[dropcap color= »#dd3333″ font= »0″]U[/dropcap]ne marche mondiale contre le braconnage étaient organisées, ce dimanche après-midi 4 octobre, dans plus d’une centaine de ville dans le monde. Une mobilisation pour exiger des mesures d’urgence pour mettre fin au trafic et sauver les rhinocéros et éléphants menacés par les braconniers et trafiquants d’ivoire. Entretien avec Céline Sissler-Bienvenu, qui dirige le Fonds international pour la protection des animaux (IFAW) pour la France et l’Afrique francophone.
RFI : l’IFAW appelle à manifester, à prendre des mesures pour protéger ces grands mammifères sauvages. Quelles mesures s’imposent ?
Céline Sissler-Bienvenu : L’une des premières mesures, c’est de reconnaître cette forme de criminalité comme une criminalité grave, comme une criminalité sérieuse de manière à mettre en place les moyens nécessaires pour les agences de lutte contre la fraude. Actuellement, c’est une criminalité qui n’est pas sévèrement réprimée, il n’y a pas de sanctions importantes donc il est très important de pénaliser beaucoup plus cette forme de criminalité. Ensuite, c’est une criminalité qui est transnationale, cela demande donc une harmonisation des peines entre les pays, de manière à ce qu’un trafiquant ne soit pas moins pénalisé dans un pays qu’un autre. Il faut une approche globale tout le long de cette chaîne commerciale et impliquer en amont les populations locales dans cette lutte, en valorisant ces espèces, que ce soit l’éléphant ou le rhinocéros, ou encore le tigre qui lui aussi est gravement menacé, de manière à ce que les populations qui vivent à proximité de ces espèces les protègent.
Vous dites des peines pas assez sévères. Pourtant, il y a ce verdict qui a été rendu au mois de juin en Afrique du Sud : 77 ans de prison. Des pays en ont donc pris, des mesures judiciaires ?
Oui, nous en sommes aux balbutiements. Il faut que tout le monde, tous les pays soient prêts à reconnaître qu’il faut agir maintenant. Rares sont ceux qui le font, rares sont ceux qui augmentent les peines et qui les appliquent.
Au bout de la chaîne, il y a les lieux de vente, comme le marché asiatique, et le Vietnam par exemple, où aucune loi ne punit l’usage, l’achat de certains produits pourtant prohibés.
Il y a des produits dont le commerce est prohibé au niveau international. En revanche, il ne l’est pas au niveau national. C’est tout le problème, puisque c’est ce que nous rencontrons aussi en Chine avec le commerce de l’ivoire, qui est interdit au niveau international, mais qui est autorisé à l’intérieur des frontières, à l’intérieur de la Chine. Par conséquent, cette situation génère ce trafic puisque les trafiquants ont la possibilité de blanchir l’ivoire illégal sur un marché considéré comme légal. C’est exactement ce qui se produit au Vietnam avecla corne de rhinocéros dont la poudre entre dans la pharmacopée asiatique.
On a pourtant des textes au niveau international. Vous parliez justement d’une forme de globalisation, la convention sur le commerce international des espèces protégées, l’interdiction du commerce de l’ivoire depuis 1989. Tout cela ne sert-il donc à rien ?
Je ne dirai pas que ça ne sert à rien puisque le passé nous prouve que cette convention a su être efficace à un certain moment, notamment en 1989, lorsque les éléphants qui subissaient dans les années 80 une pression de braconnage très importante étaient menacés de disparition. A ce moment-là, il y a eu une protection intégrale de toutes les populations d’éléphants dans les pays de l’aire de répartition de cette espèce et il y a eu une interdiction de commerce international de l’ivoire. Malheureusement, les années qui ont suivi, la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (Cites) a pris des décisions paradoxales, en autorisant le commerce exceptionnel d’ivoire à deux reprises et ces décisions ont crée une confusion dans l’esprit des consommateurs.
Des actions sont entreprises justement par rapport à l’opinion publique, par rapport à ces consommateurs potentiels, comme brûler des vieux stocks d’ivoire. Est-ce une bonne chose ?
C’est quelque chose que nous encourageons. D’une part, parce que ça envoie un message de tolérance zéro à l’égard des trafiquants. Cela oblige aussi les gouvernements à se positionner sur cette question et ensuite ça permet d’envoyer ce message, selon lequel ces produits n’ont aucune valeur financière. Parce qu’aujourd’hui, il faut savoir que, si ce trafic est si lucratif, c’est parce qu’il y a des consommateurs qui sont prêts à investir de manière considérable dans de la corne de rhinocéros ou encore de l’ivoire d’éléphant parce que se sont des espèces qui sont en train de s’éteindre doucement.
Certains reprochent au Kenya de faire preuve de frilosité, certainement pour ne pas effrayer les touristes. Ne peut-on pas comprendre, d’une certaine façon, que Nairobi n’ait pas envie de voir se tarir cette source de devises ?
Le tourisme de vision de la faune sauvage, notamment au Kenya, représente le deuxième pilier économique du pays donc ils ont tout intérêt à préserver leur biodiversité et cette faune incroyable. Ceci étant, aujourd’hui, le braconnage de ces espèces est une situation qu’ils n’ont plus en main, ils sont complètement dépassés, comme bien grand nombre de pays. Il est important qu’il y ait une action transnationale, une action globale, que ce soit au niveau des pays sources, – les pays d’approvisionnement tel que le Kenya -, mais aussi les pays de transit et enfin les pays consommateurs, une action vraiment une action globale qui permettra de préserver ces espèces.
Source RFI : Par Caroline Paré