Alpha Condé ouvre son coeur à la presse sénégalaise : “J’avais de très mauvais rapports avec Yahya Jammeh
Le président de la République de Guinée a accordé, dans son palais, à Conakry, un entretien marathon à la presse sénégalaise représentée par le groupe Futurs médias et Dakaractu. Dans cette discussion à bâtons rompus, le président Alpha Condé n’a pas usé de langue de bois. Chaque question, fut-elle gênante, a eu sa réponse. Le jeu de questions-réponses a pris son envol avec les médiations menées par le président Condé dans au moins trois pays. Ensuite, le thème a changé et a viré à l’économie. Là aussi, le Pr Condé a pris la place du président. Pour parler de ses rapports avec son “jeune frère du Sénégal”, l’homme fort de Conakry met un costume de diplomate. Tenue qu’il enlèvera quand il s’est agi de répondre aux accusations des ONG quant à son rapport aux droits de l’Homme. En colère, Alpha Condé remet à leur place “ces organisations” qu’il accuse d’être à la solde de “ceux qui veulent piller la Guinée”. Panafricaniste, il rêve d’une Afrique unie. D’une Afrique, Première puissance économique du monde. Entretien…
Vous avez récemment mené une médiation remarquée, dans la sous-région, durant la présidentielle sénégalaise, entre les présidents Macky Sall et Abdoulaye Wade, quelles ont été les motivations qui vous ont poussé à entreprendre une telle initiative et quelles ont été les contraintes auxquelles vous avez été confronté ?
Vous savez, je suis très lié au Sénégal. Lorsqu’on m’arrêtait, il y avait des comités de soutien créés par les hommes politiques partout, mais la particularité au Sénégal, c’est que c’est la population qui s’est mobilisée. Ousmane Ngom qui était mon avocat m’a dit que c’est dans la rue qu’il a appris que j’étais libre. Je n’oublie pas que le comité international créé par Albert Bourgi, accompagné par Babacar Touré, ont fait l’essentiel des réunions à Dakar. Donc, je ne peux pas rester indifférent lorsqu’il s’agit d’un pays comme ça, étant donné que Macky Sall est un jeune frère. Dans une médiation, l’essentiel est d’arriver à une conciliation des deux parties, ce que nous avons fait. C’est vrai que l’incompréhension était à un tel niveau, mais avec la volonté des deux positions, nous avons pu arriver au résultat que vous connaissez.
Peut-on parler d’un protocole de Conakry et quels en sont les termes ?
Je pense qu’il revient, plus tard, au président Macky et au président Wade de l’annoncer au peuple sénégalais.
Mr
le Président, on va toujours parler de médiation. Vous avez joué un
rôle majeur dans la médiation qui a sorti la Gambie de l’impasse et le
départ de Yahya Jammeh, suivi de son exil en Guinée Équatoriale. Quel a
été le rôle clé que vous avez joué ?
Vous savez, au départ,
on avait de très mauvais rapports Yahya Jammeh et moi. Parce qu’à un
moment donné, j’avais dit que l’attentat qui avait été organisé au début
de mon mandat, il y était pour quelque chose. Puis progressivement, on
avait deux points communs, chacun de nous a un franc-parler. Et
progressivement, il a constaté que je suis le président avec lequel il
avait les meilleures relations. Lorsqu’il y a eu la crise, c’est moi qui
ai proposé que le président Buhari (Muhamadu) soit le médiateur. Les
choses se compliquant, la médiation du président échoue. Donc, lorsque
j’ai constaté qu’il y avait des difficultés, j’ai décidé de m’impliquer
directement. Et comme le président mauritanien (Mouhamed Ould Abdel
Aziz, ndlr) avait fait un certain travail, j’étais à Davos avec le
vice-président du Nigéria, je me suis qu’il fallait que la médiation du
Président Buhari réussisse, donc je vais en Gambie. J’ai prévenu le
président mauritanien, je me suis arrêté en Mauritanie pour le
remercier…Vous savez, aucune action de cette nature ne saurait être
facile. Là également, le président Yahya Jammeh a été à l’écoute de son
peuple. Je lui ai dit, vous avez travaillé ce pays, est-ce que vous
allez contribuer à détruire ce que vous avez fait ou bien vous allez
préserver la paix. Il a été très raisonnable et il a dit qu’il était
très important pour moi que la paix et la concorde règnent dans ce pays.
Ce qui a facilité la médiation. La Gambie comme le Sénégal, nous sommes
des pays frères et notre rôle est d’être à leur écoute et de nous
impliquer pour la paix. Donc étant le plus ancien, en âge, quand il y a
problème entre mes frères, je dois m’impliquer, ce que j’ai fait.
Monsieur
le président, vous avez été également médiateur en Guinée-Bissau, des
accords ont été signés. Pensez-vous que la sortie de crise est proche ?
La Guinée Bissau, ça n’a pas été facile. C’est un pays où les élections
se passent toujours normalement, mais très peu de présidents ont
terminé leurs mandats. L’essentiel pour nous, et nous savons aussi le
rôle que la première République de Guinée a joué dans l’accompagnement
du PAIGC (Parti africain pour l’Indépendance en Guinée et au Cap Vert,
ndlr), dans la lutte de libération. Donc, il était extrêmement important
pour nous, ayant été désigné médiateur par la CEDEAO, qu’on réussisse.
Ça n’a pas été facile, mais le 10 mars, les élections législatives se
sont passées de façon transparente et dans le calme, le parlement va
s’installer ces jours-ci et le nouveau gouvernement va être mis en
place. Nous espérons arriver cette fois à la fin de cette crise qui dure
depuis un bon moment. De toute façon, nous allons continuer à
accompagner nos frères de Guinée Bissau afin que ce pays connaisse la
paix, la stabilité et son développement. Vous savez, le pays a eu un
montant important à Bruxelles, mais cet argent n’a pas pu être utilisé à
cause de la crise. Donc, s’il y a la paix, la stabilité et une
gouvernance, je pense que le peuple de Guinée Bissau peut bénéficier de
ses richesses.
Vous êtes le
garant des accords de Conakry, est ce que vous n’avez pas l’impression,
Mr le Président qu’on est revenu au point de départ dans ce pays
puisqu’après les Législatives, c’est le Premier ministre Domingo Simoes
Pereira qui risque de revenir au pouvoir. Ne craignez-vous pas encore un
blocage des institutions, avec le président José Mario Vaz ?
Je crois que tout le monde doit respecter la volonté populaire. Domingo
ne s’est pas élu lui-même, c’est le peuple qui l’a élu. Et je pense que
le président a félicité le PAIGC de sa victoire. Je ne pense pas qu’il
puisse y avoir de problème. La seule souveraineté, c’est peuple et il
s’est exprimé. Il revient donc, à tous les hommes politiques de
respecter le vote populaire. Si le peuple a décidé que tel doit
gouverner, chacun doit l’accepter. Je ne pense pas que le président Vaz,
qui est un démocrate, qui respecte la démocratie… Je pense qu’il n’y
aura aucun problème.
Actuellement, est-ce qu’on peut dire que le président Alpha Condé est un magicien de la paix sur le Continent ?
Y a pas de magicien! Les magiciens, ça n’existe pas. Peut être dans
l’imaginaire populaire. Vous savez, moi, je suis un panafricain et dans
ma lutte, j’ai eu beaucoup de soutien de la plupart de ces pays. Donc,
il est de mon rôle, lorsqu’il y a des problèmes, d’utiliser le peu de
crédit et d’expérience pour aider des frères à trouver une solution. Y a
pas besoin d’être magicien!
On évoque une éventuelle médiation au Burkina Faso entre Roch Marc Christian et Zéphirin Diabré. Qu’en est-il exactement ?
Vous savez, le Burkina est un pays où j’ai été souvent, au point qu’on
me disait que “vous êtes burkinabè”, depuis le temps de la (FEANF) Fédération des étudiants d’Afrique noire en France .
Le président Roch est un camarade de la FEANF, Diabré aussi nous a
suivi… Aujourd’hui, ce qui est important dans ce pays, c’est que tout le
monde se donne la main pour faire face au terrorisme. Parce que le
terrorisme, ça ne bénéficie à aucun parti politique. Donc, nos deux
frères ont été réceptifs dans la nécessité d’avoir un dialogue pour unir
les forces pour lutter contre le terrorisme. Diabré est venu à Conakry,
nous avons discuté, il s’est montré ouvert. Il en a été même avec le
président Roch; nous avons eu à échanger lors de notre séjour à Niamey, à
l’occasion du Sommet sur le Sahel, nous avons échangé à trois et Dieu
merci. Aujourd’hui, ils sont d’accord pour aller au dialogue pour
trouver une solution parce que quand il y a la guerre, quand il y a des
terroristes, ça ne bénéficie à aucune force politique. Donc, avant de
penser aux jeux politiciens, il faut d’abord sauver le pays. De toute
façon, ils étaient tous d’anciens militants de la FEANF, nous avons ce
point en commun pour pouvoir nous entendre.
Justement
Mr le Président, on reste au Burkina. Ce pays vit une menace
sécuritaire très grave avec des massacres sur fond de lutte inter
communautaire; on note les mêmes exactions au Mali avec le drame
d’Ogossagou. Est-ce que vous ne craignez pas une contagion sous
régionale de ces menaces-là et quelles sont les initiatives prises par
l’Union africaine et la CEDEAO pour juguler cette menace ?
Vous savez, ces peuples ont vécu pendant des siècles en harmonie. Les
dogons parlent peulh, les peulhs parlent dogon, mossi etc… La question
qu’on doit se poser c’est de savoir, pourquoi brusquement ces tueries,
alors que ces peuples ont vécu ensemble pendant des siècles? Il nous
revient à nous chefs d’État de la sous-région de répondre à cette
question, parce qu’il est évident que le terrorisme n’a pas de
frontières. On dit souvent que si la maison de ton frère brûle et que tu
ne fais rien, ta maison va brûler. Il est du devoir des chefs d’État de
la CEDEAO de réfléchir sérieusement, de ne pas se laisser manipuler, de
ne pas tomber dans le piège qui nous est tendu. Parce que si ces
peuples qui ont vécu des siècles sans problèmes, brusquement,
s’entretuent, peut-être il faut se poser la question : qu’est ce qu’il y
a derrière ? Est ce que ce n’est pas un complot contre l’Afrique ? Quel
type de complot ? Il est de notre devoir en tant qu’élus de ces peuples
de trouver la réponse à cette question et de trouver des solutions.
Est-ce que ce n’est pas tombé du ciel ? Quand on sait que le terrorisme
s’est développé depuis un moment dans ces régions. Comment c’est arrivé
au niveau des gens qui n’étaient pas du tout impliqués ? Ni les Dogons,
ni les Peulhs n’étaient impliqués dans l’histoire du terrorisme au Mali.
Ce n’est pas une opération du Saint-Esprit! C’est à nous chefs d’État
d’extirper ce grain qui risque de faire exploser nos pays parce que si
les Ethnies s’affrontent, on va à la catastrophe.
Jusque-là,
on a l’impression que l’Union africaine et la CEDEAO font preuve de
manque de leadership sur cette question très grave…
Peut-être que vous avez raison, vu de l’extérieur…mais nous sommes en
train de nous concerter pour prendre des initiatives. Je pense que la
CEDEAO prendra des initiatives vu qu’il y a eu le G5 qui a été créé pour
faire face. Mais aujourd’hui, les problèmes sont devenus complexes avec
ces affrontements. Nous serons à la hauteur pour ne pas décevoir nos
peuples.
Mr le Président, au
plan économique, la Gambie, la Guinée, la Guinée Bissau et le Sénégal
sont réunis au sein de l’OMVS. La Guinée, étant le château-d’eau de
l’Afrique de l’Ouest, est-elle prête à jouer son rôle de locomotive dans
le développement énergétique dans la sous-région ?
Vous
savez, nos prédécesseurs ont eu l’idée lumineuse de créer l’OMVG
(l’Organisation pour la mise en valeur du fleuve Gambie, ndlr) qui
regroupe le Sénégal, la Guinée, la Gambie et la Guinée Bissau ; et
l’OMVS qui regroupe le Mali, la Mauritanie, le Sénégal et la Guinée. La
Guinée, étant le château d’eau de l’Afrique de l’Ouest ayant d’immenses
potentialités en énergie hydraulique, elle se devait de partager cela
avec les pays voisins. Ce n’est pas moi, c’est un président panafricain,
même si je n’étais pas…je me serais inscrit dans cette voie-là. Nos
peuples ont besoin d’énergie parce que sans énergie, on ne peut pas se
développer. Sans énergie, on ne peut pas transformer nos matières
premières agricoles et minières sur place. Donc, il est fondamental que
nous nous entraidions pour que ceux qui ont plus de possibilités
partagent avec les autres. C’est pourquoi dans le cadre de l’OMVS, nous
partageons avec le Sénégal, le Mali, la Mauritanie ; de l’OMVG que nous
partageons avec la Guinée Bissau, la Gambie ; et le peuple de Guinée en
est conscient, cette richesse que Dieu nous a donnée, ce n’est pas
seulement à la Guinée, mais à tous nos voisins. C’est tout à fait normal
que la Guinée joue le rôle de locomotive en ce qui concerne
l’électricité à partir des barrages hydrauliques. C’est un devoir du
peuple de Guinée et des dirigeants guinéens et particulièrement moi, qui
ai un passé de panafricain.
Mr
le Président, la Guinée et le Sénégal sont deux pays, mais un seul
peuple avec des communautés fortement représentées çà et là. Quelle est
votre lecture de cette situation et quelles sont les éventuelles
contraintes qui pourraient exister entre les deux États?
Vous savez, on dit souvent que la dent et la langue vivent ensemble,
mais il arrive que la dent morde la langue. Le Sénégal et la Guinée sont
liés par l’histoire, par le même peuple. Et il y a parfois des
péripéties, des histoires entre Sékou Touré et Senghor (Léopold Sédar),
mais l’avantage que nous avons aujourd’hui, c’est que les dirigeants
sont des panafricains, même si Macky (Sall) n’a pas été à la FEANF, il a
été membre de And Jëf et And Jëf, c’est quand même la FEANF. Donc, au
fond, on a la même vision. Donc, il se peut qu’il y ait des problèmes,
il y a toujours des problèmes entre les États, mais c’est un frère, et
un jeune frère, un ami, nous nous concertons souvent. Évidemment, il y a
des gens, surtout vous les journalistes qui créent des problèmes là où
il n’y en a pas, mais c’est à nous de surpasser…
Quelle est la nature de vos relations avec le président Macky Sall ?
Macky Sall est un jeune frère, nous avons de très bonnes relations.
Dernièrement, il y a eu une maladresse d’un standardiste et vous avez
fait beaucoup de bruit dessus. Macky et moi, on a rigolé parce que ça
n’a aucune importance. J’ai de très bons rapports avec le Président
Macky. Est-ce que vous connaissez un président africain qui a été passer
des vacances dans un autre pays africain ? Moi, j’ai passé mes vacances
au Sénégal alors que les autres vont en France. Le président Macky m’a
demandé de déménager à Popenguine. Il m’a très bien reçu et ma belle
sœur, sa femme m’a fait de très beaux boubous… Évidemment, je ne suis
pas gros comme lui (rires) je me moque de lui disant que ma belle soeur
m’habille mieux que toi, mais tu n’as qu’à faire du sport et être comme
moi”.
Mr le Président,
toujours sur les relations entre le Sénégal et la Guinée, vous avez été à
Dakar et vous avez rendu visite à Amadou Moctar Mbow qui était le
président des Assises nationales. Était-ce une simple visite de
courtoisie ou y étiez-vous pour prendre des conseils pour lancer dans un
futur proche, des Assises nationales en Guinée ?
Non, vous
savez, le président Mbow, ce sont nos précurseurs à la FEANF. Donc nous
sommes venus dans leur lignée. C’est quelqu’un pour qui, j’ai un très
grand respect. Et j’avais même promis qu’on fêterait son anniversaire à
Conakry et que j’allais le décorer. Malheureusement, sa santé s’est un
peu dégradée, il est reparti en France et aujourd’hui, il ne peut pas
bouger parce qu’il suit une dialyse tous les jours. Je suis parti chez
lui parce que c’est mon grand-frère, c’est nos précurseurs et c’est
quelqu’un pour lequel j’ai beaucoup d’admiration. J’ai voulu lui montrer
que quelle que soit ma position, je serai toujours son petit frère. Je
ne vais pas lui demander des conseils, je vais discuter avec lui, voir
son état de santé, et montrer que je serai toujours à ses côtés. Bien
sûr, j’aurais souhaité, comme on en avait discuté avec Babacar Touré,
Boucounta, qu’on vienne fêter son anniversaire à Conakry. Sa santé ne le
lui ayant pas permis, la moindre des choses quand je vais à Dakar,
c’est d’aller lui rendre visite. Vous savez, rien n’est au dessus des
relations sociales. Si vous n’êtes pas dans les relations sociales, vous
n’êtes rien. Moi, je privilégie toujours les relations sociales. La
preuve, quand je vais à Dakar, j’ai toujours un dîner avec mes amis. Se
retrouver avec Niasse, Tanor, Decroix, Khalifa Sall, Babacar Touré,
Sidiki Kaba et Dansokho…même les garçons nous regardent.
Vous avez des nouvelles d’Amath Dansokho ?
Quand j’arrive à Dakar, la première chose que je fais, c’est de rendre
visite à Amath. Et juste avant que j’arrive, son fils m’a téléphoné pour
me dire qu’ils amènent Amath en catastrophe en France. Je suis en
contact avec sa femme…vous savez, j’ai eu beaucoup d’affrontements
politiques, avec mes frères Sénégalais du PAI (Parti africain de
l’Indépendance, ndlr) etc. Mais Dansokho a toujours été un frère. C’est
un homme exceptionnel, je l’appelle le Dernier des Mohicans. C’est un
homme politique qui ne pense qu’à son pays, qui n’a pas d’ambitions
personnelles ni ambitions matérielles. C’est l’un des rares qui existent
encore aujourd’hui, lui et Paolo George, l’ancien ministre des Affaires
étrangères de l’Angola. Je suis extrêmement attaché à Dansokho.
D’ailleurs quand le président Wade a voulu le convoquer, j’ai pris mon
billet et j’ai dit que si on le convoque, je vais avec lui à la police.
Je ne peux pas accepter qu’on l’amène sans que je sois là.
Mr
le Président, votre pays regorge de potentialités économiques et attire
beaucoup d’investisseurs étrangers, les Chinois notamment. Mais quelles
initiatives prenez-vous pour attirer des entrepreneurs africains et
leur offrir des opportunités de business en Guinée ?
D’abord moi, j’ai toujours privilégié la coopération sud-sud, la
coopération entre les pays africains. N’oubliez pas la FEANF avait deux
principes, l’Indépendance et l’Unité africaine d’où notre symbole : “si
tous les fils du royaume venaient du…” Mais pour le moment, nous avons
suffisamment de problèmes, nous n’avons pas encore les moyens pour
investir mais ici, il y a des investisseurs sénégalais qui viennent.
Nous avons des richesses, notamment, la bauxite, le fer etc. Le
principal consommateur, c’est la Chine. Bien sûr, il y a des
investissements chinois ici, mais il n’y a pas que les chinois. Vous
prenez la bauxite par exemple, vous avez les américains, depuis 1960 à
Kansa, vous avez des Russes, bien avant mon arrivée à Filia et à Kindia
et depuis mon arrivée à Diandian ; vous avez Abu Dhabi avec sa société
Mubadala qui se trouve à Sangaredi ; vous avez des Anglais à Gouffa ;
des Indiens à Shapoura ; et hier, j’ai reçu des investisseurs coréens.
Tous ceux qui veulent investir pour développer notre mine, nous sommes
d’accord. La Guinée a plus de la moitié de réserve mondiale de bauxite
et quand je suis arrivé, nous ne faisions que 13 millions de tonnes,
c’est à dire qu’on ne représente que 7% du marché alors que logiquement,
on aurait du être le premier producteur. Nous sommes le premier
fournisseur de la Chine, mais s’il plait à Dieu, d’ici deux ans, nous
serons le premier producteur. Mais dans notre coopération, nous devons
toujours privilégier les intérêts fondamentaux du peuple de Guinée,
notamment l’emploi et le transfert de technologie. Dans nos
coopérations, on tient à ce qu’on privilégie les travailleurs guinéens
sauf dans les domaines où nous n’avons pas de spécialistes.
Deuxièmement, que les secteurs d’activité comme le transport ou la
sous-traitance soient réservés aux Guinéens ; mais surtout qu’il y ait
un transfert de technologie. Je prends l’exemple du barrage du Souapiti,
des jeunes guinéens sont formés et si vous allez à Souapiti, c’est pas
des chinois qui vont vous guider, c’est des jeunes filles guinéennes.
Donc, pour nous, il est important que les investisseurs qui viennent
soient dans une opération gagnant-gagnant et que ça donne du travail aux
Guinéens. Que ça permette aux Petites et moyennes entreprises
guinéennes de se développer, mais surtout qu’ils permettent à la
jeunesse guinéenne de maitriser les technologies afin que demain nous
nous passions d’assistance. C’est ça que nous avons comme politique.
Mais j’ai dit à Abidjan que les hommes politiques doivent faire
confiance aux hommes d’affaires africains. Souvent, nous avons un
complexe en pensant que ceux qui viennent de l’Occident sont meilleurs.
Nous avons ici de grands hommes d’affaires. J’ai dit à un débat où
j’étais avec le président Macky qu’il faut couper le cordon ombilical.
Mais je n’ai pas dit que ça. J’ai aussi dit que nous devons favoriser
les hommes d’affaires africains, mais qu’eux aussi doivent se regrouper,
créer de grandes banques pour…
Justement
Mr le Président, que vous inspire ce débat sur le Franc CFA quand on
sait que la Guinée, historiquement, a choisi d’être en dehors de cette
zone monétaire?
C’est un débat qui ne concerne pas la
Guinée. On n’est pas membre de la zone franc CFA, donc, ça ne concerne
pas la Guinée (rires).
Mr Le
Président, après huit ans à la tête de la nation guinéenne, vos
réalisations se passent de commentaires, le barrage de Kalita et celui
en finition, de Souapiti, les routes et les ouvrages de franchissement,
les hôtels, le développement des activités minières, la relance de
l’agriculture, qu’est que vous auriez dû réaliser ?
Quand
j’ai été élu en fin 2010, j’ai dit la vérité aux Guinéens. J’ai dit :
“Nous sommes au sous-sol, nous devons serrer la ceinture pour aller au
niveau du sol et ensuite à un niveau plus élevé. En effet, en Guinée, il
n’y avait pas de routes, pas d’eau, pas d’électricité etc. J’ai hérité
d’un pays, pas d’un État. Un État, c’est une administration, c’est une
armée, police, une justice or tout le monde sait dans quelles situation
était l’armée guinéenne, dans quel état était l’économie. Aussi la
Guinée n’avait jamais achevé un programme avec le Fonds monétaire
international. Grâce au courage du peuple de Guinée qui a compris qu’on
devait serrer la ceinture et tout le monde s’est attaché, y compris les
syndicats, nous avons pu faire face à tous ces problèmes. Il est évident
qu’aujourd’hui, hier si on se gaussait de nous, quand on voyait l’hôtel
Novotel, on a rien à envier aux pays voisins. Une fois il y a eu
coupure de courant à Bamako, ils sont sortis avec des pancartes, Bamako
c’est pas Conakry mais Dieu merci, aujourd’hui, on commence à avancer.
Mais nous allons répondre aux Maliens en leur donnant du courant pour
que Bamako, comme Conakry, comme Dakar soient toujours bien éclairées.
Quand je suis arrivé au pouvoir, mon objectif, c’était vraiment de me
battre pour sortir les femmes et la jeunesse de la misère. Je n’ai pas
pu mettre fin au chômage des jeunes et empêcher que des jeunes guinéens
comme d’autres africains puissent émigrer et aller mourir dans les eaux
de la Méditerranée. Il s’y ajoute les conditions pénibles des femmes,
surtout dans les villages. C’est la bataille fondamentale qui nous reste
aujourd’hui.
Mr le
Président, on sait que vous êtes un homme de dialogue, à quel niveau de
dialogue êtes vous avec l’opposition en Guinée qui s’est regroupée au
sein du Front national ?
Il y a un cadre de concertation
dans lequel se passe le dialogue. Moi, je suis président ; je suis au
dessus de la mêlée ; je suis le président des Guinéens. Logiquement,
c’est dans le cadre de concertations que toutes les questions doivent
être discutées. Que ça soit des problèmes politiques ou des problèmes
d’élections, tout doit être discuté dans ce cadre où nous retrouvons
mouvance présidentielle et opposition, mais aussi les partenaires
étrangers qui assistent à ces réunions. Le corps diplomatique qui est là
participe à ces discussions. Si chacun respecte les règles
institutionnelles et le fonctionnement de la démocratie, c’est
là-bas que les problèmes doivent se régler.
On
parle de l’adoption d’une nouvelle constitution et d’un référendum.
Évidemment, l’opposition n’est pas d’accord avec cette initiative, en
tant que président de la République, est-ce que vous comptez vous mettre
au dessus de la mêlée ?
Le président de la République est
le principal garant des institutions. Maintenant, la souveraineté d’un
peuple appartient au peuple. Donc, seul, le peuple peut décider.
Quelqu’un ne peut pas se mettre à la place du peuple. Moi, j’observe,
mais je suis le principal garant de la défense des institutions. Ce
qu’on oublie, c’est que la souveraineté appartient au peuple et seule la
volontaire populaire s’impose à tout le monde. En tant que démocrate,
c’est mon point de vue. Je laisse les gens débattre, il revient au
peuple guinéen s’il veut changer de constitution ou pas…C’est le droit
du peuple guinéen.
Et si cette constitution ouvrait la voie à un troisième mandat, Mr le Président…
S’il y a modification de la Constitution, il y a troisième mandat, s’il
n’y a pas de modification de la Constitution, il y a mandat ou pas…
Moi, pour le moment, je pense que le débat est ouvert et il doit être
libre. Chacun est libre de défendre sa position, mais il appartient au
peuple de trancher.
Mr le
président, dans un communiqué paru hier, l’ONG Human Right Watch demande
à la Guinée de créer un panel spécial de juges chargés d’enquêter sur
le comportement des forces de sécurité accusées de s’être livré à des
actes de illégaux lors de manifestations. La question est : quelle est
la situation des droits de l’Homme en Guinée depuis votre arrivée au
pouvoir ?
La Guinée ne fonctionne pas en fonction de ce que
pensent telle ONG ou telle autre…ils sont libres de penser ce qu’ils
veulent. J’ai été élu par le peuple de Guinée, je suis responsable
devant le peuple. Personne ne peut nier que depuis mon élection, la
situation des Droits de l’Homme a totalement changé. Mais ceux qui
critiquent les forces de l’ordre, s’ils sont honnêtes, pourquoi ils ne
vont pas jusqu’au bout. Est-ce que lorsque des gens manifestent au
Sénégal, ils viennent avec des frondes, des coupe-coupe, des
lance-pierres ? Est ce que vous avez ce qu’on appelle section cailloux ?
Donc, quand des gens qui manifestent viennent avec des fusils de
chasse, viennent avec des frondes, vous voulez que les forces de l’ordre
se croisent les bras ? Ça me fait rire cette organisation parce qu’elle
parle des forces de l’ordre, mais ne parlent pas des manifestants qui
utilisent la violence contre les forces de l’ordre. Le droit de
manifester est un droit fondamental, mais lorsque les manifestants se
mettent à casser des véhicules, à casser les maisons, à prendre les
téléphones des passants, vous voulez que les forces de l’ordre se
croisent les bras ? Ce qu’ils veulent, sincèrement, ce n’est pas mon
problème. C’est pas eux qui vont me dire ce que j’ai à faire, c’est le
peuple de Guinée qui me dira…j’ai des comptes à rendre au peuple
guinéen, au peuple africain, pas à ces ONG. D’autant plus qu’ils font du
deux poids deux mesures. Quels sont pays qui font le plus de violence ?
Est qu’ils les attaquent ? Ils n’ont qu’à alors balayer devant leur
propre porte. Ils n’ont pas de leçon à donner à quelqu’un. Et très
souvent, ils sont financés par des magnats. Beaucoup de gens ne sont pas
contents de l’évolution de la Guinée parce qu’ils veulent piller ce
pays. C’est eux qui financent ces organisations là. Donc, honnêtement,
ils peuvent dire ce qu’ils veulent ; ça ne me fait ni chaud ni froid.
Mr Le Président, de quelle Afrique rêvez-vous ?
(Long soupir) L’Afrique de ma jeunesse. Une Afrique unie où il n’y a
pas de frontières. Si l’Afrique est unie, nous serons la première
puissance du monde. Pourquoi ? La Chine a été l’usine du monde pour la
raison que la main-d’œuvre n’était pas chère. Aujourd’hui, la Chine ne
peut plus compter sur le Commerce extérieur. Il faut augmenter le
pouvoir d’achat. Cela veut dire que la main-d’œuvre sera de plus en plus
chère. Nous, nous avons les matières premières, on commence à avoir le
savoir, les jeunes africains n’ont rien à envier aux jeunes européens ou
américains en ce qui concerne les Start-up et les nouvelles
technologies. Nous avons une main-d’œuvre moins chère que la Chine, donc
en toute logique, c’est l’Afrique qui doit être, demain, l’usine du
monde. Mais nous ne devons pas être l’usine du monde pour le monde, mais
l’usine pour l’Afrique et pour le monde. Cela veut dire transformer nos
matières premières sur place et pour nous-mêmes et vendre nos produits
finis à l’extérieur. Et cela n’est pas possible si les Africains ne se
donnent pas la main, si on n’a pas un marché commun. Je suis d’autant
plus heureux que nous avons aujourd’hui la zone de libre échange
africaine qui a été adoptée. Je prends un seul cas : la bauxite. Avant
on faisait des portes, des fenêtres en bois. Aujourd’hui, c’est de plus
en plus en aluminium, cela veut dire que si nous sommes ensemble, nous
sommes un marché plus grand pour nous mêmes que pour la Chine. L’Union
africaine a engagé une très bonne évolution, avant on était financé par
les…aujourd’hui, nous allons nous financer nous-mêmes, nous parlons
d’une seule voix…Il est vrai que tout le monde ne marche pas au même
pas, mais progressivement, je pense que chacun finira par être dans le
train.
La toute dernière question Mr le Président. Quelle image voulez-vous que le peuple guinéen garde de vous pour la postérité ?
(Long silence) Vous savez, pour moi le peuple de Guinée et le peuple
africain, c’est la même chose. Qu’on dise que j’étais fidèle à mes idées
de jeunesse, d’étudiant…
Source : Dakaractu