Guinée, le réveil ou l’agonie

GUINÉE, LE RÉVEIL OU L’AGONIE

« Si l’État est trop fort, il nous écrase… » disait Paul Valéry. Les agissements de la junte militaire qui s’agrippe actuellement au pouvoir dans notre pays, laissent clairement penser que le CNRD se sent fort etinvincible, vraisemblablement prêt ànous écraser sans le moindrescrupule. Après la série d’assassinats ciblés de manifestants sur l’axe et de violations ponctuelles de certaines libertés individuelles et collectives, nous assistons désormais à une accélération de la volonté de mettre en place, à plus grande échelle, des restrictions brutales et barbares de nos droits et libertés.

DE L’ESPOIR À LA COLÈRE

Et pourtant, un grand espoir étaitné le 5 septembre 2021 auprès de nombre de Guinéens,en écoutant le colonel MamadiDoumbouyaégrener tousles maux dont souffrait le peuple de Guinée pour justifier que l’armée,à travers le CNRD, ait pris ses responsabilités pour mettre fin à nos supplices. Cet espoir s’est aujourd’hui évaporé, laissant place à un sentiment oscillant entreune grandedéception et unecolère noire contre cette junte militaire.

Nous étionsen effet nombreuxà croire qu’à défaut de la suppression totale de nos maux et supplices, ces derniers se réduiraientconsidérablement au regard des promesses rassurantesformulées pour justifier le coup d’État.Les Guinéens étaient d’ailleursfondésà adhérer à ces paroles douces qui décrivaient parfaitement les souffrances qu’ils ont endurées une décennie durant sous le règnedu professeur Alpha Condé.Cependant, cet espoir s’est rapidement dissipé.

On oublierait presque que cesnombreuses promesses s’accompagnaientd’un engagement solennel des autorités de transition d’éviter « les erreurs du passé » dans leur rapport au pouvoir, ce qui laissait croireque ces militaires étaient pleinementconscients des erreurs commises par les différents régimes qui se sont succédés à la tête de l’État guinéen.

En réalité, que nenni, rien, nada, que du vent. Ils nous ont regardé droit dans les yeux et nous ont menti sans vergogne. Ils ont menti pour se faire accepter et ils continuent de nous mentir.

Et pour cause, quelle ne fut pas notre surprise de voir le CNRDtrahirnos espérances, en posant continûment des actes qui nous rappellent étrangement ce que l’on appelle maintenant avec désespoirle retour des « erreurs du passé ». En analysantla contradiction flagrante entre leurs discourspassés et leurs actionsprésentes, il apparait que les membres du CNRD n’ont probablement jamais véritablement adhéré aux propos mielleux prononcés par leur président, le colonel MamadiDoumbouya, le 5 septembre, alors que les Guinéens les avaient pris pour argent comptant. Ils nous ont donc menti et répété en boucle les mêmes mensonges pour nous inciter à leur faire confiance. La méfiance s’impose désormais.

L’ENFER SUR TERRE, LE RETOUR

Tout d’abord, alors que le CNRDétait censé nous délivrer des chaînes d’une militarisation des rues de Conakry qui s’étaittraduite par le démantèlement des PA au lendemain du coup d’État, nous voici d’ores-et-déjà de retour dans une situationsimilaire où l’autoroute le prince, dénommé« l’axe »,se trouve encoreoccupé par des colonnes de blindés peuplées de militaires lourdement armés tel un bataillon prêt à rallier la guerre. Ces parades le long de l’axe sont justifiées par M. Mory Condé, ministre de l’administrationdu territoire et de la décentralisation (MATD)comme devant permettre d’assurer la sécurité des habitants et de leurs biens dans cette partie du territoiremétropolitain.

Cettejustification est simplement rocambolesque. En temps de paix, nulle part au monde et dans aucun pays normal,des armes de guerre, avec en tête de pont des lance-roquettes, ne sont mobilisées pour des patrouilles de sécurité intérieure contre une population civile. Faut-il encore rappeler que ces armes de carnage sont déployéespour faire face à de simples manifestations de Guinéens mécontents de la conduite de la transition ? Ces armes acquises avec nos deniers publics pour nous protéger contre les ennemis de notre pays sont aujourd’hui braquéescontre les tempes de nos compatriotes habitant cette zone qui avaitservi autrefoisà la junte comme tremplin pour légitimer le coup d’État à travers une parade populaire en compagniedu butin de guerre que représentait l’ancien président déposé, M. Alpha Condé. Nos sauveurs d’hierse révèlentêtre de piètres comédiens aujourd’huiqui n’ont pour seul souci que de nous brutaliser, nous terroriser pour nous pousser au renoncement, afin de leur permettre de confisquer le pouvoir aussi longtemps que possible.

La réquisition des forces armées, décidée illégalement par M. Mory Condé et ayant conduit àla militarisation de l’axe,vient en effet accentuer une terreur commencée bien plus tôt.

Un processus de répressions sanglantes des manifestations au terme duquel une vingtaine de jeunes ont été froidement abattus avait déjà pris place. Ces assassinats impunément exécutéspar les forces de défense et de sécurité au titre de leur mission de « sale boulot », sesont déroulés sous la bienveillance de la justice pourtant annoncée dans le discours précité du 5 septembre comme devant guiderlesactions durant cette transition. Ces mots sonnent aujourd’hui comme une véritable fumisterie à travers laquelle les Guinéens se sont fait avoirtant il apparaît désormais quecette boussole-ciadéfinitivement perdu le Nord.

L’instrumentalisation de la justice dénoncée pour justifier le coup d’État n’était qu’un leurre, un prétexte et un appât avancé pour nous avoir dans leurs filets. Très rapidement, les mêmes pratiques d’hieront été reprises par la junte pour en faire la norme sous des apparences toutefois drapées et déguisées, surtout par l’établissement d’une juridiction, la cour de répression des infractions économiques et financières (CRIEF), chargéede réaliser desmontagesde dossiers,imaginaires pour l’essentiel, contre des responsables politiques de premier plan du pays. La CRIEF, prometteuse au lendemain de sa création,semble être devenue cet instrument recouvert du vernis de la justice, utilisépar les autorités de transition pour éliminer les hommes et femmes politiques qui n’adhèrent pas à l’esprit CNRD.De surcroit, la création d’une telle juridiction ne peut être légale et reconnue légitime qu’à la condition qu’elle soit l’émanation d’une assemblée démocratiquementélue.Tout le contraire de cette CRIEF imposée par des putschistes.

DES DROITS ET LIBERTÉS CONFISQUÉS ET BÂILLONNÉS,

FonikéMenguèet ses compagnons ont été retenus en otage, privés de leurs libertésneuf mois durant avec la complicité de la justice guinéenne, au seul motif que ces activistes réclamaient de la junte une gestion inclusive de la transition. Seule la pression exercée par les forces vives de Guinée (FVG)avec les menaces de reprise des manifestations a accéléré leur libérationpar l’entremisedes religieux du pays. L’extrajudiciaire a tout aussi prévalu à leur libération.

Ce geste qui nous a, un instant, fait penser à une volonté d’apaisementde la part des autorités de transition, a en réalité laissé place àune batterie de violations de nos droits et libertésà un niveau sans précédent. Nos maigres acquis démocratiques, parfois obtenus au prix du sang de nos devanciers, sont ébranlés comme jamais aujourd’hui.

Les Guinéens ont été soumis à des mesures restrictives sévères qui ont entraîné une privation simultanée de l’accès aux réseaux sociaux et aux applications d’appels sécurisés. En même temps, l’accès à des sites d’informations en ligne a été rendu difficile, les émetteurs de certains médias locaux ont été démantelés et les ondes d’autres médias privés de grande écoute ont été brouillées. Tout cela s’est produit en quelques jours seulement. Un arsenal répressifhors normess’est abattu sur les Guinéens tel un censeur voulant punir ou sanctionnerde mauvais élèves.Le CNRD, engagé dans sadérive liberticide aveugle, nous prive de notre droit de nous informer, de celui d’accéder librement àdes échanges instantanés, de partager nos joies et nos peines avec nos proches sur les réseaux sociaux, alors même que nous n’avons pas fini de nous battre pour recouvrer notre droit de manifester librement sur la voie publique, droit qui nous avait été confisquédès les premières heures de la transition.La liberté de la presse est bafouée comme jamais dans notre paysdepuis la libéralisation des ondesen 2005 par un décret du feu général Lansana Conté.

L’heure est donc grave. Le péril est imminent, il est en vue.La décadence nous guette.

Quelle ignominie pourtant d’entendre le porte-parole du Gouvernement, M. Ousmane Gaoual Diallo, sous prétexte de lutter contre des médias qui attiseraient prétendument la haine, reconnaître de façon déguisée, sans gêne ni honte, que les autorités de la transitionseraient en réalité prêtes à fermer,en toute illégalité, des médias qui exercent librement et en toute indépendance leurs activités sans souscrire aux méthodes cavalières de la junte militaire. Il s’est donc tout seul autoproclamé « ennemi de la presse » avant même qu’il ne soit désigné comme tel par les organisations professionnelles et le syndicat de la presse guinéenne.

Quel paradoxe pour la Guinée !Elle se retrouve dirigée par des gens qui n’ont été choisis par aucun Guinéen d’aucune partie du territoire national, mais ces personnes censées gérer le pays pour une période transitoire s’attèlent aujourd’hui à démanteler minutieusement nos maigres acquis démocratiques. Cela doitnous prouver que l’essentiel est en jeu.Notre survie en tant que peuple libre est menacé.Il est temps d’agir pour reprendre en main notre destinéeen recourant à tous les moyens légaux et citoyens consacrés par nos lois et conventions.

AGIR AVANT QU’IL NE SOIT TARD

La presse guinéenne a emboîté le pas aux FVG en annonçant une série d’actions allant de l’observation d’une « journée sans presse en Guinée » au boycott de toutes les activités des autorités de transition.Si ces mesures sont salutaires et fortes, elles ne sont toutefois pas suffisantes pour faire plier les apprentis dictateurs au sommet de notre État.

Il est plus que temps de prendre part et d’amplifier les journées de manifestations pacifiques appelées par les FVG pour marquer notre opposition aux dérives inacceptables de la junte militaire. Face à un adversaire fort du soutien d’une armée favorable au projet de confiscation du pouvoir et des armes à leurs dispositions, prêt à nous écraser individuellement, nous devons lui opposer, dans l’union et la cohésion, notre refus et notre détermination de ne pas nous laisser nous engager dans un processus de birmanisation de notre société. La convergence des luttes doit se manifester en unissant les forces de toutes les composantes de notre société ayant des revendications à porter. La presse y compris la RTG, les forces vives, les syndicats, les intellectuels… nous devons tous agir dans l’union pour faire plier ces militaires de bureaux climatisés.

Enfin, imaginez une seule seconde ce que des gensprêts à violer autant nos droits et libertés seront capables de faire quand ils auront à leur charge des décisions plus engageantesdans le temps. Et pourtant, ces mêmes aspirants dictateurs nous sollicitent pour qu’on leur permette de doter notre pays d’une nouvelle Constitution, nous assurent qu’on devrait avoir confiance en eux pour organiser les élections à venir et prétendent qu’ils quitteront le pouvoir à la fin des deux années de transition convenues avec la CEDEAO… Mais comment peut-on raisonnablement faire confiance à quelqu’un qui nous a déjà menti et pas qu’une fois?Ne jamais faire confiance à un putschiste, telle devrait être notre devise.

Ne nous laissons pas faire. Levons-nous avant que la Guinée ne se transforme en une jungle similaire à la Birmanie où l’armée serait maitresse de tout et les civils de simples valets de ces premiers, où les droits et libertés ne seront plus que de lointains souvenirs.

Seule la lutte citoyenne libère !

LeJourLaNuit

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