Montréal, 20 décembre 2022– Au terme des deux semaines d’intenses travaux entre les parties, la Conférence des Nations Unies sur la biodiversité, COP15, s’est conclue lundi à Montréal, au Canada, par un accord historique visant à protéger 30 % des terres, des zones côtières et des eaux intérieures de la planète d’ici la fin de la décennie.
Lancée le 06 décembre dernier par le Secrétaire général des Nations-Unies, Antonio Guterres, la 15ème réunion de l’ONU sur la biodiversité, le cadre mondial Kunming-Montréal, a adopté le texte tout en énonçant des actions phares que les pays doivent entreprendre d’ici 2030 pour modifier nos relations avec la nature et mettre un terme le plus rapidement possible au déclin de la biodiversité.
Les pays membres de la Convention sur la diversité biologique ont approuvé un texte de 23 objectifs pour arrêter et inverser le déclin de la biodiversité.

Cette entente historique porte essentiellement sur :
1. Une cible de protection de 30 % des terres et des océans d’ici 2030
Mesure phare du texte, la cible d’aires protégées a fait l’objet de débats au cours des deux dernières semaines. Les parties membres de la Convention sur la diversité biologique (CBD) se sont finalement entendues pour protéger 30 % des aires terrestres, des eaux intérieures et des zones côtières et marines.
L’objectif se veut l’équivalent pour la biodiversité de la cible de l’Accord de Paris sur les changements climatiques qui appelle à limiter le réchauffement planétaire à 1,5 °C.
Le texte demande de protéger davantage les zones les plus sensibles pour la biodiversité et qui sont écologiquement représentatives, en fonction des services éco-systémiques qu’elles rendent. On y reconnaît en outre l’importance de la connectivité écologique..
Pour l’heure, 17 % des terres et 8 % des mers sont protégées dans le monde.
Le cadre comprend aussi une autre cible, qui vise à restaurer 30 % des écosystèmes terrestres et maritimes.
2. Un compromis pour fournir de l’argent aux pays les moins nantis
La question du financement que les pays du Nord devraient fournir aux pays du Sud pour les aider à protéger la biodiversité – et les mécanismes à mettre en œuvre pour faciliter l’acheminement des flux financiers le plus rapidement possible – s’est imposée comme la pomme de discorde entre les parties.
Dès la première semaine de la COP15, des dizaines de nations, dont le Brésil, l’Inde, l’Indonésie et plusieurs pays d’Afrique, ont réclamé aux pays riches une aide financière d’au moins 100 milliards de dollars par an pour les soutenir.

Le cadre mondial doit garantir l’accès aux ressources financières, en particulier pour les pays en développement, les 46 nations reconnues par l’ONU sous l’appellation de pays les moins développés ainsi que les petits États insulaires et les économies en transition. L’effort commun de mobilisation doit tendre à combler progressivement le déficit de financement de la biodiversité de 700 milliards de dollars par an, indique-t-on.
La création d’un nouveau fonds pour la biodiversité destiné aux pays les moins nantis était loin de faire l’unanimité, certains pays de l’Union européenne et le Canada, notamment, préférant favoriser des mécanismes existants pour augmenter et accélérer le financement.
Dans la version finale du texte, la présidence chinoise a fait le compromis d’appeler à l’instauration d’un fonds fiduciaire dédié à la biodiversité alimenté non seulement par les États, mais aussi par des acteurs du secteur privé et par des initiatives de philanthropie. En vertu de la cible 19, les parties devront ainsi mobiliser 200 milliards de dollars américains d’ici 2030.
Cet argent serait réaffecté grâce à un organe déjà établi, à savoir le Fonds pour l’environnement mondial (GEF).
Ce dernier a essuyé de nombreuses critiques des pays du Sud, qui lui reprochaient une gestion déficiente. Mais dans un document distinct du cadre qui se concentre sur la mise en œuvre de la mobilisation des ressources, la présidence de la COP15 a énoncé une série de mesures pour améliorer l’efficacité du GEF
.Les subventions qui sont dommageables pour l’environnement devraient aussi être progressivement éliminées à hauteur d’au moins 500 milliards de dollars américains par an d’ici 2030. Ces sommes, précise-t-on, devraient plutôt être réorientées afin de financer des projets qui favorisent la protection de la biodiversité.
3. La réduction des risques associés aux pesticides
L’une des 23 cibles du texte appelle à la réduction de moitié du risque lié aux pesticides et aux produits chimiques dangereux, en tenant compte de la sécurité alimentaire et des moyens de subsistance.
Le choix de s’attaquer aux risques posés par l’utilisation de ces substances plutôt qu’à la quantité répandue, qui en a d’abord fait sourciller plus d’un, peut s’expliquer par le fait que la réduction des risques implique nécessairement une diminution du recours aux pesticides. L’inverse n’est toutefois pas nécessairement vrai. Une petite quantité de pesticide peut malgré tout se révéler très dangereuse.
Le texte s’attaque ainsi à la pollution, qui est l’un des cinq plus grands facteurs de la perte de la biodiversité sur le globe. D’ici 2030, les risques de pollution et l’impact que celle-ci peut provoquer devraient être diminués à des niveaux qui ne sont pas nuisibles à la biodiversité. Les mesures mises en œuvre par les parties devraient aussi permettre l’élimination de la pollution causée par le plastique.

4. La reconnaissance des droits des peuples autochtones
À travers les objectifs énoncés dans le cadre mondial sur la biodiversité, le rôle et la contribution des peuples autochtones et des communautés locales, gardiens de la biodiversité, sont reconnus.
En plus de garantir leurs droits, la mise en œuvre du cadre doit se faire avec leur consentement libre, préalable et éclairé et dans le respect de leurs connaissances traditionnelles, de leurs valeurs et de leur vision du monde.
Le texte appelle à une utilisation durable des espèces, de façon à prévenir la surexploitation et à minimiser les impacts sur les populations, en respectant et en protégeant les pratiques traditionnelles des nations autochtones et des communautés locales.
Si des participants autochtones ont salué l’attention et la reconnaissance qui leur était accordée à COP15, ils ont toutefois déploré de ne pas peser plus lourd dans la balance.

5. Un accord conclu malgré la dissension de pays africains
La République démocratique du Congo, qui a gardé les ministres réunis à huis clos occupés après avoir réclamé une augmentation du financement proposé, a exprimé d’emblée son désaccord en début de plénière. Une opposition que le président de la COP15, le ministre chinois de l’Environnement Huang Runqiu, a eu tôt fait de balayer en réitérant sa volonté d’officialiser le texte.
Dans un geste de solidarité, le Cameroun a dénoncé un passage en force trahissant à son avis une entorse au protocole, voire une fraude. Une accusation aussitôt démentie par le conseiller juridique de la CBD
L’Ouganda a pour sa part désapprouvé la procédure adoptée par la présidence chinoise, la qualifiant de coup d’État. Selon le représentant de la délégation ougandaise, les parties n’ont pas eu suffisamment de temps pour analyser les textes soumis dimanche.
Bien que la Namibie se soit dite favorable au cadre mondial, son négociateur Pierre Du Plessis a dénoncé l’influence du colonialisme et rappelé que les traumatismes systémiques subis par les pays du continent africain avaient mis à mal la relation entre humains et nature. Le chemin qu’entreprendront les pays à la suite de l’adoption du cadre mondial, a-t-il rappelé, sera rempli d’embûches.
Pourquoi il s’agit du cadre mondial Kunming-Montréal?
Au départ, la 15e Conférence des parties (COP) de la Convention sur la diversité biologique des Nations unies devait se tenir à Kunming, en Chine. Toutefois, la politique zéro COVID du gouvernement chinois – à l’époque – rendait la tenue de cette conférence en personne impossible. C’est à ce moment que l’ONU a choisi de tenir la COP15 à Montréal, avec une présidence chinoise de la conférence et le titre d’un cadre mondial qui réfère à la fois à la ville hôte d’origine et à la ville hôte actuelle.
Le Cadre mondial pour la biodiversité de Kunming-Montréal vise également à réduire de moitié le gaspillage alimentaire.
La COP15 devait initialement se tenir à Kunming, en Chine, en octobre 2020, mais a été reportée en raison de la pandémie de Covid-19.

Renforcer la toile de la vie
Le Cadre d’action et l’ensemble des cibles, des objectifs et des financements qui lui sont associés « ne représentent qu’une première étape dans la réinitialisation de notre relation avec la nature », a déclaré Inger Andersen, Directrice exécutive du Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE), lors de la séance plénière de clôture.
« Nous avons maintenant l’occasion de consolider et de renforcer la toile de la vie, afin qu’elle puisse supporter tout le poids des générations à venir », a-t-elle ajouté.
« Les mesures que nous prenons en faveur de la nature sont des mesures visant à réduire la pauvreté ; ce sont des mesures visant à atteindre les objectifs de développement durable ; ce sont des mesures visant à améliorer la santé humaine ».
Protection et restauration
Le chef du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), Achim Steiner, a qualifié l’accord d’historique, exhortant les pays à le faire progresser.
« Cet accord signifie que les gens du monde entier peuvent espérer de réels progrès pour mettre un terme à la perte de biodiversité et protéger et restaurer nos terres et nos mers d’une manière qui préserve notre planète et respecte les droits des peuples autochtones et des communautés locales », a-t-il déclaré.
M. Steiner a souligné l’engagement à « faire de ce plan une réalité » grâce à l’engagement du PNUD en faveur de la nature, qui soutiendra plus de 140 pays.
« Nous sommes prêts à agir. Le PNUD est là pour apporter les changements systémiques qui peuvent faire bouger l’aiguille de notre crise de la nature », a-t-il déclaré.
« La biodiversité est interconnectée, entrelacée et indivisible avec la vie humaine sur Terre. Nos sociétés et nos économies dépendent d’écosystèmes sains et fonctionnels. Il n’y a pas de développement durable sans biodiversité. Il n’y a pas de climat stable sans biodiversité ».
S’adressant aux journalistes lors d’une conférence de presse de fin d’année à New York, le Secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres, a déclaré que l’accord montrait que « nous commençons enfin à former un pacte de paix avec la nature », exhortant tous les pays à tenir leurs promesses.

Accélérer l’action
La COP15 a donné lieu au lancement d’une plateforme destinée à aider les pays à accélérer la mise en œuvre du Cadre d’action.
Vingt-trois pays, menés par la Colombie et soutenus par l’Allemagne, ont signé une déclaration établissant le Partenariat Accélérateur pour aider les gouvernements à accélérer la mise en œuvre de leurs stratégies et plans d’action nationaux pour la biodiversité (SPANB).
L’objectif est de faciliter l’accès au soutien financier et technique, de développer des capacités institutionnelles adaptées aux différents niveaux et aux besoins nationaux, et de promouvoir le dialogue.
Elizabeth Mrema, Secrétaire exécutive de la convention des Nations Unies sur la biodiversité, a salué cette évolution.
« Une action urgente est nécessaire, non seulement pour lancer la mise en œuvre du nouveau cadre mondial pour la biodiversité, mais aussi pour continuer à accélérer et à renforcer la mise en œuvre des SPANB, alors que nous travaillons ensemble à la réalisation de la vision commune de vivre en harmonie avec la nature et de garantir un avenir durable pour tous », a-t-elle déclaré.

Le partenariat d’accélération a été lancé le deuxième jour du segment de haut niveau de la COP15.
La Colombie et l’Allemagne, ainsi que la Convention des Nations Unies sur la biodiversité, le PNUE et le PNUD, contribueront à la conception, au développement, à la structuration, à la mise en œuvre et au suivi du mécanisme.
Abdoul Wahab Barry, envoyé spécial www.kababachir.com à Montréal