque sorte « gradués » de Coran.
Aussitôt après la circoncision, on entame les études supérieures de théologie, et d’exégèse. C’est le Firugol qui comprend :
- le Kabbhe (ou Tobbhe) correspondant au Tawhid arabe, qui est l’étude de l’unité divine, considérée comme les principes et la base du catéchisme islamique.
- Le Tafsir, exégèse du texte coranique avec interprétation et explication en poul-poullé [Pular].
On [les autorités coloniales française] a fait un certain bruit autour du Kabbhe qu’on a voulu considérer tantôt comme une secte secrète et tantôt comme un mysticisme spécial aux Foula. Kabbhe est tout simplement le mot poul-poullé [Pular] traduisant le terme arabe Tawhid. La science du Kabbhe est dans le cycle des études islamiques l’étude du dogme de l’unité divine, ou, si l’on veut, la théologie dogmatique.
Sur les bases de l’enseignement des Soleymi (Soleymi Bobo et Soleymi Mawnde, c’est-à-dire le petit et le grand Soleymi) ainsi que sur les Barahin de Sanoussi, les Peuls affinés se livrent à des combinaisons de mots, de lettres et de chiffres, chères aux Orientaux et non moins chères aux Occidentaux, si l’on se souvient des luttes académiques des universités du Moyen Age, ou si l’on veut bien ne pas oublier les « récréations intellectuelles » de la troisième page des journaux ou des revues. Il n’y a rien là d’une cabale ou d’une secte. Les initiés sont simplement les plus lettrés, et leurs connaissances mystérieuses ne sont autres que celles du savant qui a approfondi les arcanes du dogme et qui a mangé le fruit de l’arbre de science, ce qui est hors de la portée du captif et du Pullo Buruuro.
Voici quels sont les débuts du Kabbhe, contenus au surplus dans les théologiens arabes, et donnés ici pour détruire l’opinion courante, qui fait de cet enseignement foula une mystérieuse « Kabbale ».
Les livres que Dieu a révélés à l’homme sont au nombre de 104. Mais 100 nous sont inconnus à l’heure actuelle. Les quatre que nous possédons sont:
- Le Pentateuque de Moïse
- Les Psaumes de David
- L’Évangile de Jésus,
- Le Coran de Mahomet; et au surplus, les doctrines des 104 livres révélés sont contenues et condensées dans les quatre derniers.
Les quatre derniers sont contenus et résumés dans le Coran.
Le Coran tient tout entier dans la Fatiha, qui en est le premier chapitre.
La Fatiha tient tout entière dans la formule du début
en arabe, « Bismilaahi Rahmani Rahiimi »
en Pular, En barkinorii Inde Allaahu, Jom Moyyhere Huubhunde, Jom Moyyhere Heeriinde.
en français, « Au nom d’Allah, Clément, Miséricordieux ».
Cette formule est condensée dans Allah. La valeur numérique des lettres qui composent Allah est de 66
A | L | L | AH |
1 | 30 | 30 | 5 |
Ce chiffre de 66 (sittu wa sittuuna, en arabe) est un chiffre sacré qui contient toutes les qualités de Allah (50) et du Prophète Mohammed (16).
Ces qualités divines sont au nombre de 25, positives, à savoir:
- l’existence
- l’éternité
- l’immuabilité, etc.,
et 25 négatives:
- la non-existence
- la contingence
- le changement, etc.
Il en est de même pour les 16 qualités prophétiques.
Les enfants s’assimilent, tout de suite après le Coran, ces enseignements, considérés comme introduction au Kabbhe, et qui sont absolument nécessaires, disent les Karamoko, pour savoir se conduire dans la vie
Un Foula qui ne sait pas ces vérités premières ne peut pas égorger valablement et rituellement un boeuf ou un mouton. Elles sont en effet le fondement de la religion.
L’étude du Kabbhe s’accompagne du Tafsir, ou exégèse et interprétation du texte coranique. Depuis longtemps, les Foula ont admis que leur langue était une langue sainte, venant il est vrai après l’arabe, mais précédant de beaucoup les idiomes des peuples, tant fétichistes que musulmans, qui les entourent. On sait que le Coran ne peut conserver son caractère sacré qu’en gardant sa forme arabe. La traduction en modifierait la composition et le sens. C’est pourquoi, tout dernièrement encore, se basant sur l’opinion de savants musulmans, le grand Cheikh ul-Islam de Istanbul interdisait de traduire le Coran en une langue étrangère quelconque. Or, depuis longtemps, le Coran est traduit journellement en poul-poullé [Pular], soit oralement, soit par écrit. Plusieurs versions, remarquables par leur précision et leur élégance, circulent même parmi les Karamoko du Fouta. Et c’est à l’aide de ces traductions et interprétations que les Foula donnent à leurs karanden une instruction, peut-être moins mnémonique, mais plus intelligente et plus raisonnée, que celle qu’on trouve dans les autres pays noirs.
Outre les ouvrages déjà cités, et qui appartiennent à la littérature arabe (les deux Soleymi, Sanoussi et tous autres commentaires du « Livre »), le Firugol comporte l’étude de plusieurs ouvrages locaux, qui complètent ces études religieuses par des éléments de la science mystique: le Rimah, le Soyouf, le Safinat as-saada et le Djouahir al-Maani. Les trois premiers dûs à Al-Hadj Omar, sont des ouvrages d’ascèse et de mystique. Le dernier, oeuvre du fondateur de la Voie tidiania est une sorte de manuel de piété, à la foi eucologe, bréviaire, et recueil de méditation.
On trouve souvent réunis en un seul volume et imprimés le Djouahir et le Rimah, le premier en texte, le second en marge.
Enfin et pour accentuer encore « ce caractère local » des études religieuses » que M. A. Le Chatelier signalait déjà en 1888, un certain nombre d’ouvrages, écrits en poul-poullé [Pular] par des auteurs foula, sont en honneur dans les universités du pays. Les plus répandus sont:
- un ouvrage de théologie par Ousman dan Fodé, almamy du Haoussa
- un ouvrage de Tierno Saadou Dalen, rituel de prière et de morale et désigné par ses premiers mots: « Jangen Yo Musibbhe » « Lisez, O mes frères »
- un ouvrage de théologie et de droit par Tierno Mamadou Samba, de Mombéya (Ditin) et intitulé « Oogirde Malal » ou Mines de la science
- un ouvrage de droit et d’éthique, le « Kabbhe pular » par le même. Arensdorff en a donné un extrait
- les « Ballafuyee » de Tierno Diadié, poème en l’honneur du Prophète.
Le Firugol se termine par une sorte d’examen subi devant la mosquée, en présence des principaux Karamoko de la région. L’un d’entre eux lit une sourate du Coran généralement vers la fin. Le candidat doit la traduire en Pular, en l’accompagnant de tous commentaires utiles.
Son succès est consacré par le titre de tierno qu’il portera désormais. Un sacrifice de bœuf accompagne cette joute académique.
- Les rares étudiants qui ont achevé le Firugol pénètrent dans le Fennu ou domaine général des sciences islamiques. Rien de nouveau ici. C’est
- l’étude du droit, Fiqh ou «Fiqha » dans la Tohfa, la Rissala, Lakhdari, Khalil et leurs divers commentaires
- l’étude de la langue arabe dans les diverses « Maqamat », Douraid, la Borda, les Moallaqat, etc.
- l’étude de la grammaire dans la Djarroumiya, les Alfiya
- l’étude de la tradition dans les divers recueils de Hadith, etc., etc.
Fort peu, une centaine tout au plus pour tout le Fouta-Diallon ont une teinture générale de cette haute culture islamique. Ce sont les Alfa:
Alfa, d’après les Foula, est une abréviation de Al-Fahim, c’est-à-dire le sagace, le savant », mais paraît être plus simplement un dérivé de Arfa, Arfan, terme mandingue qui signifie « chef, prince »; l’Alfa serait le « prince » de science. Dans la pratique, c’est le titre universitaire qui couronne la fin des études islamiques. C’est le dernier degré de la science, le doctorat si l’on veut, comme le tierno en était le premier degré; licence ou baccalauréat. Il comporte un examen devant la mosquée comme pour l’acquisition du Tierno, et s’accompagne de sacrifices de boeuf. Après quoi, l’Alfa a le droit de porter le turban tout comme l’Almamy, mais la queue retombant dans le dos et non sur l’épaule. Il ne le porte d’ailleurs que le vendredi et les jours de fêtes, tandis que l’Almamy le porte en permanence. Disons en passant, que les deux autres termes, employés au Fouta, Modi et Karamoko, ne sont plus des titres ou grades universitaires, mais de simples appellations, Modi signifiant la profession de maître d’école.
Quant à Waliyu ou Qutubu, ce sont des termes dérivés de l’arabe et bien connus des Foula, qui les emploient pour désigner les marabouts arrivés à la parfaite sainteté (Waliyu) ou à la pleine maîtrise de la science (Qutubu). On ne connaît pas de Qutubu à l’heure actuelle, mais l’opinion courante est que Tierno Aliou Bhoubha Ndiyan du Labé, Tierno Moawiatou de Pita et Tierno Mamadou Chérifou, de Diawia (Labé), sont des Waliyu.
Tierno Aliou Bhoubha Ndiyan, Waliyu du Labe
Il faut ajouter d’ailleurs que quelquefois — peu souvent d’ailleurs — ces divers titres et appellations sont donnés, en dehors de leur signification, par des parents à leurs enfants, comme nom propre, en honneur d’un ami marabout qui en portait le nom justifie.
Des conférences de Karamoko et de lettrés sont en honneur dans certains centres religieux ou instruits. Ils se réunissent à la mosquée, et l’un d’eux lit en arabe et commente en poul-poullé [Pular] un texte de la littérature classique. Ces conférences académiques et religieuses datent de loin, au Fouta. Les plus anciens voyageurs les avaient déjà signalées,
- Méthodes de correction. — Les Foula, peuple frêle et doux, ne sauraient être bien cruels dans leurs méthodes de correction scolaire. Le Karamoko se contente de tirer ou de tordre les oreilles du karanden dissipé, et, si la chose ne suffit pas, de lui infliger une correction de coups de corde ou de coups de fouet, qui au surplus ne doivent pas couper la chair, ni faire couler le sang.
Quand l’enfant est incorrigible, le maître en rend compte au père, et celui-ci fabrique une sorte de petit carcan, consistant en un ou deux bambous, percés, et attachés par une lanière de cuir au cou de l’enfant. Il l’envoie ainsi à l’école, et les gens le raillent, en disant:
« Mauvais enfant; ce n’est pas un enfant, c’est un chien, ce n’est pas nous qui étions ainsi. » Cependant que petits garçons et petites filles courent derrière lui en criant: « Voilà le chien, voilà l’âne. »
Dans certaines régions, à cette humiliation publique, on préfère une vigoureuse fessée. L’enfant est attaché par ses quatre extrémités à un solide bambou. Ainsi couché à terre en boule, il présente au Karamoko ou au père le bon endroit, où le fouet ou le bâton peut s’abattre sans risquer de le blesser.
- Rétribution. —L a rétribution du Karamoko se présente sous plusieurs formes.
Le mercredi d’abord, l’enfant porte souvent un petit cadeau: poignée de mil ou de maïs, kola, etc.
En outre, à intervalles indéterminés, la mère de l’enfant fait tenir au maître des cadeaux qui lui tiennent lieu de casuel: pagne pour sa femme, boubou pour lui, savon, calebasse de grains, une pièce de 2 ou de 5 francs, etc. Le père n’intervient généralement pas dans cette rétribution. On a déjà parlé des fêtes qui accompagnent, à dates fixes, le progrès de l’enfant dans ses études. Le Karamoko reçoit alors d’abondantes prébendes de victuailles.
En fin d’études, qu’elles aient été complètes ou non, le père de famille donne un cadeau substantiel au Karamoko: 1, 2 ou 5 boeufs.
Ces diverses sortes de rémunérations sont appréciables, mais la plus importante est encore le travail que font les karanden aux époques des grands labeurs agricoles, dans les lougans du Karamoko. Il y a là, dans un moment de presse, une très sérieuse économie de main-d’oeuvre. Le Karamoko vit en somme de la récolte de ses champs, sans que lui aient rien coûté, tant les semences, cadeaux des ses parents, que la main-d’œuvre, demandée à ses karanden.
IV
Projet de Medersa.
Il a été question à plusieurs reprises, tant au Gouvernement de la Guinée que dans les sphères du Gouvernement général, de créer une Medersa dans le Fouta-Diallon.
La divergence des vues sur l’emplacement de l’établissement projeté fit traîner cette création en longueur.
Les uns préconisaient Touba. D’un caractère placide, disaient-ils, les Diakanké de Touba ne nous ont jamais donné le moindre sujet de plainte. Leur mosquée, une des plus belles de l’Afrique Occidentale, est entourée des tombeaux des saints protecteurs qui attirent les pèlerinages. Les grandes bibliothèques, possédées par les notables, sont renommées en Guinée. Les relevés des catalogues témoignent d’un large éclectisme. Les talibés étrangers en quête d’une instruction supérieure, accourent nombreux entendre la parole des maîtres; ceux-ci d’ailleurs, pendant la saison chaude, se déplacent pour la plupart et vont chez les grands chefs des pays voisins surveiller l’éducation des enfants. Au cours de ces déplacements, il est naturel qu’ils accroissent leur importance religieuse. L’affluence des étudiants donne à Touba une physionomie spéciale et, dans l’ardeur de leur conviction, les promoteurs de cette création comparaient Touba « à quelque montagne Sainte-Geneviève du Moyen Age avec sa rue du Beurre et ses carrefours. »
Ces arguments ne sont pas justes. S’il est exact que l’enseignement des maîtres Diakanké de Touba était très recherché, il faut spécifier, et la chose est d’importance, que c’était uniquement par les peuples de la Guinée portugaise et de la Casamance, et par les colonies diakanké de la région. Mais les Foula n’ont jamais eu de considérations spéciales pour les marabouts de Touba. Ils les estiment certes, et les bonnes relations des Alfa du Labé avec les Karamoko Diakanké en sont la preuve, mais ce n’est pas à leur école que les étudiants vont puiser la bonne parole islamique. De plus, le principe du classement par race et par bannière religieuse sévit ici, comme partout ailleurs. Or, Diakanké et Qadria s’accompagnent comme s’accompagnent Foula et Tidiania. L’on sait d’autre part que les Tidiania constituent en Afrique noire une confrérie aristocratique très fermée, qui fait de sa doctrine et de ses oraisons spéciales, une sorte de religion épurée dans la religion musulmane, et qui a très souvent du mépris pour les Qadria, représentés comme tièdes et peu fervents. A supposer que quelques karanden Peuls s’égarent à Touba, ils en suivront peut-être les enseignements, mais ils ne prendront pas l’affiliation qadria et échapperont ainsi à l’emprise doctrinaire et politique qu’on voulait prendre sur eux ; s’affilier au Qaderisme, dans l’opinion courante des Foula, c’est presque abdiquer sa race ct c’est en même temps faire preuve de relâchement religieux. Multiples sont les cas de conversion de Qadria au Tidianisme. On n’a vu qu’une seule fois le phénomène de la conversion d’un Tidiani au Qaderisme, et l’individu est quasi considéré comme un renégat.
Il est encore inexact de dire que les tombeaux des saints de Touba attirent les pèlerins. Ces pieuses visites aux sépultures des grands marabouts, si en honneur en Afrique du Nord, sont absolument inconnues en pays noir, chez les Diakanké comme chez les autres peuples islamisés.
Il faut remarquer enfin que Touba est loin d’être le lieu géométrique de l’Islam Guinéen et que ses plus proches voisins sont très souvent fétichistes.
La création d’une Medersa à Touba ne produirait ses effets que sur celles des populations du Gabou et de la Moyenne Casamance qui sont islamisées, et elles ne sont ni très nombreuses ni très islamisées, et de plus, elles sont sises en grande partie sur le territoire de la Guinée portugaise où il parait inutile d’exercer une action politique, avant d’avoir achevé notre tâche chez nous. Elle produirait aussi son effet évidemment sur les petits groupements dérivés de l’obédience diakanké, mais ces groupements sont peu nombreux et dispersés. Elle n’aurait aucune influence dans l’état actuel des choses sur l’Islam foula, et c’est évidemment là un vice rédhibitoire. A toutes ces causes, et surtout pour la dernière, la création d’une Medersa à Touba doit être écartée définitivement.
Au surplus, depuis la mort de Qoutoubo et l’arrestation et l’internement de Karamoko Sankoun, Touba est bien déchue: l’enseignement supérieur y végète. Les raisons proprement universitaires qui pouvaient attirer les étudiants n’existant plus, ce centre ne vit plus que du prestige de son passé.
Les partisans de la création d’une Medersa guinéenne, que le choix de Touba ne satisfaisait pas, ont préconisé Labé.
Le choix de Labé ne présente indéniablement aucune des objections précitées.
Labé, capitale du diiwal foula du même nom, a toujours joui d’une réputation intellectuelle et maraboutique considérable parmi les Fulbhe du Fouta-Diallon. Al-Hadj Omar, à la bannière tidiane de qui l’immense majorité des Foula est ralliée, a sanctifié Labé par un séjour de quelque durée et par son enseignement. Les plus illustres Karamoko du Fouta y sont nés, y ont étudié et y ont professé, y ont consacré des disciples, qui se sont répandus dans les autres diiwe, y sont morts en odeur de sainteté.
On citera parmi ceux de la génération précédente:
parmi ceux de la génération présente, le plus illustre entre eux
- Tierno Aliou Bouba Ndiyan
- son disciple éminent: Karamoko Dalen
Dans le Labé, à Diawia, subsiste le dernier groupement de l’antique voie sadialïa à laquelle, il y a un siècle, le Fouta fut fier d’appartenir, et le siège de la confrérie est l’objet des visites et des pèlerinages des fidèles, dispersés un peu partout dans les misiide foula.
L’influence d’une Medersa à Labé s’exercerait donc directement et de plein pied sur l’élément foula. Elle s’étendrait même quelque peu au dehors, car on y trouve, surtout depuis la décadence de Touba, des talibés venus de la région côtière ou des pays malinké du Haut Niger y chercher un complément d’instruction.
De plus, la population y est très dense, les cultures abondantes, le sol riche; le recrutement d’une clientèle scolaire y eût été des plus faciles.
Le choix de Labé était donc justifié et le serait encore, si l’on donnait suite au projet.
Mais pour finir par où peut-être il aurait fallu commencer, et avant de discuter sur les avantages et les inconvénients de tel ou tel emplacement, la création, elle-même, d’une Medersa en Guinée s’impose-t-elle, ou tout au moins se justifie-t-elle?
Non, pourra-t-on répondre hardiment.
Sous quelque angle qu’on envisage la création d’une medersa, on ne voit pas son utilité en Guinée, ou plus spécialement au Fouta-Diallon. Le recrutement du cadre local des petits fonctionnaires indigènes: interprètes, secrétaires, commis, assesseurs de tribunal, chefs même est assuré, soit par les écoles françaises, soit par l’éducation foula proprement dite, sans autre intervention de notre part que le frottement journalier.
Le point de vue politique est primordial en la matière, et la Medersa d’Afrique occidentale doit être un instrument politique plus encore qu’une pépinière de petits fonctionnaires.
A ce point de vue-là, la création, un moment projetée, se justifie encore moins.
La politique musulmane de l’Afrique occidentale est aujourd’hui très sûre d’elle-même. Vis-à-vis des peuples profondément islamisés et arabisés, telles les tribus maures et sahariennes, nous avons toute une action d’apprivoisement religieux à accomplir; et la Medersa sera le parfait organisme de la canalisation de l’lslam qu’on souhaite. Elle contribuera avec succès au rapprochement et à la bonne harmonie d’une religion où les ferments anti-chrétiens et anti-européens ne manquent pas, et d’une civilisation — la nôtre — où la méfiance et les projets belliqueusement anticléricaux ne font pas défaut non plus C’est pourquoi les établissements de Saint-Louis et de Tombouctou, sis en bordure des pays sahariens, lieux d’attirance des Maures et de leurs disciples, sont si florissants et répondent à toutes les espérances qui présidèrent à leur formation.
En pays noir au contraire ou, malgré les grandes démonstrations extérieures de salam, on a pu constater le peu de profondeur de la morale et le caractère tout superficiel de la foi et de la doctrine islamiques, la création d’un établissement méderséen ne se justifie pas. Par nos méthodes pédagogiques rationnelles, par notre enseignement judicieusement choisi, nos professeurs font en très peu de temps d’excellents arabisants et de très suffisants doctrinaires islamiques, alors que livrés à eux-mêmes, ces étudiants ne seraient devenus que de médiocres Karamoko et n’auraient pas été pourvus par nos soins d’une arme dont ils useront par la suite pour voir et apprendre eux-mêmes ce que nos textes expurgés leur auront voilé, ou ce que notre enseignement aura laissé de côté. Finalement les résultats se tourneront contre nous.
Notre intérêt, sinon nos principes de neutralité religieuse, nous font donc un devoir d’écarter tout établissement de ce genre des pays noirs. C’est pourquoi la Medersa de Djenné a été supprimée au Soudan, et c’est pourquoi celle du Fouta-Diallon ne sera pas créée.
On préconisera au contraire — et très instamment — l’installation d’une école française dans le centre diakanké de Touba, et l’extension de celle de Labé qui a produit, en peu d’années, par la valeur de ses maîtres, comme par le choix de la clientèle scolaire, les plus brillants résultats.
Chapitre IX
L’Islam dans les institutions juridiques
I
L’organisation judiciaire indigène
Comme pour tous les territoires de notre Ouest africain, l’organisation et le fonctionnement de la justice indigène au Fouta-Diallon ont été réglementés par le décret du 16 août 1912, qui constitue la charte judiciaire de l’Afrique Occidentale française.
Ces textes organiques ont été calqués avec assez de bonheur et toutes réserves faites sur l’ancienne organisation.
Celle-ci comprenait, outre les éléments locaux de conciliation des tribunaux de misiide, les tribunaux de diiwal et le tribunal suprême de l’Almamy.
Ces tribunaux étaient composés du chef territorial assisté de deux ou trois notables représentants de la coutume, et Karamoko représentants de la loi écrite.
Ces membres n’étaient pas forcément réunis au lieu de la misiide ou du diiwal, ou à Timbo. Ils restaient dans leur fulasoo, et le chef leur faisait demander des consultations écrites ou verbales.
La compétence n’était pas exactement déterminée. Le tribunal de misiide était en quelque sorte la juridiction des affaires de première instance, et le tribunal de diiwal la juridiction d’appel, et en même temps la juridiction criminelle. Primitivement, ces pouvoirs de répression criminelle n’appartenaient qu’à l’Almamy, mais avec le temps, ils s’étaient décentralisés, soit que les Almamys en eussent fait la concession volontaire aux chefs de diiwe, comme ce fut le cas pour l’Almamy Sori Mawdho, qui donna le droit de haute et basse justice sur son territoire à Tierno Souleyman, chef du Timbi-Touni, soit que les chefs du diiwe eux-mêmes, et ce fut le cas du Labé, aient conquis leur indépendance judiciaire, avec leur quasi-autonomie.
Le tribunal de l’Almamy était surtout la juridiction du diiwal de Timbo, mais il était saisi, à l’occasion, des litiges pendant entre différents diiwe. Il n’avait que rarement
l’occasion d’exercer ses fonctions de grand juge de la communauté musulmane. Les chefs de diiwe réglaient ordinairement, les armes à la main, les contestations qui les divisaient.
Le chef territorial, président du tribunal, ne jugeait guère en personne que les affaires pénales. Pour les litiges civils, ils en rapportait à son cadi, conseiller technique, ou aux notables de son entourage. D’ailleurs, dans ces sortes d’affaires, il convoquait souvent l’assemblée des vieillards et des sages de l’agglomération, la djema, comme on dit en Afrique mineure, le « teekun », comme disent les Foula, et le procès était réglé au cours du palabre. Le rôle judiciaire dc ces « teekoy » était considérable. René Caillié, avec sa perspicacité ordinaire, l’avait déjà remarqué (1827). Il souligne que pour le règlement des litiges « on allait rarement trouver les chefs ».
La justice était rendue dans la case même du chef ou sous sa véranda ou dans l’enceinte extérieure de la mosquée, sous les orangers. C’était le mbatirdu ou prétoire. Il était permis de se faire défendre par ses parents et amis. Il n’était pas défendu d’offrir des épices aux juges. D’ailleurs le juriste musulman n’a-t-il pas dit: « Si tu as raison et qu’on te donne tort, tu peux donner un cadeau au juge pour obtenir gain de cause » ? Et l’on sait que les plaideurs ont tous et toujours raison.
La procédure était des plus simples. On signalera ici celle de la preuve qui peut être conservée dans l’état actuel des choses. La preuve écrite avait pleine valeur, mais était extrêmement rare. L’instruction est pourtant répandue, et la majorité des Foula, au moins les gens de condition libre, sont susceptibles de rédiger en arabe ou en poul-poullé [Pular], avec ou sans faute, un document d’une certaine importance. Malgré ces conditions favorables, la preuve par écrit ne s’est pas établie.
La preuve testimoniale était la plus courante. Le plaideur devait, pour obtenir gain de cause, produire au moins un témoin et compléter cette déposition par son propre serment. Quand il pouvait produire plusieurs témoins, on ne lui demandait pas de serment. Ici, comme au quinzième siècle chez nous, « la vive voix passe vigueur de lettre » et le témoignage oral de deux témoins, offrant des garanties de sincérité et d’honorabilité, a force probante complète. Il n’est pas même certain que la déposition écrite de ces mêmes témoins ait une valeur probatoire égale.
Les témoins n’étaient pas astreints au serment.
Les femmes peuvent être témoins. Leur déposition n’a pas toutefois une valeur égale à celle d’un homme. Le coefficient de valeur n’est pas défini. Les cas d’espèce diffèrent.
L’aveu est aussi un des modes de preuves ordinaires, et le juge peut difficilement ne pas l’admettre.
La composition des tribunaux indigènes du Fouta-Diallon a été fixée par un arrêté du Lieutenant-Gouverneur de la Guinée, en date du 22 février 1915, paru au Journal Officiel de la Colonie, le 1er mars suivant.
En voici la nomenclature résumée:
- Tribunal de cercle de Mamou, dont le premier assesseur est l’Almamy Oumarou Bademba, le dernier des Almamys Soriya.
- Tribunal de subdivision de Mamou, dont le président est Modi Ibrahima, fils de l’Almamy Oumarou Bademba.
Ces deux tribunaux comprennent des jeux d’assesseurs supplémentaires malinké et bambara, pour les éléments ethniques qui habitent le territoire.
- Tribunal de subdivision de Mamou, dont le président est Modi Ibrahima, fils de l’Almamy Oumarou Bademba.
- Tribunal de cercle de Timbo. Tribunaux de subdivision de
- Timbo
- Ditin.
- Tribunal de cercle de Pita. Tribunaux de subdivision de
- Timbi-Touni
- Timbi-Médina
- Maci
- Télimélé-Foula Télimélé-Soussou.
Le président et les assesseurs de ces tribunaux sont tous musulmans. Il semble que le tribunal de subdivision de Télimélé-Soussou devrait être complété par un jeu d’assesseurs soussou fétichistes. On éviterait ainsi de travailler officiellement à l’islamisation des Soussou, dont la plus grande partie est encore fétichiste, et on assurerait ainsi à cette catégorie intéressante de justiciables des juges de leur statut.
- Tribunaux de cercle de Labé, Tribunaux de subdivision de
- Labe
- Mali
- Tougué.
Le tribunal de subdivision de Labé est présidé par Tierno Aliou Bouba Ndiyan, le Karamoko foula actuellement le plus vénéré du Fouta-Diallon.
Le tribunal de subdivision de Mali est double; la première chambre est musulmane, la seconde est de statut coutumier à l’usage des Diallonké et Bambara fétichistes.
- Tribunal de cercle de Koumbia. Tribunaux de subdivision de
- Koumbia
- Kadé
- Youkounkoun. Le tribunal de subdivision de Youkounkoun comprend deux chambres: l’une musulmane, l’autre de statut coutumier à l’usage des Coniagui et Bassari fétichistes. Il semble qu’une troisième chambre devrait être prévue pour la communauté chrétienne assez florissante des Coniagui et des Bassari. Son éducation religieuse la rapproche singulièrement de notre niveau moral et lui infuse nombre de pratiques et de règles juridiques qui s’écartent sensiblement du droit coutumier de leurs frères, restés fétichistes. La création de cette chambre, ou tout au moins d’un jeu d’assesseurs, répondrait à l’esprit et à la lettre du décret du 16 août 1916 qui assure à toutes les catégories de justiciables une juridiction de leur statut.
- Tribunal de cercle de Dinguiraye. Tribunaux de subdivision de
- Dinguiraye
- Bissikrima
Le tribunal de subdivision de Dinguiraye est présidé par Amadou Habibou, chef de la province et petit-fils d’Al-Hadj Omar.
Le tribunal de subdivision de Bissikrima comprend un jeu d’assesseurs de statut coutumier, à l’usage des Malinké fétichistes.
Le prétoire ou mbatirdu n’a pas varié; c’est quelquefois la case du chef ou l’enceinte de la mosquée; c’est le plus souvent la véranda du bureau du cercle ou du poste ou une case spéciale élevée par les soins de l’autorité, à proximité du dit bureau.
Deux critiques ont été émises sur la composition des tribunaux indigènes du Fouta-Diallon, telle qu’elle a été exposée.
La première est générale et a été formulée tant par les administrateurs que par l’élément indigène: les changements du personnel judiciaire sont trop fréquents. Cette règle singulière s’est même établie en Guinée que les juges devaient être changes tous les ans. Rien n’est plus nuisible au bon fonctionnement la justice, et en très peu d’années le recrutement devient impossible. Sans doute possible, il faut revenir ici au principe général appliqué en Afrique Occidentale: les fonctions de juge indigène sont permanentes, et ne doivent prendre fin qu’à la mort, à la démission ou à la révocation du titulaire. La seconde critique émane des Karamoko. Juste en principe, elle serait peut-être moins justifiée dans la pratique et parait formulée par des ambitieux, désireux d’occuper ces fonctions. On dit: « Le juge doit être savant et connaître parfaitement la loi écrite et la coutume. En effet, la plupart du temps le commandement ne fait qu’accepter, avec fort peu de modifications, les avis des assesseurs du tribunal de cercle qu’il préside ou les jugements des tribunaux de subdivision qu’il contrôle et dont il assure l’exécution. Il faut donc que les juges, qui jouissent ainsi de la pleine indépendance judiciaire, soient des hommes pieux, savants et considérés.
Il est hors de doute qu’il faille tenir compte de ces desiderata et choisir avec beaucoup de circonspection le personnel des tribunaux indigènes. Les Karamoko font en effet l’opinion politique dans le monde foula, et il faut éviter à tout prix que la suspicion ou la déconsidération atteigne de leur fait nos tribunaux indigènes. Mais il faut d’autre part éviter le danger de faire des tribunaux indigènes des juridictions foncièrement musulmanes, et on s’exposerait à ce danger en choisissant uniquement comme juges des lettrés, toujours désireux de faire montre de leurs connaissances coraniques, et par piété et conviction de les appliquer. Les Karamoko trouvent qu’il y a trop de chefs et de notables dans le personnel judiciaire et point assez de grands lettrés. Or les chefs, pour être moins instruits, ont avec l’habitude du commandement, plus de connaissances des besoins pratiques des populations, et de leurs coutumes juridiques et traditionnelles L’idéologie religieuse est rarement leur fait, et c’est précisément pourquoi ils doivent être largement représentés dans les juridictions indigènes. Il y a donc une juste proportion à garder, et c’est aux administrateurs à user du plus large opportunisme, suivant les contingences et les personnalités.
II
L’Islam et le droit coutumier
Il n’est pas question ici d’entreprendre une étude approfondie du droit coutumier des Foula du Fouta-Diallon et des Toucouleurs de Dinguiraye. La matière exigerait un ouvrage tout entier, et au surplus il faudrait compléter cette étude par les nombreuses efflorescences coutumières, qui se manifestent dans les institutions juridiques des classes inférieures de la société foula, à savoir la masse diallonké, libre socialement, mais politiquement et économiquement asservie, et les très nombreux captifs diallonké, malinké, bambara, soussou, tenda, etc.
Il suffira dans cette étude fractionnée de l’lslam guinéen de faire ce que j’ai déjà tenté d’effectuer pour l’Islam sénégalais : prendre ce qu’on pourrait appeler les « institutions fondamentales » de tout droit, noter dans une succession de rapides monographies d’ensemble les côtés par où l’empreinte islamique s’est peu ou prou fait sentir, et signaler en même temps les déformations que l’attachement de ces peuples foula et toucouleur à leurs coutumes ancestrales, mos majorum, a fait subir à ce droit d’importation.
Au surplus, le droit musulman semble avoir constitué plus d’une fois l’arsenal où Karamoko, Almamy et chefs territoriaux puisaient des arguments juridiques, pour justifier leurs abus et coups de force.
Quant à la coutume, elle est par définition et la plupart du temps, fort mal déterminée, changeant avec le temps, les lieux et les circonstances. Elle a été plus d’une fois enfantée par l’arbitraire des puissants du jour.
La situation parait aujourd’hui en voie de transformation. Le Fouta juridique cherche son assiette. Le fonds des institutions du droit est toujours constitué par la coutume antique, doublée du droit musulman; mais avec ce fait nouveau; I’occupation française, des textes, des règlements, des ordres apparaissent dont il faut bien que le juge tienne compte, auxquels le souple foula sait parfaitement s’adapter. Ce n’est donc plus le règne de la coutume islamisée et ce n’est pas encore celui de la loi. C’est le stade de la jurisprudence, et ce sont les tribunaux indigènes qui travaillent cette jonction du passé et de l’avenir par l’élaboration d’un droit prétorien.
- Institutions civiles.
A. Famille. — La famille foula est nettement patriarcale, comme aussi la famille toucouleure du Dinguiraye. Elle est à la base même de la société foula, comme à celle des autres peuples moins avancés et moins islamisés (Pulli, Diallonké…) qui habitent le Fouta. Nulle part on n’y trouve cette promiscuité générale, ni sa forme restreinte, la polyandrie, que l’école matérialiste a mise à l’aurore des premières civilisations. Aucun vestige ne permet même de supposer qu’elles ont existé. La famille est la cellule initiale des sociétés fouta-diallonké, comme elle est le noyau de leur vie sociale ; et cet état de choses, conforme aux institutions de l’Islam, n’est pas sans avoir favorisé indirectement au moins le succès de cette religion.
Le père est le chef incontesté de la famille. A sa mort, ses fils et ses filles non mariés, restent sous l’autorité du fils aîné. Quant aux femmes du défunt, elles se dispersent dans leurs propres familles, et rentrent sous l’autorité paternelle en attendant de pouvoir se remarier au plus vite. Celles qui ont de grands enfants et ne veulent pas quitter le carré conjugal peuvent y demeurer, mais alors l’autorité du fils aîné s’étend sur elles comme sur les autres membres du groupement familial. C’est lui en particulier qui, le cas échéant, donnera ces veuves de son père, y compris sa mère, en mariage.
L’autorité politique du défunt, si sous ce nom on veut comprendre ses fonctions administratives, quand il en a, et en tout cas, sa notabilité, son influence, l’hérédité du nom et des gestes ancestraux, passent au frère du défunt, et après lui aux frères suivants, pour revenir finalement au fils aîné du défunt. Cette situation lui vaut d’être consulté dans le cas de remariage de ses belles-soeurs.
Le lévirat est couramment pratiqué en pays foula, ainsi d’ailleurs qu’à Dinguiraye et chez les colonies malinké du Fouta-Diallon. Les Toucouleurs toutefois, plus fidèles observateurs du Coran, ne considèrent pas, à l’instar des Foula, le lévirat comme une institution quasi obligatoire. Pratiquement tout Foula, qui n’a pas encore ses quatre femmes, admet au nombre de ses épouses légitimes la veuve de son frère aîné ou cadet. Celle-ci peut d’ailleurs ne pas accepter la coutume, mais le cas est des plus rares. Chez les Malinké, la règle est plus dure encore, et le lévirat est obligatoire.
Le carré familial ou galle, comprend nécessairement:
- une case pour le mari; elle porte trois noms:
- case du chef de galle
- case de l’homme
- case de palabres
- une case pour chacune des femmes.
- Il faut y ajouter la plupart du temps une case pour les enfants déjà grands, et une ou plusieurs cases pour les invités, hôtes et parents de passage.
Dans le Dinguiraye , les femmes se partagent, dans un ordre très rigoureux, les journées de leur mari. Chacune a droit à son jour qui commence et finit à six heures du soir. Quand le mari veut rester seul, il le signifie à l’intéressée, mais il n’a pas le droit de faire venir une autre femme dans sa case, et on peut croire que la femme délaissée surveille étroitement ses coépouses. Si trois fois de suite son tour est ainsi passé, elle dépose une plainte devant le tribunal de conciliation du village pour faire adresser des remontrances à son mari, ou même devant la juridiction compétente pour faire prononcer le divorce en sa faveur. C’est une injure qu’une femme toucouleure ne supporte pas. Au surplus, l’obligation du tour de rôle entre les femmes ne signifie pas autre chose que cohabitation avec le mari. Malgré la vigueur génésique bien connue du noir, il ne suffirait pas à la tâche, s’il fallait aller, chaque nuit, plus loin.
Les femmes foula sont beaucoup moins rigoristes sur leurs droits. Le tour de rôle est plus large . quoiqu’il arrive généralement tous les jours, il peut se reproduire tous les trois jours, tous les sept jours, tous les quinze jours même. La femme, peu jalouse, reste facilement dans sa case, si le mari ne la fait pas demander. Les maris foula reconnaissent eux-mêmes qu’il n’y a pas une « grande justice » dans le partage de leur temps entre leurs femmes. Quant aux femmes mêmes, le fait est surprenant mais hors de doute, elles servent d’entremetteuses à leur mari et lui procurent, pour avoir la paix conjugale et la liberté d’allures dont elles ne se font pas faute d’user, des femmes du dehors.
Les relations serviles sont une des sources ordinaires de la famille foula et toucouleure. Tout homme libre a une ou plusieurs concubines (jaariyabhe, en poul-poullé, de l’arabe djaria; taarabhe en toucouleur). Ce sont des captives, admises dans le lit du maître. La naissance d’un enfant entraîne d’office l’affranchissement pour elle et la condition d’homme libre pour l’enfant. Elle n’est plus taarajo ou jaariyajo, elle est ummul waladi, terme dérivé de l’arabe: « la mère des enfants ». Sa nouvelle situation ne lui confère pas de droit à la succession du maître, mais ses enfants ont les mêmes droits successoraux que les enfants légitimes.
Malgré la suppression officielle de la captivité, ces problèmes juridiques se posent encore de nos jours, car un homme libre n’admettra pas une jaariyajo au nombre de ses épouses légitimes. Si la servitude n’existe plus, le concubinage n’est pas interdit. Or, captive et concubine étant une même personne, les règles qui les régissent sont les mêmes, et les tribunaux indigènes continuent à appliquer le droit coutumier et la loi coranique dans les cas d’espèce, toutefois, ce n’est plus à la captive qu’ils les appliquent, mais à la concubine.
La concubine ne peut pas contracter union avec un homme sans l’assentiment de son maître, même s’il l’a chassée de son galle. Cet assentiment n’est donné que contre une indemnité, le garibal (Dinguiraye) qui signifie étymologiquement « mouton castré », parce que c’est en un mouton qu’ordinairement elle consiste, mais qui peut être tout autre chose Dans le Fouta, les Almamy et chefs mariaient quelquefois leurs concubines à leurs mbatula ou à des notables, surtout quand ils n’étaient pas contents d’elles. Le consentement de la concubine est aussi requis, quand elle a eu des enfants, et elle doit toucher une dot qui lui appartiendra.
La jaariyajo qui a eu des enfants de son maître, et qui par conséquent est devenue libre, contracte par sa nouvelle union un véritable mariage, et elle a tous les droits d’une femme légitime sur la succession de son nouveau mari.
A remarquer que les enfants de cette union ne peuvent pas entrer en possession de leur part d’héritage, tant que le premier maître vit encore, à moins qu’il ne déclare devant témoins, et ordinairement à la mosquée, qu’il ne fait d’opposition à cet envoi en possession
Les captifs d’hier, ou serviteurs d’aujourd’hui, font partie de la famille globale. Si ceux qui ont été achetés (soodadho) ou faits prisonniers de guerre fellaadho) sont un peu considérés comme bétail et monnaie d’échange, ceux qui sont nés dans le galle du maître, les « captifs de case » comme on les appelle, les dima, ne sont pas autrement traités que le fils du maître. Il n’y a, pour ainsi dire, pas d’exemples qu’ils soient vendus! Le maître pourvoit à tous leurs besoins et les marie. Quand le fils de famille convole en justes noces, certains s’attachent à lui et le suivent dans son nouveau mariage. Les captifs prient à la mosquée à côté de leur maître et la plupart du temps sont aussi bien habillés que lui. Ils sont quelquefois plus riches que lui.
L’affranchissement était pratiqué, quoique assez rarement. Il était surtout l’oeuvre de Karamoko voulant donner un pieux exemple, ou de chefs politiques voulant récompenser de fidèles serviteurs. Le captif libéré ne se séparait pas ordinairement de son maître de la veille et continuait à vivre de la même vie que par le passé, mais sous le nom de disciple. A la mort du maître, ils abandonnaient généralement le galle, car les fils de famille les méprisaient et ne se résignaient pas à les regarder comme leurs égaux. Beaucoup même, avec le temps, affectaient de les considérer comme non affranchis et les poursuivaient et les tracassaient comme tels. La suppression officielle de la captivité en 1907 a laissé subsister une distinction très nette entre les affranchis de l’ancien régime, qui sont traités aujourd’hui en hommes libres, et les affranchis de la France qu’on regarde et regardera longtemps encore comme des gens d’une caste inférieure.
Les filles affranchies sortaient peu de la famille. Elles se mariaient avec des enfants ou clients dévoués du maître.
A l’intérieur de la famille, les relations entre frères et soeurs sont loin d’être toujours bonnes. Elles arrivent même quelquefois à l’état d’hostilité et de jalousie le plus aigu et se dénouent par l’assassinat. Il y a presque toujours rivalité entre les enfants de différents lits. C’est ici — et souvent ailleurs — une des plus fâcheuses conséquences de la polygamie. Le terme de « frère » tout seul n’implique guère d’affection, mais quand on a dit: « C’est son frère de père et de mère », on a donné le summum de la cordialité et des relations affectueuses.
- Le Mariage. — La polygamie est universellement pratiquée et les ménages polygames sont de beaucoup supérieurs en nombre aux ménages monogames.
La population est en moyenne la suivante. Sur dix Foula mariés:
- Deux ont une femme
- Quatre ont deux femmes
- Deux ont trois femmes
- Deux ont quatre femmes.
Sur dix Toucouleurs mariés:
- Deux ont une femme
- Trois ont deux femmes
- Deux ont quatre femmes
ce qui fait donc une moyenne de vingt-quatre à vingt-cinq épouses légitimes pour dix hommes Cette disproportion est encore accentuée par les multiples servantes et concubines que les Foula libres entretiennent dans le galle.
Comme au Fouta-Diallon, comme partout ailleurs, le nombre des femmes est sensiblement égal ou à peine supérieur au nombre des hommes, il s’ensuit qu’un grand nombre d’hommes ne peuvent pas se marier. La correction se fait par l’adultère qui est d’un usage extrêmement courant, et est entré pratiquement dans les moeurs. Les Foula sont d’une étonnante libéralité dans cette matière. Certains villages, comme le gros bourg de Sigira Mawnde, dans le Koyin, ont même la réputation d’encourager l’adultère des femmes pour l’exploiter par l’escroquerie. Le Ouali de Goumba se plaignait amèrement dans des lettres personnelles que son fils Taïfourou fit des propositions à toutes ses femmes. Les unes venaient le dire, et cette plainte le rassurait. Mais les autres se taisaient et ce silence était aussi inquiétant que celui des moustiques: il annonçait le danger. Aussi n’est-il pas exagéré d’estimer à plus de la moitié le nombre des ménages renfermant des enfants adultérins. Les maris tolèrent ouvertement que leurs femmes aient des amants et soient entretenues par eux, et ces prétendus sigisbées, camarades d’enfance, et coeurs dévoués et désintéressés qui ont été signalés par certains auteurs, ne sont pas autre chose que leurs amants. Chez les Malinké peut-être, cette camaraderie, cette « amitié spéciale » si l’on veut, n’a pas des conséquences aussi radicales que chez les Foula. Les Toucouleurs sont bien plus sévères sur ce chapitre. C’est donc une erreur profonde que de prétendre, comme l’ont fait certains auteurs orientaux et même certains polémistes européens, que la polygamie est une institution des plus heureuses. Elle a entraîné au Fouta-Diallon un relâchement complet du lien familial et une grande dissolution des moeurs.
Le mari n’est pas polygame dès le premier jour. Ce n’est guère qu’à partir de la deuxième année qu’il prend une seconde femme, peu après que la première est immobilisée par l’allaitement et les grossesses subséquentes. Par la suite, les femmes se multiplient rapidement; la fréquence des divorces permet de les renouveler sans arrêt.
Les beaux-parents conservent une grande influence sur leur fille après son mariage. Le gendre a une grande déférence envers son beau-père. Le dicton foula dit:
« Celui qui se bat avec son beau-père et le met à terre peut s’asseoir et attendre: son mariage est cassé »
signifiant par là que la femme prendra parti pour son père et abandonnera son mari. La belle-mère s’entremet perpétuellement dans les discussions de ménage. Foula et Toucouleurs sont d’accord pour reconnaître qu’elle y a un rôle fâcheux. Elle dit à la fille: « Tu ne peux pas supporter cela. On n’a jamais vu rien de tel. Tu es femme, tu es belle, tu te remarieras. Un tel te recherche, etc. » Aussi le proverbe local dit-il :
«Tant qu’on n’a pas enterré sa belle-mère, on n’a pas de femme. »
Et le proverbe, toucouleur de Dinguiraye complète-t-il:
« Si le martin-pêcheur peut faire ce qu’il veut dans l’eau, la pochette de sa belle-mère vient de s’y noyer »
signifiant par là qu’il ne portera secours ni à la pochette, ni à celle qui la porte.
Les femmes d’un même mari sont extrêmement jalouses Dans le Dinguiraye, les disputes sont fréquentes, et très souvent le divorce par la volonté de la femme lésée, ou prétendue telle, s’ensuit. Cet état d’hostilité fait que chacune vit chez soi, entretient peu de relations avec sa compagne et ne lui fait pas ces mille petits cadeaux et échanges dont les noirs sont coutumiers. Aussi la chose est-elle, passée en proverbe et le Toucouleur dit à son ami qui ne lui fait qu’un présent de minime importance :
« Quelle chose insignifiante me donnes-tu là ! C’est le cadeau d’une femme à sa co-épouse ! »
Chez les Foula, la bonne harmonie est moins souvent troublée, mais la jalousie est non moins extrême. Quand Karamoko Dalen rentra de Dakar où il avait été convoqué par le Gouverneur général, il constata qu’une de ses femmes manquait dans son harem de Timbo, et il eut toutes sortes de peines à conserver les deux autres.
Les trois épouses n’admettaient pas en effet qu’il eût emmené la quatrième seule. Il y eut de même de grands conflits entre les femmes, au sujet des cadeaux rapportés. Celles qui étaient restées trouvaient que l’autre était mieux partagée, et le mari dut déguiser la vérité pour avoir la paix, et déclarer que ce n’était pas lui l’auteur de ces cadeaux, mais ses amis de Dakar.
Ces dissensions intestines ne sont pourtant pas les plus fortes, puisque le proverbe foula dit:
« La rivalité entre les femmes de deux frères a vaincu la rivalité entre coépouses. »
Il n’y a pas, à proprement parler, de fiançailles, mais on trouve souvent des promesses d’union échangées entre les parents au sujet de leurs enfants en bas âge. C’est vers l’âge de dix ans chez les Toucouleurs, de sept à huit ans chez les Foula que ces enfants sont ainsi engagés, et cet engagement n’a pas d’ailleurs de valeur juridique. Les parents du garçon font à l’occasion des grandes fêtes, de petits cadeaux à la jeune fille: pagne, boubou, foulard, bijou… L’avare Foula tient un compte soigneux de ces dons, et si par la suite le père de la jeune fille reprend sa parole, il doit rendre intégralement les cadeaux. Si c’est le père du garçon qui ne veut pas donner suite à la promesse d’union, il n’a rien à réclamer. Dans la caste des cordonniers et chez les Malinké, cette institution est d’un usage courant.
Les conditions requises pour le mariage ne diffèrent pas de celles du droit musulman: majorité ou puberté convenable, santé, ressources suffisantes, et en plus, pour la jeune fille, consentement soit du père, si elle est vierge, soit d’elle-même si elle a déjà été mariée. Ce droit de contrainte matrimoniale est dévolu au père, ou à son défaut, à son fils aîné, ou au tuteur testamentaire. Il ne s’exerce pas d’ailleurs avec la sévérité des pays arabes. Il est très rare de voir une jeune fille mariée d’office et contre sa volonté. A Dinguiraye, où on se pique d un Islam plus rigoureux, il arrive que le père passe par-dessus les désirs de la jeune fille. Celle-ci d’ailleurs n’ose pas protester trop haut, car elle s’attirerait, avec une réputation déplorable, les railleries du village. Mais il y a une contrepartie immédiate: elle reprend sa liberté par le divorce dans le plus bref délai. On cite plusieurs cas où, du consentement du père, le mariage ne s’est fait qu’à la condition de rupture dans la huitaine. Et aussitôt après, devenue libre et échappant cette fois à la contrainte (djabr), elle épousait l’objet de ses rêves
La dot est une condition essentielle du mariage. A Dinguiraye, elle est classiquement de 500 francs, 5 bœufs ou 3 captifs. Mais ces chiffres sont fictifs; une partie seulement en est payée, avant le mariage; le reste ne sera jamais versé. C’est pourquoi on voit des Toucouleurs de la condition la plus modeste promettre pour la galerie les quinze boeufs réglementaires et en donner un. Le chiffre élevé fait honneur au prétendant, comme à la jeune fille et à leurs familles. Il ne faut pas que les tribunaux le prennent au sérieux. Le chiffre réel est fixé, après débat, à la mosquée, au sortir de la prière. Le débat a lieu publiquement entre les pères, ce qui assure les témoignages nécessaires en cas de contestation et une publicité convenable pour le futur mariage. La dot, ordinairement versée aujourd’hui, est de 100 à 150 francs ou de 2 à 3 boeufs. Cette tractation est suivie d’une petite cérémonie religieuse: le Karamoko lit une sourate du Coran pour sanctionner l’accord, et en même temps le mariage, puisque les conjoints ne viendront pas à la mosquée. Dans le Fouta, la dot est ordinairement de 5 boeufs ou d’un captif, elle ne consiste presque jamais en argent. Les fils des Almamys de Timbo ou des chefs de Labé devaient donner deux captifs. Les descendants de Karamoko Alfa n’ont longtemps donné, sur l’ordre de leur père, qu’une génisse et un boeuf. Aujourd’hui encore, ils manifestent cette prétention. Chez les Pulli ou Fulbhe Buruure, la dot est plus modeste que pour le commun des Foula: elle consiste en un boeuf et une vache : Elle est payée sur-le-champ, en entier, devant les membres de la famille de la jeune fille. Il n’y a donc pas de complément à payer dans l’avenir.
Pour les captives, la dot était souvent versée au chef du runde (saatigi ou manga) qui en donnait une partie aux parents et gardait le reste pour lui. Quelquefois, il gardait le tout. Avec la réaction actuelle, certains ont argué que ces mariages étaient inexistants. C’est évidemment à tort : du fait que le père n’a rien reçu on ne saurait conclure à l’absence de dot et à la nullité du mariage.
La suppression de la captivité n’a pas supprimé tous les problèmes qui s’y rattachent. Souvent, par exemple, la femme légitime, pour retenir son mari à la maison, introduit sa propre captive dans la couche de son mari. Le divorce intervient, et la captive, plus attachée à sa maîtresse seigneur d’une nuit, veut suivre celle-ci; si elle est devenue femme légitime, elle doit rester au domicile conjugal, ou du moins rembourser la dot. Si elle n’était que concubine (ou captive), elle est libre de sa personne et peut aller où bon lui semble.
La pratique de l’enlèvement (diflade) est des plus rares en pays foula ou toucouleur. Ce n’est pas que les jeunes gens se privent de conter fleurette, et plus, aux jeunes filles, mais on ne les enlève pas dans le but de forcer la main aux parents qui se refuseraient au mariage. Un Karamoko, qui connaît quelque peu ce néo-français que parlent les gardes de cercle et les anciens tirailleurs, disait avec crudité:
« On vole la calebasse, mais pas la fille. »
Les jeunes gens coupables de relations illicites sont frappés et injuriés. A la lisière du Fouta, les Foula Kounda pratiquent au contraire couramment l’enlèvement de la jeune fille.
Les empêchements à mariage ne sont jamais dirimants, sauf dans le cas de parenté en ligne directe. La différence de religion est le cas le plus observé, mais n’est pas absolue, surtout chez les grands. On cite plusieurs nobles foula, y compris des Almamys de Timbo et des Alfa du Labé, et des personnalités toucouleures, qui ont épousé des femmes infidèles et qui ne leur ont jamais fait faire le salam. L’Almamy Aguibou, à Dinguiraye, avait épousé une Kafira qui continua à pratiquer dans le galle conjugal ses pratiques fétichistes. Bien plus, il avait marié sa fille Kadidiatou à un chef malinké de Siguirindi (Siguiri), et celle-ci ne tarda pas à
abandonner la prière et à manger et boire comme son mari. Cet exemple s’est rencontré aussi maintes fois au Fouta et, si l’on en croit la rumeur publique, il tendrait aujourd’hui à se développer.
Les diverses cérémonies qui accompagnent l’union sont décrites à la monographie sociale du mariage. Il suffit de dire ici que la jeune femme non reconnue vierge par son époux peut être renvoyée dans sa famille, ce qui est loin d’être le cas général, et qu’alors la restitution de la dot et des cadeaux, mais non des frais du mariage, s’impose.
La jeune femme entre en ménage avec un douaire (sogge) que lui a constitué son père. Ce douaire se compose d’abord de la dot, et aussi de quelques boeufs, bijoux et hardes provenant de sa famille. Les meubles restent dans la case de la femme; les boeufs entrent dans le troupeau du mari, mais demeurent la propriété indubitable de la femme qui les administre comme elle l’entend. Son droit de disposition est complet, sous la seule condition de l’assentiment du mari, qui au surplus ne peut pas faire d’opposition sans causes légitimes. Les maris dilapident souvent les biens de leurs femmes, sans que celles-ci y fassent une opposition bien sérieuse.
Les devoirs réciproques des époux sont les mêmes que ceux fixés dans le droit musulman. Celui sur lequel on insiste le plus est l’entretien de la femme par le mari. Il lui doit la ration journalière, ou hebdomadaire, ou mensuelle, de grain. Il lui doit en outre, au moment de la récolte, des cadeaux de grains, proportionnés au douaire qu’elle a apporté. Pendant son absence, le mari doit une pension alimentaire à sa femme. Le défaut de pension entraîne le divorce au profit de la femme, qui prend son douaire avec sa liberté, et se retire chez ses parents.
Le droit de correction est universellement reconnu au mari. Il consiste en coups de corde, à condition que la corde ne coupe pas la chair, et en coups de bâton. La modération est recommandée. La brutalité exagérée est une cause de divorce. Les Foula, et surtout les Toucouleurs, ne se gênent pas pour user de leur droit, et le fouet de la case sert aussi bien pour les femmes que pour les enfants.
La femme doit travailler aux champs de son mari, soit de ses propres mains et avec les captifs si elle est de condition modeste, soit comme surveillante des travailleurs. Les mères et femmes des Almamys et chefs de diiwe tenaient à donner le bon exemple dans cette matière. On les voyait présider à tous les travaux agricoles. Elles continuent aujourd’hui la tradition. Les diverses femmes d’un mari se piquent d’émulation et veulent toutes avoir mis en valeur des lougans plus vastes que ceux de leurs compagnes. Pendant ce temps, les maris foula prient pour les travailleurs ou palabrent sous les orangers voisins. Peu d’entre eux participent au labeur des femmes ou des captifs.
On a vu plus haut comment est appliqué le devoir de fidélité conjugale. Les époux se reprochent mutuellement leurs fautes, ce qui paraîtrait bien choquant à un Arabo-Berbère.
« La femme suit son mari qui sort la nuit, disent les Foula; elle constate ce qui se passe et en fait autant. Elle ne se cache pas d’ailleurs, et si son mari le lui reproche ou la bat, elle lui répond : Tu es le plus fort, tu es le maître; bats-moi, mais je ne fais que ce que tu fais. »
L’adultère entraîne très rarement le divorce. Il faut qu’il tourne au scandale, pour que le mari se décide à renvoyer sa femme. D’après les notables foula, le nombre des adultères aurait encore augmenté depuis la conquête française, à la suite de la suppression des châtiments corporels.
Les Foula paraissent croire à la justice immanente dans cette matière de la fidélité conjugale. Leur proverbe dit:
« Celui qui mange à petites bouchées (qui croque) la tête de son voisin verra tôt ou tard sa tête mangée de la même façon. »
- Le divorce. Le divorce est relativement rare chez les Foula, patients, peu jaloux, peu exigeants sur leurs prérogatives maritales. Au surplus, on ne s’enrichit pas à de perpétuelles répudiations, et le pingre, Foula le constate dans son proverbe :
« Trois personnes meurent dans la pauvreté :
celui qui n’épouse que pour répudier
celui qui a beaucoup de dettes
et celui qui ne s’installe que pour déménager. »
Il est au contraire extrêmement fréquent chez les Toucouleurs du Dinguiraye. On n’y rencontre pas un seul ménage où, à un âge avancé, la première femme soit encore femme légitime; tandis que ce cas se rencontre assez souvent dans le Fouta-Diallon. C’est ainsi que le chef actuel de Timbo, Alfa Oumarou, fils de l’Almamy Ahmadou, a toujours sa première femme, Néné Ami, fille de l’Almamy Ibrahima Sori Daara, âgée aujourd’hui de cinquante ans.
La femme âgée est ordinairement répudiée, souvent sur sa demande, mais reste, surtout si elle a des enfants, dans le galle de son mari. Elle a cédé volontairement la place à une jeune femme pour conserver, par cette condescendance à la passion de son mari, le droit à son attachement. Elle lui a dit : « Prends une autre femme, jeune et fraîche, qui te satisfera. Moi, je resterai avec toi et te soignerai. »
Elle est servante, gardienne, duègne, bonne d’enfants. Elle est donc répudiée, et il faut remarquer en passant que le mari a déjà deux ou trois femmes ; et cette répudiation entraîne naturellement pour elle, malgré les honneurs et le titre de femme dont elle pourra encore jouir, l’exclusion de tout droit successoral. Aussi le mari lui fait-il des cadeaux, et prend-il, en sa faveur, des dispositions testamentaires.
Comme en tout pays noir et au grand dam de l’orthodoxie islamique, le droit à la dissolution en mariage appartient également aux conjoints. On distingue donc :
- La répudiation de la femme par le mari
- La répudiation du mari par la femme
- Le divorce par consentement mutuel
- Le divorce judiciaire
Dans les deux premiers cas, c’est celui qui répudie qui fait les frais de la dot. Cette faculté de répudiation, qui appartient à la femme et parait si monstrueuse aux yeux des musulmans d’aujourd’hui, existait dans l’Arabie préislamique. Peut-être est-elle, ici comme là-bas, une survivance du régime matriarcal. Dans le troisième cas, un accord entre les époux supprime toute contestation d’intérêt. C’est le plus commun et le dicton foula le constate
« Le mariage, c’est le manioc : c’est par une seule main qu’il sera planté, mais il ne sera pas arraché par une seule main. »
Quand le divorce est prononcé judiciairement, c’est le tribunal qui détermine les condamnations et réparations.
Quand un conjoint est répudié par l’autre, la chose ne va pas toujours facilement, et l’époux renvoyé exige des explications. Si elles sont insuffisantes, il refuse de quitter le galle conjugal et la question en reste là quelque fois.
Les principales causes de divorce sont : la mésintelligence entre époux, le défaut d’entretien par le mari, et le désir de remariage de l’un ou l’autre époux avec une personne aimée.
L’impuissance est aussi une cause de divorce, souvent même elle s’aggrave de pénalités accessoires. Et l’on a vu des chefs politiques, et tout récemment encore, le chef du Kolen, séquestrer les boeufs d’un de ses administrés qui, après enquête judiciaire, avait piteusement démontré qu’il était au-dessous de sa tâche conjugale.
La garde des enfants appartient en principe à la mère. Chez les Toucouleurs, le garçon reste avec elle jusqu’à 7 ans; à cet âge, le père le prend et l’envoie à l’école chez un Karamoko. La fille reste chez sa mère jusqu’à son mariage. Chez les Foula, c’est l’homme qui, le plus souvent, garde les enfants, sauf quand ils sont tout petits et ont encore besoin des soins de la mère. Après quoi, ils rentrent au galle paternel. Toutefois, les fillettes restent plus longtemps avec leur mère, souvent jusqu’à sept ans, et même jusqu’à leur mariage.
Le délai d’attente est canoniquement de quatre mois et dix jours pour la jeune épouse légitime et de deux mois et cinq jours pour la veuve concubine; de trois mois pour la femme divorcée. Pratiquement il est assez rarement appliqué, sauf dans les familles de Karamoko. La veuve reste en deuil dans le galle de son mari, en principe jusqu’à la fin du délai et, si elle est enceinte, jusqu’à sa délivrance. En pratique, dès qu’elle est l’objet d’une demande, elle se hâte de se remarier. Elle attend encore moins l’expiration du délai de la pureté légale pour faire à son mari défunt ce qu’elle lui faisait si largement sa vie durant. Pendant l’attente, elle ne doit pas être nourrie sur l’héritage du mari, mais doit recevoir sa ration soit de son père, soit de son beau-père.
La femme divorcée passe quelquefois le délai d’attente dans le galle du mari, mais le plus souvent, elle regagne la case paternelle et se hâte de se remarier à la première occasion. Quand elle reste dans le galle du mari, elle a droit à la ration jusqu’à son départ définitif.
Il reste à constater que dans la formation, comme dans la dissolution du mariage, aucune autorité religieuse n’intervient. A peine voit-on le tribunal être saisi en cas de conflit d’intérêt, lors du divorce. La fixation de la dot entraîne seule une sorte de cérémonie mi-religieuse, qui parait surtout avoir pour but, vu le lieu et le moment choisis, d’assurer pour l’union en perspective, le plus de publicité possible
- Filiation. — Malgré l’affection très réelle des parents pour leurs enfants, le lien paternel parait bien lâche à nos conceptions familiales. On voit des enfants enlevés presque de vive force par des notables et surtout par des Karamoko, qui les gardent en les utilisant. Or les parents ne viennent réclamer leurs enfants que deux ou trois ans après seulement, par exemple quand la fille est nubile et que la question de la dot va se poser. Ils reconnaissent eux-mêmes que ce n’était pas par crainte du ravisseur qu’ils ne se plaignaient pas. Serait-ce que sachant leurs enfants en de bonnes mains, ils voulaient les laisser bénéficier de cette éducation de choix.
On leur suggère cette explication, et ils ne répondent même pas. En résumé, si l’enfant ne s’échappe pas ou s’il ne fais pas dire qu’il est malheureux, les parents l’abandonnent facilement à son nouveau toit.
Les enfants naturels abondent au Fouta-Diallon, enfants simplement illégitimes, nés en dehors du mariage du père ou de la mère, et qui dans ce cas comptent à la mère; enfants naturels issus des relations de la femme, antérieures à son mariage, et qui sont gardés par le mari, moyennant le versement supplémentaire d’une vache; enfants adultérins surtout, dont plus de la moitié des ménages du Fouta compte un ou plusieurs représentants dans son sein.
La plupart du temps, l’enfant adultérin est gardé dans le galle de son père putatif, fait partie de la famille au même titre que les autres enfants et jouit des mêmes droits. Le vrai père ne se gène pas d’ailleurs pour voir son enfant, qui souvent lui ressemble parfaitement, pour le caresser et le traiter comme tel, et même pour lui donner des frères. La faiblesse du lien conjugal et le relâchement des moeurs familiales dans le Fouta-Diallon sont si grands, qu’on serait tenté d’y voir les plus graves adultérations que la société foula a fait subir à l’Islam classique.
En cas de remariage, les enfants des autres ne sont pas franchement adoptés par l’autre conjoint, le proverbe de Dinguiraye le dit d’ailleurs nettement:
« Pour le mari d’une femme, l’enfant qu’elle a d’un autre lit n’est pas son fils. »
Il arrive parfois que le père, surtout pour écarter un enfant qui n’est pas le sien de sa succession, le désavoue publiquement. Cette procédure de désaveu est négative. Elle consiste à ne faire en faveur ou en l’honneur de l’enfant aucune des cérémonies traditionnelles; nom, réjouissances, visites, amulettes et gris-gris, qui accompagnent la naissance d’un enfant. C’est la mère qui devra lui donner son nom, le raser, faire égorger un boeuf en son honneur, etc. La chose est sue et l’enfant est désormais reconnu illégitime (fattu). Cet ostracisme se continue par la suite, assez mitigé il est vrai, et le père affecte, deux ou trois fois par an, au cours de fêtes publiques, d’oublier cet enfant dans les distributions de mets ou de vêtements à ses fils. Le fattu désavoué n’a aucun droit à la succession paternelle. Quelquefois les Almamys et chefs de diiwe les envoyaient, dès leur puberté, vivre dans leurs runde de captifs.
Pourtant la moralité générale est telle que les enfants légitimes eux-mêmes n’acceptent pas toujours le désaveu infligé par leur père à leurs frères adultérins. C’est ainsi qu’Alfa Ibrahima, chef du Labé, avait désavoué un grand nombre d’enfants (fattu), « que ses femmes lui avaient faits sur sa couche » à la suite de relations illicites. Mais à sa mort, ce désaveu n’eut aucun résultat, car son fils Alfa Yaya, en parfait accord avec ses frères, légitima ses frères adultérins et les admit au partage de la succession. Ces faits se sont reproduits un peu partout dans le Fouta.
Le père peut prendre les mesures de rigueur contre le fils dont la conduite est coupable. Il peut lui mettre les fers au pied, l’amarrer et le conduire au tribunal pour qu’une correction de coups de corde lui sait donnée publiquement. Il peut encore le chasser du galle : l’enfant se réfugie alors chez un parent ou un notable, et quelques jours plus tard, quand la colère paternelle est apaisée, l’ami intervient et obtient le pardon. Il peut enfin le chasser complètement du pays.
Le jeune homme doit disparaître alors et ne plus se montrer aux yeux paternels. Dans ce cas, la mère souffre toujours de cette situation; c’est elle que l’opinion foula rend responsable de cette situation.
« Quand un enfant ne se conduit pas bien, dit-on, c’est toujours la faute de sa mère. Si elle avait bien soigné le père au moment de la conception, si elle lui avait donné une bonne nourriture, des jours heureux, etc., l’enfant serait venu dans de meilleures conditions. »
On dit encore:
« Un homme est un homme, et c’est à la mère de celui qui est battu que vont les reproches. »
La déchéance de l’autorité paternelle est inconnue. L’enfant qui est en butte aux mauvais traitements de son père prend la fuite et se réfugie auprès de parents maternels dans un autre village. Mais rien ne vient sanctionner la conduite indigne du père.
La reconnaissance judiciaire de l’enfant naturel n’est pas autorisée. L’enfant reste attaché à la mère et à sa famille.
Toutefois, le mariage des parents entraîne par la possession d’état une certaine légitimation qui ne va pas toutefois jusqu’à conférer à l’enfant des droits successoraux.
L’adoption est rare; elle se produit, non point à l’égard d’enfants qu’on veut s’attacher, mais en faveur de serviteurs ou de talibé dont on veut récompenser le zèle. L’almamy, le chef de diiwal ou de misiide, à qui un serviteur a rendu de longs et précieux services, le Karamoko pour qui l’étudiant s’est montré dévoué et fidèle, l’affranchissent, lui font des cadeaux, lui donnent un nom arabe, s’il n’en a pas, le font entrer dans leur tribu avec jammore et interdiction tabouiques, ne manquent pas de le comprendre dans leurs dispositions testamentaires, etc. C’est une sorte d’adoption mitigée.
- Incapacité. — L’incapacité provient de deux causes: la minorité et l’aliénation mentale.
L’enfant mineur est sous la tutelle de son père, puis de sa mère, puis de sa grand-mère paternelle ou maternelle, puis du tuteur testamentaire ou coutumier, qui est ordinairement le fils aîné ou le frère du défunt. On voit par cette vocation de la mère et de la grand-mère à la gestion de la tutelle combien la coutume diffère ici du droit écrit.
A défaut de tuteur connu, le chef de village peut en désigner un.
Le tuteur doit élever le mineur comme son enfant, et dès l’âge de sept ans si c’est un garçon, à neuf ans si c’est une fille, l’envoyer chez le Karamoko pour y apprendre le Coran. Il doit marier ses pupilles dans de bonnes conditions
La puberté pour le garçon, le mariage pour la fille mettent fin à la tutelle.
Le tuteur doit gérer avec honnêteté la fortune du mineur, et par la suite rendre des comptes au jeune homme, ou au
mari de sa pupille. Ce n’est pas toujours ainsi que les tuteurs entendent leur office, et l’on en a vu qui, mis au courant de leurs devoirs, et informés qu’ils seraient l’objet d’une surveillance étroite, déclaraient décliner la tutelle puisqu’ils ne pouvaient disposer à leur gré des biens du mineur ».
L’aliénation mentale entraîne la mise en tutelle du dément. Cette tutelle est soumise aux mêmes lois que la tutelle pour cause de minorité.
Les fous, assez rares dans l’ensemble du Fouta-Diallon, passent pour être nombreux dans le Labé et la région de Pita. S’ils sont inoffensifs, on les laisse errer, et ils en profitent pour voyager perpétuellement, ce qui parait être aux yeux des Foula, si sédentaires, si attachés à leur coin de montagne, le critérium le plus sûr de leur folie. S’ils sont dangereux, on leur met les fers aux pieds et on les enferme dans une case. D ailleurs la complète aliénation mentale est assez rare, ce que le proverbe foula exprime par ces termes:
« Le fou connaît bien le carré où l’on a mis des chiens. »
- La propriété. — Dans cette note succincte sur le régime foncier du pays foula il faut distinguer.:
- La brousse ou domaine public
- La superficie, cultivée ou domaine Pulli
- La propriété privée
Sous le nom de « brousse » on entend l’ensemble des terrains qui n’ont jamais été cultivés et n’ont fait l’objet d’aucune appropriation ou possession. C’est en quelque sorte le domaine public, dont chacun peut, sous la seule réserve de l’autorisation des chefs politiques (almamy, chefs de diiwe ou de misiide, conseils de notables), brûler une parcelle, y constituer un lougan, y édifier un galle. Cette prise de possession précaire d’abord, peut avec le temps devenir définitive. Du point de vue coutumier, rien n’interdit donc, semble-t-il, de considérer aujourd’hui la « brousse » comme domaine public, sur lequel l’Etat français avait un droit éminent. Il faut, bien entendu, réserver le droit de vivification et de mise en valeur des habitants du pays
L’ensemble de la superficie cultivée du Fouta-Diallon. appartient, non point au peuple foula, maître politique dans le dernier état de l’ancien régime, mais au peuple Pulli qui l’a précédé. On retrouve ici comme dans la plupart des pays noirs d’Afrique Occidentale, cette curieuse institution du maître de la terre. Lors de la grande insurrection islamique qui fit passer la souveraineté politique du Fouta des mains des Pulli dans celles des Foula, . ceux-ci respectèrent les droits des maîtres de la terre. Les Karamoko, qui veulent fournir une explication de cette situation, la prennent dans le droit musulman : ils disent que les Pulli, s’étant convertis à ce moment à l’Islam, bénéficièrent de la capitulation, prévue par la loi coranique, et furent laissés propriétaires de leurs terrains. En réalité, il semble bien que l’on ne fit que suivre les traditions des peuples noirs et qu’on n’osa pas arracher à ces maîtres et prêtres du sol, intercesseurs traditionnels auprès des génies agraires, leur droit de propriété intimement uni à leurs fonctions sacerdotales.
Arcin a noté à juste titre qu’ils étaient « les grands propriétaires du pays », qu’ils étaient « en communion intime avec les esprits protecteurs du pays », encore qu’il attribue par erreur cette qualité aux seuls Nduyeebhe et aux Ferobbhe.
Il fut donc établi, et la tradition s’est perpétuée jusqu’à nos jours, que tout Fouta-Diallonké et a fortiori tout étranger, ne pouvait cultiver une terre ou édifier un gallé dans un village déjà existant qu’après en avoir eu la concession de la famille Pulli, propriétaire foncière. C’est ainsi que les familles Pulli Jaafunabhe, à Timbo, Dongayabhe à Fougoumba, Nduyeebhe à Satina (Labe), etc., sont les maîtres du sol dans ces centres, et c’est d’elles qu’il faut y obtenir la concession urbaine ou rurale. C’est le cas des districts les plus peuplés et les plus cultivés du Fouta:
- dans le Labé
- Tunturun
- Misiide Hinde
- Donhora
- à Timbo
- Porédaka
- à Mamou
- Daara
- dans le cercle de Pita
- Bantinhel
- Bomboli
- Maci
- le Timbi
- les misiide des hauts plateaux , etc.
A Sokotoro, village des Almamys Soriya, ces souverains du Fouta devaient obtenir l’autorisation des Wosogoroma, famille Pulli du Saïn, pour obtenir la parcelle de terrain nécessaire à l’édification d’un nouveau galle. Il en était de même dans cet autre centre soriya de Donhol-Fella, où commandaient foncièrement les Younoussaya.
Il ne faut pas se laisser induire en erreur par ce fait que c’est quelquefois le chef politique qui accorde la concession. C’est qu’il en a obtenu l’autorisation générale et permanente de la famille Pulli. C’est ainsi que lorsque le chef du diiwal de Fode Hadji voulut créer la misiide de Tere, il sollicita des maîtres du sol, une fois pour toutes, et pour avoir les coudées franches, l’ensemble des terrains nécessaires au nouveau centre.
Comme contrepartie de ce droit foncier souverain, les Pulli avaient à payer un impôt aux familles foula, détentrices de l’autorité politique. Cette taxe qui parait avoir été d’origine coutumière et qui était dénommée farilla (peut-être de l’arabe fardh) fusionna avec le temps avec la dîme coranique ou zaka (zakka en foula). Elle est encore connue sous ces deux noms.
Cette concession du sol par le Poulli est généralement précaire. Elle finit lors de l’enlèvement dc la récolte et doit être renouvelée tous les ans. Quelquefois elle est accordée en viager à un Foula, mais elle prend fin avec la mort de celui-ci, à moins que ses successeurs n’en demandent le renouvellement.
Il peut y avoir compétition entre Foula au sujet d’un terrain, et dès lors le Pulli n’est pas le maître de trancher la question. La coutume reconnaît des prérogatives plus étendues au compétiteur qui a plus haute situation sociale. De même, le droit du père prime celui du fils, comme celui du mâle prime celui de la femme.
- La propriété privée est parfaitement connue au Fouta et se présente sous sa double forme familiale et individuelle. La propriété familiale, forme ordinaire de propriété foncière en pays noir, est la plus courante. C’est l’ensemble des terres qui appartient au groupement des individus, descendants d’un ancêtre commun, et dont le pater familias a l’administration, la gestion et le droit de partage. C’est le cas ordinaire des propriétaires Pulli, et de celle des propriétés foula qui ont été acquises à titre définitif par achat ou donation, ou même quelquefois par violence, dans les temps troublés de la lutte pour l’indépendance.
Mais, — et c’est ici que pour la première fois on saisit vraiment l’influence, au moins partielle du droit musulman, — la propriété familiale se disloque souvent, à la mort du pater familias. Nul n’étant tenu de rester dans l’indivision, chaque fils (à l’exclusion des filles) demande sa part immobilière d’héritage. Le partage est opéré et chacun des cohéritiers entre en possession d’un lougan qui lui appartiendra en propre et primitivement, et dont il pourra disposer de la façon la plus absolue.
Cette propriété individuelle, analogue au dominium romain, au melk arabe, et à la nôtre, s’est développée dans les régions particulièrement cultivées et peuplés, où il n’y a plus de terrains disponibles, et où, par conséquent, la valeur et le rapport de la terre se sont précisés. C’est le cas de la plus grande partie du Labe, de Timbi (Pita), du Kollaadhe, de Ditin, de certains districts de Timbo et de Mamou, tel Daara, etc. Ce phénomène ne se rencontre que chez les Foula, à l’exclusion des Pulli.
C’est par la même raison que les partages successoraux y sont les plus fréquents, et tendent à reconstituer, à chaque génération, l’unité et la personnalité du propriétaire foncier, ce qui, du coup, est exactement le contraire de ce qui se passe généralement dans les successions rurales des pays arabes.
Dans les districts moins peuplés plus incultes (Timbo, Mamou, Tougué, le Houré, le Fitaba…), la brousse couvre la plus grande partie de la terre. Le cultivateur n’a que l’embarras du choix pour varier ses lougans. Les partages sont rares et la propriété demeure surtout familiale.
Les servitudes sont les mêmes que les servitudes classiques du droit musulman.
Elles s’acquièrent par l’usage. Aucun délai n’est nettement déterminé, et si, à la première génération, le droit du bénéficiaire paraît encore précaire, à la deuxième, il lui est acquis définitivement.
La coutume de la jachère est générale en pays foula. Après une période ininterrompue de travail qui peut aller d’un à sept ans, on laisse les lougans au repos pendant une période identique de sept ans. Pour le fonio, cette jachère ne dure que cinq ans. Pendant ce temps, la brousse pousse abondante et forme de hauts bois, qu’on brûle par la suite. - Contrats. — La plupart des contrats se nouent et se dissolvent suivant la forme coutumière. Rarement les deux témoins classiques y président. Une poignée de main, sacramentelle en quelque sorte, scelle quelquefois l’obligation.
La vente est d’un usage courant, et plus encore. Le Foula qui a besoin de grains pousse un de ses boeufs vers le village voisin et l’échange contre du mais, du mil ou du fonio. Les objets de ces échanges ordinaires sont: les bovins, les ovins, les chèvres, les tissus du pays, les grains, le sel, qui est surtout du sel d’importation européenne, le sel indigène ne dépassant pas Kankan. Quand un individu veut constituer des charges de caoutchouc pour aller les échanger contre des produits européens à la boutique du plus prochain traitant ou dans une factorerie de la côte ou de la voie ferrée, il annonce quelques jours à l’avance qu’il égorgera un ou plusieurs bœufs. Chacun se met aussitôt en campagne et transporte une petite provision de caoutchouc. Au jour fixe, il vient l’échanger contre un morceau de viande.
Le prêt est courant et porte sur les bœufs, les grains, les étoffes, l’argent. Il doit rester sans intérêts, en principe au moins. Un homme aisé prête une vache à une famille pauvre, pour qu’elle puisse en boire le lait; une certaine quantité de grains à un miséreux pour qu’il puisse ensemencer ses lougans, ou vivre jusqu’à la récolte. Toutefois, quand il est fait aux Blancs, il peut être productif d’intérêts. C’est ainsi que certains Foula se prêtent assez facilement à des associations en commandite avec des Syriens. C’est ainsi encore que d’autres achètent des valeurs mobilières françaises (rentes, titres de la Défense nationale, etc., et touchent gravement leurs coupons.
Au surplus, certains riches commerçants, tant foula que toucouleurs, ne se gênent pas pour pratiquer ouvertement le prêt à intérêts. On cite en ce sens le cas de Baba Goureissi, de Dinguiraye, qui est d’autre part un moqaddem tidiani très respecté.
Le contrat de louage de services affecte les formes les plus variées; rarement le numéraire intervient comme prix de rémunération.
Aux grands phénomènes du labeur agricole : labours, ensemencements, récolte, le Foula rassemble ses parents, amis et serviteurs, égorge des bœufs, prépare des calebasses de maïs, et pendant huit ou quinze jours pousse activement les travaux et entretient tout son monde. Il rendra par la suite le même service à ses amis. C’est le « Kilee » La tête et la peau de la bête sont réservées au chef des travaux.
Le petit propriétaire fait de même avec ses deux ou trois voisins, en l’honneur de qui il égorgera un mouton ou une chèvre.
Le sarclage est fait dans les mêmes conditions, par les femmes.
Le gardien du galle, serviteur ou domestique permanent, est défrayé de toutes dépenses par son maître. Il est logé, nourri, habillé, soigné en cas de maladie. Il reçoit des graines pour ensemencer son petit lougan personnel. On le marie et on marie ses enfants. On lui donne parfois de petits cadeaux.
Le gardien des troupeaux bénéficie du lait des vaches et des chèvres le lundi et le vendredi. Il a droit à un boeuf tous les ans, et il le surveille dans le troupeau de son maître, où il l’a incorporé. Il est nourri et reçoit de temps en temps un boubou. Aux jours de fête, il vient prendre part aux réjouissances familiales chez son maître.
La location de monture est d’un usage courant. A Timbo, on évalue cette location journalière à celle de quatre porteurs, soit 3 fr. 50. A Labé, à 1 franc seulement. Le propriétaire doit la sellerie, le palefrenier et la ration.
Tout d’abord la concession immobilière faite par le Pulli à un Foula est une véritable location, encore que le prix n’en soit pas déterminé et souvent pas payé. Mais il y a en outre, entre Pulli même ou entre Foula, des contrats de location ou d’association agricole qui rappelle le kham messat arabe. Le propriétaire du terrain ne fait aucune avance de grains, d’argent ou cheptel. Il donne simplement le lougan et reçoit une rémunération du dixième de la récolte.
Les riches propriétaires fonciers prêtent généralement, à titre gratuit, une partie de leurs lougans incultes aux miséreux qui viennent les leur demander.
Les locations de cases sont inconnues. On prête la case dont on n’a pas besoin, et le bénéficiaire saura reconnaître le service par un cadeau.
Le développement économique du pays depuis l’établissement des Européens et la construction du chemin de fer a développé la forme du salariat pour terrassiers, ouvriers d’art, porteurs, etc. Le prix de la journée est de 0 fr. 50 à 1 franc par jour auquel on ajoute une petite ration de riz ou de mais.
Les ouvriers de castes : cordonniers, forgerons, bijoutiers, et les tisserands reçoivent leur rémunération, suivant prix convenu, ou suivant la valeur coutumière de l’objet qu’ils vendent. La pioche par exemple vaut 0 fr. 50 en temps ordinaire. Au moment des cultures elle vaut 1 franc. Les marchandages sont inutiles. Dans les coins retirés de la brousse, ces variations, filles d’un certain esprit commercial, ne se font même pas sentir.
Le forage d’un puits, effectué par les ouvriers soudanais (malinké, bambara, etc.), comporte un prix fixe de 40 francs à Timbo. L’édification de la margelle et de l’enceinte protectrice est de 10 francs. Le nettoyage annuel est de 6 à 10 francs. Dans les autres régions, les prix varient suivant les difficultés du travail, mais le principe reste le même.
La constitution de petites sociétés commerciales entre dioula locaux (Foula, Toucouleurs, Sarakollé, Malinke, etc.), et même entre dioula et Syriens, est courante. Le riche Foula ou le traitant syrien compose un gros ballot de marchandises, et le confie à un dioula qui parcourt les villages environnants et souvent s’établit pendant plusieurs mois en un point intéressant. Il en rapportera la valeur en caoutchouc, peaux, cire, et autres produits locaux. Le bénéfice est en principe pour le dioula, mais le bailleur de marchandises n’y perd rien, ayant gagné une première fois sur la vente de ses marchandises et devant y gagner une deuxième fois sur la vente des produits qu’on lui rapporte.
Dans certains centres, le désir des Syriens de se procurer des peaux les incite à des associations répétées avec des bouchers locaux. Ils donnent un boeuf au boucher. Celui-ci le débite et rembourse au Syrien le prix antérieurement convenu, gardant la différence pour lui. La peau revient d’office au Syrien, et souvent un cadeau d’un morceau de viande.
Le gage est couramment usité en pays foula. Il est mobilier. On gage son sabre, un bœuf, des livres arabes, des boubous pour garantir le payement ou la restitution d’un prêt. Le nantissement immobilier est inconnu. - Successions, donations et testaments.
Il faut distinguer dans la masse successorale; les cases, les livres et armes, les vêtements, l’argent et les richesses agricoles, les immeubles.
Les cases sont dévolues aux seuls fils. S’il y a plusieurs galle, chacun en prend un. S’il n’y a qu’un seul galle et qu’il soit suffisamment vaste, les fils s’en partagent les cases et constituent des galle de plus petites dimensions. S’il est trop petit, c’est le fils aîné; qui en hérite et les autres s’en vont ailleurs.
Les livres arabes, les armes et le cheval du défunt sont dévolus au fils aîné, comme attributs symboliques du chef de famille. Quand il y a beaucoup d’ouvrages arabes, les cadets en prennent quelques-uns. On remarquera cette faveur spéciale dont le fils aîné est entouré dans la succession et qui constitue une survivance très nette de la coutume. La chose est passée en proverbe:
« La pauvreté suffit au fils aîné, mais que du moins, s’il n’hérite pas, il ne soit traité comme une part de la succession. »
Les vêtements paternels sont partagés entre les fils; les vêtements maternels, ainsi que les bijoux de minime valeur, entre les filles.
Les grains, les troupeaux, et toutes les richesses agricoles sont partagés entre les enfants, les parents et les conjoints survivants; suivant les règles ordinaires du droit islamique. On peut le noter, c’est la principale et presque seule trace d’influence de ce droit dans la coutume successorale foula.
Les immeubles sont répartis par fractions sensiblement égales entre les seules filles du défunt. On admet toutefois que la part du fils aîné est supérieure aux autres.
Les captifs étaient hérités, comme les autres biens, et étaient partagés entre les fils. S’il n’y avait qu’un seul captif, il allait au fils aîné qui devait indemniser ses frères. La suppression de la captivité n’a pas supprimé la dévolution successorale des captifs. Ceux-ci d’ailleurs réclament souvent et avec instance cette dévolution, exigeant qu’on referme sur eux la porte de leur cage, que le mort a ouverte
C’est ici le lieu de signaler cette curieuse institution de la Kummabite, ou prélèvement, que les almamys, les chefs de diiwe et de misiide et les Foula libres exerçaient sur les biens des Fulbhe Buruure défunts : animaux (bœufs et chevaux, moutons et chèvres), grains (riz, fonio, etc.), bijoux. Les immeubles en étaient exemptés : ce prélèvement atteignait facilement 50 % de la succession. Il n’avait guère d’autres limites que l’arbitraire du chef. Le chef qui, dans son prélèvement, voulait bien tenir compte de la quantité des biens et du nombre des enfants du défunt était réputé honnête et vertueux. C’était le chef de misiide qui opérait généralement le prélèvement. Il donnait sa part au chef de diiwal ou à l’almamy sous forme de cadeaux périodiques ou de cadeaux de circonstance. Il faut croire que cette coutume, qui parait dater de l’insurrection islamique, était d’un bon rapport, car le dicton foula proclame que
« s’il n’y avait pas de Fulbhe Buruure, ce ne serait pas la peine d’être chef ».
Ces diverses masses successorales sont constituées, dès la mort du de cujus, mais après la reprise du douaire par la femme.
Les mariages séniles sont exclusifs de tous droits réciproques de succession entre conjoints. On permet bien à deux personnes âgées d’unir leurs vieux jours, mais comme on paraît craindre des captations d’héritage, on ne leur accorde aucun droit successoral. Le mariage doit en effet avoir pour but la procréation, et ce n’est pas le cas pour deux vieillards.
Les captifs, et dans une certaine mesure, les forgerons et les griots, étaient sujets à des restrictions au profit de leur maître ou patron, dans la dévolution successorale de leurs biens.
La fondation pieuse de mainmorte (habous) est inconnue au Fouta-Diallon. Les karamoko disent quelquefois du terrain sur lequel s’élèvent les mosquées qu’il est hubuusu, mais ils veulent faire entendre par là qu’il est sacré (haram). Aucune constitution juridique de habous ne peut être citée. Il y a partout quelques exemples de fondations pieuses, se rapprochant sinon de la nature, au moins du but du habous. Il arrive qu’on donne à un karamoko, à un Oualiou ou à tout autre pieux personnage une vacher ou trente mesures de grain, afin qu’il récite des prières pour une personne défunte.
En matière de testaments, la coutume foula s’écarte aussi sensiblement du droit musulman. La quotité disponible n’est pas limitée au tiers; elle peut atteindre la moitié, et même les deux tiers de l’hoirie.
Les testaments sont assez fréquents et il arrive que le testateur, pour prévenir toute difficulté future, met, dès son vivant, les bénéficiaires en possession des legs et parts d’hoirie qu’il leur a réservées.
Les legs sont aussi d’un usage courant. On donne un bœuf à un karamoko, à son talibé, à un serviteur, à un ami, à un voisin.
L’exhérédation est des plus rares . Mais on admet qu’un enfant, objet des malédictions de son père, ne devra recevoir qu’une part inférieure d’héritage, au moment de la constitution des lots.
Les formalités testamentaires sont simples. Le testateur fait connaître ses volontés à deux ou trois personnes honorables qui serviront de témoins au jour de sa mort. Il laisse quelquefois une note écrite; le fait est rare.
La liberté des donations entre vifs est entière, mais on peut croire qu’avec leur rapacité bien connue, les gens du Fouta-Diallon n’en abusent pas Les marabouts surtout, tant peul que toucouleurs, sont mendiants entre les mendiants, d’où vient qu’à la Mecque, parait-il, les pèlerins Fulbhe sont l’objet d’un mépris particulier. Les marabouts des autres races noires y mettent plus de pudeur. Les Peuls se dépeignent eux-mêmes d’ailleurs par un proverbe significatif dans sa crudité:
« Les biens des Fulbhe, disent-ils, sont les poils de l’anus : quand on tire dessus, les larmes viennent aux yeux. »
Voilà pour l’avarice des pasteurs.
Quant à celle de la gent Torodo ou Peul de la classe maraboutique, on la dépeint en deux mots:
Toroodo ko torotoodho
Qui dit Toucouleur dit mendiant
- Prescription. La prescription était peu connue tant dans sa forme acquisitive que dans sa forme libératoire.
Sous l’influence des Karamoko, les règles de la prescription islamique, d’ailleurs très diffuses, tendent à se répandre.
Une sorte de prescription spéciale aux immeubles urbains existe dans certains villages foula. La possession effective et ininterrompue d’un lot de gallé pendant vingt ans emporte prescription acquisitive du terrain au bénéfice de l’occupant.
Les servitudes sont définitivement acquises par usucapion à la deuxième génération.
Les épaves, objets perdus, animaux errants, doivent toujours être restitués à leur propriétaire. L’inventeur les garde chez lui et informe le public par une communication à la mosquée, à la suite de la prière. Au bout de quelques jours, si l’objet n’est pas réclamé, on le remet au chef, qui le conserve dans sa case, son grenier ou son troupeau, jusqu’à ce que le propriétaire se fasse connaître. Si l’objet est fongible, il le consomme, mais devra restituer un objet de même valeur.
II
Institutions pénales
Les institutions pénales du Fouta-Diallon sont beaucoup moins développées que la coutume civile et le droit pénal coranique n’y fait lui-même l’objet d’aucune étude.
- L’infraction. L’étude des causes du crime et de
la peine est inconnue Comme en tout pays noir, on s’en tient pratiquement à cette définition de l’infraction: « un acte extérieur qui trouble l’ordre public ». De l’aveu de tous, c’est le fait même d’avoir troublé la paix sociale et l’ordre établi qui mérite une répression, dont le principal but sera d’éviter le renouvellement d’un pareil acte.
L’intention coupable n’est pas punissable ici-bas, mais Allah la châtiera en l’autre monde.
La coutume pénale est essentiellement territoriale; elle s’applique à tout individu, indigène ou étranger, qui s’est rendu coupable sur le territoire du diiwal ou de la misiide d’un délit que réprime la coutume ou la loi.
L’extradition était d’un usage courant à l’intérieur du Fouta. Les chefs de diiwal, soit directement entre eux, soit par l’intermédiaire de l’Almamy se livraient réciproquement, et sans enquête, les coupables demandés. Elle était même pratiquée avec l’extérieur : almamys de Dinguiraye, almamys soussou, chefs malinké, chefs du Gabou, quand les bonnes relations politiques le permettaient. L’extradition n’était accordée que pour les seuls individus de la race du chef qui les recherchait. Il semble bien qu’il y avait dans cette coutume une sorte de solidarité entre chefs et souverains.
La tentative est sévèrement punie. Beaucoup opinent pour une répression égale à l’infraction elle-même.
La responsabilité est personnelle, familiale ou collective. Elle est personnelle, quand le coupable est connu, que son acte délictueux est l’œuvre de sa propre volonté, et que la réparation par lui seul est possible. Elle est familiale, surtout en matière de réparations civiles. Elle est collective au village ou à la tribu, dès que la participation matérielle ou morale de ses membres est reconnue. Il est des cas, le cas des meurtres par exemple, où la réparation doit être répartie sur tous les membres de la fraction, fussent-ils dispersés dans les villages les plus éloignés du diiwal et étrangers par conséquent à toute espèce de complicité, même morale.
Les seules causes d’irresponsabilité sont l’enfance et la folie. Les dommages et intérêts sont néanmoins dus par les parents ou tuteurs à la partie lésée. L’enfant doit être puni par ses parents, et le fou doit être enfermé dans une case avec les fers aux pieds. Le fou extrêmement dangereux doit même être mis à mort. L’ivresse est une circonstance aggravante. On punit dans le coupable et le délinquant et l’ivrogne.
La légitime défense allant jusqu’au meurtre de l’adversaire est universellement reconnue. Il faut toutefois qu’il y ait un certain nombre de circonstances justificatives : attaque à main armée, envahissement du galle la nuit, etc. Il faut même que l’on sache d’une façon absolue que l’agresseur a l’intention de tuer. Attaqué par un ennemi qui veut vous bâtonner, il faut se défendre de la même façon ou prendre la fuite.
Les infractions contre la puissance publique sont beaucoup plus graves que contre les particuliers. Les injures, les mauvais traitements contre les agents ou les parents des almamys et des chefs de diiwal sont sévèrement réprimés. Les infractions au simple protocole étaient elles-mêmes punies. Quand l’Almamy est assis, on ne peut le saluer qu’en retirant ses chaussures, ce qui n’est pas le cas quand il est en marche. On n’a pas le droit de s’asseoir aux côtés mêmes de l’Almamy. Il doit garder avec le public une distance respectueuse. - La peine. — L’exercice de l’action publique est entre les mains de l’Almamy, du chef de diiwal, du chef de misiide; celle de l’action privée entre les mains des parties lésées, mais elles n’ont pas le droit de se faire justice elles-mêmes et doivent s’adresser à l’autorité.
Le caractère de la peine est d’être essentiellement indéterminé. Par exemple, l’incendie d’une case habitée peut être puni de vingt-cinq coups de corde, quand il n’y a eu
que quelques gerbes de chaume consumées. Si la case a brûlé entièrement et si des personnes ont péri, le coupable peut être condamné à mort, encore que la gravité de sa faute soit égale dans les deux cas. On fait donc intervenir à chaque instant dans l’application de la peine toutes sortes de circonstances étrangères à la volonté ou l’acte du coupable.
Les peines étaient de natures diverses:
- peines corporelles consistant en
- mort
- ablation d’un ou de plusieurs membres
- correction à coups de fouet ou de corde
- torture
- peines privatives ou restrictives de liberté
- emprisonnement
- expulsion
- peines pécuniaires:
- amendes
- réparations civiles
- confiscation des biens.
Les peines morales n’existaient pas.
La mort consistait dans la décollation à coups de sabre. Elle était ordonnée par l’Almamy ou les chefs de diiwe, qui avaient aussi le droit de grâce. Il n’y avait pas de bourreau attitré; l’office en était rempli par un serviteur, un mbatula ou un captif. Dans le dernier état du droit, on fusillait aussi les condamnés à mort. C’était une innovation, imitée des exemples d’Al-Hadj Omar à Dinguiraye. La famille de la victime pouvait demander que la peine du talion fût appliquée au coupable. L’opération capitale était effectuée en dehors de la misiide, dans un fourré épais ou dans une caverne [Pammel Hammadi]. Le corps était abandonné et les hyènes et vautours venaient le dévorer.
L’ablation d’un membre, et quelquefois de l’oreille, était pratiquée assez souvent, surtout à l’égard des voleurs. Le membre sectionné était enfoui.
Les coups de corde, de fouet ou de bâton (fottyude) étaient d’un usage plus courant encore. Ils étaient distribués par un suivant du chef et sur le dos du patient couché sur le ventre et vigoureusement maintenu. Ils étaient quelque fois appliqués sur le ventre. Cette peine était considérée comme très dure. La race foula est frêle en effet et cent coups de corde bien appliqués entraînaient souvent la mort.
Les condamnations portaient d’ailleurs toujours des chiffres considérables: 300, 1.000 coups de corde. Au cinquantième ou au centième, il fallait s’arrêter et on n’y revenait plus.
Cette peine était appliquée aux enfants sans beaucoup de ménagements.
La torture (yangude, lettude) n’avait pas d’autre but que de faire avouer le coupable. On l’amarrait fortement et on lui tordait les membres. Délivré de la question, il devait répéter en toute liberté ses aveux. Sinon, on les considérait comme nuls, et on ne le soumettait plus à la torture.
L’emprisonnement (geyude) était surtout une peine préventive. Mais on mettait quelque fois aux fers d’incorrigibles récidivistes et on les y laissait pourrir. On y mettait aussi les captifs qui prenaient la fuite.
L’expulsion, équivalente en somme à notre interdiction de séjour, était couramment employée dans le Fouta. Les Almamys, et même les chefs de diiwe, bannissaient tout individu qui, sans tomber positivement sous le coup de la loi ou de la coutume: quêteurs, vagabonds, etc., constituaient un embarras pour la société.
L’amende (ngeenari) est courante. Le produit en est acquis au chef.
Des réparations civiles sont dues à la partie lésée. Le prix du sang (di’a, en poul-poullé comme en arabe) pour une personne libre (homme, femme, enfant) est coutumièrement de trente-trois bœufs. Ils sont répartis sur les principales familles de la fraction, et quelquefois de la tribu du coupable, habitant la région. Les gens de caste sont des personnes libres et bénéficient de la même di’a que les Rimbhe (personnes de condition libre). Pour les captifs comme pour les animaux, il n’y a pas de prix du sang fixe, mais une valeur à déterminer suivant l’âge, la beauté,la vigueur, et les services que rendait l’animal ou le captif.
La séquestration et la confiscation des biens accompagnement ordinairement toute répression. C’est la rémunération des bons offices de l’autorité.
Le complice est puni en principe des mêmes peines que l’auteur principal. Pratiquement, il bénéficie d’une certaine indulgence.
La récidive entraîne une aggravation de la peine, peut doubler le nombre des coups de corde. Le fait d’amputer un second, puis un troisième membre, rend de plus en plus invalide celui qui en est l’objet, etc. Au surplus, les antécédents du prévenu intervenaient pour beaucoup dans l’aggravation ou l’atténuation de la peine.
Le juge jouit de la plus grande liberté pour l’application de la peine. La nomenclature des peines coutumières, s’appliquant à des infractions déterminées est assez imprécise.
Le meurtre, les coups et blessures sont punis de la peine du talion. L’homicide par imprudence n’est puni d’aucune peine, à condition qu’il n’y ait pas de circonstance aggravante, comme l’état d’inimitié. Mais la composition est toujours due à la famille.
Les crimes politiques entraînent la bastonnade et la mort.
Le vol est puni de l’ablation d’un membre et quelquefois de l’oreille. On procède dans l’ordre suivant: main droite, pied gauche, main gauche, pied droit. On n’a pas souvenir dans le Fouta que l’opération complète ait été effectuée, mais on rencontre quelquefois des amputés de deux membres. Celui qui trouve une vache dans la brousse et la cache dans son troupeau n’est pas considéré comme un voleur, mais reçoit une correction de coups de corde. Les trois quarts des vols qui se commettent au Fouta-Diallon sont des vols de bestiaux, et ce n’est pas le désir de la viande qui incite le voleur à perpétrer son acte, mais le désir de la peau. Il égorge la bête, la dépouille, mange un quartier de chair, abandonne le reste aux hyènes et aux vautours, et s’en va vendre la peau à un Syrien ou à un traitant sarakollé. Les esclaves, récidivistes du vol, étaient notés d’infamie et signalés à la méfiance publique par de grandes raies cicatricielles, zébrant la joue du menton à la tempe.
De même qu’en Europe il est reconnu que ce sont les atteintes à la propriété qui sont les délits les plus sévèrement réprimés, de même au Fouta-Diallon, ce sont les vols de bestiaux qui soulèvent le plus fortement l’indignation générale et la sévérité des juges. On raconte même qu’un Almamy avait décidé que les voleurs de boeufs auraient la tête coupée. Il tint parole et en fit exécuter 100 en un même jour avec un sabre spécial qu’il avait fait confectionner à cet usage. Or, dès le premier soir, le sabre lui-même disparut, ce qui faisait honneur à l’adresse, à l’ironie et à la méthode des voleurs foula. L’Almamy, dégoûté, revint à la coutume.
L’incendie est puni de 200 coups de corde, la récidive, de 300, ce qui est une sorte de condamnation capitale. S’il y a eu mort d’homme, la peine du meurtre est appliquée.
L’abus de confiance, l’escroquerie, les manoeuvres frauduleuses, les injures sont punis de coups de corde.
Les discussions injurieusement réciproques n’entraînent aucun châtiment. Encore faut-il qu’elles aient lieu entre égaux, car, comme le dit le proverbe foula:
« Si les projectiles de la bouche sont égaux, que ceux de la force le soient aussi. »
L’adultère est puni de coups de corde par les deux coupables. Souvent, on arrange l’affaire, sur les sollicitations secrètes du mari, par une indemnité à celui-ci. Le mari meurtrier de son épouse surprise en flagrant délit d’adultère n’est pas poursuivi. La jeune fille qui n’attend pas l’heure du mariage pour en savourer les plaisirs, doit subir en principe la peine de la mutilation des joues, mais pratiquement, elle est simplement rasée, enduite de bouse de vache et fouettée jusqu’à ce qu’elle ait dénoncé son amant.
Celui-ci vient aussitôt la rejoindre et reçoit le même châtiment. Dans ce cas, et à cause du consentement de la jeune fille, le séducteur n’est tenu à aucune indemnité. S’il y a eu viol, le séducteur est seul puni et doit la dot.
Les chefs mariaient souvent leurs femmes adultères ou leurs filles séduites avec des mbatula ou des captifs de leur entourage. C’était une humiliation et une déchéance morale et matérielle qu’ils visaient à leur infliger.
La violation de domicile est punie de coups de corde. Le maître du galle a ici le droit de se faire justice lui même et de jeter l’intrus au dehors à coups de bâton. Il ne se prive pas pour demander, le cas échéant, des indemnités plus ou moins justifiées, si l’on en croit le dicton foula:
« Celui qui entre là où il n’a pas été autorisé, remboursera ce qu’il n’a pas dérobé. »
La prescription pénale est inconnue dans la peine, et l’on doit toujours compte de ses actes délictueux. Pratiquement toutefois, et surtout s’il n’y a pas de poursuites privées, le temps efface l’infraction.
Chapitre X
L’Islam dans les coutumes sociales
- Accouchement. — Le premier accouchement (woofaade) est effectué obligatoirement chez la mère de la jeune femme C’est elle qui sert d’accoucheuse. Les fois suivantes, la femme reste dans son galle (jibinde) et ce sont les matrones voisines et quelquefois la mère qui viennent lui prêter assistance.
L’accouchement se fait soit dans la case même, soit dans une petite palissade, à ciel ouvert, sorte de paravent circulaire, et qui a été construite pour les besoins de la cause à l’intérieur de la tapade du galle. La femme est à genoux. Aucun homme, sauf le mari, ne doit assister à l’opération, et encore celui-ci s’ingénie-t-il toujours pour être absent, à cette heure-là.
Le nouveau-né est lavé à l’eau tiède, et on lui fait boire tout aussitôt un peu de nasi ou eau de lavage d’amulette et un peu de lait de vache. C’est là le Peul en substance, musulman et propriétaire de boeufs.
La mère et l’enfant doivent rester sept jours sans sortir de la case; l’enfant n’étant pas encore rasé et n’ayant pas de nom, ne doit pas voir le jour, et le sort de sa mère est encore lié au sien.
C’est toujours la mère qui allaite son enfant.
Le septième jour, on rase la tête de l’enfant, garçon ou fille, après lui avoir enduit la fontanelle d’un peu de beurre. On prépare beaucoup de nourriture; calebasses de riz, de mais, de mil, de lait; le karamoko égorge un boeuf et plus souvent un mouton ou une chèvre. La bête qui porte le nom mi-arabe. mi-poullo de jonna inde: « tradition du nom », est partagée en deux : une moitié est prise par le père, qui la distribue en petits quartiers à ses parents et amis; l’autre moitié est le lot de la mère qui l’envoie à sa famille. Si cette famille est trop éloignée, la jeune mère lui envoie un mouton vivant, mais il faut que tous, du côté paternel comme du côté maternel, participent à cette communion de la viande. En même temps, on distribue à tous les enfants de l’assistance de petits gâteaux (tyobbal) confectionnés de farine de riz, de lait frais et de miel. Puis l’enfant est porté par sa mère, trois fois autour de la case. Des femmes suivent, portant des sabres, des couteaux, un fusil, et autres engins de guerre, si c’est un garçon; des calebasses, des léfa, des pièces d’étoffe, si c’est une fille. En passant devant la porte, elle dit aux personnes présentes: Salam Aleykum, et on lui répond: Aleykum Salam.
C’est au cours de ces festins dennabo (terme maninka) ou fembunde (terme pular) que la mère reprend définitivement sa liberté et que l’enfant reçoit son nom. - Nom. — L’ensemble des noms du Fouta comporte:
- le nom ethnique ou yettoore
- le prénom ou nom islamique
- le surnom.
- Le yettoore est soit le nom de tribu: Dial-Diallo, Uuruuro, Dayeejo, Pereejo, soit le nom d’une des fractions ou sous-fractions de ces quatre grandes tribus, qui constituent l’ensemble de la société peule. Par exemple, pour les Diallubhe: Seeleyanke, Nyooguyanke, Kaliduyanke Timbonke, etc.
Des appellations spéciales à la salutation existent pour chacune des quatre tribus. Ainsi- le Dial-Diallo est salué du nom de Diallo
- le Uuruuro, du nom de Baldé-Ba
- le Dayeejo, du nom de Bari
- le Pereejo, du nom de Soo, Soh, ou Sow
Le captif affranchi entre dans la tribu et la fraction de son maître et en prend le double nom.
- Le inde est le nom islamique. C’est lui qu’on emploie ordinairement pour désigner un individu ou pour l’appeler.
Les plus usités sont:
pour les hommes:- Mamadou (Mohammed), souvent joint à un autre nom (Mamadou Laminou, Mamadou Mountaqa, Mamadou Hadi)
- Amadu (Ahmed)
- Mamoudu (Mahmoud); Moursidi (Mourchid)
- Abdu, Abdul, abréviations d’un des nombreux Abdel arabes
- Moktar, Moktaru (Mokhtar)
- Boubacar, Bakar, Bakari, ce dernier d’origine malinke (Abou Bekr) Ibrahima (Ibrahim)
- Habibou (Habib)
- Hassana, Al-Housseini (Hassan, Hossein)
- Djibrila, Djibi (Djibril)
- Oumarou, Oumar (Omar)
- Seïkou (Cheikh)
- Falilou (Fadel)
- Bassirou (Bachir)
- Souleymana, Souley (Sliman)
- Ismaila, lla (Ismaël)
- Issa, Moussa (Aïssa, Moussa)
- Ousmani, Ousmana, Oussouman, Oussou, Toumané ce dernier pour les captifs (Othman)
- Salihou (Salah)
- Aliou et Badara (Ali, Haïdar), Mostafa (Moçtafa)
- Sirifou (Chérif).
Pour les femmes
- Mariama, Yama (Myriam)
- Aïssatou, Aa’i (Aïchat)
- Hafsatou (Hafsat)
- Fatimatou, Fatimata, Matou Mata, Binta (Fatma)
- Deinabou (Zeineb)
- Oummou (abréviation de l’un des nombreux Oummou arabes)
- Aminatou Amine Ami (Amina)
- Tahirou, Tahiratou (Tahira)
On pourra remarquer que ces noms islamiques, tout en étant encore loin de la pureté arabe, ne se distinguent pas par une fantaisie égale à celle que déploient dans le même domaine Sénégalais et Soudanais.
C’est le père qui donne ce nom a l’enfant. Son choix est guidé par la tradition : si c’est un garçon, c’est le nom de son père ou de son beau-père, le nom de l’almamy, d’un karamoko célèbre ou d’un ami; si c’est une fille, le nom de sa mère ou de sa belle-mère, le nom de la mère de la femme, de la fille de l’almamy, d’un karamoko ou d’un ami.
Ce nom islamique est celui qui est généralement employé pour désigner quelqu’un; quand il peut prêter à confusion, on le fait suivre (exactement comme la chose se pratique en arabe), de mo qui signifie « fils » (Ould, ibn) et du nom du père. On dira donc: « Ibrahima mo Oumarou », comme un Arabe dirait: « Ibrahim Ould Omar ».
L’usage du Fouta Toro de donner un nom à l’enfant, suivant un catalogue déterminé par les jours de la semaine, est inconnu au Fouta-Diallon, au moins dans la société foula. Cet usage toutefois se rencontre chez les colonies malinké, et a été importé de la région de Kankan.
Le captif affranchi reçoit généralement un nom islamique au moment de sa libération. C’est son maître qui le lui confère. Quand son nom antérieur présente une teinture d’Islam suffisante, on peut le lui laisser.
Les jumeaux, toujours considérés comme un signe de bénédiction divine, reçoivent deux noms appareillés: Hosanna et Housserai; Ahmadou et Mamoudou; Saidou et Saadou, etc.
- Le surnom, que les Foula disent jammore, et que les Toucouleurs de Dinguiraye appellent wattyoore a subi beaucoup plus fortement l’influence de la coutume.
Il se présente sous des formes diverses.
Le plus répandu, qui apparaît emprunter à la coutume noire, consiste à ajouter, après le inde, le nom du village originel. On dit: Ibrahima Fougoumba, Ibrahima Dalen, signifiant que ces Ibrahima sont originaires des villages de Fougoumba et de Dalen.
Un autre, très répandu, aussi est un succédané du nom islamique, et si en quelques-uns on reconnaît bien la déformation du nom originel : Boubou pour Boubacar Doulla pour Abdoullahi Doura pour Abdourahman Mata pour Fatoumata
il est malaisé de donner une explication pour les autres, tels
Bala pour Salihou Koli pour Mamadou et Mamoudou Sori ou Kandia ou Bréma, pour Ibrabima, Yala pour Souleyman; Kesso et Diéba pour Mariama, Tébou pour Dienabou, Zariou ou Nyara pour Aminatou.
A l’enfant qui naît un jour de fête, on accole ordinairement à un nom l’appellation de Julde , id est « fête ». Le nom doit être obligatoirement Mamadou ou un de ses dérivés. Lors donc qu’on rencontre un individu qui s’appelle Salihou Julde, c’est qu’il est né un jour de fête islamique, et que son vrai nom est Mamadou Salihou Julde.
L’usage, général en pays maure et noir, de donner un nom spécial à un enfant quand tous ses frères et soeurs ont péri successivement en bas âge et afin de lui assurer l’existence, est appliqué au Fouta-Diallon. On l’appelle a Bailo (forgeron) sans nom islamique. Si on veut lui donner quand même un inde islamique, on l’appelle Mamadou ou Amadou et on y accole le nom de « Ouri ».
Les appellations de Karamoko, de Tierno et d’Alfa qui sont, la première une épithète professorale, et les deux autres des titres doctoraux, sont très communes. Elles précèdent le inde: Karamoko Falilou, Tierno Aliou, Alfa Oumarou, ou simplement le nom du lieu d’origine de l’intéressé. Tierno Maci, Karamoko Dalen, Alfa Fougoumba. Quand un de ses maîtres illustres fait la gloire d’une région, il arrive souvent que les parents donnent à leurs enfants le seul nom sous lequel on désigne localement le’ grand homme: Karamoko, Tierno, Alfa.
Aux fils et aux filles de captifs, on donne souvent le nom de Donkin ou de Suumayee quand ils naissent dans ces deux mois de Hidjdja et de Ramadan.
En dehors de ces divers noms, il existe à l’intérieur du galle ou entre voisins des désignations spéciales pour les interpellations.
La femme appelle son mari Moodibbo, seigneur, ou Jon galle, maître du galle. Le mari appelle sa femme Sonna,
madame: Sonna Habiba, Madame Habiba, ou encore. Neene, suivi du nom de leurs enfants : Neene Ibrahima. Mère d’lbrahima.
Le gendre appelle son beau-père, Moodi, Tierno, Alfa en le faisant suivre de son inde Moodi Habibou. Le beau père appelle son gendre de la même façon.
Le fils appelle sa mère Neene ou Neene Galle, c’est-à-dire mère du galle; son père Baba ou Baaben.
Ce nom de Neene Galle est si bien entré dans les moeurs qu’un homme le donne souvent à sa fille en l’honneur de sa mère qui, elle, est la vraie « mère du galle ».
Un père qui s’adresse à son fils l’appelle biddho an ou simplement par son inde.
Quand un homme ou une femme s’adressent à un homonyme, ils l’appellent Tokoro ou Tokora et quand ils s’adressent à une personne qui porte le même nom que leur père ou leur mère, ils l’appellent Tokora Neene, Tokora Baaba, c’est-à-dire homonyme de ma mère, homonyme de mon père.
Le serviteur appelle son maître Pullo an (mon Pullo, mon maître) exactement dans le même sens où le captif maure dira « mon arbi », c’est-à-dire « mon maître »
- L’Etat civil. — Il n’y a pas, naturellement, d’état civil constitué; mais la plupart des Foula connaissent très bien leur âge et leurs origines. Les parents donnent les détails voulus de très bonne heure à l’enfant, et comme celui-ci a toujours une bonne mémoire et apprend la plupart du temps à lire et à écrire, il retient ces renseignements intéressants pour lui.
D’autres ont moins de précision, mais ont des points de repère : ils savent qu’ils sont nés l’année de la guerre contre le Gabou, contre les Tenda, contre les Bokeeto, contre les Houbbou, l’année de la mort de l’Almamy, l’année de l’éclipse, de la comète, de la pluie d’étoiles ou des tremblements de terre; l’année de l’arrivée des Français; l’année de la construction du chemin de fer, etc.
Les Pulli et Buruure de la brousse usent comme dates des grands événements de leur vie agricole ou pastorale: l’année où l’on cultive les lougans dans telle région; l’année où la transhumance des troupeaux s’effectua vers telle vallée ou tel boowal. - L’enfance. — L’allaitement est fait par la mère et uniquement par elle. En cas de maladie, elle peut s’aider de lait de vache. Les captives appliquent moins rigoureusement le principe et donnent aussi du lait de chèvre ou de brebis à leurs enfants encore au sein.
En cas de maladie prolongée ou de mort de la mère, on donne l’enfant à une autre nourrice. Si la mère recouvre la santé et son lait, elle reprend son enfant et l’allaite à nouveau. Comme on le voit, le mélange des laits n’a ici aucune importance.
L’allaitement dure deux ans et pendant ce temps, toutes relations sexuelles avec la nourrice sont interdites. Si l’on fait remarquer au Foula que cette période de continence est bien longue, tout au moins pour le monogame, il répond que, dans ce cas, il n’est pas interdit de chercher ailleurs sa satisfaction. C’est pour cette raison que les enfants sont très espacés et peu nombreux dans les ménages monogames. Ils ont toujours au moins trois ans de différence.
C’est pendant cette période de l’allaitement, en général vers le septième mois, que l’enfant reçoit ses premiers talismans : amulettes arabes et gri-gri coutumiers. Les premiers donnés sont toujours destinés à protéger des maléfices du diable; ceux contre les sorciers ne viennent qu’un peu plus tard.
L’âge du sevrage est le même pour les garçons comme pour les filles. L’opération est peu compliquée. La mère s’enduit le bout du sein d’un peu de bouse de vache, et l’enfant, dégoûté ou apeuré, ne veut plus y toucher. On le confie souvent pendant quelques jours à la grand-mère, qui le met au lait de vache et au riz bien cuit. Un grigri de la plus haute importance est donné à l’enfant à cette date.
L’enfant, garçon ou fille, couche dans la case et sur le lit de sa mère jusque vers sept ans. Quand le garçon commence à aller à l’école, « il descend du lit maternel », suivant l’expression foula, et couche à terre. La fillette continue coucher avec sa mère.
A l’âge de la circoncision, soit vers quinze à dix-huit ans, il sort définitivement de la case maternelle et va prendre place soit dans la case réservée aux jeunes gens dans le galle, soit dans la case du quartier ou du village commune à tous les jeunes gens. Quelquefois la mère lui fait édifier une case personnelle à côté de la sienne.
Comme tous les peuples africains, les Foula aiment beaucoup les enfants, et visent à en avoir le plus grand nombre possible. On épousera volontiers la fille ou la petite-fille d’une femme qui est renommée pour ses couches de jumeaux.
Les jeux et l’éducation des enfants sont communs jusqu’à la circoncision ou l’excision. A cette date, il devient de bon ton de séparer les garçons et les filles. - Le mariage. — Le jeune homme est marié la première fois par ses parents, soit parce qu’il demande lui-même une femme à son père, soit parce que ses exploits galants font comprendre au père qu’il est temps de le mettre en ménage. S’il aime quelque jeune fille, il peut la désigner à son père qui, généralement, ne se met pas en travers de ce désir.
Le père prend 10 kolas ou un gros paquet de sel ou quelques calebasses de lait et les envoie aux parents de la jeune fille. Ce cadeau porte le nom en foula de ndaarirdhun dhatal et à Dinguiraye, de yheewude laawol. Dans les deux cas, il signifie littéralement « pour voir la route ». C’est en effet suivant que le premier cadeau est accepté ou refusé que le père sait s’il peut continuer ses démarches. Le griot, qui a servi d’intermédiaire, reçoit un présent, et en cas de refus des parents de la jeune fille, garde le cadeau pour lui.
A partir de ce moment, commencent les fiançailles qui, d’ailleurs, n’ont aucune valeur juridique. Les jeunes gens ne doivent plus vivre ensemble; il est convenable même qu’ils se fuient. La jeune file, suivant sa pudeur vraie ou affectée, se cache quand elle entend son fiancé, et celui-ci ne doit correspondre avec elle que par l’intermédiaire de ses camarades. A Dinguiraye, le prétendant fait de nombreux cadeaux à la jeune fille et à sa mère: pagnes, kolas, bijoux, etc. Il doit, en outre, verser au père 400 kolas, si la fiancée est une jeune fille, et 200 si elle a déjà été mariée. Le père en donne la moitié aux notables du village, et distribue l’autre moitié aux camarades de sa fille et à ses griots et griottes. Dans le Fouta, il n’est pas d’usage que le prétendant fasse des cadeaux à sa fiancée, mais il doit faire don à ses parents de 10 pièces de mousseline qui portent le nom de boubous du père (dolokke baaba) et pagnes de la mère (wudere neene).
L’époque du mariage approche. Le prétendant égorge un mouton, le découpe, et envoie ses griots en porter les quartiers dans des calebasses à sa future belle-mère. Celle-ci fait cuire cette viande avec du riz ou du mais, et en renvoie une partie au prétendant qui peut ainsi offrir un petit festin à ses camarades. Après quoi, il fait retour des calebasses à sa belle-mère, après y avoir déposé des kolas et de la monnaie.
Le père du jeune homme demande alors au père de la jeune fille de laisser procéder à l’union. « Oui, nous consulterons la mère » dit-il. Mais celle-ci fait toujours — pour la forme du moins — quelques difficultés: « Qu’il attende encore vingt jours. »
Bref, le délai écoulé, la jeune fille est conduite, un soir, à la case conjugale sous l’escorte de ses amies, parents et griottes, qui frappent des mains, et de ses frères et camarades d’enfance qui tirent des coups de fusil. Elle est vêtue de blanc, et si elle est vierge, elle ne doit pas poser le pied à terre pendant ce trajet. C’est un de ses captifs qui la porte sur son dos. Toutes les femmes se joignent au cortège sur la route.
On laisse les mariés à leur sort pendant qu’un grand festin (welno) réunit les convives: quartiers de boeufs, calebasses de mil, de fonio, de mais, lait, etc., y figurent en abondance.
A un moment, le jeune homme appelle ses griots et leur donne le pagne, taché du sang de la fille et preuve de son honneur virginal. En même temps, il tire des coups de fusil et ses camarades lui répondent. Les griots de la jeune fille promènent le pagne parmi l’assistance et finalement le remettent à la mère de la jeune fille. Ils chantent les louanges de la jeune épousée : « Fille de bonne famille, qui ne se donnait ni pour 5 francs, ni pour 1.000 francs. Fille de vertu et d’honneur, etc… » Les tam-tams résonnent. Pendant ce temps, les matrones entrent dans la case des amoureux et donnent leurs bons offices à la jeune femme, lui enseignant à se laver, etc.
Il arrive souvent que la jeune fille donne le change sur sa virginité perdue en répandant du sang de poulet sur son pagne, ou encore elle ne se donne même pas la peine de dissimuler et avoue à son mari ce qu’il en est. Celui-ci ne dit ordinairement rien et, pour éviter le scandale, accepte la chose. Il cherche en général à savoir quel est le complice. Si la femme ne veut pas lui répondre, il n’insiste pas, et la chose passe ainsi. Si toutefois il ne veut pas céder, et le fait est assez commun à Dinguiraye, sinon dans le Fouta, il fait reconduire la femme chez elle par ses griots avec toutes sortes d’injures: « Emmène cette chienne à sa mère, etc. », et dans le silence général, l’assistance se disperse. Dans ce cas, on doit lui rembourser la dot (tenhe) qu’il a versée. Tous les frais de cadeaux et de festin restent néanmoins à sa charge. Si au contraire, il est satisfait de la façon dont les choses se sont passées, il fait tuer, dès le lendemain, un mouton gros et gras, dammol, c’est-à-dire « soigné » et l’envoie à sa belle-mère qui en fait des distributions. Il lui envoie aussi quelques nattes et cinquante cordes à bestiaux.
L’usage s’est établi en quelques points de venir apporter des félicitations ou des condoléances au père, le lendemain du mariage. On le complimente sur la vertu de sa fille, le cas échéant; sinon, on le plaint: « Ce n’est pas de votre faute, vous aviez très bien élevé votre fille. C’est la faute de ce monde méchant. Les filles sont impossibles à garder. »
En somme, beaucoup de paroles et rien de tragique.
Un délai de claustration de sept jours, à passer dans la case, est imposé à la jeune épousée qui vient de sacrifier sa virginité. Dans les autres cas, aucun délai de ce genre n’est en usage.
Les cérémonies religieuses ne sont pas très nombreuses.
La dot, comme on l’a vu, a été généralement fixée à la mosquée, à la sortie de la prière, au moins à Dinguiraye. La veille du mariage, la mère demande à un karamoko un charme pour le bonheur conjugal de sa fille; elle en fait dissoudre l’écriture dans un peu d’eau et la mêle à la grande calebasse d’eau où la jeune fille prend son bain, au moment de s’habiller et de partir pour la case conjugale. A ce moment encore le père de la jeune fille prononce un yeefol pour son bonheur. Il récite une prière et certaines incantations coutumières dans ses mains et les promènent ensuite sur la tête de sa fille, enduit de sa baraka ses cheveux et ses joues. Quant au jeune homme, il revêt une amulette supplémentaire que son père ou son frère aîné est allé demander quelques jours auparavant à un marabout. Il n’y a donc en somme aucune cérémonie islamique proprement dite pour consacrer l’union matrimoniale. Quelquefois pourtant, la famille fait prononcer une prière ou lire un chapitre d’un pieux ouvrage par l’almamy de la misiide pour attirer les bénédictions divines sur les jeune époux. Mais personne n’assiste à cet office religieux. C’est le père du mari qui fait cette démarche auprès du karamoko, le deuxième ou le troisième jour du mariage, en lui portant quelques kolas, deux cordes à boeufs, ou une main de papier blanc.
Dans les mariages où l’épouse n’est pas une vierge, les choses se passent beaucoup plus simplement. Elle gagne elle-même à pied la case conjugale; il n’y a pas d’exhibition de pagne. L’accord général comme les conditions de détail sont le fait même des deux intéressés.
Les Foula n’ont pas de jour spécialement faste ou néfaste pour l’union conjugale. Les Toucouleurs, au contraire, contractent mariage de préférence les lundi, jeudi et vendredi, et s’abstiennent formellement de toute union le samedi.
Il reste à signaler une forme assez curieuse de mariage.
La première femme, poussée par la jalousie, et entendant garder la suprématie dans le gallé, prépare à son mari des coépouses de son choix, et lui variant ainsi les plaisirs conjugaux, est assurée de ne voir pénétrer aucune intruse dans le galle. Elle prend dans sa case une fillette d’une douzaine d’années, la forme, l’élève et la conduit ainsi jus qu’à la puberté. A cette date, elle la fait entrer au nombre des femmes légitimes de son mari. Quelques années plus tard, elle recommence la même expérience. Ces jeunes femmes, éduquées et façonnées par l’ancienne, la considèrent un peu comme leur mère et lui obéissent.
Les relations sexuelles sont interdites pendant les menstrues. Toutefois, la femme continue à cohabiter avec le mari. Elle doit se laver trois fois le matin et trois fois le soir. Pendant tout le temps de leur durée, elle ne doit ni faire salam, ni assister aux enterrements, ni toucher le Coran, ni sortir de sa case d’une façon générale. - Les funérailles. — Quand le moribond foula entre en agonie, sa famille et ses amis l’assistent en récitant des prières. Aussitôt après la mort, on lave le corps avec de l’eau chaude. En dehors de cette purification rituelle et sommaire qui est réservée à des personnes du même sexe que le défunt, les femmes procèdent quelquefois, surtout quand le cadavre est sale, à un lavage complet à l’eau chaude. Le corps est alors roulé dans une couverture blanche ou bleue; elle doit l’envelopper trois fois ou cinq fois si c’est un homme; sept fois si c’est une femme, les bras sont plaqués au corps. Les pouces des deux pieds sont attachés ensemble. On met du coton dans les oreilles et les narines, et on répand des aromates et des parfums européens ou indigènes sur le corps.
Tous ces soins sont, généralement du moins, quand le défunt est un homme, l’oeuvre du salli ou muezzin local. Il reçoit pour son salaire un boubou, un pagne ou une couverture. Ils sont donnés au cadavre, en dehors de sa case, à l’intérieur de la grande tapade. Après quoi, on ne doit plus le rentrer dans la case. Aussi, attend-on le plus tard possible avant de procéder à ces soins funéraires. L’inhumation, qui a lieu 5 à 6 heures après le décès pour un individu du commun, peut n’être faite que 12 heures plus tard, quand il s’agit d’un notable ou d’un karamoko, ou même 24 heures plus tard, quand il s’agit d’un grand chef ou d’un Almamy.
Le cadavre est hissé sur une civière de bambous et emporté. au pas de course par quatre hommes La civière est spéciale au cadavre ct doit être déposée sur sa tombe. Les amis accompagnent le cortège. Seuls les hommes y participent, et ce devoir est de stricte obligation. L’abstention serait considérée comme une injure. Quant aux femmes, elles ne doivent jamais prendre part à un enterrement, même quand c’est une autre femme qui en est l’objet. Leur office consiste à se rouler par terre dans toutes sortes de contorsions et de gesticulations, à se frapper le front, à se tirer les cheveux. Elles courent haletantes et pleurantes dans les rues du village, et les femmes qu’elles rencontrent se joignent à elles et les imitent dans leur mimique.
La fosse a été creusée par des jeunes gens, amis du défunt; par ses talibés quand il s’agit d’un karamoko. Elle a un mètre de profondeur et comme longueur, la longueur du corps. On dépose au fond, à même le sol, le cadavre; on le recouvre d’un clayonnage latéral de branchages et de pieux, dont les interstices sont bouchés avec de la paille. On comble la fosse avec de la terre et des cailloux, en l’exhaussant légèrement et en marquant l’emplacement par la civière. Chacun rentre alors chez soi, et les membres de la famille, ainsi que tous ceux qui ont touché le cadavre, se lavent soigneusement les mains et les pieds.
Les karamoko sont généralement enterrés avec leur turban.
Jusqu’ici, on n’a guère vu de cérémonie proprement religieuse, encore que ces rites funéraires soient généralement ceux qui sont pratiqués dans le monde islamique. Quelquefois pourtant, au moment de la mort, le marabout voisin a été convoqué auprès de la couche du défunt, et dans ce cas, il y récite la sourate Yaa Sin. Mais il assiste généralement à l’inhumation, et récite la sourate « Dis: Et Dieu », qui doit préserver le cadavre de toute atteinte des hyènes.
Les obsèques des enfants sont moins solennelles. La famille seule y assiste. Il n’y a pas de prières, et les soins donnés au cadavre sont beaucoup plus sommaires.
L’enfant mort-né est enterré à côté de sa mère, décédée en couches, mais non dans la même tombe On lui creuse une petite tombe à droite ou à gauche. La femme est enterrée à côté de son mari.
Le repas funéraire, qui comporte le sacrifice d’un boeuf, des gâteaux, « tyobbal », et des calebasses de maïs, est de rigueur. Il est destiné à tous ceux qui ont participé aux obsèques: aux jeunes gens qui ont creusé la fosse, au salli qui a lavé le corps; aux personnes qui ont porté le bois et l’eau; au karamoko, qui a fait les lectures pieuses; aux amis qui ont honoré de leur présence les funérailles
Les cimetières, surtout les anciens, sont situés près des mosquées. Ce sont des pièces de terrain ad hoc, souvent des lougans abandonnés, ils sont entourés d’une tapade ou d’une haie vive de pourghères. Les civières de bambous sèchent, s’affaissent et se dispersent ; le léger exhaussement de terre, qui marquait l’emplacement de la tombe, se nivelle. Au bout de très peu de temps, rien n’indique plus les tombes, mais le cimetière, sorte de terrain sacré, est toujours l’objet du respect général, Quelquefois pourtant, surtout pour les personnages notables, la tombe est entourée d’une petite tapade circulaire de deux mètres de diamètre, ou d’une haie de pieux d’un mètre de hauteur. Les herbes folles poussent à l’intérieur et à l’extérieur, un gros arbre ombrage le tout; on a l’impression d’être plutôt devant un coin de fourré sauvage que devant un mausolée. Les témoins que les Arabes placent à la tête et aux pieds de leurs défunts, les inscriptions qui fleurissent sur les cippes des cimetières de l’Afrique du Nord et de l’Orient sont inconnus ici, et même interdits.
Le culte des morts n’est pas plus en honneur chez les Foula que chez les autres peuples africains. On ne prie pas pour les défunts, et on ne fait pas prier pour eux. Il n’y a ni cérémonie d’anniversaire, ni fleurs, ni symboles. Le passant ne rend aucun hommage à la tombe du chemin. Quelquefois seulement, un fils ou un talibé choisit de préférence la proximité de la tombe de son père ou de son karamoko pour venir y réciter une oraison et faire une pieuse lecture: « Mais, dit-il, c’est pour y jouir de plus de tranquillité. Des tombes, comme celle de Karamoko Alfa, qu’on voit à Timbo dans son ancien carré, ne sont l’objet d’aucun culte spécial, ce qui est surprenant. Pour le mettre à l’abri des dégradations des troupeaux, l’almamy Oumarou Bademba l’a fait entourer, ces dernières années seulement, d’un petit mur en pierres sèches, mais ses propres descendants ne viennent pas la visiter pour cela. Les Toucouleurs de Dinguiraye ont les mêmes usages, et c’est tout juste si le tombeau d’Al-Hadj Omar à Bandiagara, récemment restauré par les soins de l’administration française, jouit de quelque célébrité. Les Foula se défendent avec horreur de mettre quoi que soit dans les tombes. C’est une marque indélébile de fétichisme. En parler seulement suffit à vous faire considérer comme un infidèle.
Il n’en va pas autrement chez les peuples Fouta-Diallonké que l’Islam a à peine effleurés. Certains sociologues, et notamment Herbert Spencer, ont voulu établir indubitablement le « rapport entre le développement de la théologie spiritiste et celui du fétichisme ». Ce parallélisme n’est pas, quoi qu’ils disent, un fait acquis. On ne trouvait, et on ne trouve encore, chez les peuples fétichistes du Fouta, les Diallonké notamment, relativement avancés au point de vue religieux, que fort peu de traces de ce spiritualisme spécial. Le culte des ancêtres notamment, que cette école considère comme le premier élément de la croyance religieuse ne fut jamais en honneur chez ces fétichistes.
Par la suite, nombre d’entre eux — ceux qui n’ont pas émigré — se sont quelque peu islamisés au contact des invasions, prédications et violences peules, et il faut bien constater que, pour les uns comme pour les autres, cet état d’islamisation, qui est pourtant d’un degré supérieur en spirituel à l’état antérieur du fétichisme, ne s’est traduit par aucun développement du culte des ancêtres. Diallonké et Foula n’ont aucune vénération particulière pour les plus grands saints décédés et les ancêtres les plus vertueux. Dès qu’ils sont morts, ils sont oubliés, quel que soit le culte dont ils aient été entourés pendant leur vie, et l’on sait que ce culte va quelque fois bien près de l’adoration.
Il n’apparaît donc pas que le progrès de l’idée religieuse et l’épuration des croyances suivent cette marche normale que la philosophie évolutionniste a tirée trop hâtivement de certaines constatations et a érigée aussitôt en système.
Cette indifférence vis-à-vis des ancêtres, et plus généralement des morts, qui apparaît chez les fétichistes et qui s’est maintenue après leur islamisation, n’est d’ailleurs qu’une manifestation d’un état d’esprit plus général. C’est, semble-t -il, l’absence de dispositions naturelles pour la croyance à une vie surnaturelle et post-terrestre. On ne croit pas à l’intercession des saints parce qu’on ne croit pas à la propitiation des morts, et on ne croit pas à celle-ci, parce que, malgré les enseignements de la religion, on ne croit pas pratiquement à une vie future. Certains lettrés peuvent y penser, comme on s’imagine un plaisir prochain, et ils s’y délectent en imaginations voluptueuses, mais l’immortalité de l’âme, avec ses hauts enseignements et ses conséquences morales, ne constitue pas plus pour eux que pour la foule un guide de vie intérieure et de conduite vertueuse. Voilà pourquoi sans doute on considère généralement comme un geste inutile et quelque peu ridicule d’honorer un mort.
La femme doit porter très sévèrement le deuil de son mari. Elle enferme dès le lendemain de la mort, ses bijoux et ses beaux habits, et elle se vêtit de pagnes d’un tissu grossier. Elle défait son cimier (jubaade), aplatit ses cheveux, et les enserre dans un mouchoir ou dans une résille d’étoffe blanche. Il est d’usage, en certains endroits, d’offrir une calebasse à la veuve, le lendemain du décès de son mari. Elle doit rester enfermée dans le carré de son mari, et y vivre dans le silence et la discrétion. Chaque vendredi, et quelquefois le lundi, elle va, accompagnée par une vieille femme, au marigot ou au ruisseau voisin pour y prendre un bain et y laver ses vêtements. Le délai du deuil et de continence est, conformément à la loi islamique, de quatre mois et dix jours pour la femme légitime et deux mois et cinq jours pour la concubine. En réalité, la femme n’attend pas toujours l’expiration de ce délai pour remettre ses bijoux et habits, refaire sa coiffure (jubaade) et se remarier. En tout cas, elle amorce son affaire dès le premier mois; si elle n’a trouvé personne, elle est reconduite, à la fin du deuil, en grande pompe, par les parents et amis du défunt, du galle de celui-ci à son propre galle familial.
Quand la veuve (légitime ou concubine) est enceinte, le délai de deuil et de claustration doit durer jusqu’à l’heure de la délivrance.
L’homme n’est tenu à aucun deuil, à aucun délai d’attente, après la mort de sa femme. Il est même de bon goût chez les Foula de ne pas rester sous l’impression du malheur et de se remarier le plus tôt possible. Il est rare qu’un Foula qui le peut ne se remarie pas dans la huitaine de la mort d’une de ses femmes; on en a même vu qui contractait union le lendemain, et d’autres, le jour même de la mort de leur femme. En quelques points, il est d’usage que le mari observe un certain deuil; il consiste à porter son boubou à l’envers pendant quelques jours.
On procède au partage de la succession fort peu de temps après le décès, en général au lendemain du repas funéraire. Les fils prennent tout de suite les gris-gris et les frères les femmes du défunt. La chose ne va pas sans discussions, surtout quand les femmes ont du bien. Pour le reste, on procède à un inventaire.
Il n’est pas convenable de dire de quelqu’un qu’il est mort. Les formules abondent pour faire entendre la chose sans prononcer le mot. On dit:
Il n’est pas là il n’est pas dans son galle il est à la guerre il s’est absenté il s’est endormi il s’en est retourné, etc. - La femme. — La femme foula jouit d’une entière liberté d’allures. Son sort est semblable à celui de l’ensemble des femmes noires, bien supérieur, par conséquent, à celui de la femme arabe.
Elle est maîtresse absolue dans sa case, administre son bien personnel comme elle l’entend, este en justice, fait travailler ses lougans par des captifs, ou des salariés, s’associe en commandite commerciale avec des dioula, etc.; une vague autorisation maritale, tacite d’ailleurs plutôt que formelle, paraît nécessaire.
Elle dirige les travaux des captifs de son mari, surveille les opérations culturales et garde en main les intérêts généraux du galle.
Elle sort non voilée, fait telles visites qu’elle veut, reçoit et voit tous ses amis, hommes et femmes.
Elle est la tutrice de ses enfants, sous la surveillance de ses parents ou beaux-parents et surtout de la grand-mère paternelle. Une condition toutefois est imposée. C’est qu’elle ne se remarie pas. Sinon l’enfant passe sous la tutelle des grands-parents paternels.
Elle s’occupe des hardes de son mari. Quand elles sont plusieurs, elles se partagent ce soin. Elle garde les clefs des malles et des coffres, même celles de son mari, sauf toutefois si, par sa conduite, elle a montré qu’elle n’en était pas digne.
Elle est très bien traitée par son mari, non seulement comme l’assure le proverbe, dans les premiers temps de l’union: « Si la nouvelle mariée passe la nuit sans avoir rien à manger, l’hôte de passage est tiré d’incertitude sur ce qu’on lui servira » mais même par la suite et jusqu’au dernier jour. Elle jouit, à l’intérieur du ménage, d’une influence considérable, reconnue par les maris eux-mêmes. Le mari n’entreprend quelque chose qu’autant que l’opinion de sa femme est conforme à la sienne.
La première femme n’a pas, a priori, de situation spéciale. C’est celle que le mari aime le mieux qui commande en réalité, et celle que le mari aime le mieux est définie par le Foula « celle qui se conduit bien envers son mari ».
Cette influence de la femme est considérable dans les affaires de l’extérieur. La plupart des explorateurs ont été frappés du rôle important que jouait la « neene galle » dans la conduite des affaires politiques et administratives, et certains, comme Bayol et Noirot, avouent avoir été obligés d’en tenir largement compte dans leurs négociations diplomatiques.
En résumé, cette situation est heureuse et digne, malgré l’inconduite générale des femmes foula, déjà signalée, et qui est durement traduite par le proverbe :
« La femme est une rivière, tous les animaux peuvent y boire. »
Elle est surtout pleine d’espoir pour l’avenir, car elle permet d’entrevoir, si les choses restent en l’état, une transformation relativement facile de la société foula, grâce à cette indépendance et à cette influence de la femme et eu égard à sa facilité d’évolution.
Il est donc regrettable de constater les fâcheuses transformations que l’lslam fait subir à cette condition de la femme dans les milieux plus particulièrement religieux. Chez les almamys et chez certains chefs de diiwe et de province, chez les grands karamoko et dans les principaux groupements maraboutiques, ce qui représente, en quelque sorte, les zaouia de l’Afrique mineure, les femmes sont parquées dans des carrés spéciaux qui constituent de véritables harems. Elles ne sortent que voilées et sous la garde de sofa. Ceux-ci ont l’ordre de les suivre jusque dans l’accomplissement de leurs besoins les plus intimes. Elles sont retranchées de la vie sociale et économique, et transformées en troupeau de sérail. Ces cas sont heureusement très rares. La liberté dont la femme foula a toujours joui fait qu’elle s’accommode mal de ce régime de recluse, même quand on le lui présente sous la forme d’une prescription religieuse.
- L’habitation. — Le Foula habite la case de chaume (suudu); ces cases offrent toutes les dimensions, suivant la grandeur de la construction carrée, rectangulaire ou circulaire, de l’intérieur. Le dôme de chaume qui l’enveloppe descend jusqu’à terre, formant ainsi une véranda extérieure aux murs.
Les gens pauvres, les serviteurs, etc., habitent de petites cases de bois et chaume, sans constructions intérieures (tippuru).
La tente ou tillissa est inconnue.
L’ensemble des cases d’une famille est entourée d’une tapade et plus généralement d’une haie vive de pourghères. C’est le galle. A Timbo, et dans les régions qui, comme ce centre, sont peu peuplées et n’ont que peu de troupeaux, les galle ne sont pas entourés de haies, ni de tapades.
Galle et cases s’élèvent dans le village, sans beaucoup d’ordre, empiétant même sur les chemins de grande communication. Dans ce dernier cas toutefois, l’administration s’emploie à leur imposer un certain ordre.
En dehors des centres et villages importants de misiide, la campagne est parsemée de hameaux dits marga ou foulasoo, et sis généralement à proximité des terrains de culture.
Le Foula libre a son gallé au centre de la misiide, où il vient le vendredi pour la prière en commun, et les autres jours, quand ses affaires l’appellent. Il habite plus généralement, surtout à l’heure actuelle, ses foulasoo ruraux. Les captifs ne sont pas admis au galle de la misiide. On n’y trouve que le petit nombre nécessaire au service. Ils sont installés soit au foulasso, avec leurs maîtres, soit dans des hameaux spéciaux, dits runde.
Il n’y a pas de tata fortifié dans le Fouta-Diallon.
La case foula renferme des lits, (sing. danki ; plur. dandhe) petites constructions en terre, s’élevant à 0 m.50 au-dessus du sol et qu’on recouvre de nattes et de peaux de boeufs. On y ajoute des couvertures et des coussins de peau en guise d’oreillers. Elle se ferme par une porte de bois du pays (acajou, etc.) suffisamment polie et équarrie. Elle s’orne quelquefois de petits dessins, sculptures et arabesques de plâtre, sortes de bas-reliefs plaqués dans le mur, et qui semblent bien empruntés aux enluminures des livres de piété islamiques. Les portes sont parfois recouvertes aussi de motifs d’architecture semblables, soit sculptés dans le bois, soit pyrogravés.
Au milieu de la case, un petit emplacement circulaire de 0 m. 50 de diamètre marqué par une ou plusieurs rainures et légèrement abaissé, indique le foyer. C’est le hubbhinirde ou place du feu.
Tout autour de la case et à l’intérieur, court à quelques centimètres au-dessus du sol un petit rebord qui supporte; à droite de la porte les calebasses, pots, etc.; à gauche, les canaris et jarres d’eau; plus loin les malles et coffres à vêtements.
Sous la véranda, on abrite les ustensiles et objets de ménage, les léfa, les épis de mais, les réserves courantes de grain, les petites tables basses, etc.
La case diallonké est de forme ronde, grande et haute, très aérée. Elle est bien construite, entourée d’une large véranda, sur laquelle repose une toiture de chaume très inclinée. Cette toiture ne descend pas jusqu’au sol comme dans les cases foula. Souvent, le gallé est entouré d’une haie de pourghères, de bambous tressés ou de tapades diverses, entre lesquelles courent les rues de village. Celui-ci, peu étendu est généralement propre.
Le galle renferme souvent une case vacante à l’usage des hôtes. Quand il n’y en a pas, une des femmes évacue la sienne et on y installe l’hôte.
Les habitations des Buruure sont beaucoup plus sommaires et sont conditionnées par leur extrême nomadisme. Ils se construisent une hutte (wuro) en moins de temps qu’il n’en faut aux Sahariens pour édifier leur tente. Quelques branchages fichés en terre et sur lesquels on jette du chaume, des graminées ou des feuilles constituent la hutte. Deux jours plus tard, on file à la recherche d’un nouveau pâturage. Il n’y a donc aucun confort: tout est subordonné au bétail.
L’influence islamique est à peu près nulle dans ce domaine de l’habitat. Peut-être toutefois faut-il faire honneur à l’lslam, à moins que ce ne soit le fait de la race même, de la grande propreté qui règne dans les foulasso et cases foula. Les villages des fétichistes environnants sont loin d’être tenus aussi proprement et aussi coquettement.
En revanche, l’influence européenne y est très sensible, soit qu’elle se manifeste par des conseils ou des ordres de I’administration, soit qu’elle n’ait pas d’autre cause que l’esprit d’imitation et le désir du mieux-être. Les cases s’alignent, les véranda deviennent plus spacieuses, un petit mur les entoure quelquefois, formant ainsi une galerie circulaire agréable. Les moins irréductibles vont même jusqu’à écourter le dôme de chaume qui enveloppe les cases et consentir à ne pas les laisser traîner jusqu’à terre, ce qui oblige les gens à ne pénétrer qu’à plat ventre ou fortement courbés. Les haies sont mieux entretenues. Certains vont même jusqu’à construire des cases rectangulaires avec fenêtres. C’est l’almamy Alimou qui donna lui-même l’exemple dans cette voie, en 1900, en copiant les constructions de Noirot, à Ballayville. Il en fit son bureau et sa salle de réception. Bref, le progrès matériel, fruit de l’intervention européenne, est manifeste. - Le vêtement. — Le Foula est revêtu de la chemise ample, généralement simple, quelquefois double; du pantalon et du boubou (dolokke). Il y joint souvent une écharpe de guinée foncée.
La femme entoure ses reins d’un pagne, et s’enveloppe d’une grande robe-voile, dans le genre de la « melhata » arabe. Elle est surchargée, comme par tous pays, de colliers, bracelets et bijoux de tous genres.
Les étoffes sont généralement de fabrication européenne et sont achetées dans les boutiques des traitants et aux dioula de passage. La plus commune est la guinée classique, blanche et surtout bleue. Il y a aussi sur place une industrie assez florissante de tissage et de teinture. Ce sont les femmes qui l’exercent. Ces tissus sont plus rustiques, mais beaucoup plus solides. Jadis, la profession de teinturier était réservée aux seuls cordonniers (garanke). Mais depuis l’arrivée des Français, les besoins ont augmenté, et pour gagner un peu d’argent, toutes les femmes, même celles des riches, se sont mises à la teinture.
Ce sont les hommes seuls qui taillent et cousent les vêtements. Il n’y a pas de caste de tailleurs. Tout Foula s’emploie à ce travail. Les machines à coudre ne sont pas encore très répandues; on n’en trouve guère que dans les boutiques, qui se sont attachées un tailleur permanent.
Le couvre-chef est la petite calotte blanche (kufune), ornée de plus ou moins d’arabesques blanches ou noires
Elle est l’oeuvre du tailleur, qui la découpe dans une pièce d’étoffe européenne ou indigène, et l’orne de soutaches. La chéchia est à peu près inconnue. On ne la voit que sur la tête de quelques vieillards. Le bonnet de velours est quelque peu en usage chez les Diallonké. Les karamoko portent le turban, au moins le vendredi. Les femmes vont la tête nue, mais le mouchoir devient commun. Les jeunes filles portent le voile sur l’épaule (kammala), et les femmes sur la tête (tiggaare).
La chaussure classique (padhe-pettu) est la sandale, taillée dans le cuir cru d’une peau de bœuf. Les babouches jaunes, dites mukke, c’est-à-dire « où on peut entrer tout le pied », tendent à se répandre. Elles ne sont pas d’origine marocaine, comme on pourrait le croire, mais proviennent du Macina, de Dienne, et de Kankan. Elles sont à semelles renforcées. Sur ce modèle, les garanke foula commencent à fabriquer des babouches locales.
Les vêtements de laine n’existent pas au Fouta; à peine trouve-t-on quelques burnous ou djellaba, acquisitions d’origine marocaine ou syrienne, ou dons de fonctionnaires. Ce sont surtout les karamoko qui aiment à les revêtir, pour se donner de faux airs de Chérif ou d’Arabes.
Sur place, on ne sait pas travailler la laine. Au surplus, les ovins sont tous à poils. - Le système pileux. — L’antique modèle de la coiffure foula était la chevelure poussant naturellement, et tressée en seize petites cadenettes, tombant quatre sur chaque tempe et quatre sur chacune des faces arrières de l’occiput.
C’est le Kaasanko que la plupart des vieillards et des paysans portent encore. Quelquefois, on supprimait les cadenettes de l’occiput, et même on réduisait le nombre de celles des tempes à deux, trois ou quatre. C’était tout un art de porter élégamment son kaasanko, et les Pétrones étaient bien connus. Ceux qui n’avaient pas de cheveux se faisaient fabriquer des cadenettes postiches. Tel fut le cas du célèbre almamy Sori Mawdho. Les Almamys et les karamoko aimaient aussi à se faire de petites frisures de cheveux roulés, en très grand nombre, sur le front (diooro).
Depuis l’arrivée des Français, cet usage tombe en désuétude. Aujourd’hui, les jeunes générations se rasent à peu près universellement la tête.
Quant aux kasanko, ils ne sont plus entretenus avec autant de soin que jadis, et les Foula disent qu’aujourd’hui on ne porte plus que des oggiley, c’est-à-dire des « cordes de chanvre » mal tressées et sans goût.
Les enfants sont rasés, le septième jour de leur naissance, et continuent à l’être tous les deux mois environ. Quand ils commencent à marcher, on leur conserve la houppette au sommet de la tête (jubuuru). Quelquefois on laisse au garçonnet un petit fer à cheval de cheveux, allant d’une tempe à l’autre au-dessus du front (piilol). Houppette et fer à cheval tombent au moment de la circoncision. La diversité des coiffures d’enfant, si développée chez les Toucouleurs du Fouta Toro, ne s’est pas très partiellement maintenue chez les Toucouleurs de Dinguiraye et n’est même pas connue chez les Foula.
La coiffure des femmes foula est le grand cimier classique (jubaade) vide de cheveux à l’intérieur, ce qui le différencie du cimier diakanké, etc. On le tourne et met à plat quand on veut poser une charge sur la tête. Le cimier gabou-malinké, beaucoup moins élevé et par conséquent moins incommode, tend à se répandre, ce qui constitue une marque de l’influence fétichiste. C’est le tyedi ou dolibali.
Il n’y a pas de différence de coiffure entre les libres, les gens de caste et les captifs.
Si le système chevelu des Foula est assez bien fourni, le reste de leur système pileux est plus que médiocre. Ils n’ont, en général, que fort peu de barbe et encore moins de moustaches. Aussi le soin du rasoir ne tient-il que fort peu de place dans leur existence. Il est de tradition de se couper les moustaches aux ciseaux tous les vendredis à l’issue de la prière. On la coupe tout entière, sans s’occuper de la modeler sur le filet arabe, tout à fait en honneur chez les Maures. Quant à la barbe, tant des joues que du menton, on ne la rase jamais. Pourtant, quelques jeunes gens à l’imitation de la coutume soussou, commencent à se raser les joues. C’est un soin qui paraît bien inutile.
Il est d’une rare élégance de porter les favoris (karamkabe), mais très peu de tempes sont susceptibles d’en avoir.
Les aisselles sont épilées régulièrement tous les vendredis. On les frotte souvent au préalable avec un peu de cendre, mais l’habitude fait qu’on ne sent plus la douleur. Les femmes sont astreintes à la même règle, mais ne la suivent pas avec autant de méthode.
Les parties sexuelles, tant masculines que féminines, doivent être épilées aussi, chaque fois qu’il en est besoin Le reste du poil n’est pas touché. Il est vrai qu’il est peu fourni et sans longueur. On cite comme des phénomènes les hommes pourvus de cette armure pileuse. C’est ainsi que la poitrine velue d’Alfa Oumar Telihun, chef du Kolen, a été célèbre en son temps, dans tout le Fouta. Il est vrai que sa grand-mère était une Malinké, et c’est ce qui explique cette dérogation à l’ordinaire constitution physique des Foula. - L’alimentation. — Le mets national des Foula est la soupe-bouillie de mais, de fonio ou de riz. On fait bouillir une marmite d’eau et on y verse une demi-calebasse de grain pilé. On laisse encore bouillir plus ou moins longtemps, suivant la graine, et on mange chaud, après avoir arrosé le tout d’une sauce d’arachides ou d’oseille sauvage pimentée, le maafe.
Le couscous classique de mil est aussi connu.
Les légumes indigènes sont peu nombreux : gombo, petites tomates, etc. Les légumes européens se répandent, poussent à merveille, et sont acceptés sans difficultés.
Les fruits sont abondants; oranges, citrons, bananes, mangues, papayes, karité, etc.
Les laitages: lait frais, lait caillé, beurre frais, beurre fondu surtout, tiennent une place considérable dans l’alimentation foula. Les fromages sont inconnus, et les oeufs non consommés. Cette interdiction des œufs ne parait pas d’origine religieuse. On ne mange pas les oeufs en principe, parce qu’ils sont destinés à la reproduction. Par la suite, cette abstention s’est généralisée, même quand, manifestement, il était impossible à une ménagère de faire couver tous ses œufs. Aujourd’hui, au contact des Français et sur leur exemple, la consommation des oeufs tend à se répandre.
Le poisson est assez rare dans les rivières du Fouta. Aussi ne tient-il pas place dans l’alimentation. Il n’y a d’ailleurs ni pêcheurs de profession, ni pêcheurs de caste.
La viande est très prisée, mais assez rare, car le Foula immole toujours à regret un boeuf ou un mouton de son troupeau. Il consent avec moins de regret au sacrifice d’une chèvre, et plus souvent, encore celui d’une poule. La bête est égorgée suivant le rite islamique. Ce mode de mise à mort paraît d’ailleurs antérieur à l’Islam, car on le retrouve partout en Afrique noire, même chez les populations fétichistes; mais aujourd’hui, chez celles qui ont adopté la loi du Prophète, il s’accompagne des formules classiques: Bismillah, quand on pose le couteau sur la gorge; Allah Akbar, quand le sang coule. Le sang, chose souverainement impure, reste à terre pour les chiens.
La viande de sanglier est interdite, et les Foula observent en général cette interdiction; mais les captifs de toute origine et les Malinke et Diallonké consomment cette chair sans souci.
La boisson ordinaire est l’eau. Il faut y ajouter le lait quand on en a, quelquefois le café, le kenkeliba, la citronnelle, imitation évidente des Européens, et plus souvent le thé. Deux boissons locales sont en honneur ici: la première, le mboyri, est une sorte de soupe liquide, farine légère délayée dans l’eau chaude. On le boit au repas et dans l’intervalle. En temps de carême, c’est avec le mboyri qu’on fait le petit repas de la fin de la nuit. Le second, le sungala, est moins orthodoxe; c’est une sorte de piquette, assez agréable à boire, et extraite de baies séchées, pressées et fermentées.
Les Foula fument peu, mais prisent beaucoup. Ils considèrent l’usage du tabac sous toutes ses formes comme licite.
La cuisine est généralement faite par les femmes. On se moque du mari qui prépare lui-même sa cuisine. Aussi, si la femme est malade, va-t-il chercher sa pitance chez les voisins. D’ailleurs, la femme ne cohabiterait pas avec un homme qui s’obstinerait à faire la cuisine, et cette répulsion irait jusqu’à la répudiation. Le dicton foula dit:
« L’homme qui fait la cuisine ne peut pas vivre avec une femme. »
Il n’est pas impossible de trouver des cuisiniers de métier, mais c’est chez les seuls Européens qu’on les trouve. Les filles aident leur mère à la cuisine.
Les repas ne sont pas pris en famille. Les hommes mangent ensemble: maîtres et serviteurs. Les femmes mangent à côté: maîtresses, filles et servantes. Les enfants mangent dans une calebasse à part, d’abord, à côté de la mère, ensuite, à côté du père, par la suite, seuls, entre jeunes gens. Le repas commence toujours par la formule sacramentelle : Bismillahi. - Tribus, fractions, et familles. — Le groupement foula, comme tous les autres groupements peuls, comprend dans son sein les quatre grandes tribus classiques de la race. Ce sont :
- Uururbhe, au sing. Uuruuro, et qui correspondent aux Ba Balde
- Diallubhe, au sing. Dial-Diallo, que les Foula assimilent complètement aux Yirlaabhe
- Dayeebhe, Dayeejo, qui correspondent aux Bari ou Barry
- Ferobbhe, au sing. Pereejo, qui correspondent aux Soo, Soh ou Sow
Ils ne peuvent fournir l’explication, vraisemblablement historique, de ces correspondances. La tribu est exactement l’équivalent de la tribu sémite, et l’on ne peut être Foula sans appartenir à l’une quelconque de ces quatre tribus, de même qu’on ne peut être Juif sans appartenir à l’une quelconque des douze tribus d’Israël.
La tribu foula n’est pourtant pas la tribu arabe, groupée, campant et transmuant collectivement. La vie sédentaire a formé ici d’autres communautés, le village, le foulasoo, etc., où, à un fond de même ascendance tribale, viennent se joindre des éléments ethniques, appartenant aux origines les plus diverses, et intimement mêlés, dès la deuxième génération, au fond primitif. Les intérêts du cultivateur et même du pasteur bovin, à demi sédentarisé dans sa vallée ou son bowal, se différencient de ceux du berger peul nomade des siècles précédents, et produisent d’importantes transformations dans sa vie sociale. L’unité ethnique, de personnelle, tend donc à devenir territoriale, comme chez les peuples noirs, encore qu’on n’oublie jamais les liens de l’origine et de la fraternité de tribu. On est toujours Foula, mais on est déjà Fouta-diallonke ou Fuutanke.
La ; tribu se décompose en fractions ou lenyol (pl. leyyhi). La plupart de ces fractions ont été données ou citées antérieurement. Leur classification méthodique reste encore à faire, non seulement pour le Fouta-Diallon, mais encore pour les autres groupements Peul de l’AOF et de l’A.E.F.. On pourra alors rapprocher et comparer ces groupements et tirer sans doute d’intéressantes conclusions historiques.
On peut donner, à titre d’exemple, le fractionnement de tribu Dayeebhe, très peu nombreuse au Fouta, raison qui, paraît-il, fit choisir Karamoko Alfa qui en était membre, comme chef de l’insurrection islamique et de l’indépendance foula. Il avait peu de partisans, unis à lui par les liens du sang, et on ne craignait pas qu’il s’imposât par la force et le nombre à l’ensemble de ses frères.
Dayeebhe | Seeriyaabhe |
Seediyaabhe | |
Wolarbhe | |
Uyaabhe |
La fraction ou lenyol se décompose en une multitude de familles: dambudhe (au sing. dambugal), c’est-à-dire « qui sort de la même porte ». Ce sont des familles globales, composées des descendants d’un ancêtre commun, après trois, quatre ou cinq générations. Il se forme tous les jours de nouvelles familles.
- Classes et Castes. — La société foula est extrêmement hiérarchisée et, sur ce point, l’influence de l’Islam n’a jamais pu se faire sentir et l’influence européenne, malgré les diverses réformes administratives n’a encore produit que des résultats de surface.
On distingue trois grandes classes qui se subdivisent elles-mêmes en classes secondaires:
- les Rimbhe ou peuple libre foula
- les Nyeenyubhe, ou gens de caste
- les Haabhe, ou captifs
Sous le nom de Rimbhe, on désigne l’ensemble du peuple libre d’origine peule, tant foula que poulli. Jouissant de la plénitude des droits civils et politiques, ils sont tous égaux devant la loi religieuse comme dans la tradition sociale. Ils peuvent contracter des unions entre eux, encore que dans les premières classes, aristocratie du pouvoir, de la richesse et de la science, les parents donneront difficilement leur fille à un Buruure sauvage et inculte. Mais il n’y a là qu’une difficulté de convenance et non un empêchement de principes. Les Rimbhe sont les « honestiores » de la société foula.
Les classes rimbhe sont :
- L’Almamy et sa famille
- Les Lambhe (au sing. Landho), c’est-à-dire les chefs de diiwe et de districts et tous les membres de leurs familles, ou suudu-laamu, parmi lesquels on choisit les chefs. Ce sont les représentants traditionnels de l’autorité, fils des grands fondataires du Fouta, ceux-là même parmi lesquels notre administration devrait considérer comme un devoir absolu de prendre ses chefs, chaque fois qu’elle le peut. Ils jouissent d’un pouvoir considérable à côté de nos agents, arbitrairement choisis, et souvent les conflits occultes et l’inexécution de nos ordres proviennent moins de la désobéissance formelle à notre autorité que de la rivalité des deux pouvoirs locaux et de l’inertie des gens qui en profitent, ou souhaiteraient voir les ordres leur être transmis par leurs chefs traditionnels, ou tout au moins ne sauraient pas invoquer avec eux les mauvaises raisons qu’ils donnent à nos chefs.
- Les Hooreebhe (au sing. Horeejo) ou ministres, vizirs et conseillers des Almamys et chefs
- Les Moyyhubhe (au sing. Moyyho), ou notables, personnages influents et karamoko
- Les Rimbhe proprement dits (au sing. Dimo) ou peuple foula
- Les Bhaleebhe, ou classe inférieure, soit d’origine Foula comme les noirs libres d’autres peuples (Sarokollé, Malinké…) et les Rindhinaabhe ou affranchis.
- Les Nyeenyubhe sont tous les gens de caste. Ils vivent groupés entre eux, soit par hameaux, soit par quartiers de villages. Toutes ces castes — les humiliores de la société foula — sont mises sur le même pied, sauf, toutefois, les griots qui constituent une caste inférieure. Chaque caste pratique une endogamie très fermée. De plus, les Rimbhe ne peuvent épouser en union légitime une fille de caste, et réciproquement. Ils ne peuvent pas non plus la prendre comme taraajo, ou concubine, parce qu’elle est une femme d’origine libre. Aujourd’hui, ces règles tendent à s’estomper, au moins entre gens de caste et on cite plusieurs unions entre individus d’une caste et filles d’une autre caste. Alors qu’ailleurs les femmes des gens de caste ont la réputation de fournir les éléments de la prostitution, ici, on ne dit rien de tel sur leur compte. Au contraire, les Foula eux-mêmes reconnaissent que les femmes des gens de caste se tiennent beaucoup mieux que leurs propres femmes.
Les castes nyeenyubhe sont:- Les Garanke ou cordonniers, travailleurs de cuir, fabricants de selles, de sacoches, de fourreaux d’armes, de sandales, de reliures de livres, d’étuis à gri-gris, etc. Ils tannaient aussi les peaux, les travaillaient, et en faisaient le commerce.
- Les Waylubhe (au sing. bayillo), ou forgerons, travailleurs du fer ct quelque peu du bois. Ils comprenaient deux classes:
les Fayande, complètement libres, qui fabriquaient les canaris ils disparaissent aujourd’hui, car tous les serviteurs se sont mis à la confection de ces ustensiles.
- Les waylubhe ordinaires, d’origine servile, qui fabriquaient les armes (lances, sabres, coupe-coupe), les couteaux, les haches, les instruments agricoles, les portes et les coffres, les encriers, etc. Ils étaient aussi les bijoutiers-orfèvres et travaillaient les métaux précieux. Les waylubhe de Timbo, notamment, s’étaient acquis comme bijoutiers une grande réputation d’habileté dans tout le Fouta.
- Les Lawbhe, ou travailleurs du bois, fabricants de calebasses, de chaises et de bancs, de tabala, de pirogues, etc.
- Les griots qu’on divise en Awlubhe (au sing. gawlo), ou griots de Toucouleurs et Jeliibhe, ou griot de Malinke. Les Awlubhe sont originaires du Bhundu et comprennent les familles Sek, Niang, Dieng, Sok, etc. Les Jeliibhe sont venus récemment dans le Fouta, et sont originaires des pays malinké. Ils sont moins estimés que les premiers. Leurs principales familles sont les Kuyate et les Sisoko. Les uns et les autres passent pour être les fils de Souragata, qui était un des compagnons du Prophète. Ils ont été réduits à cette condition inférieure, à la suite d’aventure où la tradition islamique et la légende fétichiste s’entremêlent assez confusément, et qu’il serait hors de propos de narrer ici.
Les gens de caste étaient tenus à l’écart de toute éducation islamique. Ils ne la postulaient pas, d’ailleurs. Aussi, avaient-ils la réputation d’être de parfaits mécréants. Aujourd’hui où les prodromes de l’égalité sociale commencent à apparaître, les gens de caste envoient leurs enfants à l’école coranique. Ils y étudient, quelquefois avec goût, comme l’intelligence n’est pas la propriété des seuls Rimbhe, quelques-uns de ces enfants acquièrent un certain bagage de lettrés. Quelques parents eux-mêmes, assis par leur fortune ou leur réputation, fréquentent assidûment la mosquée. Il y aurait donc une tendance à l’islamisation des gens de caste. - Les Maabo ou tisserands ne formaient pas une caste. C’était une profession que tous les captifs exerçaient.
Les Haabhe englobaient tous les captifs : captifs de case ou Ndimaabhe; captifs de traite ou Soodaabhe.
- Les Ndimaabhe, captifs domestiques, jouissaient d’une existence aussi tranquille et aussi heureuse que les enfants de la maison. C’étaient bien de véritables serviteurs (Huuwoobhe), comme on les appelle aujourd’hui depuis la suppression de la captivité. Ils faisaient partie, depuis plusieurs générations, de la famille globale du maître, étaient traités comme tels, cultivaient les champs, en vivaient, possédaient une famille et des biens, dont d’autres captifs, et étaient quelquefois plus riches que leurs maîtres. Ils avaient acquis leur condition servile par la naissance. La suppression de la captivité n’a que fort peu touché les Ndimaabhe, et la plupart sont restés dans le sillage de leurs ancêtres.
- Les Sodaabhe (Mattyubhe) étaient moins heureux, en ce sens que leur existence manquait complètement de stabilité, surtout de stabilité familiale. Ils servaient de monnaie courante, notamment pour les mariages, où, avec les bœufs, ils constituaient la dot classique. Ils étaient originaires, soit surtout du haut pays malinké et bambara, soit de la région côtière (Tenda, Landouman, Nalou, Mikiforé, Baga, Soussou), soit des pays du Gabou et de la Casamance) et tenaient leur condition servile, soit de l’achat, soit surtout de la guerre. C’était, en effet, vers ces peuples que les Foula portaient leur ardeur de prétendue guerre sainte. Il y avait donc, tant par suite de la brutalité avec laquelle ils avaient été arrachés à leurs foyers que par suite des transactions dont ils étaient l’objet, un certain état de souffrance. Mais ils n’étaient victimes d’aucun mauvais traitement spécial.
La captivité était extrêmement douce, c’est incontestable et les châtiments corporels avaient disparu. captifs de toute classe s’émancipaient avec le progrès des moeurs. Un certain nombre de Soodaabhe, encore remplis des souvenirs de leurs origines, ont regagné leur pays, dès la suppression de la captivité, et y ont repris leur condition d’hommes libres.
Ndimaabhe et Soodaabhe n’exécutaient que fort mal les ordres qu’on leur donnait. Les maîtres se plaignent qu’avec plusieurs dizaines de captifs, ils n’arrivent pas à faire réparer une toiture de case, à faire restaurer une tapade qui s’effondre.
Au lieu d’aller travailler aux champs du maître, les captifs vont récolter le caoutchouc et le vendent aux Syriens ou aux traitants, en oubliant complètement de lui porter au moins une partie des bénéfices. Quand il désire prendre une de leurs filles comme concubine, on la lui refuse nettement et sans explications. On doit donc constater que, dès avant notre prise de possession effective de l’autorité, le sort des captifs s’était considérablement élargi et amélioré. C’était, en réalité, des serfs beaucoup plus que des esclaves, et ils avaient toutes les facilités d’échapper à la tyrannie, notamment par la fuite et la force d’inertie. D’ailleurs, les Foula de la basse extraction et les Pulli Buruure travaillent et vivent comme eux, sont pillés par les « neveux et fils d’almamys », au même titre qu’eux, et on ne voit pas ce qui, pratiquement, distingue les uns des autres. A signaler ici que la rapacité foula qui laissa les captifs payer eux-mêmes et sur leur bourse leur impôt, demandé par les Français, a fortement contribué à développer chez eux le sentiment de la liberté et de leur indépendance administrative, comme elle a permis à l’autorité française de se rendre compte du nombre et de l’emplacement des captifs, renseignements qui, par la suite, ont été utiles pour contrôler leur émancipation.
Ndimaabhe et Soodaabhe, sauf quelques uns d’entre eux attachés à la personne de leurs maîtres, et ne quittant pas, vivaient groupés dans des hameaux de cultures ou runde, à proximité des champs du maître. Le chef du runde, véritable patriarche et juge, était choisi parmi eux, mais était quelquefois d’origine Pulli. C’était le saatigi ou saatige. C’était lui qui fixait le travail, surveillait les récoltes et les faisait parvenir au maître, dirigeait la vie sociale et économique du groupement, etc. Il pouvait même louer ses hommes à autrui, et c’est ce qui se fit fréquemment au début de l’occupation. Les chefs de village, sommés à fournir des travailleurs salariés, transmettaient l’ordre à leur saatigi, et celui-ci faisait parvenir le nombre de captifs demandés. D’autres captifs étaient employés par leur maître à faire du commerce, à ramasser du caoutchouc et de la cire, à faire des terrassements au chemin de fer, etc. Mais le propre du travail servile était la mise en valeur des champs du maître, et c’est ce qui fait que le captif a beaucoup plus l’apparence — et la réalité — d’un serf agraire que d’un animal, comme le veut le droit musulman avec le droit romain.
La suppression de la captivité a amené un malaise général dans le Fouta. La vie économique a fortement baissé, au moins dans les premiers temps: les Foula, Toucouleurs et Diakanké, réduits au travail servile et à la misère, ont été très indisposés contre nous. Il a fallu remédier dans une certaine mesure à cette souffrance économique et sociale et à ce malaise politique. Les maîtres demandaient que, pour ménager la transition, les captifs, tout en recouvrant leur liberté de principe, fussent maintenus, pendant un certain nombre de jours par semaine, à leur disposition pour les travaux agricoles. Cette solution, qui n’était guère pratique, fut rejetée, et celle du métayage adoptée. De toutes parts, sous l’impulsion des autorités françaises, des contrats de métayage ont été conclus entre maîtres et captifs d’hier, devenus officiellement les serviteurs. Les modalités diffèrent suivant les réions. Le principe est que le maître reste le propriétaire des terrains et que le captif devient définitivement un homme de condition libre. L’ex-captif continuera à travailler les champs du maître moyennant une quote-part de récolte, ou moyennant 0 fr. 25, 0 fr. 30, 0 fr. 35 par jour de travail effectif, ou moyennant la cession d’une parcelle de terrain qu’il travaillera pour son compte, trois jours par semaine, les autres jours devant être consacrés aux champs du propriétaire. Chacun des intéressés fournit ses semences; chacun paye son impôt. Le captif tend à devenir l’associé (Ballo pl. Walloobhe). Bien des difficultés ont été aplanies par ces accords de métayage; bien des conflits politiques ont été évités, encore que le système n’ait pas eu partout la même vogue et le même succès. C’est dans ce sens que les questions des captifs d’lbrahima Fougoumba, du Tierno de NDama, d’Alfa Yaya, du Ouali de Goumba, et des successions des chefs de diiwe ont été rapidement et facilement réglées. Les ex-captifs ont été groupés dans des villages de liberté, à proximité de leurs anciennes résidences.
L’élément captif n’a jamais été que très faiblement islamisé. Les Foula veillaient à ce que leur vie matérielle soit assurée, mais ne leur donnaient aucune éducation intellectuelle. Ils n’assistaient que très rarement aux prières de la mosquée et n’envoyaient pas leurs enfants à l’école du karamoko. La plupart conservaient intégralement leurs pratiques fétichistes; ils n’avaient d’ailleurs aucun intérêt à s’islamiser, puisque leur conversion ne leur assurait pas l’affranchissement. Au demeurant, les Foula ne tenaient pas du tout à les voir sortir de leur condition et de leur fétichisme. Aussi, abrutis par des siècles d’ignorance et de servitude, la plupart des serviteurs d’aujourd’hui sont-ils d’une infériorité intellectuelle navrante. Ils justifient amplement la maxime grecque:
« Quand Zeus fait tomber un homme en esclavage, il lui enlève la moitié de sa vertu. »
Il leur faudra plusieurs générations pour se mettre au niveau des autres noirs, et c’est pourquoi on pourrait voir sans trop de regrets, si elle ne devait pas les cristalliser, l’islamisation, très partielle d’ailleurs, vers laquelle ils semblent tendre. Ils copient leurs maîtres d’hier dans l’assistance à la mosquée, dans l’envoi des enfants aux écoles, dans les cadeaux aux marabouts, et paraissent ainsi vouloir se rehausser à leurs propres yeux. D’autre part, certains de nos procédés n’y sont pas étrangers. L’assistance de certains administrateurs aux grandes fêtes de l’Islam laisse croire aux captifs que celui-ci est l’objet de toutes nos faveurs. Les exécutions des grands seigneurs et marabouts foula, en semant l’effroi dans tout le Fouta, ont également rapproché maîtres et serviteurs, et incliné ceux-ci vers la religion. L’affaire du Ouali de Goumba, notamment, a fait tomber de multiples haines et de vieilles rancunes et remis en contact cordial par la communion d’une inquiétude partagée, nombre de Rimbhe et de Haabhe, profondément divisés la veille.
D’autres captifs, au contraire, superficiellement islamisés par la volonté de leur maître ou le désir de leur plaire, reviennent peu à peu dans le régime de la liberté, à leur fétichisme traditionnel. C’est ainsi qu’on ne rencontre aucun karamoko chez les captifs de Foula, aujourd’hui réfugiés dans le Tinkisso, et que les derniers vestiges d’lslam disparaissent chez nombre d’autres.
Ce n’est pas le lieu de discuter ici l’opportunité de la suppression de la captivité. Cette discussion serait vaine à l’heure actuelle, où la chose est un fait accompli sur lequel il n’y a plus à revenir. On peut remarquer toutefois qu’elle fut prématurée, et trop radicale. Beaucoup plus que par l’occupation du pays et la destruction de la suprématie politique des Foula, nous nous sommes aliénés tout le peuple du Fouta-Diallon. On a pu voir, dans les premiers chapitres, que la suppression de la captivité avait été une des causes essentielles de la plupart des troubles politiques et religieux qui se sont produits dans le Fouta depuis 1906, et que l’espoir de restaurer l’ancien régime avait attiré de nombreux partisans à tous les chefs des partis hostiles. Ce n’est plus une classe politique qui s’est trouvée atteinte dans son orgueil et dans sa domination. Ce sont toutes les classes que nous avons désorganisées socialement et économiquement. Il n’est pas jusqu’aux captifs libérés eux-mêmes qui ne nous fassent grief d’avoir affranchi leurs propres captifs, quand ils en avaient, ou de leur interdire aujourd’hui d’en acquérir. Beaucoup ont, d’ailleurs, très durement souffert du nouveau régime, soit qu’abandonnés à eux-mêmes et non dirigés, ils n’aient plus travaillé et se soient éteints de misère, soit que, traqués et maltraités par leurs anciens maîtres, qui gardaient forcément, sous nos ordres, l’autorité politique et judiciaire, ils aient été punis et emprisonnés pour des crimes imaginaires, chassés du pays, pillés jusqu’au sang, sous prétexte d’amendes, de dommages, intérêts et de composition pécuniaire, etc. Cette mesure hâtive a fait plus d’une fois le malheur de l’oiseau qu’on lâchait trop brutalement de sa cage. Heureusement que beaucoup d’entre eux ont trouvé spontanément le remède, soit en réintégrant eux-mêmes leur cage, soit en cherchant un refuge dans la clientèle des grands marabouts. Le Ouali de Goumba, notamment, possédait sous le nom de talibé, plusieurs centaines de captifs, libérés par nos soins, et qui, incapables de vivre sans maître, en avaient cherché un, d’ordre religieux.
Il semble qu’il aurait fallu procéder progressivement; la suppression de la traite des négriers s’imposait évidemment et elle était un fait acquis par notre seule présence. On ne s’est pas assez rendu compte que c’était déjà une mesure de réforme, indirecte il est vrai, mais des plus considérables.
Il fallait ensuite viser à la transformation des captifs de monnaie courante (sodaabhe) en captifs domestiques (ndimaabhe), ce qui leur eût assuré la stabilité familiale et la tranquillité personnelle dont ils manquaient, eût fait d’eux des enfants du galle, et eut été une première reconnaissance officielle de la dignité humaine. A cette fin, il suffisait d’interdire simplement toute transaction, toute disposition bilatérale ou unipersonnelle où entrerait un captif à titre de monnaie. Et si l’on voulait aller plus loin encore, il suffisait, sans proclamer par une mesure générale la suppression de la captivité, de ne pas la reconnaître officiellement pour tous les cas individuels qui se poseraient. Il arrive, en effet, que les captifs intelligents, riches, actifs, visent à reconquérir leur liberté et s’émancipent moralement par leur attitude rebelle et leur refus d’obéissance, ou matériellement par la fuite. Ceux-là ont dignes de la liberté, car ils la souhaitent et en comprennent, avec l’honneur, les périls et les avantages. Toute plainte de maîtres foula venant réclamer l’arrestation de son captif et sa réintégration forcée à son domicile devait être rejetée, avec cette simple réponse que, si nous tolérions l’état de choses existant, nous ne reconnaissions pas l’esclavage et ne voulions pas prêter les mains à son maintien. Ces cas eussent été peu nombreux et n’auraient entraîné aucune perturbation générale. Avec le temps, cette attitude des Français se serait répandue dans les deux éléments, maîtres et captifs, et aurait provoqué la plupart du temps et sous la menace du captif de s’en aller, un adoucissement à son sort, quelquefois une séparation plus ou moins violente, dont, en tout cas, le loyalisme indigène à notre égard n’eut pas fait directement les frais.
Le jour où la captivité n’eut plus existé que de nom, ou, tout au moins, le jour où des conflits entre maîtres et captifs moralement émancipés, eussent surgi un peu partout et justifié notre intervention, nous aurions pu décréter la suppression de la captivité. La mesure eût été comprise alors, sinon trouvée agréable. Aujourd’hui, nous paraissons avoir voulu porter atteinte délibérément à une loi de l’Islam, reconnaissant nettement la captivité, installer tyranniquement nos mœurs aux lieu et place des coutumes indigènes, et percevoir gratuitement des impôts au détriment des maîtres légitimes, frustrés dans leurs revenus, comme dans leur capital. Tous les efforts de notre politique d’apprivoisement sont butés, toutes nos explications restent incomprises, toutes nos déclarations d’amour paraissent insincères; et il est à croire que cet état d’esprit durera au moins autant que la génération actuelle.
En marge de la société régulièrement constituée des Foula, vivaient quelques Chorfa, en général, fils de Maures ou de Marocains et de femmes peul. Les pères, venus chercher fortune dans le Fouta, n’avaient pas manqué de se parer de cette qualité, que les Mélaniens (c’est-à-dire les Noirs) accordent facilement aux musulmans blancs, même quand ils ne s’en targuent pas ; et qui est une condition de réussite en pays noir. Depuis l’affaire de Goumba, la plupart des Chorfa ont disparu. Quant aux autres, ils tendent à se fondre dans la masse peule. Ils n’ont d’ailleurs jamais joui au Fouta d’une très grande considération. C’était leur science ou leur sainteté personnelle, plus que leurs origines chérifiennes, qui leur valait du prestige dans leur village, ou des cadeaux des chefs
- Agriculture et élevage. — L’influence de l’lslam dans le domaine agricole au Fouta-Diallon est nulle. En tout cas, elle n’a produit aucune amélioration dans le progrès agraire.
On ne voit pas qu’il ait introduit de nouvelles culture. Celles d’aujourd’hui sont celles des siècles passés et celles des voisins fétichistes:
Riz, qui entre pour une si grande part dans l’alimentation des classes aisées. Il y en a de nombreuses espèces qu’on partage en deux classes: riz de marais qui vient dans les terrains d’inondation et sur les bords des rivières et marigots; riz de montagne, moins hâtif, qu’on plante à flanc de coteau et sur les croupes sèches.
Mil, et surtout fonio, qui sont l’aliment par excellence du peuple Fouta-Diallonke. Il n’est pas de village qui n’ait ses champs de fonio. « Le grain, c’est de l’argent » dit le Foula.
Maïs, très consommé aussi, et qu’on retrouve dans toutes les vallées du Fouta, surtout autour et à l’intérieur des villages.
Tabac, autour des cases; cucurbitacées les recouvrant; tubercules (patates, igname, manioc, jaabere…), en bordure des enclos.
Arachides, qu’on consomme en gâteaux et en amandes, ou qu’on transforme en sauce pour le riz et le fonio: c’est surtout l’influence européenne qui s’est fait sentir ici, et si les champs d’arachides ont augmenté, c’est pour satisfaire aux besoins du commerce. Les arachides sont cultivés particulièrement dans les villages diakanke. Les Foula traitent même les Diakanké de « mangeurs d’arachides » .
Coton, qu’on trouve autour des cases. Ce sont les villages diakanké qui ont les plus beaux champs de coton.
Indigo, cultivé en petite quantité. Ce sont les villages sarakollé, et notamment Balibok, qui sont les plus renommés par la qualité de leur teinture.
Plantes maraîchères, qui tendent à se répandre sur les conseils, les exemples et les dons de graines des autorités françaises.
Caoutchouc, répandu en abondance dans le Fouta et qui a fait sa fortune, ces dernières années. C’est encore la demande européenne qui a produit ce développement économique, et quand la demande a baissé, il s’est instantanément produit un accroissement des cultures de riz, de mil et d’arachides, et un exode vers la Gambie et le Saloum. Au surplus, l’administration s’est employée à faire des cours de cueillette pratique du caoutchouc pour apprendre aux indigènes à ne pas saigner ou couper leurs lianes de façon à entraîner la mort de la plante, et pour obtenir d’eux un meilleur rendement par la coagulation en plaques.
Arbres fruitiers de nombreuses variétés, et particulièrement les orangers et les citronniers (cf. le lemunne-ko ou « rivière des citronniers », dans la province de Loufa, du Dinguiraye).
Plantes d’ornement enfin, et notamment les rosiers qui abondent au Fouta et donnent un aspect si charmant aux postes et à certains villages.
L’Islam n’a pas perfectionné non plus les modes de culture Ce sont toujours les modes traditionnels : travail à la pioche, à la petite houe, à la serpette et à la main. Les véritables travailleurs de la terre sont les esclaves ou le bas peuple à peine islamisés. Le souci de la prière, des oraisons et des pieuses méditations semble, au contraire, avoir écarté le Foula instruit et religieux de tout travail servile, et il paraît bien qu’il y a presque une antinomie complète entre le labeur agricole, propre du captif et du fétichisme, et le service d’Allah, exclusivement réservé aux personnes libres et aux vrais musulmans. Il est à croire que la libération des captifs, en arrachant le Foula à ses interminables stations à la mosquée et en le contraignant à prendre lui-même l’outil agricole en main, le détachera quelque peu de sa religion, ou, tout au moins, de la forme mystique de sa pratique religieuse.
On ne voit pas enfin que le droit ait donné lieu à la constitution d’associations agricoles. On était resté jusqu’à ce jour à l’antique forme de l’esclave ou au travail collectif et amical entre parents, voisins et amis, et, sur ce point, c’est encore l’influence française qui se fait le plus sentir.
Dans le domaine de l’élevage, au contraire, les Foulas, pasteurs émérites, ont exercé la plus heureuse influence.
Ils ont développé au Fouta-Diallon, et très intensivement, l’élevage du cheptel bovin, et répandu, à travers les vallées et les boowe, d’innombrables troupeaux de boeufs et de vaches. Ils y ont ajouté d’ailleurs l’élevage de moutons et des chèvres.
Les procédés d’élevage sont toujours rudimentaires. Il n’a pas d’étable, mais un enclos bien fermé, à côté de la case, où les bêtes sont à l’abri des fauves et des voleurs. Ils ne savent pas emmagasiner leur foin ou construire des meules, de sorte qu’à la fin de la saison sèche, le bétail souffre. Peu de gens lui donnent des branchages comestibles (nonko, keri…), du son de riz ou de maïs, ou des tranches de tubercules. Ils soignent très empiriquement les maladies de leurs troupeaux et en perdent beaucoup. Tous les trimestres pourtant, on leur fait prendre du sel, mêlé à la boue d’une case spéciale (ou de termitière active), et que les bêtes viennent lécher. Enfin, dans une région où manquent le cheval et le chameau, ils n’ont pas su faire subir à leurs boeufs un dressage approprié, comme la chose est courante en pays maure, et faire d’eux des montures et des bêtes de portage. Ici encore, c’est l’influence française qui provoquera le progrès ; les tentatives de portage, suivies avec quelque étonnement, sont déjà imitées. Quant aux essais d’attelage, déjà tentés alors que les routes ne sont pas encore achevées, ils produiront certainement le meilleur effet sur les populations. On voit déjà partiellement sur les routes de Mamou à Pita et Labé, de Dalaba à Ditin, de Dinguiraye à Bissikrima, de petites charrettes, traînées par deux boeufs foula et on peut espérer que ce développement pratique des relations sera peu à peu imité de toutes parts par l’élément indigène et entraînera un progrès économique sérieux.
Le boeuf est, depuis la suppression de la captivité. La monnaie d’échange courante au Fouta-Diallon: monnaie réelle pour les payements et les trocs; monnaie fiduciaire pour les contrats.
On ne fait que peu l’élevage du boeuf pour la boucherie, et on ne garde que le nombre indispensable de taureaux, mais on castre et on engraisse des moutons pour les jours de fête.
Les pâturages sont abondants: ils sont surtout constitués par les boowe (au sing. boowal), ou hauts plateaux à base de latérite et qui constituent la plus grande partie de l’année de magnifiques et immenses prairies naturelles. Là, les troupeaux peuvent circuler librement, sans avoir à craindre les mouches ttsé-tsé mortelles. Les plaines, plus ou moins étendues, qu’arrosent certaines rivières, restent plus longtemps verdoyantes, mais elles sont redoutées par les Foula à cause de la présence de la tsé-tsé. - Industrie. — L’heureuse influence que l’Islam aurait pu exercer dans le domaine industriel s’est heurtée aux préjugés plus forts de la coutume et de la hiérarchisation des castes. Elle n’a pas pu les vaincre, et dans cette société qui se dit et est en réalité fermement attachée à la loi du Prophète, le travail servile, toujours dégradant, est le propre des castes spécialisées et inférieures et des captifs.
Le travail du fer et particulièrement du bois est le domaine de la caste des forgerons (waylubhe). Ils creusent de petites mines, sortes d’excavation de deux à quatre mètres de profondeur, ou de galeries à ciel ouvert, et à l’aide d’un petit pic spécial (subiire) détachent des blocs de latérite. Cette latérite est jetée dans des hauts fourneaux rudimentaires, à bâtis en terre réfractaire et qui n’ont guère plus de 1 m 50 mètres de hauteur. On y entremêle les couches de pierre et les couches de charbon de bois. Ce charbon est fait par les forgerons eux-mêmes. Un soufflet en peau de boeuf ou de mouton, ou même de panthère, y est adapté. Il est muni d’un chalumeau généralement double, et les tuyaux sont réunis par un anneau. Le forgeron, ordinairement seul, quelquefois aidé d’un enfant, extrait de son haut-fourneau, suivant des procédés qui rappellent ceux de l’Andalousie, ou de la Sicile, un métal plus ou moins pur qui lui servira à forger des armes, des étriers, des éperons, des clefs et cadenas, des instruments agricoles, etc.
Le travail de l’or appartient aussi aux waylubhe, mais ce métal n’existe pas au Fouta. Il est apporté en lingots par les dioula Sarakollé et Malinké des mines de la région de Siguiri.
Les Foula le leur achètent directement et le font travailler par leurs artisans locaux.
Le travail du bois est le domaine des Lawbhe, encore que les waylubhe façonnent les coffres et les portes.
Le travail du cuir appartient aux cordonniers ou garanke. Ils tannent et teignent les peaux et les transforment en matériel de sellerie, fourreaux d’armes et de livres, sacs à linge, ornements de cuir colorié, babouches, etc.
Le tissage se fait dans toutes les cases. C’est le domaine des femmes et des captifs. Les longues et étroites bandes sont cousues les unes aux autres et constituent les pièces de guinée où on taille boubous et pagnes. Ces pièces sont chez les Foula, soit toutes blanches, soit toutes bleues , contra irement à l’usage des Sarakollé et Malinké locaux, qui aiment les tissus bariolés. Elles sont teintes par les femmes en un bleu, extrait de la plante ngara, sorte d’indigo commun au Fouta. La préparation de la teinture est longue, minutieuse et compliquée. L’occupation européenne a introduit à profusion la cotonnade à bon marché, et celle-ci fait quelque peu tort à l’industrie indigène. Pour le prix d’un boubou local, beaucoup plus solide, on a deux boubous d’étoffe européenne, et on préfère généralement cette seconde solution qui constitue au vaniteux Foula une garde-robe plus somptueuse.
Le travail de l’argile, de la poterie, de la vannerie et de la sparterie n’est pas spécialisé. Dans toutes les cases, les femmes et les captifs s’y emploient suivant les besoins du moment. La présence de gisements de terre ad hoc a amené I’installation d’ateliers de poterie sur certains points, et l’immigration des colonies Baga, fétichistes spécialisés dans cette industrie. La plus connue est celle des rives de la Kakrima, dans le cercle de Pita. Les canaris de terre sont mis en vente par les femmes et échangés ordinairement contre leur contenu de grain. - Commerce. — Le Foula n’est pas un commerçant encore qu’il en ait plusieurs qualités : duplicité toujours éveillée, toujours agissante, rapacité qui va de la mendicité raffinée au vol sous toutes ses formes; mais sa méfiance invétérée l’écarte de toute initiative et de toute nouveauté, et alors que la route et la voie ferrée peuplent les régions qu’elles traversent, au Fouta, les villages s’en écartent. Il a laissé chez lui cette branche de l’activité économique aux dioula Sarakollé et Malinké, dont beaucoup viennent de l’extérieur et dont un très grand nombre finissent par s’établir au Fouta et y constituent même des villages entiers. Ils y enlèvent les graines, les peaux et le caoutchouc, et laissent en échange les cotonnades, les bougies, le sucre, le thé, etc.
On trouve cependant des Foula, décidés à faire leurs affaires eux-mêmes et qui conduisent leurs convois de boeufs à la côte, notamment à Conakry, à Benty et à Sierra-Leone et en rapportent des marchandises européennes. Des relations semblables avec les factoreries de la ligne tendent à se créer depuis quelques années.
Cependant, le Foula ne sera jamais l’homme de transactions lointaines. Un petit fait le démontre surabondamment. Les porteurs réquisitionnés au Fouta par l’administration ou le commerce sont généralement Soussou ou Malinke. Il arrive pourtant que, à leur défaut, on prend des porteurs foula. Or, si le chemin du retour ramène ces derniers, leur travail effectué, par leur village, ils ne veulent plus se donner la peine de pousser jusqu’au poste ou à la factorerie pour toucher le montant de leur salaire; ils ne le réclament que plusieurs mois plus tard, ou en font même abandon.
L’influence de l’Islam est, dans ce domaine encore, assez peu sensible. S’il parait évident que c’est la communauté de religion et le double désir de prosélytisme et de lucre qui a amené le dioula Sarakollé et Malinke dans le Fouta-Diallon, il est indéniable d’autre part que ces pieux motifs ne l’ont pas empêché d’être jadis pillé par les « fils et neveux d’almamys » et rançonnés par tous les chefs et karamoko influents, de même qu’ils n’attirent pas aujourd’hui à sa petite boutique le chaland Foula qui trouve au comptoir européen des marchandises plus variées et de meilleur prix.
La langue commerciale est le poul-poullé [Pular], parlé partout au Fouta-Diallon, tant par les Foula que par les captifs et par les colonies étrangères de Toucouleurs, Sarakollé et Malinké. Ceux-ci ont d’ailleurs conservé, la plupart du temps, l’usage de leur idiome originel.
Le poul poullé [Pular] des captifs se mélange de nombreux mots étrangers: malinké, dans le nord-est, soussou-diallonké, un peu partout.
L’écriture n’existe pas. C’est à la langue arabe que le poul-poullé [Pular] a emprunte ses caractères. Les Foula les ont assez bien adaptés à leurs sons, en les munissant de points diacritiques spéciaux. Les caractères français, sous l’heureuse impulsion de l’administration, tendent à se répandre non seulement pour l’écriture de notre langue, mais même pour l’écriture du poul-poullé [Pular], et un syllabaire spécial et adapté aux sons de la langue locale est actuellement répandu à profusion dans le Fouta-Diallon. - Onomastique. — La religion islamique et la langue arabe ont exercé une sensible influence dans l’onomastique foula. On a déjà vu qu’elle s’exerçait dans la collation du nom à l’enfant. On peut encore la signaler dans la désignation des noms de lieu, de jours, de mois et dans l’introduction dans le poul-poullé [Pular] d’un certain nombre de vocables, d’origine arabe, touchant surtout la vie ct les choses religieuses.
Parmi les noms de lieux, les Maka, Medina (Timbi Médina, Medina Boowe; Médina Kouta), Touba, Darou-Salam, Hamdallaye, Taïbata et Dabatou (celui-ci, nom islamique donné par Al-Hadj Omar à la province de Tamba, du Dinguiraye), Taïfa, Saroudia, Bagdadia, Boussoura, abondent et rappellent les villes et souvenirs d’Orient. Timbi-Médina est une filiale de la misiide Timbi-Touni; elle fut construite sur un emplacement où un pèlerin, Alfa Yéro, sema une poignée de terre qu’il avait apportée de Médine c’est pourquoi elle prit le double nom qui rappelait son origine ethnique et sa bénédiction religieuse. Maci est une abréviation de Macina. Il fut ainsi nommé en l’honneur de Souleymana Sourga, un des chefs de l’invasion foula, dont c’était le pays d’origine, Kairouané, Singueti, ville et province, Tounsi, Missira…, rappellent des villes saintes d’Afrique. D’autres noms ont une signification plus générale: Diawia, la zaouïa; Karantagui, le lieu de la lecture pieuse; Bouroudja, la forteresse; Salma, la sauvée; Mouminia, la croyante; et enfin les innombrables Daara, suivis ou non du nom de leur misiide ou de leur diiwal, du nom d’un marabout vénéré, ou de la désignation d’un accident géographique voisin.
Les jours de la semaine sont tous d’origine islamique :
Dimanche | Alat |
Lundi | Tenen |
Mardi | Talata |
Mercredi | Alarba |
Jeudi | Al-Kamisa |
Vendredi | Juma |
Samedi | Asewe |
Parmi les noms de mois, quatre seulement ont, dans la langue parlée, subi l’influence arabe. Ce sont:
Raajibi .
Rajeb
Sabbordu Raajibi « qui attend Rajeb
Djumadj II
Suumayee le mois du jeûne (soum)
Ramadan
Sabbordu Suumayee qui attend Suumayee
Chaban
Tous les mois de l’année arabe sont évidemment connus des karamoko et usités même dans leur langage ordinaire. Il reste enfin à citer un certain nombre de vocables, qui sont passés dans le poul-poullé [Pular] et en font aujourd’hui partie intégrante et dont l’origine arabe et islamique ne saurait être mise en doute.
Abada
éternité, éternellement
Allaahu
Allah.
Adduniya
le monde, ici-bas
Aljanna,
Ciel, Paradis
Alluwal
planchette coranique
Al-Qur’an, Alqur’aana
Coran
Barka Barkatou
Bénédiction
Sadaqa
aumône
Chei’tane,
le cheytane, Satan
Jamaa
foule, assemblée
Jari’a
concubine
Jaamiu (et ses dérivés)
mosquée, cathédrale
Djinna
djinn, esprits
Diiwal
province
Jahannama
enfer, géhenne
Dzaka
impôt, zakka
Farilla, (fardh)
dîme
Harmu, haram
défendu
Iblulisss
Satan Iblis
Karamoko (emprunté au maninka)
maître d’école
Karanden (emprunté au maninka)
élève
Kefeero
Infidèle.
Laakhara
l’autre monde, la vie future;
Linjiila
évangile
Madiwu,
Mahdi
Nabiyu, Annabiijo
Prophète
Waliyu
saint
Waghutu
heure
Et enfin plusieurs noms de la prière:
Foula et Toucouleurs | Diakanké de Touba et dépendances | |
Prière de l’aurore | Julde Subaha | Néyatou Sokhoma |
Prière du midi | Julde Fanaa | Sallifana |
Prière de la mi-soirée | Julde Alansaraa | Khansara |
Prière du crépuscule | Julde Futuroo | Fitiri |
Prière du soir | Julde Geeyhe | Sakhafou |
Chapitre XI
I
Pratiques Divinatoires
Rites, Pratiques et Survivances du Passé
- Jours et mois fastes et néfastes. — La pratique des jours fastes et néfastes est d’un usage courant au Fouta et à Dinguiraye. A cet effet, on consulte les manuels de divination et de cryptographie, d’origine et de langue arabes, dont plusieurs exemplaires sont répandus dans les bibliothèques du Fouta.
En outre, les Toucouleurs condensent en une formule de deux vers les jours néfastes du mois, en se servant de la valeur numérique des lettres:
c’est-à-dire:
- Dans les deux premières décades du mois, ce sont: jh jou.
- Dans la deuxième décade, voyez les mauvais jours à adou.
En traduisant la valeur des lettres, et en ajoutant devant les deuxième et troisième dizaines les chiffres 1 et 2 prévus, il vient:
3-5 (1) 3 — (1) 6 — (2) 1 — (2) 4 — (1) 6
Ce sont là les jours néfastes de chaque mois.
Parmi les jours de la semaine, les uns sont fastes, les autres sont dangereux.
- Le vendredi est un jour heureux, mais l’intéressé doit s’aider. La journée est, en effet, telle qu’elle a été commencée. Il convient donc de se lever de bonne heure et de s’ingénier à gagner quelque chose. On fera alors divers et importants gains avant la soirée. De même, si on a pu se faire offrir un bon repas, on est assuré de manger gratuitement et abondamment dans la journée. De même encore, une dispute matinale entraînera maintes querelles. A huit heures, finit cette période d’incubation, et la journée commence.
Le vendredi encore, il ne faut jamais se raser la tête après la prière de Alansara. On courrait les plus grands dangers d’avoir cette tête coupée. - Le samedi et le mercredi jouissent de la réputation de voir redoubler les événements qui se sont produits ces jours-là. Si, par exemple, on est malade un samedi, on le sera maints autres samedis. Il en est de même, si un décès est survenu dans votre famille, si vous avez fait quelque gain, si vous vous êtes querellé avec un voisin, etc.
- Le dimanche est un jour des plus fastes, où l’on doit entreprendre les ouvrages de longue haleine, car on est assuré de les mener à bien. C’est ce jour-là qu’il faut commencer les cultures, mettre la première main à la construction d’un galle, d’une mosquée, partir en voyage, etc.
- Le mardi est bon pour faire couper ses moustaches à la mode arabe. On y gagne de la nourriture.
- Le mercredi, il ne faut pas couper ses ongles. L e Prophète l’a défendu, sous peine de lèpre.
- En outre, il est extrêmement dangereux de se raser le premier jeudi d’Achoura. On est à peu près sûr de mourir dans l’année.
- Le jour anniversaire de sa naissance est toujours pour un homme un jour néfaste.
Les mois sont indifférents dans l’ensemble, sauf Rebi 1, Redjeb et Ramadan qui sont fastes, surtout le premier, et Safar qui est tout à fait dangereux. On souffre d’un certain malaise pendant ce mois, et Dieu y fait tomber la plupart des malheurs de l’année. Il n’y a d’ailleurs aucun remède à cette situation.
- Consultation du sort. — Pour la consultation du sort, ou istikhara arabe, on use couramment des ouvrages de l’Afrique du Nord et d’Orient qui traitent de la matière. Il est donc inutile de s’y appesantir ici.
Mais il y a aussi toute une section de la magie coutumière, qui s’occupe de l’art de la divination. Elle est entre les mains des sorciers et constitue une partie de leur tyoora ou recueil de recettes empiriques et magiques. En s’islamisant, les peuples du Fouta-Diallon n’ont pas rejeté ces survivances du fétichisme. Non seulement les sorciers Foula et Toucouleurs (ramli, timowo) continuent à pratiquer leur profession à côté des marabouts, et même quelquefois de concert avec eux, mais même les seleli malinké et bambara jouissent, au Fouta même, d’une grande considération magique.
C’est ainsi qu’ils peuvent lire l’avenir dans le sable, convenablement brouillé, puis tassé. Ils le lisent encore dans des combinaisons de petites pierres qu’ils placent devant eux par rangées de deux, sur six à huit de profondeur. Ils les brouillent ensuite rapidement, suivant certains procédés, puis étudient la disposition des pierres et, suivant la place des plus grosses et des plus petites, en tirent certaines conclusions. Un procédé que signalait déjà Hecquard, en 1850, consiste à jeter en l’air une poignée de coques d’arachides; quand elles sont retombées, le sorcier saura comprendre beaucoup d’événements futurs, d’après leur place et suivant leur position de chute.
En dehors de ces procédés et de maints autres qui sont le fait des spécialistes, il y a des présages qui sont à la portée de tout le monde. Ainsi un homme part un matin en voyage ; il peut connaître le succès de son entreprise d’après le sexe de la première personne qu’il rencontrera. S’il a un frère immédiatement cadet et qu’il rencontre un homme, c’est un présage de succès. De même, si c’est une soeur qui est sa cadette et s’il rencontre une femme, mais s’il y a interversion de sexes, si, par exemple, il rencontre une femme en sortant de sa case et qu’il ait comme cadet immédiat un garçon, le présage est des plus fâcheux, et il vaut mieux qu’il rentre.
Les mêmes pronostics peuvent être tirés par un père de famille. Si son premier enfant est une fille et qu’il rencontre une femme en premier lieu tout va bien; de même, si c’est un garçon et qu’il rencontre un homme; mais s’il a interversion de sexes, c’est que son entreprise est vouée à un échec. Il vaut donc mieux l’abandonner ce jour-là.
On tire encore certains auspices de la place et du vol des oiseaux, mais de ce procédé renouvelé des Romains, on tire des conclusions complètement différentes. Ici, c’est le côté gauche qui est le côté du succès. Un homme part, le matin, aux champs, pour commencer ses cultures. Au sortir du village, il aperçoit, perché sur un arbre à sa « sinistre », un petit oiseau qui tire son nom par onomatopée de ses jolies cascades de trilles (kunkakono, korenkono). L’oiseau chante en son honneur, puis s’envole. C’est un signe excellent et un présage d’abondante récolte. Mais si c’est à la « dextre » qu’on a aperçu l’oiseau, il vaut mieux remettre au lendemain le commencement des travaux. - Les nombres et les lettres. — L’usage des nombres et des lettres dans les carrés magiques, est courant. On y trouve les combinaisons les plus fantaisistes, et cette pratique paraît être pour le karamoko, fatigué d’arides études juridiques et théologiques, une véritable « récréation intellectuelle ».
Il est classique de trouver dans une correspondance entre Foula et même Toucouleurs, tous les chiffres remplacés par les lettres possédant leur valeur numérique. Il y a là un petit air de mystère qui convient bien au caractère méfiant des Peuls. Les dates elles-mêmes de la fin des misiide sont très souvent en lettres et non pas en chiffres, c’est-à-dire que les chiffres sont remplacés par les lettres douées de la valeur numérique correspondante.
Cette valeur numérique est celle qui est donnée dans les ouvrages classiques arabes de cryptographie; il est donc inutile de la donner ici; mais les marabouts y apportent certaines modifications de leur cru, comme d’ailleurs la chose se fait aussi dans l’Afrique du Nord. C’est ainsi que les chiffres et les lettres ont, tantôt leur valeur absolue, et tantôt une valeur relative due à leur place et par la fantaisie du karamoko, ils conservent leur valeur absolue quand ils sont à la droite d’un autre chiffre ou lettre, et ils prennent une valeur relative et connue de lui seul, quand ils sont isolés. On rend ainsi les gris-gris complètement mystérieux, et ils restent indéchiffrables pour le fidèle qui aurait la tentation de vouloir les étudier de prés.
Les marabouts se servent encore de la valeur numérique des lettres pour créer des mots et des phrases imaginaires en qui sont condensées des prières qu’on doit réciter un grand nombre de fois. Ici, nous entrons dans le domaine de l’exploitation cléricale; le karamoko vend à bon prix au fidèle la possibilité de réciter plusieurs centaines d’invocations, en prononçant une seule fois une formule mystérieuse où elles sont toutes résumées.
D’une façon générale, on considère que les chiffres pairs sont bons, et que les chiffres impairs sont dangereux.
II
Pratiques médico-magiques
- Le tanaa. — L’institution totémique est parfaitement connue au Fouta-Diallon. Le totem est désigné par les Foula sous le nom de tanaa, qui se rapproche du nténé de leurs voisins malinke et soussou. Les Toucouleurs l’appellent wodha.
Or, il est incontestable que le tanaa a, à peu près complètement, disparu de la société foula, et cela depuis fort longtemps. On pourrait croire que c’est à l’Islam, terrible destructeur des croyances qu’il ne peut assimiler, qu’est due cette disparition. Il n’en paraît rien cependant. Les Foula soutiennent que cette disparition a précédé leur islamisation, et que, même leurs ancêtres, n’ont jamais cru fermement aux tanaa. Il est à croire que c’est là la vérité, tant il est impossible de retrouver les vestiges, même anciens, de cette institution; peut-être la chose s’expliquerait-elle par le fait que les Peuls sont, soit d’origine sémite, soit, en tout cas, Bruns-Hamitiques et que l’institution totémique, florissante chez les noirs et les rouges, n’a pas été pratiquée chez les blancs et ne l’a été que fort peu chez les Hamites. Cette conclusion reste à vérifier chez les autres groupements peuls de l’Afrique, mais il peut être versé, dès aujourd’hui, au dossier en faveur de cette thèse, que chez les Fulbhe du Sénégal et les Foula de Guinée, le totem n’est pas en usage.
Il semble bien que les rares fractions ou familles foula, chez qui on peut relever des traces de tanaa, auxquelles elles ne croient plus guère d’ailleurs, doivent ces notions et ces croyances à des infiltrations malinké et soussou dues, en grande partie à des unions matrimoniales et aux relations serviles. Le nom de tanaa lui-même semble provenir d’un emprunt à la langue de leurs voisins.
Il apparaît donc que le sens mystique, si développé, des Foula, a su les maintenir jadis dans la pureté de leurs doctrines et pratiques religieuses traditionnelles, et plus tard, et à partir de leur conversion, dans la voie d’un Islamique près orthodoxe. Les croyances et rites du tanaa, institution extra-religieuse et vestibule de la magie, n’ont jamais fleuri au Fouta-Diallon que dans l’élément captif emporte: et par les femmes et concubines qu’on en tirait, a pénétré, fort peu d’ailleurs, chez les fils de certaines familles foula.
Chez les Toucouleurs du Dinguiraye, au contraire, le wodha s’est conservé fort en honneur, encore que, dans leur esprit cette croyance traditionnelle soit battue en brèche par la réprobation islamique. Il faut remarquer que cette institution n’est pas originelle chez ce peuple. Ils l’ont apporté avec eux, il y a deux ou trois générations, du Fouta Toro; et les wodha des familles du Dinguiraye sont les mêmes que ceux des familles du Fouta sénégalais Les uns et les autres sont les mêmes que les totem (mbagne, etc.) des familles ouolof, sarakolle, sérères, etc., dont ces familles toucouleurs sont issues et dont elles portent la plupart du temps le nom. Dans le Dinguiraye d’ailleurs, comme dans les autres régions islamisées, la croyance au wodha perd, chaque jour, de sa force. Les karamoko la combattent ouvertement, comme n’étant pas d’origine révélée, par conséquent mensongère, ou tout au moins inutile. Dans la plupart des familles de lettrés, elle tombe en désuétude. Chez les autres, on se cache quelque peu pour pratiquer les rites totémiques et les informateurs n’en parlent qu’avec une pointe, déjà sensible, de scepticisme.
Il paraît utile de donner ci-après, à titre d’exemple, quelques-uns des wodha du Dinguiraye, et le seul tanaa, qui ait pu être relevé chez les Foulas (famille de Timbonke) ; et pour ce dernier, encore faut-il remarquer, qu’il ne remplit pas les conditions classiques du totem, et qu’il s’agit surtout d’une sorte de lien d’alliance fraternelle, dont l’origine est inconnue et que, seule, l’expérience a constaté.
La famille des Thiam a pour wodha le serpent python ou Thiamaba. Il est défendu à tout membre de cette famille de le tuer, de lui faire le moindre mal, et même d’en manger. Il y a, en effet, un lien de parenté entre Thiam et Thiamaba. Ils descendent tous deux d’un même ancêtre, mais Dieu, ayant fait du premier fils un homme, et du second un serpent, sépara leur vie, et donna au premier le village et au second la brousse et le marigot. Ils vécurent en bons termes ; l’ancêtre des Thiam, étant tombé malade, fut nourri dans sa case par Thiamaba, qui lui apportait du lait et d’autres aliments. Depuis, les enfants doivent se conserver cette amitié.
Les Sosoobhe ont pour wodha la vipère mouchetée (sôré). Ils la protègent, la respectent et mettent du lait caillé à son trou. En revanche, celle-ci ne mordra jamais un Soh. Il y a ici aussi un lien de parenté, Sosoobhe et Sôré ayant une origine commune.
Les Diop ont pour wodha le paon (kumarewal en foula, gelongal en poular toucouleur). C’est le même tanaa que celui des Diop wolofs. Les devoirs réciproques d’assistance et de protection, issus d’une ascendance commune, sont aussi de rigueur.
La famille des Chérif du Dinguiraye a pour wodha le lion (taktakri). Elle se devait, pour le moins, une explication islamique. C’est parce qu’ils descendent d’Ali qui était le « lion » de Dieu, et de sa mère qui était Fatimatou, , que leurs ancêtres ont pris le lion comme wodha, et entretiennent avec lui des relations qui comportent cette fraternité.
Les Timbonke ont pour tanaa la vipère cornue. Il n’y a ici aucun lien de sang entre l’homme et la bête ; c’est une simple fraternité qui fut découverte par la mère de leur ancêtre. Un jour où, étant allée dans la brousse, elle avait laissé l’enfant dans sa case. A son retour, elle constata avec terreur qu’une vipère cornue était enroulée à ses côtés. L’animal partit alors, comme si son rôle de bonne gardienne était achevé. Il revint par la suite. On en conclut qu’il était le protecteur de la famille, et on le respecta comme on le doit faire pour un tanaa. - Les interdits tabou. — Mais si les traces dc tanaa semblent avoir disparu depuis longtemps déjà de la société foula, il n’en est pas de même des interdictions générales, familiales ou personnelles, qui portent le nom de kitatum, et correspondent exactement au tabou des primitifs. Elles ont subsisté jusqu’à nos jours, et la plupart d’entre elles sont encore en vigueur. Il semble pourtant que, dans certains milieux, elles tombent aussi en désuétude. Certains indigènes font les esprits forts, et affectent de ne plus tenir compte de leurs kitatoum. Chez d’autres, c’est simplement par l’effet de la négligence et du relâchement de la morale qu’ils s’estompent.
La plupart des chefs foula, et l’Almamy notamment, ne devaient jamais traverser une rivière à l’endroit où l’eau coule sous terre. Il fallait qu’il en remontât ou en descendit le cours, jusqu’au point où l’eau est visible dans son lit pour pouvoir la franchir soit au gué, soit en pirogue, soit sur un pont. L’infraction à cette règle entraînait sa destitution prochaine et souvent sa mort.
L’almamy ne devait jamais pénétrer dans les deux villages de Sumbalako Mawnde et de Sumbalako-Tokosere. Les bandes d’un almamy non dénommé, étant jadis entrées dans ces deux centres, y avaient commis les plus grands dégâts. Le karamoko du lieu les maudit, ainsi que leur chef. La maladie se mit alors dans leurs rangs; ils furent obligés d’évacuer le pays, et peu après, l’Almamy fut renversé. Depuis ce jour, les Almamys ont admis que, sous peine de révocation et de mort, ils ne devaient plus entrer dans ces deux villages.
La même interdiction s’étend au village de Diré, dans le Maci. L’Almamy s’en approchait avec ses troupes, quand un bouc et un singe vinrent à son devant et lui dirent:
— « Bonjour, Almamy. Retourne sur tes pas. »
L’Almamy fit mettre à mort les insolents. On les ouvrit, pour voir d’où ils tenaient ce don de la parole. Du corps du bouc sortit un cabri, et de celui du singe un taureau. Ce prodige fit comprendre à l’Almamy qu’il ne fallait pas s’aventurer dans un village aussi mystérieux, et il fit demi-tour. Depuis ce jour, ses successeurs ne sont jamais entrés dans Diré.
Les chefs du Labé ne devaient jamais entrer dans les villages maraboutiques de Koula et de Karantagi. On explique que c’est par respect pour les karamoko; il y avait d’autres façons de les honorer. De nombreux cadeaux, par exemple, eussent été les signes plus appréciés d’excellentes relations. Mais de fâcheuses traditions d’empoisonnement et d’envoûtement qui subsistent encore aujourd’hui, et qui rappellent des cas analogues en pays maures et noirs, expliquent mieux cette abstention prudente. L’origine du kitatum n’est pas toujours aussi apparente.
Le village de Parabana, à la lisière du Fouta, est kitatum pour tous les Foula. Al-Hadj Omar marchant contre les gens du village, qui refusaient de faire leur soumission, vit toutes ses bandes foula faire défection, et ils en donnèrent comme raison, dit, M. Delafosse, qui rapporte cette tradition, que « l’accès de ce village leur était interdit depuis le temps de leurs ancêtres, et que toute armée du Fouta-Diallon qui s’y serait rendue, aurait été anéantie ». Privé de ces contingents, le grand conquérant toucouleur dut céder et remettre sa conquête.
Le contact des peaux de mouton (guribali) est interdit à la famille Balbhe, de la tribu Uururbhe. Toucher une peau de mouton ou être touché par elle équivaut pour un membre de cette famille à une mort certaine.
Le contact de la chèvre (mbeewa) est interdit aux Kalidiyabhe. Ils n’en ont jamais dans leurs cases. Leur en donner une équivaut à une injure, qu’un membre de cette famille se croira obligé de punir de la mort
Il est tout à fait dangereux d’épouser une femme qui a un épi sur le front. Cet épi est en réalité une grande aiguille, qui reprend sa forme naturelle la nuit, et pique l’homme. Cette piqûre entraîne la mort.
Il est dangereux encore d’épouser une femme qui a les yeux cernés ou des tâches sous les paupières. Cette conformation indique qu’elle est vouée aux larmes et par conséquent qu’elle aura à pleurer avant longtemps la mort de son mari.
Dans le Dinguiraye, la femme toucouleure qui a un petit enfant, ne doit pas passer devant l’arbre bheydho-moyyho. Si elle s’en aperçoit trop tard, elle arrachera un morceau de son pagne et l’attachera à l’arbre. Sinon, l’enfant est exposé aux plus graves maladies. Il est vrai que les vieilles femmes savent conjurer ces maladies par un traitement homéopathique. Elles pilent les feuilles, mêlent la poudre à l’eau, et en lavent l’enfant, ou lui font boire cette mixture. Le malheur est que la mère passe à côté de l’arbre, sans le reconnaître et sans y prendre garde, et que, par la suite, l’enfant étant malade, on ne sache pas en discerner les causes.
A certaines familles toucouleures, le poisson est prohibé.
A d’autres, il est interdit de sortir le soir avec une torche allumée, mais depuis l’arrivée des Français, une interprétation libérale s’est produite et ces indigènes peuvent sortir avec une lanterne.
Les grands trous d’eau dans les rivières, les puits, les cavernes humides et sombres sont le refuge des mauvais génies; s’en approcher est toujours quelque peu dangereux, car ils peuvent vous saisir par votre ombre et vous entraîner ; mais y venir la nuit, à l’heure où ils sont rassemblés, est une indubitable contamination à mort. De même, un enfant ne doit jamais regarder dans un puits ; le génie du lieu pe manquerait pas de l’attirer par le vertige. Les grandes personnes elles-mêmes n’en sont pas exemptes, et il n’est pas bon du tout de s’approcher du propre puits de son gallé, le soir.
Il est interdit de varier la couleur des boubous de deux enfants jumeaux (funeebhe). Si non, l’un des deux mourra.
Il est interdit à la femme qui a perdu successivement tous ses enfants de raser son dernier enfant. Il ne doit pas toucher le fer, jusqu’à ce qu’elle en ait un second, sinon il mourrait.
Certaines femmes ne doivent jamais se coiffer le dimanche. L’infraction à cette règle entraîne la mort du mari.
Il y a un certain nombre d’animaux (bovins, ovins, caprins), qu’il est tout à fait dangereux de garder dans son troupeau (tchina), ou dont il est tout au moins impossible de tirer parti.
Le mouton à cou et à avant-corps gris, la chèvre tachetée (panta), sont des animaux dangereux; car celui qui les saignerait mourrait dans l’année.
La vache qui a des cornes recourbées est destinée à être mangée par l’hyène ; mais il faut se garder de vouloir prévenir cette perte en la faisant égorger, car l’opérateur devient fou ou meurt. On la confie à des enfants qui la tuent de loin à coups de fusil ou de flèches, ou bien encore, on en fait don à un grand et vieux karamoko dont la baraka parait supérieure au tabou, et qui, au surplus, étant sur la fin de ses jours, peut, sans risquer grand-chose, égorger et manger la bête. Rien n’empêche d’ailleurs de boire le lait de cette vache. Il ne faut pas garder dans son troupeau une vache quatre fois tachetée sur les omoplates et les fesses. Son maître restera un jour sur sa couche gravement malade. On la vend donc le plus tôt possible à un Diallonké ou à un Malinké fétichiste, qui ne paraît pas soumis aux interdictions qui atteignent le Foula islamisé.
Il ne faut pas monter sur un cheval dont la robe, au cou et sur la croupe, est ornée de petites mèches de poil recourbées ou retournées. Le cavalier est sûr de tomber et de se tuer.
Il y a une multitude d’autres interdictions qu’il est toujours dangereux d’enfreindre, au moins pour la race, la caste, la famille, le sexe ou l’individu qui y est soumis. D’autres sont plus générales et s’appliquent à tout le monde indistinctement.
Dans ce domaine encore, il apparaît bien que ces tabous sont d’origine magique, les unes antérieures à l’lslam, les autres nées depuis l’islamisation du Fouta, mais toutes dérivant des croyances et des rites de la magie, et complètement en marge de la religion proprement dite. Le Foula sait très bien qu’il n’est pas ici dans le domaine de la morale religieuse. Quand involontairement ou de son plein gré, il enfreint une interdiction qui lui est propre, il sait qu’il ne commet pas de faute proprement dite, mais qu’il s’expose à un danger, et, s’il y périt, il n’est pas plus coupable que celui qui, ne sachant pas nager, a commis l’imprudence de s’aventurer dans un marigot profond pour le traverser. D’ailleurs les kitatum et leur traitement, quand on les a enfreints, relèvent du sorcier ou du médecin de sorcier. Elles n’ont rien à soir avec le karamoko, et celui-ci même, de par sa baraka, en est généralement exempt. Plusieurs karamoko qui paraissent s’être assez bien assimilé la spiritualité de l’lslam, prêchent même que ces survivances du passé n’ont aucune valeur et qu’il ne faut pas en tenir compte. D’autres, moins dégagés de la tradition, ou plus pratiques, déclarent et croient vraisemblablement, que le marabout a autant de pouvoirs que le sorcier, et qu’une amulette coranique est aussi efficace qu’un gri-gri magique pour détruire les fâcheux effets de ces interdictions. - Superstitions. — Il n’est pas question ici de faire l’exposé général des croyances magiques et superstitions venues se greffer en marge de la religion. Il n’est pas toutefois inutile, pour mieux déterminer le coefficient d’emprise de l’Islam sur l’âme foula, de faire connaitre quelques-unes des superstitions ou croyances populaires qui ont subsisté à côte de la religion, ou même qui, s’attaquant à elle, l’ont déformée.
A l’égard des Français d’abord, ou plutôt des Blancs, une prophétie maraboutique est très répandue dans le Fouta. Elle annonçait leur arrivée dans le pays et leur suprématie ; elle fixe, comme durée de leur occupation, une période de cent ans, après quoi paraîtra le Mahdi. Alfa Ibrahima Fougoumba s’en faisait écho, quand, dans un grand palabre, où assistaient des chefs blancs, il égrenait sur son chapelet le nombre des années de leur commandement.
Cette légende a, d’ailleurs, une portée plus générale. Elle donne les quatre cycles qui doivent clore l’histoire du Fouta.
- Il y a maintenant le cycle de Nasaraniyu (c’est-à-dire du Chrétien)
- puis celui de Madiou (Mahdi)
- puis celui de Massi Dadiali (l’Anté-Mahdi)
- enfin celui de Issa (Jésus).
On retrouve là un condensé touffu des traditions bibliques et coraniques, des récits apocalyptiques et des légendes locales, dont il suffit d’avoir signalé l’existence.
Vis-à-vis de l’Islam même, les peuples du Fouta-Diallon se sont permis un certain nombre de libertés, accommodant à leur façon certains de ses renseignements ou lui en superposant d’autres. Voici, par exemple, cette croyance générale que le Tidianisme est la quintessence de l’Islam et son expression la plus parfaite. Les Tidianïa sont pleins de mépris pour les Qadria. A côté des Tidiania, les Sadialia (Chadelia) constituent une petite confrérie aristocratique et fermée, qui, avec le temps, les rigueurs du sort, et le succès des voies adverses, a perdu dans le peuple son prestige d’antan, mais qui s’est renfermée dans son orgueil de petite antique chapelle. La solidarité de ses membres va si loin que certains karamoko déclarent être plus intimement liés à leurs frères dans la voie qu’aux membres de leur famille.
D’autres prétendent aux affiliations les plus fantaisistes, et trouvent des gens pour le croire, c’est ainsi que, à Timbi-Medina, Tierno Balla, fils de Mo Salihou, prétend se rattacher à la voie d’lbrahima Tamimi, par ce personnage mythique de l’Islam, qui porte le nom d’Al-Khadir. Mo Salihou aurait reçu son initiation d’Al-Khadir lui-même.
On a pu constater, dans certains groupements diallonké, de singulières déformations de l’Islam. On les désigne sous le nom de Batouta, sans qu’il soit possible de déterminer, vu le mystère dont s’entourent les intéressés, si ce nom de Batouta s’applique aux rites eux-mêmes ou à ceux qui les pratiquent. Les indigènes feraient la prière, la figure tournée vers le couchant et accroupis sur des peaux de chien. Ils s’abstiendraient de fumer, l’usage du tabac étant un des plus graves péchés, etc.. Bref, les karamoko qui ne sont pas très au courant eux-mêmes de ces coutumes, les considèrent comme des rites du paganisme, introduit très répréhensiblement dans la loi sainte.
Les grands karamoko sont à l’abri des blessures provenant du fer. Leur chair ne peut être entamée par le sabre ou le couteau. C’est pourquoi l’almamy Ibrahima fut tué par les Houbbous à coups de bâton.
Il est admis universellement que les plus pieux d’entre les marabouts ont souvent des révélations divines. Le Ouali de Goumba, par exemple, en avait souvent; au cours de ses entretiens avec la divinité, il disparaissait et ne revenait sur la terre que pourvu, non seulement de renseignements sur les événements, mais même de forces intellectuelles et physiques nouvelles. Ces révélations se produisent plus spécialement dans les nuits qui précèdent les deux grandes fêtes islamiques: Julde Suumayee et Julde Donkin. A cette époque, il n’est pas de karamoko qui ne veuille, sous la forme de singe ou sous toute autre forme, avoir eu quelque communication avec Allah. On y prédit la pluie et le beau temps, l’état des futures récoltes, les vaches grasses succédant aux vaches maigres et réciproquement, etc. Cette pratique tourne quelquefois à l’exploitation et au chantage. C’est ainsi qu’au début de décembre 1910, un marabout de Labe-Dheppere, Tierno Mamoudou, habitant le foulasso de Hasanhere, annonçait à ses élèves que la case de l’interprète de Labé brûlerait bientôt, à moins que ce dernier ne prévint le malheur, en donnant à l’école une vache laitière, à titre de donation pieuse. L’interprète ne s’étant pas exécuté, sa case brûla, en effet, une nuit de la fin de décembre. Tierno Mamoudou expia en prison ses relations trop documentées avec Allah.
D’autres fois, ces révélations servent à faire entendre des choses qu’on n’ose pas dire ouvertement. C’est ainsi, par exemple, que Tierno Atigou, de Kindia, n’ayant pas la hardiesse de donner certains conseils à son maître, le Ouali de Goumba les lui présente sous la forme suivante. On trouvera en annexe la lettre arabe, spécimen de son écriture et type du genre :
« Voici ce que j’ai vu, cette nuit, en songe. Un cheikh vénérable, à la barbe chenue, à la peau blanche, m’est apparu et m’a dit : « Dis à ton maître, « ô Atigou, dc prier deux rachat :
Pendant la première rakat, il récitera la sourate. »
Suivaient plusieurs prières que le Ouali devait réciter, moyennant quoi sa guérison était assurée. Et Tierno Atigou de s’excuser :
— « O mon Cheikh, il ne faut pas m’en vouloir de mon manque d’éducation. Je ne sais pas si cette révélation est vraie ou non; car vision et songe s’entremêlent. Si l’apparition est celle d’un homme pieux, ses dires étaient véridiques ; si c’est celle d’un homme méchant, comme moi, il n’y a pas lieu d’y ajouter foi… »
Le don des miracles n’est pas le fait des Karomoko foula, et fort peu ont joui de la réputation de thaumaturge. Encore, ces prodiges étaient-ils tout à fait accidentels. C’était le cas du Ouali de Goumba. Un miracle, connu dans tout le Fouta, est celui qu’accomplit, au cours du neuvième siècle, Karamoko Alfa. Au cours de l’agression qui l’amena à Timbo, Kondé Birama, chef des Wasulunké, voulut atteindre les Foula dans leur affection pour le grand pontife. Il fit ouvrir le tombeau où Karamoko Alfa reposait depuis un siècle, et lui fit couper la main gauche. A cet instant même, le sang jaillit miraculeusement, et Kondé Birama fit refermer précipitamment la tombe.
On retrouve épars de nombreux vestiges d’animisme ou de naturisme. Les arbres touffus, les fourrés épais de la brousse, les trous profonds des marigots sont hantés par les génies. Les croyances aux esprits des eaux sont assez répandues dans ce Fouta, noeud hydrographique de l’Ouest africain. Des djinn protègent les sources de la Gambie, du Rio Grande, du Konkouré, du Bafing.
Les esprits sont, en général, partagés en deux catégories :
- les esprits mauvais, qui sont ceux du fétichisme, et à qui on a ainsi donné droit de cité dans la religion nouvelle
- les bons esprits, qui sont les djinn de l’Islam et avec qui les karamoko peuvent avoir des relations, soit pour se faire assister par eux, soit pour neutraliser par leur intermédiaire les agissements des esprits mauvais. Il faut, d’ailleurs, se garder de s’attirer l’animosité de ces derniers par quelque acte répréhensible, car rien ne pourrait, par la suite, apaiser leur ressentiment. Il serait tout à fait dangereux, par exemple, de couper un arbre touffu, leur séjour ordinaire: ils ne pardonneraient pas cette destruction de leur asile. C’est ainsi que la magie d’importation se mêle aux survivances du passé, magie venue dans le sillage de la religion, et empruntée, sinon à l’Islam lui-même, en tout cas, aux auteurs et aux peuples musulmans.
Beaucoup de gens croient à l’influence des étoiles sur la destinée et les événements humains, les unes apportant d’heureux, les autres de néfastes présages. Les chutes d’étoiles, les étoiles filantes (jowlol nyanne) annoncent de nombreuses morts parmi les hommes. On établit certains rapprochements entre les aérolithes et la foudre. Un morceau d’aérolithe dans une case en écarte le tonnerre.
Le petit oiseau, moloturu, appelé aussi sous sa forme arabe tyolel al-dyanna (l’oiseau du Paradis ), protège les cases où il installe son nid. Il est, d’ailleurs, très irrégulier dans son choix, et ce choix constitue pour le maître de céans un brevet d’honnêteté et de vertu. Le moloturu bhaleru, petit oiseau noir à bec blanc et ongles rouges a, au contraire, une influence funeste. Le Foula n’aime pas du tout qu’il fasse son nid dans sa case, car c’est un présage de malheur et un brevet de moralité douteuse. La petite tourterelle, mariama, est l’objet d’un culte spécial en l’honneur des visites qu’elle rendait au Prophète réfugié dans sa caverne. Son nid est un présage de bénédiction. Cette zoolâtrie ne comporte, d’ailleurs, aucun culte du bœuf, comme on l’a dit à tort. Les troupeaux de bovins constituant la principale richesse et la plus grande affection du Foula, pasteur par excellence, il est naturel que celui-ci les honore sous toutes ses formes, les entoure des soins les plus tendres, mais il n’y a là aucun indice de boolâtrie, et il ne faut pas que le désir de rattacher à tout prix les Foula aux Fellahs égyptiens et les raisons scientifiques diverses qu’on peut avoir à établir cette thèse, sans doute vraie d’ailleurs. conduisent à des rapprochements ou conclusions exagérés.
Entendre les cris du caïman le matin, présage que la journée apportera des nouvelles. Elles peuvent être indifféremment bonnes ou mauvaises.
Entendre le croassement d’un corbeau de passage présage aussi des nouvelles pour la journée, mais la plupart du temps mauvaises.
L’hyène, ici comme chez la plupart des peuples noirs, est un animal qui inspire une certaine crainte superstitieuse, encore qu’on ne lui confie pas le soin de faire disparaître les cadavres, mais peut-être est-ce un souvenir du passé. Sa cervelle et ses intestins sont des objets des plus dangereux qu’il faut bien se garder de toucher. Celui qui en mangerait deviendrait fou ou mourrait. Aussi, c’est le poison couramment employé dans les maléfices. Quand on en tue une, ou qu’on rencontre un cadavre de hyène dans son champ, il faut l’entourer d’un tas de bois et le consumer tout entier. De plus, les cris de la hyène dans la nuit présage des nouvelles qui seront vraisemblablement mauvaises.
Les Foula croient volontiers que de parler d’un événement futur, et surtout de le prédire, peut amener sa réalisation. Cette croyance est répandue aussi dans les milieux arabes de Mauritanie et de l’Afrique du Nord. Quand un lettré narre les hauts faits d’un marabout, doué pendant sa vie du don de seconde vue, il a soin de bien spécifier que ce n’est pas par suite des prédictions du saint homme que les événements annoncés se produisirent, mais bien parce qu’il les avait vus inscrits au livre du destin.
Au Fouta, l’arc-en-ciel (yaroowol ndiyan) n’est pas aimé parce qu’ « il gâte la pluie ». On lui attribue en effet le don d’arrêter la pluie. Mais les gens sensés pensent que « ce sont surtout les paroles des hommes, concernant l’arc-en-ciel, qui gâtent la pluie ». De même pour les semailles.
Un homme va semer ; il voit les nuages, il sème. S’il voit l’arc-en-ciel, il dit: « La pluie ne viendra pas », et il ne sème pas. Il a tort. Ce sont ses paroles qui ont empêché la pluie de venir.
- La thérapeutique. — Vivant très près de la nature, en suivant attentivement et en subissant tous les phénomènes, le Foula a fini par croire — ce qui n’est pas un tort — que tout ici-bas, dans le monde animal, végétal ou minéral, jouit de vertus apparentes et de propriétés cachées. Plus avancés, plus méthodiques, nous étudions avec plus de soin ces manifestations des forces naturelles et nous les sérions. L’indigène n’est coupable dans son erreur que d’un manque de discernement, et, par suite, d’applications erronées et de créations fantaisistes. Il a constaté — et c’est exact — que certains produits animaux, minéraux, végétaux, sont des poisons, des vomitifs, des purgatifs, des digestifs, des diurétiques, etc., etc.; il a constaté — et sa généralisation fut fausse parce que le rapport de causalité fut mal discerné — que l’emploi d’autres produits amenaient la pluie, favorisaient les récoltes, écartaient les dangers, etc.; sa foi lui enseigne que telle pratique par la toute-puissance et les promesses divines, peuvent protéger et assister le croyant: par la magie traditionnelle, il sait que tels rites bien connus peuvent éloigner de lui l’action néfaste des esprits mauvais, ou lui attirer l’aide des bons génies. Toutes ces forces, toutes ces propriétés naturelles ou extra-naturelles constituent un monde de puissance, à portée de sa main, qu’il peut utiliser pour assouvir ses besoins et ses passions, et où il ne fait aucune distinction.
C’est cette utilisation des forces mêlées qui nous entourent, et où entrent la baraka de la religion, les pratiques de la magie et de la sorcellerie, les procédés de la science, et les enseignements de l’expérience, notamment ceux de l’empirisme médical, qui sont désignés ici sous le nom de thérapeutique. L’étude de cette thérapeutique ne vise pas à être complète: elle sortirait des cadres du sujet. Il ne peut y être question que de celles de ses parties qui sont nettement d’origine islamique, ou de celles qui, par suite de survivances du passé ou d’infiltrations de voisins fétichistes, constituent de curieux alliages islamo-paganiques. - a) Les amulettes. — L’amulette désignée, soit sous le nom arabe de harz ou de hijdb, soit sous l’appellation coutumière de talkuru (grigri) est d’un emploi extrêmement courant au Fouta-Diallon. C’est le petit papier écrit que le Foula, Toucouleur ou Diallonké porte en grand nombre sur lui dans des cornes, des sachets de cuir ou des boîtes de métal, et dont il fait usage dans toutes les circonstances et à tous les âges de sa vie, comme curatifs, préventifs ou préservatifs.
« Les provisions ne font pas la route mauvaise, » dit le proverbe foula.
Au surplus, les coupeurs de grands chemins n’hésitaient pas, tels des bandits calabrais, à dépouiller leurs victimes de tous leurs talismans, et les ayant dévotement baisés, les revêtaient avec une pieuse ardeur.
On peut classer les fins que poursuit l’amulette foula de la manière suivante :
- La réalisation d’un désir
- L’éloignement d’un mal existant
- L’écartement d’un mal éventuel.
La première fin est la plus courante, et c’est ordinairement dans le but de voir ses désirs se réaliser qu’on recourt à la vertu de l’amulette. Les désirs sont généralement d’ordre terrestre: acquérir du bien une femme réussir dans une entreprise, avoir de bonnes récoltes, faire une bonne cueillette de caoutchouc mener à bien une affaire, un voyage être heureux en ménage obtenir une place de chef de garde, d’interprète être heureux et surtout heureux en amour avoir des enfants, etc., etc.
Ils sont quelquefois d’un ordre plus relevé et visent à l’acquisition des biens de l’autre vie ou de la sagesse intellectuelle:
s’attirer les bénédictions divines mener une vie vertueuse entrer en Paradis être en état de grâce quand le Mahdi apparaîtra acquérir parfaitement la connaissance du Coran, de la Sunna, etc.
Pour mettre fin à un mal existant, le Foula a plutôt recours au traitement du mbileejo, à la fois maître-mire et médecin contre les maléfices du sorcier. Quelquefois pourtant, il a recours à la science du karamoko qui lui délivre un talisman écrit.
L’amulette reprend tous ses droits quand il s’agit d’écarter un mal éventuel ou même simplement possible. Or, tout est possible et elle justifie pleinement ici son sens étymologique de « préservatif ». On lui demandera
- d’assurer l’impunité au criminel
- de rendre inoffensives les atteintes de balles et de l’arme blanche
- de fermer la bouche aux témoins et aux complices
- d’obscurcir l’intelligence du juge
- de protéger contre l’action des Blancs, ou des chefs Foula
- et, d’une façon générale, d’être à l’abri de toute atteinte de l’autorité
- et de préserver le corps humain des maléfices, les champs des calamités agricoles, le commerce des accidents et pertes, etc.
Il n’y a pas de formule spéciale pour la composition de l’amulette foula.
Les unes, et c’est le petit nombre, sont empruntées aux manuels classiques de cryptographie arabe, qu’on ne trouve d’ailleurs au Fouta-Diallon qu’en copies manuscrites fragmentaires. Ce sont les Mojarrabat, la Mi’aat al-Faïda, la Khazinat al-Assar al-Koubra, les Fouaïd al-Qoran et enfin les deux Chems al-Maarif. On trouve quelquefois ces ouvrages chez les boutiquiers marocains ou syriens
Les autres sont dûs à l’imagination des karamoko Foula et se composent ordinairement :
1. D’une formule de prière à Allah et au Prophète.
2. du but de l’amulette nettement exprimé par exemple; « Talisman capital contre tout mal terrestre, provenant de la lance, du sabre, du couteau, de la pierre, du bois, du sultan et des sultans musulmans ou infidèles, mâles ou femelles, tous sans exception. Que personne ne craigne Mamadou Daï. Aucun mal de ce bas monde ne l’atteindra jamais. Par la permission de Dieu Très-Haut, et par la vertu de la cavale Bouraq et du Coran sublime. »
3. Du tableau-cage classique, dont chacun des petits carrés renferme une lettre ou un chiffre, représentant les mauvais génies, les maladies, les dangers, etc., qui se trouvent ainsi définitivement emprisonnés. Ici, I’imagination du karamoko se donne libre cours, et sa fantaisie est sans limites. Dans l’amulette déjà citée, et qui est donnée en annexe, l’auteur, Mamadou Daï a tracé au milieu du carré magique un petit cercle qui est censé représenter la tête de la cavale Bouraq et a inscrit à l’intérieur son propre nom, en croix. Quand il s’agit d’une amulette dont le but est d’attirer du mal sur un individu, il faut inscrire son nom et sa filiation dans le carré, afin qu’il soit retenu captif avec les djinn néfastes et reste sous leur action. Par filiation, la magie entend toujours le nom de la mère, qui est la seule des parents, dont on soit assuré de l’authenticité. La cage est ordinairement gardée par les bons anges. Les Foula semblent, en effet, professer une dévotion extraordinaire à l’égard des esprits célestes, qu’ils considèrent comme des alliés naturels et des amis dont on peut implorer le secours. Par leur intervention, on peut écarter les dangers éventuels qui vous guettent de la part des mauvais esprits et des sorciers. Il est curieux de constater que l’amulette islamique est considérée comme un des grands préservatifs contre les maléfices des agents du fétichisme, ce qui implique donc la croyance à la puissance de ces agents et à la réalité de leur action, tant religieuse que magique. Ces considérations démontrent clairement combien s’entremêlent dans l’esprit des noirs les croyances et les rites du passé et les enseignements de la foi nouvelle, et comment les uns et autres sont honorés encore d’une égale dévotion. Les quatre anges les plus communément invoqués sont:
- Gabriel
- Michel
- Azrail
- Asrafil
Le trône d’Allah est porté par huit esprits célestes:
- Daïayilou
- Sahïaylou
- Thamaïaylou
- Sahkeïaylou
- Ataïaylou
- Samaiaylou
- Dafaïaylou
- Arbaïaylou
Il est admis que celui qui peut retenir de mémoire leurs noms et les invoquer souvent sans défaillance entrera au Paradis.
Il existe toute une série de bons anges, soit authentiques et connus — ce sont ceux dont parlent les livres révélés — soit imaginaires et créés de toutes pièces par les karamoko Foula, et dont la puissance est souveraine contre les artifices des esprits de l’enfer ou contre les charmes et les maléfices des sorciers. Ces anges ont été envoyés ou sont censés avoir été envoyés à toutes les grandes figures des trois Testaments (l’Ancien, le Nouveau, le Dernier, celui de Mohammed). Chacune d’elles a son correspondant céleste, qui le visitait de par la volonté divine et lui enseignait la bonne parole, nécessaire aux contingences de l’époque. Ces anges sont donc tout à fait au courant des besoins de l’humanité; ils l’ont préservée en tout temps des dangers qui la menacèrent; leur assistance est un gage de sécurité. Aussi est-il expédient d’user d’une amulette où Dieu est invoqué par la vertu de ses anges — missionnaires, — et des saints personnages auxquels ils furent envoyés .
Specimen d’amulette fuutanienne
- L’amulette comprend enfin un nombre plus ou moins abondant de textes coraniques, de phrases poul-poullé [Pular], et de mots en abracadabra. Elle est souvent appelée in fine talkuru, qui est le nom du gris-gris traditionnel, et placée sous le vocable d’un saint marabout local, ou simplement sous celui du karamoko rédacteur.
Il est fait usage de l’amulette foula ou toucouleure de diverses manières.
Le mode d’emploi le plus simple est de les porter suspendues au cou, soit en collier, soit en paquet. On les porte aussi en bracelet au poignet ou à la cheville, au bras ou à la cuisse, cousues dans ses vêtements ou nouées à la ceinture.
L’absorption de l’eau d’amulette, nasi, qui équivaut au safara sénégalais est général aussi. Souvent même, elle accompagne le port. Mais la foule distingue mal ces modes d’emploi et ne suit que fort irrégulièrement les instructions du karamoko. On porte ce qu’on doit absorber; on absorbe ce qu’on doit porter; et si, par hasard, le papier du karamoko est une véritable ordonnance médicale, qu’il convient de lire, de faire préparer et d’exécuter, comme celle-ci:
« Mélangez du gingembre avec du miel, du sel, du piment et du poivre de Cayenne. Faites cuire avec de l’eau et de la viande. Cette potion arrête le flux et les maux du ventre! »
On la porte pieusement à son cou, ou bien on en fait diluer l’écriture et on absorbe le nasi. Au fait, le résultat n’en est peut-être pas changé.
Ce n’est pas sur la seule personne humaine qu’on utilise les amulettes. On en fait porter aussi aux animaux, ou on leur fait boire le nasi. On en accroche aux arbres; on en enterre dans le foin et au milieu des champs, ou on y verse le nasi à certaines heures et dans des conditions déterminées.
Pour préserver, par exemple, son champ des sauterelles, on se fait donner un talisman par le karamoko soit en un, soit en quatre exemplaires. Dans le cas de l’exemplaire unique, on l’insère dans un bambou que l’on plante au milieu du champ. Dans le cas de quatre exemplaires, on en enterre un dans chacun des quatre coins du champ.
Avant de bander un tabala, on insère dans la caisse une amulette afin qu’il ne résonne que pour annoncer ou célébrer de bonnes choses.
On inscrit encore des formules de bénédictions et des charmes protecteurs sur ces petites rondelles de soie blanche que les araignées ou guêpes plaquent aux murs dans les cases.
Quelque temps avant les événements qui devaient ensanglanter la misiide de Goumba, le Ouali fit sacrifier un boeuf, lui bourra le mufle et les naseaux de gris-gris et d’amulettes préservatrices contre l’action des Blancs, et lui fit couper la tête. Cette tête fut jetée dans un trou d’eau de la rivière Mafing.
Aux amulettes il faut joindre ces pieux objets d’inspiration religieuse que les pèlerins rapportent des Lieux Saints, et qu’ils débitent par la suite en quantité invraisemblable: poils du Prophète, gravures pieuses, chapelets orientaux; morceaux d’étoffe ayant touché la Kaaba, eau de Zemzen, terre sacrée de la Mecque ou de Médine; bagues en argent, de titre peu élevé, portant un chaton, une pierre coloriée, qu’on a la prétention de faire passer pour des copies de la bague du Prophète, etc. Au dire des vendeurs, ces pieux objets ont l’efficacité parfaite de l’amulette, et sont utiles pour toutes les circonstances de la vie. Les coryphées de la magie moderne des grandes capitales européennes diraient qu’ils renferment des a secrets géorgiens pour réussir en tout ».
Il reste à signaler des mandements maraboutiques qui circulent à intervalles plus ou moins rapprochés dans le Fouta, et qui importent des prédictions diverses, de pieuses admonestations, et des prescriptions à la prière, au jeûne, à l’aumône et au retour à Dieu. Bien que ces mandements ne soient pas signés, on peut les attribuer en principe à Chérif Younous ou à Cheikh Mahfoud, de Casamance. Ils s’en défendent d’ailleurs vivement. Les karamoko les recopient plus ou moins textuellement et se les font passer sous le manteau de la cheminée. Ces documents n’ont, d’ailleurs, rien de subversif. Ils ne présentent quelques dangers que par l’émotion et l’inquiétude qu’ils peuvent semer dans les populations, en annonçant des dangers effroyables pour punir la tiédeur des croyants.
- b) Gris-gris et traitement médical. — La religion et la magie se coudoient perpétuellement dans la société noire et font le meilleur ménage A côté de l’amulette, qui est l’arme de défense islamique, le gris-gris ancestral, instrument de la magie et de la thérapeutique traditionnelle, le talkuru, a continué de subsister et, avec le temps, en est arrivé à fleurir aussi bien à l’ombre de la mosquée que dans la case du sorcier et du médecin de sorcier [guérisseur]. Il consiste en drogues de racines, d’écorces ou de feuilles, en produits animaux : cornes, ongles, poils, dents, morceaux de peau, yeux, etc.; en matières minérales: pierres, sable, eau, etc.
Il poursuit le même but que l’amulette ; rôle de préservation et de défense surtout, et aussi réalisation de désirs et de projets. Et au même titre que l’amulette, il est beaucoup plus prisé que les oraisons ordinaires qu’on demande au karamoko parce qu’il constitue une « prière permanente », et un bouclier qu’il suffit de ne pas dépouiller pour être à l’abri des coups du sort.
Les cheveux de Blanc ont toujours été considérés par les noirs comme des porte-bonheur de premier ordre. Mollien l’avait constaté en 1818, remarquant avec étonnement qu’un marabout « s’était emparé avec empressement de ses cheveux comme d’un excellent talisman pour préserver des maux de tête ». Après quelques scrupules, il avait fini par se laisser faire. Hecquard en fit la découverte à Poredaka en 1851, et par la suite, quand il manqua de vivres,
« il m’arriva plus d’une fois, dit-il spirituellement, de dépouiller ma tête au profit de mon estomac ».
Boubou, le cuisinier un moment célèbre de Noirot, voulant « gagner sur les traces de son maître », mettait subrepticement ses cheveux en vente et il fut à la mode vers 1900, dans le Ditin, d’agrémenter tous les sachets à amulettes d’un poil du commandant de Castel-Français. Cette utilisation de cheveux de Blanc est toujours en honneur. On en a trouvé dans les papiers du Ouali de Goumba et de ses principaux talibés. Lors de l’affaire de la Misiide, en mars 1911, quand on put rentrer en possession des cadavres des deux officiers, assassinés, il leur manquait la plupart de leurs cheveux. Et enfin, chaque fois que, de nos jours, un marabout est mis en état d’arrestation et que ses sacoches à gris-gris sont confisquées, on y trouve plusieurs cheveux ou poils de blanc. L’explication de ce culte est évidemment celle qu’en donnent les sociologues: le cheveu, comme d’autres parties du corps humain, est représentatif de l’être vivant tout entier, et par le cheveu, on peut atteindre son maître lui-même. Mais en pays noir, il faut toujours tenir compte du grand prestige que le blanc possède aux yeux de l’indigène, et il est certain que le noir qui est détenteur d’un cheveu d’Européen espère que cette propriété fera passer en lui quelque chose de la supériorité de la tête du blanc.
Quand une femme perd tous ses enfants en bas âge, elle doit interrompre le mauvais sort dont elle est victime en accrochant un anneau spécial a son oreille droite; dès qu’elle est mère à nouveau, l’enfant vivra. Les orangers qui se trouvent devant la mosquée de Bhouria (Mamou) jouissent de la propriété de rendre fécondes les femmes stériles.
Un morceau d’aérolithe dans une case en écarte la foudre. Mis dans la calebasse où on trait les vaches, il fait venir un lait abondant. Les Foula et Toucouleurs ont une crainte particulière de la foudre, qui tombe souvent, et cause de nombreuses morts et de multiples incendies. Pour s’en préserver, on attache au sommet intérieur de la case une amulette islamique et un talkuru traditionnel consistant en une bouteille renfermant du miel et divers ingrédients. La foudre tombe bien pourtant sur les cases ainsi protégées, mais on s’en console en pensant qu’il aurait pu arriver pire. Alfa Mamadou Thiam, de Tamba (Dinguiraye), malgré toutes les précautions de la loi et de la coutume, vit trois fois de suite la foudre tomber sur sa case, en briser les armes et les meubles, l’incendier entièrement, projeter dans un coin une vieille femme, qui fut grièvement brûlée, et resta sourde un mois. Comme on mettait en doute l’efficacité de ses gris-gris, il protesta énergiquement, assurant que, sans eux, l’incendie se serait propagé dans le village, que la femme eût été tuée, etc.
L’écorce de l’arbre, frappé par la foudre, a une efficacité particulière. On la fait brûler, et au dessus du foyer, on présente le canon d’un fusil, de façon que la fumée y pénètre. Ce gri-gri assure un tir impeccable au chasseur.
Pour avoir la pluie, on commence par une cérémonie publique à la mosquée: prière en commun et distribution par les vieillards aux pauvres du village des aumônes par les fidèles: arachides, maïs, fonio, cotonnade, pagne, bonnet), etc. Mais les Foula, comme les Toucouleurs, ne manquent pas de faire exécuter par leurs servantes bambara et malinké, leurs cérémonies traditionnelles. Les unes complètent les autres. Les femmes partent, la nuit venue, les unes ceintes de leur pagne simplement roulé autour des reins, les autres toutes nues. Le tam-tam accompagne leur procession. Elles se frappent les cuisses et offrent leurs parties sexuelles vers le ciel. Elles clament:
« O Dieu! Voilà mon sexe ; il souffre de la soif, je ne veux pas mourir. Mon mari a soif, il me délaisse. Donne-lui à boire. Les champs ont soif, donne-leur à boire. »
Après avoir fait le tour du village, et trois fois le tour de la mosquée, elles rentrent dans leurs cases vers minuit. La scène est des plus correctes, et aucun homme ne doit se mêler à la procession.
Les gris-gris pour la guerre étaient jadis nombreux et l’objet d’un art méticuleux. Ils avaient en partie disparu, ces temps derniers, mais notre recrutement les a remis en honneur.
Les gris-gris contre les maladies subsistent et fleurissent toujours. Le traitement de toutes les affections physiques ou morales se fait par des gris-gris magiques et médicaux, qu’il est impossible de distinguer entre eux, et qui ne le sont probablement pas, visant les uns et les autres à une double efficacité. C’est ainsi que sont soignées les maladies les plus ordinaires du Fouta-Diallon:
- ophtalmie
- goitre
- gale
- lèpre
- maladies vénériennes, etc.
Le traitement au beurre de karité alterne avec celui des amulettes et des talismans de la coutume, et parmi les innombrables poudres d’écorce et de feuilles utilisées, le médecin de sorcier est seul capable de distinguer, et encore rien n’est moins sûr, celles que la pratique médicale et l’art vétérinaire ont révélé être un remède proprement scientifique, et celle que l’expérience a fait connaitre comme un charme souverain, toutes les deux étant également nécessaires.
Leur science proprement médicale était d’ailleurs minime. Ils ne connaissaient même pas la variolisation et faisaient soigner leurs malades par des captifs qui ne manquaient d’être atteints eux-mêmes par la maladie. A la suite de quoi, on brûlait tout, cases et gens Aujourd’hui le progrès est sensible, et les varioleux sont soignés, soit par des individus déjà variolisés, soit par des vaccinés.
Il est inutile de s’étendre ici en exemples plus nombreux. Ceux-ci suffisent au cadre du sujet traité.
- c) Les tiefi (conjurations).—Les tiefi (au sing. tiefol), sont des formules conjuratoires très usités dans les deux Fouta (Djallon et Toro). Ils complètent l’amulette islamique qui est un document écrit, et le gri-gri traditionnel qui est un produit de la nature. Ils consistent en formules et charmes, qui sont quelquefois en arabe, souvent en poul-poullé et la plupart du temps en abracadabra, où seuls les initiés peuvent découvrir un sens, si tant est qu’il y en ait un. Cet abracadabra s’entremêle d’ailleurs souvent de mots poul-poullé, poular ou malinké, ce qui dénote la facture originelle et commune des artisans magiciens de toutes les races du Fouta-Diallon.
Ils sont, disent les Foula, l’apanage particulier des chasseurs, des bergers et des cultivateurs.
Avant de se mettre en campagne, le chasseur prend des feuilles d’arbre, les fait macérer dans l’eau, puis les retire, les frotte les unes contre les autres en prononçant le tiefol suivant, entremêlé de mots incompréhensibles:
« Antilope, viens.
Je vais faire sortir le mauvais sang qui coule dans ton corps.
Sinon, les mauvaises mouches te tueront. »
Il recommence l’opération à plusieurs reprises, et finalement se lave la tête avec la mixture. Ce tiefol est souverain pour la capture des antilopes et biches de toute espèce.
Pour que ses vaches ait un nombreux croit, le berger prononce le tiefol suivant, toujours entremêlé d’abracadabra:
« Dieu fait du bruit dans le ciel.
Mes vaches font du bruit sur la terre.
C’est moi, qui m’appelle X.
Je suis celui qui gagne des vaches.
Penda, toi qui trais les vaches,
viens traire inlassablement les miennes.
Le vent est violent et vient de l’Est.
Mes vaches sont nombreuses et viennent de l’Ouest.
Elles viennent, elles boivent à tous les marigots.
C’est là que j’ai pris beaucoup de génisses,
les génisses que mes vaches mettent bas.
C’est Dieu qui me les a données.
Le Prophète aussi me les a données.
Grâce à Dieu, j’ai gagné. »
C’est au moment où on fait lécher la boue salée à son troupeau (tuppal), tous les trois mois environ, dans la petite tapade ad hoc, qu’on doit prononcer ce tiefol.
Pour avoir une bonne récolte de mil, le cultivateur prononce l’incantation suivante:
« O chef mekké, ô chef mekke.
Terre, prends le mil.
Mil, laisse la terre et viens chez moi.
Que de mil ! A qui donc est-il ?
Il est à moi.
Tous les oiseaux s’en rassasient.
Mais mon mil est plus que jamais abondant et n’en souffre pas.
Et moi, j’en donne à tout le monde.
Et j’en ai, malgré tout, de plus en plus.
J’ai gagné du mil; il est comme ma femme
(id est, nous sommes intimement unis).
La disette est ma belle-mère
(id est, nous n’avons pas de relations). »
Pendant ce temps, l’opérateur lave et remue son mil de semence dans une calebasse, et y crache quelquefois.
Ces quelques exemples de tiefi suffisent à faire comprendre le mécanisme de l’institution, qui est incontestablement d’origine fétichiste, mais qui, comme on a pu le voir pour l’un d’entre eux, s’est particulièrement islamisé avec le temps.
- d) Le sacrifice. — Le sacrifice « comporte, comme l’a défini Salomon Reinach, l’usage d’un corps, d’une matière que l’on abandonne ou que l’on détruit ». Ces deux formes de l’offrande et du sacrifice proprement dits sont connues et pratiquées au Fouta-Diallon. Elles se présentent comme des institutions du passé, mêlées aujourd’hui de certains rites et de certaines formules de l’lslam.
Mais elles lui sont incontestablement antérieures, et il est certain que c’est la volonté des karamoko qui, impuissants à supprimer des coutumes populaires, ou même peu désireux de le faire, s’est employée à en éliminer tout ce qui était trop manifestement païen, et à les rendre orthodoxes en les islamisant.
L’offrande des prémices de la récolte est générale. Cet hommage rendu, soit à Allah, soit aux génies agraires, soit confusément à tous les deux, comporte, ici, le don à un karamoko, ou aux pauvres du village ; plus loin, le dépôt dans un coin du champ ou sur un arbre, de quelques épis de fonio, de maïs ou de mil.
Les ensemencements s’accompagnent aussi de rites agraires, assez mal définis et variant d’ailleurs des Foula aux Diallonké, mais il semble bien qu’il y a offrande de quelques grains à celui qui permettra aux autres de croître et de se multiplier.
Il y a ensuite les offrandes expiatoires: le Ouali de Goumba ordonnait à tel ou tel de ses fidèles, et les autres karamoko font comme lui, d’offrir un panier de mil ou de fonio, un pagne, un boubou, une chéchia, pour racheter ses fautes et obtenir l’indulgence divine. Il n’y touchait pas personnellement, mais il faisait recueillir ses présents par un talibé et les faisait commencer par ses visiteurs ou par son entourage Sentant que ces pratiques pouvaient paraître répréhensibles, il écrivait à Tierno Atigou de Kindia, son homme de confiance, chef de ses talibés et prunelle de son oeil, de représenter la chose comme licite aux yeux du commandant. Ces aumônes et pieuses libéralités, qu’il appelle islamiquement « sadaqa », sont entremêlées de pratiques qui sentent le fagot. Il écrit à un de ses talibés:
« Fais un sacrifice et une aumône. Tu donneras de l’or, sept haches, un sabre et un pagne blanc. L’or à un aveugle, les sept haches à une vieille femme, le sabre à un étranger de passage et qui sera votre invité, le pagne à un vieillard de la localité. Ces dons propitiatoires auront lieu un jeudi sans faute. »
Un usage, assez généralement répandu au Fouta, est d’offrir, pour apaiser la colère divine, un bouc rougeâtre aux dioula de passage, qui représentent les types par excellence du voyageur.
Mais le sacrifice le plus courant est celui qui consiste dans l’immolation d’une victime animale, dans la distribution de ses différentes parties à toutes les catégories des gens du village, suivant un rite déterminé, et dans la communion générale de la chair de cette victime. C’est la forme la plus parfaite du sacrifice.
La victime est la plupart du temps un boeuf, animal propitiatoire par excellence aux yeux des Foula. C’est quelquefois aussi un mouton ou une chèvre.
La bête est égorgée avec le Bismillah et les rites de l’Islam, puis elle est répartie suivant le rite traditionnel:
- la tête et les pattes sont données aux captifs
- le foie aux captives la langue au saatigi ou chef de roundé
- une côtelette et le coeur pour les vieillards du village, et on comprend maintenant parmi eux les karamoko
- un gigot pour le chef le dos (tyaggal, bhaawo) pour les griots
- la gorge et deux côtelettes pour le boucher
- un morceau de la poitrine pour son aide, le dépouilleur
- une bande de viande sur les côtes pour le gardien de la bête, après l’immolation
- les intestins pour les enfants du village, qui ne sont pas encore accoutumés à la manducation de la viande
- les trois derniers gigots et le reste de la viande entre les différentes familles du village.
Tout le monde a eu ainsi sa part et, par conséquent, tous participent à la vertu de l’immolation et à la fin poursuivie par l’impétrant, décuplant ainsi la valeur de son sacrifice et le renforçant de toutes les énergies du village.
Ces sacrifices rituels, qu’on retrouve chez beaucoup de peuples noirs et aussi chez les tribus maures, se reproduisent fréquemment. Ils sont amenés par le désir d’obtenir
- la guérison d’un malade
- le succès dans une affaire
- la réussite d’une entreprise commerciale, une récolte abondante
- l’heureux dénouement d’un procès
- un mariage désiré
- la pluie, etc., etc.
Des fins moins honnêtes, comme
- la disparition d’un ennemi
- le changement du commandant, etc.,
interviennent quelquefois aussi. Les victimes pascales de Julde Suumayee et Julde Donkin sont réparties suivant le rite déterminé ci-dessus.
A plusieurs reprises, à des moments où les Foula pouvaient craindre des mouvements de troupes dans le Fouta, on a signalé des sacrifices d’un genre spécial dans certains milieux maraboutiques. On immolait un boeuf dans les eaux même du Koukouré, et tout le monde venait tremper ses gris-gris dans les eaux ensanglantées. Ces rites devaient avoir pour but d’interdire le passage de la rivière aux tirailleurs.
Les sacrifices totémiques, destinés à renouveler le pacte d’alliance entre l’homme et l’animal sont inconnus, ici. Ils seraient même tout à fait contraires à l’idée générale qu’on se fait du tanaa, car celui-ci ne doit jamais être consommé ni recevoir le moindre mal de son « parent humain » fût-ce dans le but élevé d’union dans le sacrifice et de renforcement des liens d’alliance.
Les pratiques symboliques, sacrifices partiels de la personne humaine, tels que les tatouages, les scarifications, les kéloïdes, les dents taillées ou limées, les déformations de lèvres, etc., si répandus dans l’Afrique noire, sont inconnus ici.
- Sorciers et médecins de sorciers. — Les sorciers et les médecins de sorciers fleurissent dans toute l’Afrique noire et on est très porté à les confondre sous le vague nom de « sorciers » ou de « féticheurs ».
Le sorcier (nyanne en foula, sukunia en poular de Dinguiraye) est le ministre de la magie néfaste et l’artisan du mal. Par ses relations avec les esprits ennemis, par ses connaissances spéciales, qu’il met au service des criminels, par sa pratique des maléfices, par son pouvoir de s’excorporer la nuit, comme un serpent se dépouille de sa peau, et de vaguer dans la campagne et dans les villages, mangeant le coeur et suçant le sang des hommes, il est la terreur du menu peuple.
Le contre-sorcier ou médecin de sorcier (mbileejo en poul-poullé et en poular) est au contraire le ministre de la science et de la magie bienfaisante et l’artisan du bien. Sa première fonction est de neutraliser les maléfices du sorcier, mais il est aussi exorciste, charmeur, faiseur de pluie, devin, souvent médecin guérisseur, et même juge d’instruction à sa façon. C’est celui, comme le dit spirituellement Mgr A Le Roy, entre les mains de qui « on dépose les plaintes contre inconnu ».
Toute la science et toute la magie du Fouta-Diallon (et des autres pays noirs) reposent sur ces deux personnages, mais la difficulté est que leurs rôles respectifs ne sont pas dans la pratique aussi rigoureusement séparés qu’il vient d’être exposé, et que le sorcier rend bien parfois des services utiles, tandis que le mbileejo, sachant et pouvant bien des choses, se laisse aller à employer ses connaissances pour le compte des personnes nourrissant des desseins criminels.
Il suffit de s’en tenir au schéma de l’institution. Quand donc un individu est malade physiquement, intellectuellement ou moralement, on appelle le mbileejo. Celui-ci fait son diagnostic. Il examine le patient, I’interroge et juge si le cas est du ressort de la médecine ordinaire ou de la thérapeutique magique. Il peut donc, soit donner des potions de poudre d’écorce ou de feuilles, ordonner des bains et des massages, des purgatifs ou des vomitifs, le chaud ou le froid, appliquer un gri-gri, ou faire faire une amulette arabe, quand il ne la fait pas lui-même, prononcer des incantations, etc.; soit reconnaître qu’il y a maléfice de sorcier et que, par conséquent, le traitement doit tout simplement viser à la découverte du nyanne, et à sa mise en demeure de faire cesser le mal. Dans ce but, il contraint le malade soit par un charme ou un filtre magique, soit par une potion plus médicale, à dire lui-même le nom du sorcier qui l’a mis à mal. La chose ne va pas sans difficultés, mais finalement le malade suggestionné, ou tombé sous l’influence des drogues qu’on lui fait absorber, finit par lâcher un nom de sorcier plus ou moins connu. Il ne reste plus qu’à faire venir cet agent du mal, soit par l’intermédiaire du chef, soit par la pression populaire, et lui faire avouer son maléfice. Le sorcier fait souvent les plus grandes difficultés pour se reconnaître coupable, mais souvent ici, et bien qu’il ne soit pour rien dans le cas d’espèce, il avoue, suggestionné ou par habitude, que c’est en effet son double, ou le génie pervers qui habite en lui, qui s’est échappé de son corps, une nuit, et a mangé le cœur ou bu le sang du malade. Quand il ne veut pas faire des aveux, on l’y contraint par un philtre, une incantation ou une potion médico-magique. Généralement, on le place alors devant le malade et on le touche avec une queue d’éléphant. Agité, troublé, il cherche à fuir, souvent même y réussit; mais il est toujours ramené au chevet du malade, et finalement fait les aveux réclamés.
La cause du mal est désormais connue. Il ne reste plus qu’à contraindre le sorcier à rendre le coeur mangé et le sang bu, ou à détruire l’effet de ses maléfices. Il s’exécute, et le malade guérit ou ne guérit pas, mais toutes les formes de l’art ont été respectées et l’insouciance indigène, doublée du fatalisme islamique, s’en remettent désormais au Maître suprême.
Jadis, on poussait les choses plus loin, et on inférait de ce que le malade ne guérissait pas ou mourait, que le sorcier y mettait de la mauvaise volonté, et on le frappait ou on le mettait à mort. Ces faits deviennent de plus en plus rares aujourd’hui, quoique l’an dernier encore un Foula était poursuivi devant les tribunaux pour avoir tué à coups de bâton une sorcière qui lui avait été signalée par son fils infirme, comme étant l’auteur de son mal, et qui, résistant à toutes les supplications, avait déclaré ne pas savoir ce dont il s’agissait.
Les crimes d’empoisonnement et d’envoûtement, qui seraient surtout le fait des femmes qui veulent se débarrasser de leur mari, sont pratiqués avec une drogue qui se compose d’écorce pilée de l’arbre teli macérée dans l’eau, et de diverses autres poudres, mais on s’en sert particulièrement pour détruire les hyènes et les charognards.
L’envoûtement n’est connu que sous la forme de gris-gris maléficients, pratiqués à distance, et sans grande portée, semble-t-il, car les indigènes eux-mêmes n’y attachent qu’une foi très limitée. Jadis, on mettait aux fers le sorcier qu’on supposait se livrer à l’envoûtement. Quelquefois on les exécutait. Il y a une vingtaine d’années, l’almamy de Dinguiraye, Maki Tal, fit mettre à mort un karamoko entre les mains de qui on avait trouvé un gris-gris cage, où étaient inscrits les noms de l’Almamy et des principaux notables avec cette mention
« Qu’ils meurent et je serai heureux. » Il fut fusillé, avec les fusils Gras même que le gouverneur Grodet venait d’offrir à l’almamy.
Aujourd’hui, surtout dans le monde des lettrés arabes et des indigènes qui nous approchent, on affecte une certaine indépendance d’allure vis-à-vis des sorciers, mais au fond on n’est pas encore très rassuré sur leur compte. Quant à la foule, elle a gardé ses croyances de jadis. Aussi ne prononce-t-on le nom du sorcier qu’avec une certaine crainte, et encore mieux vaut-il ne pas le prononcer. Quand un indigène menace quelqu’un du nyanne, il est aussitôt déféré devant les tribunaux. Et si quelqu’un s’avise de crier à son adversaire: « Je te mangerai le coeur, » c’est qu’il est sans doute sorcier et l’a avoué sous l’empire de la rage; les chefs en prennent note aussitôt, afin de le surveiller pour l’avenir. Quant au délinquant, il est amené de vive force à la mosquée et contraint de jurer sur le Coran s’il est ou n’est pas sorcier. Si, par hasard, il faisait un faux serment, il mourrait quelques jours après.
La qualité de sorcier est, la plupart du temps, à charge à ceux qui la portent. Beaucoup, surtout à l’heure actuelle, ne demanderaient pas mieux que de voir oublier ce triste privilège. Ils disent qu’il « fait bon » habiter dans les villages de marabouts ou près des autorités françaises, parce que les karamoko les défendent contre les accusations de maléfice, se moquant de ceux qui profèrent ces accusations, et disant que Dieu seul est le maître de la vie et de la mort et que les secondes, n’ajoutant pas foi à ces traditions foula, les protègent contre leurs calomniateurs.
Il y a, en général, une famille de sorciers par village. Ils peuvent être indifféremment hommes ou femmes. Ils sont connus par les populations, et vivent au milieu d’elles, sans que rien d’extérieur ne les distingue. Mais il y aussi nombre de sorciers que l’on ne connaît pas et qui ne se connaissent pas eux-mêmes souvent. Ce n’est que par leurs maléfices qu’on les découvre avec le temps.
Il y a aussi dans tous les villages une ou plusieurs familles de médecins de sorcier. Ce sont les hommes seuls qui jouissent de cette qualité.
Plusieurs sorciers et médecins de sorciers se sont acquis parmi la génération qui disparaît, une réputation considérable dans la plus grande partie du Fouta ou du Dinguiraye. Le nom de la sorcière Hawa Doussou est célèbre dans tout le Fouta oriental. Demma Awa était respectée dans l’ensemble du Dinguiraye à l’égard d’un karamoko du plus haut rang.
La qualité de sorcier se transmet exclusivement par les femmes, suivant certaines règles qui sont identiques à celles que j’ai exposées dans l’lslam au Sénégal pour les sorciers de cette colonie et qui paraissent être communes aux sorciers de tous les peuples noirs de l’Ouest Africain.
La qualité de médecin de sorcier se transmet au contraire par la tige paternelle.
Le sorcier se fait payer ses pratiques maléficientes, quand il les met au service du public; et dans ce domaine c’est évidemment lui qui impose sa volonté. Un certain usage s’est au contraire imposé pour la rémunération des bons offices du médecin de sorcier. On lui donne des boeufs, du grain, des pièces d’étoffe, de l’argent même, mais il ne touche son salaire que lorsque le malade est guéri.
Un des traits les plus curieux de la mentalité foula, étant donnés l’orgueil de race de ce peuple et sa méfiance instinctive, est sa grande crédulité à l’égard des sorciers d’origine malinké. Ceux-ci le savent et exploitent cette crédulité au delà de toutes les bornes de la vraisemblance. Il y a quelques années, un de ces imposteurs parcourut plusieurs cantons du Fouta, vendant des gris-gris et des charmes, au nom même de l’administration, annonçant l’arrivée d’un détachement de tirailleurs, et pour bien prouver qu’il était un grand chef et qu’on devait lui apporter, tous les soirs, un cabri ct des calebasses de fonio, faisait débroussailler des kilomètres de route, ce qui est évidemment tout à fait « manière dc Blanc». En 1913-1914, un autre malinké, Amadou Sanokho, complètement lettré, put opérer pendant plusieurs mois dans 3 ou 4 cercles du Fouta.
Il débitait d’invraisemblables amulettes arabes, des gris-gris de toute nature et les médicaments les plus divers. Il se faisait passer pour un grand marabout qadri, fils de l’Almamy Ibrahima Sori Daara, tué par les Houbbou. Il recherchait simplement la province du Fouta, qui lui agréerait le mieux, le gouvernement lui ayant promis un commandement et lui en laissant le choix. D’abord assez discret dans ses propos, il finit, comme tout noir, par se perdre par sa faconde. Il déclara un jour, à Kankalabé, en février 1914, qu’une grande guerre venait d’éclater entre les Français et les Anglais, et qu’en attendant les événements, il ne fallait plus payer d’impôt aux Français. Ce propos suspect attira l’attention du chef de Kankalabe, qui l’arrêta. On trouva dans ses bagages plusieurs malles de gris-gris extraordinaires et d’innombrables flacons de liquides aux couleurs et aux odeurs indéfinissables. Condamné à 18 mois de prison, il s’enfuit peu après à Sierra-Leone, d’où on le verra revenir un jour prochain pour recommencer ses exploits. Les mystifications religieuses ne sont pas toujours l’œuvre d’imposteurs malinké. Il y a peu de temps, deux jeunes Foula du Labé n’ayant pas reçu dans le Mamou l’hospitalité qu’ils désiraient, écrivirent une lettre anonyme où, avec force imprécations, le Prophète ordonnait à tous ses fidèles de jeûner deux jours. La lettre courut dans les mosquées et tout le monde s’exécuta. Heureux de leur mauvais tour, les garnements s’en vantèrent et les vieux karamoko ne le leur pardonnèrent pas.
Les Blancs ont aussi une grande réputation de pouvoir magique au Fouta Diallon, et en général dans les pays noirs. Les Maures le savent bien et en abusent dans leurs tournées pastorales. Les explorateurs des générations précédentes, manquant souvent des choses les plus nécessaires et assaillis de demandes d’intervention magique par les indigènes, firent plus d’une fois, comme Mollien en 1918-1919, et « profitèrent, sans le demander, de la crédulité des Nègres ». Mollien n’hésitait pas, sur la requête de son hôte de Courbari, à lui délivrer un gri-gri « pour gagner fortune sans travailler ».
Nombre de petits marabouts Foula, que leur profession de karamoko ne suffit pas à faire vivre, font quelque peu aussi les médecins-rebouteurs, devins et marchands de gris-gris. Ces agissements en marge de la religion les déconsidèrent quelque peu, et on les dénomme karamokoyagal , c’est-à-dire marabouts pervertis.
Il est intéressant de signaler à côté du mbileejo cet artiste lyrique, baladin, troubadour et jongleur qu’est le wagejo (nyamakala). Il erre dans les villages foula, donnant des sortes de représentations théâtrales, et de mimes, et accomplissant ses tours de force. ll supplée à l’occasion le mbileejo, soignant les malades, prédisant l’avenir, faisant tomber la pluie et arrêtant le cours des mauvais sorts. Les wageebhe sont d’ailleurs peu nombreux.
III
Circoncison et excision
- Circoncision. — La circoncision est communément pratiquée chez tous les peuples du Fouta-Diallon: Foula, Toucouleurs, Diallonké, Malinké, Diakanké. Elle parait bien antérieure à l’Islam, car elle est en usage chez ceux de ces peuples, tels les Diallonké et Malinké qui sont à peine islamisés, et même quelquefois fétichistes. D’ailleurs chez ces derniers qui sont teintés d’Islam, certaines coutumes particulières à la circoncision fétichiste d’antan ont survécu dans la circoncision islamique, et notamment l’âge avancé auquel l’opération est pratiquée. De plus, la circoncision est tant chez les islamisés que chez les fétichistes la plus grande fête de l’année, encore que chez les premiers elle tende à céder la place à la fête du mouton (Donkin).
On l’appelle universellement sunningol ou suuwugol, mais les Toucouleurs disent encore par euphémisme hormingol.
C’est vers l’âge de 5 ans que les enfants Foula et Toucouleurs sont circoncis. La loi ordonne, en effet, dit le karamoko, de la faire avant 18 ans; passé cet âge, on ne doit plus pratiquer cette opération. On la fait néanmoins puisque les jeunes Diallonké et Malinke ne sont circoncis qu’à 20 et même 22 ans.
C’est en janvier ou février qu’est pratiquée la circoncision. Le temps est frais à ce moment, et la guérison rapide. Plus tard, la chaleur humide fait envenimer les plaies et retarde leur cicatrisation. Quand on peut le faire, on choisit de préférence les derniers jours de lune.
Il n’y a pas de jour spécial chez les Toucouleurs, quoique le mercredi et le vendredi soient en honneur. Les Foula préfèrent le vendredi. L’heure choisie est ordinairement le lever du soleil. Quelquefois pourtant on attend 4 heures du soir.
La circoncision est commune à tous les enfants du village; ou pour un centre important à tous les enfants d’un quartier ou d’un groupement familial. C’est une grande fête qui s’accompagne de tam-tam et de chants.
Pendant toute la nuit qui précède l’opération, les adolescents sont réunis autour d’un tam-tam assourdissant et il leur est interdit de dormir et de se reposer. Il semble qu’on veuille les fatiguer le plus possible pour les insensibiliser. Au matin, de bonne heure, on se rend en groupe dans la brousse, en un endroit préparé à l’avance. Les intéressés prennent un bain, puis, tandis qu’ils s’approchent du lieu du sacrifice, les griots chantent les louanges de leurs pères ou de leurs parents. Ils interpellent le jeune homme:
— « Foula, fils de Foula, fils de lion, sais-tu ce qu’a fait ton père ? Il mettait en pièces les fétichistes incirconcis, il était le plus brave .. » Et lui de répondre:
— « Me voilà, croyez-vous que j’aie peur. Coupez-moi le bras, coupez-moi la jambe, je suis plus fort que mon père… »
Et le griot chante les louanges d’un garçon aussi brave. Dans certains villages, l’emplacement choisi est dans l’agglomération même à l’intérieur d’une tapade.
Autrefois, on faisait asseoir le patient sur un mortier renversé. Aujourd’hui il reste debout et soulève son boubou. L’opérateur tire le prépuce, l’attache solidement avec une ficelle pour le dégager du gland, et le tranche rapidement avec un couteau effilé, ou même avec un rasoir. Les coups de feu éclatent, le tam-tam résonne. Le patient n’a pas bougé. Le griot, en face de lui et les yeux dans les yeux, le surveille, prêt à jeter aux échos son manque de courage. Et de fait, il est très rare qu’un de ses adolescents, au moins chez les races énergiques, comme les Toucouleurs, se laisse aller, non pas à pleurer, mais même à pousser un gémissement. Chez les Foula, qui sont moins robustes devant la souffrance, les enfants se mettent quelquefois à geindre. Le proverbe dit que si un enfant écoutait sa douleur au point de pleurer, son père devrait le tuer. On n’en arrive pas là évidemment, mais on a vu des jeunes gens qui, n’ayant pas pu supporter cette opération avec le stoïcisme nécessaire ont perpétuellement été abreuvés de moqueries, refusés en mariage, et contraints de s’expatrier. Il faut croire tout de même que la souffrance est grande, puisque le dicton foula proclame qu’on peut tout « oublier dans sa vie, mais pas le jour de sa circoncision ni celui qui vous a circoncis ».
L’opération achevée, les jeunes circonconcis (betiibhe) laissent tomber leur boubou à leurs pieds et en revêtent de nouveaux, longs et fermés, quelquefois teints en jeune ou en rouge. Ils prennent aussi en main la longue canne foula (baral).
La plaie est soignée chez les Toucouleurs avec du sable brûlant. Il peut pleurer à ce moment-là. C’est à la douleur de la brûlure qu’il est censé pleurer et non à celle de la plaie. Cette application de sable chaud se renouvelle, matin et soir, pendant huit jours, et l’enfant porte sa verge sur une petite fourchette de bois, attachée à la ceinture. Le huitième jour, il se rend à la cascade voisine et se fait laver par le fil de l’eau; il est pansé ensuite avec une pièce dc coton, enduite de beurre frais. Un pansement de poudre d’écorce (pellé-toro) achève la guérison.
La médication des Foula est plus simple.
Ils font macérer des feuilles et des lanières d’écorce de caïlcédrat, et de cette mixture se font un pansement humide matin et soir. D’autres y appliquent des feuilles de gobi et des poudres d’écorce.
Une intervention religieuse se produit aussi: on lit en commun un chapitre du Coran, et on se fait délivrer par le karamoko un gri-gri spécial qu’on doit, soit porter sur son corps, soit délayer dans l’eau, pour s’en laver la verge.
Ce mois de convalescence et de retraite se passe en réjouissances, en visites, en promenades dans la campagne. Les divers parents et amis reçoivent tour à tour les opérés. Ils égorgent en leur honneur un boeuf ou un mouton et leur offrent un festin. Les jeunes gens doivent rentrer tous les soirs à la case spéciale, qu’on leur a construite et où ils vivent en commun, sous la surveillance d’un homme âgé (baho). Ils peuvent y recevoir des visites et des cadeaux, mais les femmes sont exclues de leur vue.
Le mois écoulé, les circoncis abandonnent leurs boubous spéciaux et en revêtent de neufs. C’est le yhawtugol. Ils mettent aussi pour la première fois un pantalon. Ils brisent leurs cannes et en jettent les morceaux dans le marigot. Ils changent de nom: le bilakoro Toucouleur devient juuli, comme le soliijo foula devient nduuguse. Ils sont hommes et peuvent dès lors se marier et prendre part aux expéditions armées. Il apparaît donc qu’ici, comme en tout pays noir, la circoncision est le rite de passage de l’adolescence à la virilité.
L’opérateur n’est pas spécialisé dans ses fonctions. Chez les Foula, c’est un parent, un ami, un voisin, quelquefois le karamoko. Chez les Toucouleurs de Dinguiraye l’opérateur est généralement un forgeron; c’est aussi quelquefois un captif, serf ou griot de la famille. Il reçoit pour son salaire un morceau de savon, une pièce d’argent ou quelques calebasses de grains. Il ne paraît pas jouir d’une considération spéciale et l’on retrouve au Fouta-Diallon ce proverbe courant chez la plupart des peuples noirs:
« Tu peux faire du tort à ton circonciseur, mais non à ton coiffeur. »
On a, en effet, toujours besoin de ce dernier; quant au premier l’opération faite, il n’est plus utile.
Le prépuce n’est l’objet d’aucun soin: on le jette tout simplement, ou on l’enterre.
La communauté de circoncision crée une véritable camaraderie de promotion entre les jeunes gens (yirde). Ils se doivent conseil et assistance toute la vie.
L’épithète de bilakoro ou incirconcis ou de bhii-soliijo « fils d’incirconcis » est une très grave injure au Fouta. Elle ne s’oublie pas et donne lieu à des querelles et à des rixes qui entraînent des morts d’hommes. Il serait donc tout à fait opportun que certains chefs de poste aient le bon goût de l’écarter de leur vocabulaire administratif à l’usage des Foula.
On cite plusieurs exemples de personnalités assez marquantes qui, traitées de bilakoro par le « commandant » et se trouvant dans l’impossibilité d’en tirer vengeance, ont quitté le pays pendant plusieurs années. Cette grave injure est d’autant plus ridicule, que s’il y a un incirconcis dans la discussion, c’est bien le Blanc.
Depuis l’occupation française, il semblerait que la circoncision n’est plus aussi fidèlement pratiquée qu’autrefois. Ce ne sont d’ailleurs que des cas isolés. Des adolescents s’expatrient dans les villes: Kindia, Konakry, Kankan, etc. Ils se mettent au travail, sont obligés de revêtir le pantalon avant le rite, ne trouvent pas ou laissent passer l’occasion de subir l’opération. Rentré au Fouta à un âge avancé, ils n’osent plus avouer qu’ils n’ont pas été circoncis et se soumettre à ces pratiques qu’en esprits forts beaucoup jugent déjà puériles. Ils se taisent ct restent incirconcis. Les premiers temps, la chose s’est sue et a fait scandale. Aujourd’hui, dans les grands centres, Timbo, Labé, Dinguiraye, où ces cas se rencontrent plus fréquemment, on finit par accepter cette situation et les vieillards et les karamoko accusent, comme chez nous, la perversité et les pernicieux exemples des villes.
- Excision.—L’excision est une institution universellement pratiquée dans le Fouta-Diallon. Elle paraît antérieure à l’lslam; elle est en effet en honneur tant chez les islamisés que chez les fétichistes; et chez les islamisés eux-mêmes, les lettrés reconnaissent que leurs pères la pratiquaient, bien avant que la vérité révélée eut été prêchée parmi eux.
L’âge auquel la fillette est excisée est des plus variables; de 2 à 8 ans, chez les Toucouleurs du Dinguiraye; de 10 à 12 ans, dans l’ensemble des Foula; de 14 à 15 ans, chez les Diallonke et Malinké.
L’opération, assez anodine chez les Maures et pratiquée au surplus au lendemain de la naissance, est accomplie ici avec la brutalité coutumière des pays noirs. Les fillettes sont conduites dans la brousse et remises à la femme d’un forgeron qui tranche d’un coup de canif ou de petit couteau l’extrémité du clitoris. Il n’y a ni tam-tam, ni griot, et les opérées pleurent à chaudes larmes. La plaie est soignée par des lavages d’eau chaude et des infusions ou décoctions d’écorces spéciales. On applique le plus tôt possible un pansement de beurre frais.
Quel est le but de l’excision? Chez les intéressés, les avis sont partagés. La plupart assurent que le clitoris est une vilaine chose, et qu’il est bon de le faire disparaître, car l’homme pourrait être piqué au moment de la copulation. Il est de fait que l’extraordinaire développement du clitoris chez la femme noire le fait déborder des grandes lèvres ct que le spectacle n’a rien d’agréable, de même que le contact est assez gênant. Quelques autres assurent que leur répulsion n’a pas de causes esthétiques, et que l’excision est nécessaire pour la facilité de la copulation.
Quoi qu’il en soit, il est certain que pour le Foula et le Toucouleur le coït avec une femme non excisée n’est pas du tout apprécié. Un exemple illustrera la thèse. En mai-juin 19166, un certain nombre de marabouts et chefs du Fouta-Diallon et de Dinguiraye vinrent saluer à Dakar le gouverneur général Clozel. On leur fit visiter les « attractions » de la ville ; et ils voulurent eux-mêmes épuiser la coupe des jouissances intellectuelles et profanes, en étudiant de près le mécanisme des maisons d’illusion de Dakar, institution inconnue au Fouta. Quelle ne fût pas leur surprise en constatant que les femmes Wolofs et Leboues, qui en faisaient l’ornement, n’étaient pas excisées. Ils se retirèrent sans avoir eu le courage physique de pousser l’expérience jusqu’au bout, et l’un d’eux, qui a quelques connaissances de français, résumait, le lendemain, la situation en ces mots : « Quand j’ai vu ça, mon coeur s’en va. »
Il arrive quelquefois que l’excision est pratiquée sur des femmes d’un âge avancé. Il s’agit des femmes fétichistes qu’épousent des musulmans foula. On les confie à des vieilles matrones qui leur font subir l’opération et les gardent enfermées six semaines dans une case de leur galle. Elles ne doivent voir aucun homme et même le moins possible de femmes pendant cette période de retraite.
Conclusion
L’lslam s’est développé avec une très grande rapidité au Fouta-Diallon. En moins de deux siècles toute la région a été gagnée à la voie droite du Prophète. Tous les moyens y furent employés. C’est d’abord l’installation pacifique des premières fractions nomades et musulmanes Fulbhe auprès de leurs cousins Pulli. C’est ensuite la propagande discrète des missionnaires pour renforcer leur parti de toutes les âmes de bonne volonté. Puis, par le lien religieux, premier facteur d’union dans une société anarchique, se constitua la première organisation politique; celle de la communauté musulmane. Malgré son petit nombre, elle prend conscience de sa cohésion et de sa force morale, et avant même d’être assurée du succès, fidèle à l’esprit comme à la loi de l’lslam, se révolte contre les hospitaliers Dialonké et Pulli, et arrive, péniblement il est vrai, à triompher de leur apathie et de leur désunion, conquérant tout d’abord son indépendance, et finalement la suprématie politique dans le Fouta-Diallon. Ce fut l’oeuvre du dix-huitième siècle.
Les deux éléments asservis furent généralement contraints d’embrasser, au moins en apparence, la nouvelle religion, mais leur adhésion n’eut pas d’autre valeur que celle d’un acte de foi verbal. Ils gardèrent toutes leurs coutumes sociales et juridiques, toutes leurs croyances comme tous leurs rites du passé. Cette « diallonisation » de l’Islam s’est maintenue jusqu’à nos jours.
Le dix-neuvième siècle fut la période de la guerre sainte, soit luttes contre les fétichistes voisins, soit luttes contre les dissidents religieux. On a déjà exposé ce que furent ces combats d’un demi-siècle contre les dissidents Houbbou. Au Fouta, comme chez la plupart des primitifs et dans l’antiquité, c’est le principe de la religion territoriale qui domina. Dissidence religieuse et insurrection politique se distinguaient mal et s’accompagnaient ordinairement.
Les Houbbou, tout comme Socrate, étaient coupables de ne pas honorer « les dieux de la république»; quant aux fétichistes, sur toute la périphérie du Fouta, Malinke, Haute-Gambie, Casamance, Gabou, Tenda, Landouman, Baga et Soussou, ils furent en butte aux agressions perpétuelles des Foula qui cherchaient, moins à les convertir, qu’à se fournir chez eux, à main armée et sous la bannière d’Allah, de captifs, de femmes, de boeufs et de butin. C’était tout bénéfice pour ce monde et pour l’autre. Il y a une analogie frappante entre cette organisation politique et celle de l’Islam naissant: elles se distinguent toutes deux par la puissance de la communauté religieuse et par le triomphe de la féodalité. La Mauritanie berbère des seizième et dix-septième siècles rappelle aussi cet état de choses.
Entre temps, les dioula et karamoko, agents de prosélytisme, de commerce et de pieux espionnage, allaient s’établir chez ces accueillants voisins et préparaient les voies. « Les populations qui habitent la Casamance et la rive gauche de la Gambie, dit Hecquard en 1850, tremblent déjà au seul nom de l’Almamy; elles accueillent avec empressement les marabouts qu’il envoie parmi elles comme autant de missionnaires. Ceux-ci établissent des écoles dans leur pays, enseignent l’écriture aux enfants, et les élèvent dans les doctrines du Coran. »
Deux poussées ardentes de prosélytisme, extérieures d’ailleurs à la race foula, devaient activer l’islamisation du Fouta-Diallon
- d’une part, la création de Touba au début du dix-neuvième siècle et la diffusion du Qaderisme Diakanké
- d’autre part et un peu plus tard, la prédication d’Al-Hadj Omar et l’essor du Tidianisme toucouleur.
Ici, comme dans l’Afrique du Nord, c’est la confrérie religieuse qui est le plus puissant et le plus efficace agent de rénovation islamique.
Aujourd’hui, la situation parait stationnaire. Les voisins des Foula ne subissent plus cette action à main armée ou cette politique de prosélytisme religieux, et ils restent attachés à leurs croyances, soit fétichistes, soit teintées d’islam. A l’intérieur même du Fouta, les populations asservies et le captif d’hier, n’étant plus obligés de simuler la ferveur religieuse, abandonnent les pratiques rituelles, ne font plus qu’un minimum de prières ou n’en font plus du tout, ne pratiquent plus le jeûne, ne versent plus la dîme aumônière, etc. En revanche, certains d’entre eux, devenus riches, se haussent socialement et font donner à leurs enfants l’éducation coranique qui leur aurait été refusée hier. Quant aux Foula, si les générations anciennes sont toujours fidèlement attachées aux croyances et moeurs du passé, et se montrent quelque peu rétrogrades, beaucoup parmi les jeunes gens paraissent adapter leur conception de l’Islam à la nouvelle situation et aux modifications sociales que notre présence fait naître. Il y a donc en plusieurs points abandon de certaines pratiques, d’où apparence de relâchement religieux, mais aussi sur d’autres : raisonnement et effort d’adaptation de sa foi, d’où renforcement de la conviction religieuse. Beaucoup de karamoko reconnaissent volontiers qu’en toute justice, si la présence des Français dans le Fouta amène forcément des modifications et des déclassements dans la société islamique, elle n’entraîne pas forcément la désagrégation de l’Islam lui-même.
Les statistiques ci-dessous donnent approximativement pour 1907 et 1910 les chiffres de la population globale, ainsi que ceux des musulmans et des fétichistes dans le Fouta-Diallon. C’est une première et utile indication.
Le Fouta-Diallon est aujourd’hui un pays parfaitement calme. Le Foula est un être essentiellement pacifique et sans muscles, un être de méfiance, de prudence et de ruse. Les aphorismes qui lui sont chers et qui sont innombrables sur ce sujet, en témoignent:
- C’est le petit torrent qui fait du bruit; le grand marigot n’en fait pas.
- Passer la nuit avec la colère vaut mieux que la passer avec le repentir, — la crainte de la honte qui t’a fait passer la nuit chez toi vaut mieux que le courage qui t’en a fait sortir.
- Si le jour se levait à minuit, on verrait qu’il n’y a pas que les hyènes qui sont méchantes, etc.
Il a donc nettement accepté notre domination. Il l’a acceptée sans coup férir, et par le seul fait de notre envahissement progressif. Il y a certainement des regrets du passé chez quelques chefs, chez les karamoko et surtout chez les propriétaires de captifs, mais les uns et les autres et surtout l’ensemble du peuple se sont inclinés devant le fait accompli.
Il serait donc relativement aisé, par une bonne politique, de s’attacher d’un entier loyalisme ces populations intelligentes et désireuses de progresser. Les nouvelles classes moyennes, nées d’hier par la richesse, le commerce, l’aisance et l’abaissement de l’aristocratie, nous sont tout acquises. Il n’est pas jusqu’à la minorité conservatrice, celle qui regrette l’ancien régime et s’efforce de le perpétuer dans le nouvel ordre de choses, qu’on puisse s’attacher par de bons procédés, par le respect de certains privilèges et même par le confort du commandement , dont au surplus elle a l’habitude, et qu’elle exerce mieux que quiconque.
Une extrême jalousie et de perpétuelles rivalités agitent la société foula. Un esprit particulariste d’une intensité inouïe et qui rappelle l’état d’âme des Berbères de l’Afrique Mineure, anime les tribus, les fractions et les familles, les plateaux et les vallées. Il est d’ailleurs facilité et entretenu par la dispersion géographique, et les Foula eux-mêmes rassemblent et résument les caractères physiques de leurs pays et les facteurs moraux de leur race une définitive typique:
Le Fouta-Diallon est « le pays des montagnes et des mensonges»
« Leydi Pelle e penaale ».
Une ambition forcenée brûle l’âme de tout individu susceptible de faire un chef. Tout candidat est l’ennemi juré du chef en fonctions, fut-il son père, son fils ou son frère; et plus d’une fois celui qui avait des chances d’hériter du pouvoir n’a pas hésité à hâter l’heure de son avènement en se débarrassant de son rival par des crimes rituels, magiques, ou même simplement de droit commun. Le Foula est en outre cupide et avare; cette avidité et cet égoïsme tranchent singulièrement parmi les populations noires, généralement si dépensières, si libérales, si désintéressées. Ajoutons que les Foula sont très orgueilleux. Ils sentent leur supériorité d’intelligence, de ténacité, sinon de volonté et de méthode, sur les noirs leurs voisins, et croient leur être infiniment supérieurs.
Quoique métissés et n’ayant plus guère que les caractéristiques fortement mitigés de la race, ils se considèrent comme les représentants les plus purs des Peul, et cet orgueil ethnique est peut-être plus fort que leur orgueil islamique.
Il reste, pour compléter cette esquisse du caractère foula, à signaler ses tendances au mysticisme et à la vie contemplative. Il est évident qu’ils ont une âme monastique : leurs stations perpétuelles à la mosquée, leur recueillement, leurs mélopées et psalmodies graves et tristes, leur absence de tabala, de chants, de danses en témoignent. L’Islam foula offre le contraste le plus frappant avec l’Islam malinké, gai, rieur, joueur, bruyant, et en même temps actif et travailleur.
Il apparaît donc que par ses qualités comme par ses défauts le Foula donne facilement prise à notre action politique, et que celle-ci bien comprise et bien conduite, très conciliante et très palabreuse, quoique très ostensiblement établie sur la force, doit nous faire les maîtres absolus de la situation.
L’administration locale a facilement la phobie du grand ou prétendu grand commandement indigène. Le désir de garder un perpétuel contact avec la masse la rend d’instinct ennemi de tout intermédiaire. L’un n’exclut pas l’autre : ils doivent même aller de pair, et si le splendide isolement vis-à-vis de l’indigène ne fait faire aucun progrès à notre cause, il n’est pas douteux que l’administration directe et sans l’utilisation des chefs naturels conduit rapidement à l’anarchie. Il se produit alors ce qu’on a pu voir dans tous les autres pays noirs : les marabouts prennent la place des chefs héréditaires et le pays s’islamise à vue d’oeil. La suppression des Almamys, la disparition des principaux chefs de diiwe ont paru peut-être s’imposer au début de l’occupation et sous la pression des circonstances : finalement leurs effets en ont été plutôt fâcheux, et le Ouali de Goumba, les karamoko de Labé et de Pita, les Tierno de Maci, des Timbi, le consortium des marabouts de Bulliiwel, etc., ont bénéficié de ces transformations, et ont substitué leur influence religieuse au prestige politique des chefs de l’ancien régime.
Les territoires sont morcelés à l’infini.
Celui de Mamou par exemple, fort peu important, comprend quatre provinces, cinq districts et deux villages autonomes, soit onze unités administratives autonomes. Celui de Labé, non compris les territoires de Tougué, de Mali et de Kadé, comprend vingt-deux districts. Dans ces conditions, il n’est pas un chef qui puisse tenir tête à un marabout. Bien mieux, et pour tourner la difficulté et accroître leur prestige, nombre de chefs se transforment en marabouts, et d’autre part, plusieurs marabouts finissent par s’imposer comme chefs. Pour n’avoir pas su utiliser les traditions et l’hérédité locale, nous versons en plein dans le cléricalisme musulman. Les almamys et chefs de diiwe avaient une tout autre attitude vis-à-vis de la gent maraboutique, et par les mesures les plus diverses, souvent même violentes, les confinaient dans le sanctuaire.
Une deuxième condition de réussite et qui paraît s’imposer sans délai est une connaissance plus approfondie des moeurs et des personnalités foula, ce qui suppose une certaine stabilité et plus de spécialisation dans le personnel administratif du Fouta-Diallon. Ici, comme dans les pays neutres, il est bon que les agents de l’administration fassent plusieurs séjours et prennent un contact plus intime que partout ailleurs en Afrique avec la langue et les coutumes indigènes. Un gouverneur des colonies déjà ancien, représentant d’une administration coloniale dont la réputation d’habileté et le savoir est pourtant reconnue par tous, rendant compte au département, comme on dit aujourd’hui, de l’apparition d’un fait nouveau dans son territoire, l’avènement du Christianisme, le définissait:
« Une dispute entre Juifs à propos d’un certain Jésus qui est mort et dont Paul affirmait qu’il est vivant. »
Cette rare incompréhension du nouvel ordre de choses devait avec le temps entraîner la chute de la Rome antique. L’Islam africain est, à l’heure actuelle, un des plus importants et des plus durables facteurs de la transformation des sociétés noires. Son action sera considérable et se fera sentir des siècles durant. Le peuple peul, et ses dérivés techniques, paraissent en subir l’influence avec une particulière intensité et fournissent, dès le début, des agents actifs et fervents de prosélytisme. Les coloniaux français seront mieux documentés et plus avertis que leur ancêtre romain pour mener à bien, quels que soient les facteurs religieux, la double tâche du maintien de l’imperium français et du progrès des indigènes.
Paul Marty.