Selon le bon vouloir des autorités guinéennes, Conakry et la Guinée célébreront cette année de manière plutôt exceptionnelle la date du 28 septembre. C’est en effet à cette date évocatrice que le président Alpha Condé a choisi d’inaugurer le barrage hydroélectrique de Kaleta, symbole de son premier mandat. En raison de l’envergure qu’on voudrait donner à l’événement, on annonce près de 20 présidents invités. Pas sûr que tous viennent. Mais il y en aura qui permettent que le cachet soit particulier. Quand on sait que le barrage en question ne fournit que 224 MW et que le courant qu’il fournit ne dépasse pas Labé, sans oublier que la fameuse rotation pourrait bien revenir en période d’étiage, on pourrait bien se demander si cela vaut tout ce tintamarre. Il n’est pas question minimiser ce qui a été fait. Parce qu’on pourrait rappeler que c’est pour une capacité trois fois inférieure à celle de Kaleta (Garafiri) que le président Lansana Conté avait fait venir Jacques Chirac.
Ceci étant, on a l’impression que si le gouverneur et le ministre de l’administration du territoire et de la décentralisation se sont retroussés les manches pour embellir Conakry, c’est surtout parce qu’on est en période de campagne. Que l’on fasse appel au monde entier et que l’on suscite les plus folles mobilisations, c’est encore et toujours cette campagne électorale. Le candidat-sortant Alpha Condé tient avec le barrage de Kaleta, son acquis le plus évident. Il est vrai que très peu de personnes se rappellent avoir eu le courant dans leurs demeures comme c’est le cas depuis fin mai. Là, c’est du concret. C’est du tangible. Le nier, c’est faire preuve d’une évidente mauvaise foi. On peut s’interroger sur le caractère pérenne de la dynamique. Mais on ne peut s’empêcher de reconnaître qu’il y a un résultat sur le front de l’électricité. Ce côté irréfutable, les autorités aussi en sont pleinement conscientes. Et c’est pour cela qu’elles bâtissent l’essentiel de leurs communications autour de cet acquis consensuel. Or, il n’y a pas meilleur moyen de transformer cet acquis en argument politique qu’en suscitant le buzz à l’occasion de cette inauguration. Ainsi, chacun des dirigeants qui vont arriver aura son mot à dire. Aux yeux du monde, ce sera une belle image notamment sur le plan diplomatique. Voilà un premier objectif qui sous-tend tout ce remue-ménage.
Le second objectif, il est en rapport avec la date qui a été choisie. Cette date, en effet, est désormais chargée de deux événements contradictoires. Elle est tout d’abord le symbole de la souveraineté nationale. En effet, c’est un 28 septembre que les Guinéens, répondant à la question posée par De Gaule, avaient choisi l’option de l’indépendance. Jusqu’en 2009, le 28 septembre était donc une sorte de fierté nationale. Mais depuis cette année, avec les massacres du stade qui porte le même nom, cette date ne rappelle rien d’honorable. Du coup, depuis six ans, à la veille de cette date, on ne parle que du niveau d’avancement du dossier du 28 septembre avec des questions du genre où en est le pool des juges et que pourrait faire la CPI ? La fierté originelle est pervertie et supplantée par l’horrible et hideux souvenir du massacre de quelques 157 opposants et du viol de plus d’une centaine de femmes, sous la junte du capitaine Moussa Dadis Camara.
On a donc l’impression que l’autre objectif visé par les autorités guinéennes en choisissant cette même date, c’est bien une quête de réhabilitation de la dimension positive qui était originellement associée à ce jour. On veut en quelque sorte refermer la parenthèse des souvenirs malheureux. On voudrait qu’on se rappelle de cette date comme celle de l’inauguration d’un barrage d’une certaine importance pour le développement socioéconomique du pays. Ce n’est pas sûr que cela puisse marcher, puisqu’en Guinée, on a la fâcheuse habitude d’oublier les événements dès que les régimes auxquels ils sont associés sont passés. Mais les autorités auront tout de même essayé.
Anna Diakité, www.kababachir.com